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Full text of "Les Poètes françois, depuis le XII siècle jusqu'à Malherbe"

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I  LES,  I 

I  POÈTES  FRANÇOIS 


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DEPUIS   LE  Xlle   SIÈCLE 


I        JUSQU'A  MALHEKBE, 

I  AVEC 

J  UNE    NOTfCE    HISTORIQUE    ET    LITTERAIRE 
I  SUR        tl\  QUE    POÈTE. 


TOME  CINQUIÈME. 


\  PARIS, 


DF.   F;   ?'PR1MERIE  DE  CRAPELET,         % 

RVn    H»    V.tK.tKARD,    H°  9.  Ç 

1824.  I 


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BIBLIOTHEOUE 


ClIOlblE 


DES  POETES  FRANÇOIS 

JUSQU'À  lAIALIÏERBE. 


TOME  \. 


A  PARIS, 

Aht.-Adg.  RENOUARD,    TREUTTELet  WlJRTZ,  LEFKVRE, 

rue  de  Tonrnon  ,  n"  6,  rue  de  Bonrbon,  n°  17.       rue  de  l'Eperon,  n"  6. 

1824. 


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LES  I 

POÈTES  FRANÇOIS,        ; 

DEPUIS    LE   Xir  SIÈCLE  j 

JUSQUÀ  MALHERBE, 

AVEC  { 

UNE  NOTICE  HISTORIQUE  ET  LITTÉRAIRE  j 

SUR  CHAQUE  POtTE.  ■ 


TOME  CINQUIEME. 


#r  A  PARIS, 

DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET. 


M.  DCCC.  XXIV. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lespotesfran05augu        l 


LES 

POÈTES  FRANÇOIS, 

DEPUIS  LE  XII'  SIÈCLE 

JUSQU'A   MALHERBE. 

ROBERT   GARNIER. 


Robert  Garnier,  né  en  i534,  à  la  Fertë-Bernard , 
au  Maine,  tut  d'abord  lieutenant-criminel  du  Mans, 
et  ensuite  conseiller  au  grand-conseil.  11  mourut  au 
Mans  en  1590,  suivant  Baillel,  et,  suivant  La  Monnoye, 
en  1600  ou  1601  i  il  tut  inhumé  dans  l'église  des  Cor- 
(leliers  de  cette  ville. 

Contemporain  de  Jodelle,  Garnier  le  surpassa  dans 
la  même  carrière.  De  son  temps,  ses  tragédies  turent 
rcirardées  comme  autant  de  chefs-d'œuvre.  11  en  reste 
huit:  Porci'e ,  Hippoljte,  Cornclie ,  Marc- Antoine ^  la 
Troode ,  ou  la  Destruction  de  Troje,  Antigone ,  Bra- 
daniantc,  et  Sédécias ,  ou  les  Juives. 

Garnier  avoit  pris  Sénèque  pour  modèle  :  trois  de 
ses  tragédies  ,  Hippoljte,  la  Troade  et  Antigone ,  sont 
en  partie  imitées  de  ce  poète. 

Toutes  les  tragédies  de  Garnier,  excepté  Brada- 
mante,  ont  des  chœurs  qui  sont  de  véritables  odes; 
V.  i 


'1  ROBERT  GARNIFR. 

on  y  trouve  quelquefois  ce  sul)linie  d'expression  et 

d'image  qui  est  le  caiactcre  distinctit"  de  ce  genre  de 

poésie. 

Si,  comme  les  autres  pièces  de  cette  époque,  celles 
de  Garnier  manquent  d'action  ;  si  elles  onî  une  marche 
lente  et'trop  souvent  entravée  par  de  fréquents  récits, 
(»n  y  trouve  du  moins  une  couleur  tragique;  la  versi- 
fication en  est  plus  correcte;  le  style  a  plus  de  noblesse 
et  plus  d'élévation  ,"  il  y  a  des  situations  intéressantes  ; 
les  discours  des  personnages  sont  quelquefois  à  la  hau- 
teur des  sentiments  dont  ces  personnages  sont  agités. 
Les  progrès  de  lart  sont  déjà  sensibles. 


COMPLAINTE  DE  HO.-ME. 
CHOEUR. 

On  !  combien  roulent  d'accidens 
Des  cieux  sur  les  choses  humaines  ! 
De  combien  d'effets  discordans 
Ils  ont  leurs  influences  pleines  ! 
Après  les  grandeurs  incertaines. 
L'on  se  tourmente  vainement: 
Car,  comme  elles  viennent  soudaines. 
Elles  s'en  vont  soudainement. 

Notre  courte  félicité 

Coule  et  recoule  vagabonde, 

Connue  un  gallion  agité 

Des  vagues  contraires  de  l'onde. 

Celui  qui,  volage,  se  fonde 

Sur  un  si  douteux  fondement, 


ROBERT  GARNIER. 
Semble  qu'en  Taresne  inféconde 
Il  entreprenne  un  bastiment. 

La  Fortune  n'outrage  pas 
Volontiers  les  personnes  basses  ; 
Elle  n'appesantit  son  bras 
Que  sur  les  plus  illustres  races  :        "^ 
Les  rois  craignent  plus  ses  menaces, 
Que  les  durs  laboureurs  ne  font  ; 
Et  le  foudre  est  souvent  aux  places, 
Qui  plus  haut  élèvent  leur  front. 

Les  édifices  orgueilleux, 
Voisinant  le  ciel  de  leurs  testes , 
Ont  tant  plus  le  chef  sourcilleux 
Battu  d'ordinaires  tempestes , 
Qu'ils  élèvent  plus  haut  leurs  testes; 
Et  les  Aquilons  furieux 
Ne  battent  guère  que  les  faistes 
Des  rochers  plus  audacieux. 

Mais  aux  chaumières  du  pasteur, 
Qui  s'applanissent  contre  terre, 
Les  foudres  d'été  ne  font  peur, 
Ni  les  vents  que  l'hiver  desserre  : 
Jupin  ne  darde  son  tonnerre 
Contre  les  humides  vallons  ; 
Et  les  roseaux  n'ont  jamais  guerre 
Contre  les  roides  Aquilons. 


ROBERT  GARNIF.R. 


FRAGMENT  DE  LA  TRAGEDIE  DE  CORNÉLIE. 
CÉSAR  ^  rentrant  victorieux  dans  liu.we. 

O  sourcilleuses  tours!  6  costeaux  décorés! 

O  palais  orgueilleux!  6  temples  honorés! 

O  vous  nuus,  que  les  dieux  ont  maronnes  eux-mêmes, 

Eux-mtmes  étoffés  de  mille  diadèmes, 

Ne  ressentez-vous  point  le  [)laisir  en  vos  cœurs. 

De  voir  votre  César,  le  vainqueur  des  vainqueurs, 

Par  tant  de  gloire  acquise  aux  nations  étranges, 

Accroistre  votre  empire,  ainsi  que  vos  louanges? 

Et  toi,  fleuve  orgueilleux,  ne  vas-tu  par  tes  (lots 
Aux  tritons  mariniers  faire  bruire  mon  los, 
Et  au  père  Océan  te  vanter  que  le  Tyhre 
Roulera  plus  fameux  que  l'Euphrate  et  le  Tvgrc  ? 

Jà  presque  tout  le  monde  obéit  aux  Romains  : 
Ils  ont  presque  la  mer  et  la  terre  en  leurs  mains; 
Et  soit  oii  le  soleil,  de  sa  torche  voisine, 
Les  Indiens  perleux  au  matin  ilhunine  ; 
Soit  où  son  char,  lassé  de  la  course  du  jour, 
Le  ciel  quitte  à  la  nuit,  qui  connnence  son  tour; 
Soit  où  la  mer  glacée,  en  cristal  se  resserre; 
Soit  oîi  l'ardent  soleil  sèche  et  brusle  la  terre, 
Les  Romains  on  redoute  ;  et  n'y  a  si  grand  roi 
Qui  au  cœur  ne  frémisse,  oyant  parler  de  moi. 

César  est  de  la  terre  et  la  gloire  et  la  crainte; 
César  des  vieux  guerriers  a  la  louange  éteinte  : 
Taisent  les  Scipions,  Rome,  et  les  Fabiens. 


ROBERT  GARNIER. 
Lps  Fabiices  ,  Métels ,  les  vaillans  Déoiens  ! 
Les  Gaulois,  qui  jadis  au  Tybre  venoient  boire 
Ont  vu  boire  sous  moi  les  Romains  dans  la  Loire  • 
Et  les  Germains  affreux,  nés  au  métier  de  Mars, 
Ont  vu  couler  le  Rhin  dessous  mes  étendars. 


CHOEUR. 

Nos  gémlssemens  sont  plus  doux, 
Quand  chacun  gémit  comme  nous  : 
Notre  douleur  est  moins  cuisante, 
Et  mord  nos  cœurs  plus  lentement , 
Si-tost  que ,  pour  notre  tourment , 
Un  peuple  nombreux  se  lamente. 

Ah  !  toujours,  toujours  un  grand  mal 

Se  plaist  de  trouver  son  égal, 

Un  compagnon  toujours  désire  , 

Et  rien  ne  nous  soula<;e  tant 

Que  de  voir  un  autre  portant 

Le  mesme  deuil  qui  nous  martyre. 

Personne  jamais  ne  se  croit 
Misérable ,  encor  qu'il  le  soit. 
Ostez  les  personnes  heureuses , 
Ostez  les  riches,  vous  verrez 
Les  pauvres,  qui  sont  attérés, 
Lever  leurs  testes  orgueilleuses. 

Nul  ne  se  pense  malheureux , 
Qu'accomparé  d'un  bienheureux. 


pFi. 


ROBERT  GARNIER. 
Las!  qu'un  homme  qui  se  lamente 
Sent  peu  de  consolation , 
Si  quelqu'un ,  en  sa  passion , 
L'aborde  la  face  riante  ! 

Quand  Pyrrlia,  et  son  vieil  iwari, 
,  Restans  seuls  du  monde  péri , 
^  Virent  noyer  la  race  humaine  , 
Leur  mort  ils  ne  pleurèrent  pas  , 
Pource  que  de  pareils  trépas 
La  vagueuse  terre  étoit  pleine. 


SCENE  DE  LA  TRAGEDIE  DE  LA  TROADE, 

où    HÉCUBE    ET    ANDROaiAQUE   APPRENNENT  LA  MORT   p'ASTi'ANAX. 
H  ECU  BE. 

Ne  bougez  ;  entendons  ce  discours  mortuaire  : 
Toi,  messager,  poursuis  ,  ne  crains  de  nous  déplaire; 
De  feu,  de  sang,  de  cris,  de  larmes  je  me  pais  ; 
Mon  ame  de  douleurs  se  nourrit  désormais. 

MESSAGER. 

Il  nous  reste  une  tour  de  la  défunte  Troye, 
Que  le  feu  n'a  rongé,  que  la  cendre  ne  noyé. 
Là  naguère,  Priam,  sur  les  créneaux,  étoit 
Dedans  son  trosne  assis ,  pendant  qu'on  combattoit; 
De  la  voix  et  des  mains,  à  bas  sous  les  murailles , 
Grave  en  longs  cheveux  gris,  arrangeoit  les  batailles, 
Mignardant  tendrement ,  et  tenant  en  ses  bras 
Le  petit-fils  d'Hector,  lui  montrant  les  combats, 


ROBEIIT  GARNIKK. 

Et  comme,  à  coups  de  pique,  endosst^  de  ses  armes. 
Son  père  alloit  fendant  la  presse  des  gens-d'armes 
Les  rompoit,  foudroyoït,  terrassoit  par  monceaux 
Et  de  sang  et  de  feu  reinpiissoit  leurs  vaisseaux. 

Cette  fameuse  tour,  ornement  de  la  ville. 
Mais,  las  1  (|ui  ressemble  oro  un  rocher  inutile, 
De  peuple  étoit  pressée;  on  voyoit  lour-à-Jpur, 
Les  chefs  et  les  soldats ,  fourmiller  tout-autour  : 
Chacun  sort  des  vaisseaux,  et  par  troupes  s'assemble; 
L'onde  en  frémit  au  loin,  tout  le  rivage  en  tremble. 

Loin  s'élève  uncostean,  qui  peu-à-peu  descend 
Jusqu'au  pied  de  la  tour,  et  en  plaine  s'étend: 
Là  l'Argoliepie  arim  se  campe; 

L'iiii  (le  pird  ,  et  de  mains  à  toute  force  rampe 
Au  laiste  des  rochers,  et  balancé  des  pieds, 
Découvre  de  la  mer  les  grands  flots  repliés  : 
Cclui-ri  veut  gravir  au  haut  d  un  précipice , 
Celui-là  sur  le  toit  d'un  fameux  édifice, 
Ou  sur  un  pan  de  nnu'  à  demi-consumé , 
B(li(jucs  dllion  par  les  Grecs  enflammé: 
Quelques-uns  même,  6  crime  !  osent  marcher  sans  crainte 
Sur  la  tombe  d'Hector,  inviolal^le  et  sainte; 
Quand  nous  voyons  venir  Ulysse  l'inhumain. 
Avec  Astyanax,  qu'il  menoit  par  la  main: 
Puis  montés,  en  tournant,  par  une  vis  fatale. 
En  réîage  dernier  de  cette  tour  royale, 
L enfant  cki  fier  Hector,  d'un  visage  ra.ssis. 
Regarde  constamment  les  peuples  épaissis , 
Ondoyans  par  la  plaine,  ainsi  qu'une  tourmente 
De  longs  épis  flottans,  quand  Zéphyr  les  évente. 


s  ROBERT  G  ARMER. 

De  tons  costés  il  tourne  et  retourne  ses  yeux, 
L.'inçant  de  toutes  parts  un  regard  furieux  ; 
Il  montre  sur  son  front  le  dépit  de  son  aine  :  > 

De  ses  deux  yeux  sortoit  une  hrillajite  flame. 
Un  désir  de  vengeance;  et  la  sévérité  „^ 
De  son  père  luisoit  en  son  front  irrité. 

Ce  hr^ve  naturel ,  superbe  et  magnanime  , 
Émouvoit  un  chacun;  tous  l'avoient  en  estime: 
Les  peuples,  et  les  chefs,  à  pleurer  sont  contraints, 
Et  chacun  essuyoit  ses  larmes  de  ses  mains; 
Mesme  le  dur  Ulysse,  attendri  de  courage. 
De  pitoyables  pleurs  s'est  baigné  le  visage. 
Le  prêtre  à  peine  aux  dieux  demande  lui  prompt  retour. 
De  lui-mesme ,  l'enfant  s'élance  de  la  tour , 
Sur  le  dos  des  rochers. 

ANDnOMAQUE. 

Quel  Gelé,  quel  Tarlarc , 
Et  quel  Colque  a  commis  un  acte  si  barbare? 
Quel  peuple  sans  pitié,  sans  police,  sans  loix, 
"Vivant  dans  les  déserts,  privé  d'humaine  voix 
Et  d  iunnaine  raison  ,  sur  les  monts  d'Hyrcànie  , 
A  commis ,  a  conçu  si  grande  félonie  ? 

Il  ÉCUBE. 

De  Rusire  n'éloient  les  sacrifices  tels. 

Car  le  sang  des  enfans  ne  baignoit  ses  autels. 

andhomaque. 
O  misérable  enfant!  et  (jui,  las!  aura  cnrc 
D'ensevelir  ton  corps  digne  de  sépulture? 

MESSAGER. 

Son  corps  est  si  meurtri,  qu'au  regard  incertain. 


ROBERT  GARNIER.  g 

Il  est  méconnoissable ,  et  n'a  plus  rien  d'humain. 

ANDROM  AQUE. 

Son  sort  est  plus  cruel  que  celui  de  son  père. 
O  dieux!  que  votre  main  est  contre  nous  sévère! 
Meurtrir  ce. pauvre  enfant,  le  faire  torturer, 
Auparavant  qu'il  s'çust  ce  que  c'est  qu'en^durer! 
Me  l'aviez-vous  donné,  me  l'aviez-vous  fw^iYàistre, 
Pour,  de  sa  dure  mort^,  les  yeux  grégeois  repaistre  ? 
Hélas  !  et  ne  m'étoit-ce  assez  d'affliction , 
Que  mes  frères  germains ,  que  mon  père  Etion , 
Que  mon  époux  aimé ,  que  ma  natale  ville , 
Thebes  aux  hautes  tours ,  fussent  détruits  d'Achille, 
Si  je  n'avois  exprès  un  enfant  par  malheur, 
Pour,  de  sa  mort  cruelle,  accroistre  ma  douleur! 
Enfant,  où  que  tu  sois,  souviens- toi  de  ta  mère; 
Ne  me  laisse  servir  en  maison  étrangère  : 
Supplie ,  si  tu  peux  ,  à  la  noire  Atropos , 
Que  bientost  avec  toi  je  trouve  le  repos , 
Effaçant  mes  ennuis  dedans  l'onde  oublieuse . 
Et  l'ennui  que  me  fait  cette  vie  odieuse. 
Si  faut-il,  mon  enfant,  que  j'aie  le  souci 
De  te  faire  un  sépulcre  en  quelque  part  ici  : 
Je  ne  permettrai  pas  que  tu  sois  la  pasture 
Des  bestes ,  des  oiseaux  de  gloutonne  nature. 
Je  vais  prier  les  Grecs. 

MESSAGER. 

Les  Grecs  l'ont  étendu 
Dans  le  bouclier  d'Hector,  pour  vous  estre  rendu. 

ANDROaiAQUE. 

O  bouclier,  l'ornement  d'une  dextre  guerrière. 


l<^  ROBERT  GARMER. 

Vous  servez  maintenant  à  mon  enfant  de  bière  1 

On  vous  a  vu  jadis,  6  bouclier  renommé, 

Plus  redouté  des  Grecs  que  le  foudre  allumé; 

Et  lors  j'espérois  bien  ,  ô  trompeuse  pensée  ! 

Voir  un  jour,  quand.d'IIector  la  vieillesse^  avancée 

Par  les  irîLvaux  guerriers,  auroit  courbé  son  dos. 

Que  son'^is',  liéritier  de  son  antique  los, 

Se  pareroit  de  vous,  vous  porteroit  en  guerre. 

Hélas  !  et  maintenant  vous  le  portez  en  terre. 


CHOEUR. 

Toujours  la  tempeste  bruyanU 
Les  vagues  ne  fait  écumer  ; 
Toujours  Aquilon  ne  tourmente 
Le  repos  de  Tondeuse  mer; 
Toujours  du  marchand ,  qui  traverse 
Pour  le  profit,  jusqu'au  Levant, 
Le  navire  creux  ne  renverse 
Sous  le  flot ,  agité  du  vent  : 

Toujours  Jupiter  ne  desserre , 
Animé  de  sanglant  courroux  , 
Les  traits  flambans  de  son  tonnerre , 
Contre  les  rocs ,  et  contre  nous  ; 
Toujours  l'ardent  été  ne  dure 
Sur  le  sein  des  champs  endurci. 
Et  toujours  la  gourde  froidure 
Ne  les  endurcit  pas  aussi. 


ROBERT  GARNIER.  li 

Mais  toujours,  tandis  que  nous  sommes 
En  ce  bas  monde  séjournant, 
Les  malheurs,  compagnons  des  hommes, 
Vont  notre  vie  entretenant  : 
J^ss.  adversités  éternelles 
Se  perchent  dessus  notre  chef.^^f  "^ 
Et  ne  s'en  vont  point,  qu'au  l?^!î  d'elles 
Ne  survienne  un  plus  grand  méchef. 

Nature ,  en  naissant ,  nous  fait  estre 
Sujets  à  les  souffrir  toujours  : 
Comme  nous  commençons  à  naistre, 
A  naistre  commencent  leur  cours; 
Et  croissant  notre  mortel  âge , 
Ces  malheurs  croissant  avec  nous, 
S'appesantissent  davantage, 
Et  semblent  redoubler  leurs  coups. 

Que  font  les  grandeurs  passagères  ? 
Las  !  plus  superbes  elles  sont , 
Et  plus  nous  voyons  de  misères 
A  rencontre  lever  le  front. 
Aux  couronnes  elles  s'attachent. 
Les  menaçant,  et,  maintes  fois. 
De  grande  fureur  les  arrachent 
Du  chef  tyrannique  des  rois. 

En  vain,  par  les  ondes  secrettes, 
Nous  irons,  pour  les  éviter, 
Aux  Scytes  et  aux  Messagettes , 
Loin  sur  la  Borée  habiter  : 


12  ROBERT  GARNIER. 

En  vain  sur  les  plaines  bouillantes, 
Où  Phœbus  lance  ses  rayons  , 
Toujours  nous  les  aurons  présentes, 
En  quelque  part  que  nous  soyons. 

Les  ténèbres  plus  obstinées         ''^  ^ 
N«;'fV>ignent  la  pesante  nuit; 
La  Clarté ,  dorant  les  journées , 
De  plus  près  le  soleil  ne  suit; 
Et  ne  suit  plus  opiniastre, 
L'ombre  légère  ,  un  corps  mouvant , 
Que  le  malheur,  pour  nous  abattre, 
Sans  cesse  nous  va  poursuivant. 

Heureux,  heureux,  en  sa  misère. 
Qui ,  le  cours  de  sa  vie  usant , 
Loin  des  princes  se  va  retraire , 
Et  leurs  charges  va  refusant! 
Heureux  qui  n'eut  jamais  de  vie! 
Heureux  à  qui ,  dès  le  berceau , 
Par  pitié ,  la  mort  l'a  ravie  , 
L'emmaillottant  dans  le  tombeau! 


CHOEUR. 

Comment  veut-on  que  maintenant, 

Si  désolées, 
Nous  allions,  la  fluste  entonnant, 

Dans  ces  vallées  ? 

Que  le  luth,  touché  de  nos  doigts, 
Et  la  cithare, 


ROBERT  GARNIER. 
Fassent  resonner  de  leur  voix 
Un  ciel  barbare  ? 

Que  la  harpe,  de  qui  le  son 

Toujours  lamente , 
'•assemble  avec  notre  chanson 

Sa  voix  dolente  ?  '"      * 

--/ 

Trop  nous  donnent  d'affection 
Nos  maux  publiques , 

Pour  vous  réciter  de  Sion 
Les  saints  cantiques. 

Hélas  !  tout  soupire  entre  nous, 

Tout  y  larmoyé  ! 
Comment  donc  en  attendez-vous 

Du  chant  de  joye? 

Remplissons  les  airs  de  soupirs 

Sortans  à  peine  , 
Qui  renforceront  des  Zéphyrs 

La  foible  haleine. 

Hélas  î  eh  !  qui  se  contiendra 

De  faire  plainte , 
Lorsque  de  toi  nous  souviendra . 

Montagne  sainte? 

Nos  enfans  nous  soient  désormais 

En  oubliance , 
Si  de  toi  nous  perdons  jamais 

La  souvenance  ! 


J4  ROBERT  GARNIER. 

"     '  CHOEUR. 

L'ame  fut  de  relui  méchantement  hardie-, 

r-, Hardie  a  noire  mal  , 
Qui  voguvff^  pi'^'î^icr  sur  la  mer  assourdie , 
Et  son  flot  inégal; 

Qui  put,  bravant  la  mort  à  ses  desseins  compagne, 

Et  prodigue  de  soi , 
Préférer  aux  moissons  d'une  herbeuse  campagne, 

Un  élément  sans  foi  ; 

Qui  vit  le  Capharés,  et  les  rages  de  Scille, 

Qui  vit  Charybde  auprès, 
En  son  ventre  engloutir  les  ondes  de  Sicile , 

Pour  les  vomir  après  ! 

Sans  cause  Jupiter  la  terre  a  séparée 

D'une  vagueuse  mer, 
Si  les  hardis  mortels,  de  l'une  à  l'autre  orée, 

Font  leurs  vaisseaux  ramer. 

Qu'heureux  furent  jadis  nos  regrettables  pères. 
En  leur  temps  bienheureux  , 

Qui  de  voir,  nautonniers,  les  rives  étrangères, 
Ne  furent  désireux  : 

Ains  d'avarice  francs,  d'envie  et  de  cautelles, 

Les  pestes  de  ce  temps , 
Paisibles  labouroient  leurs  terres  paternelles, 

Dont  ils  vi voient  contens. 


ROBERT  GARNIER.  l5 

On  ne  connoissoit  lors  les  humides  Pléiades, 

Orion  ,  ni  les  feux , 
Les  sept  feux  redoutés  des  pleureuses  Hyades, 

Le  charon  ,  ni  ses  bœufs. 

Tiphys  tfenta'  premier  la  poissonneuse  plaine 
Avec  le  fils  d'Eson  ,  J* 

Pour  aller  dépouiller  une  rive  lointaine^ 
De  sa  riche  toison  : 

Puis  l'amoureux  Paris ,  de  voiles  et  de  rames , 

Fendit  Tonde  à  son  tour  : 
Mais ,  au  lieu  de  toison  ,  il  apporta  les  fiâmes 

D'un  adultère  amour. 


CHOEUR  DES  SOLDATS  DE  POMPÉE, 

VAINCUS    PAR    CÉSAR. 

Tout  ce  que  la  massive  terre 
Soutient  de  son  dos  nourricier, 
Est  sujet  au  ciel  qui  l'enserre, 
Et  à  son  branle  journalier  : 
Les  félicités,  les  désastres 
Dépendent  de  ce  mouvement , 
Et  chaque  chose  prend  des  astres 
Sa  fin  et  son  commencement. 

Les  empires  qui ,  redoutables , 
Couvrent  la  terrestre  rondeur  ; 
De  ces  lournemens  variables 
Tirent  leur  perte  et  leur  grandeur  : 


ROBERT  GARNIER.  < 

Et  les  hommes,  foihle  puissance,  j 

Ne  sçaiiroient  arrester  le  cours  ' 

De  cette  céleste  influence,  ; 

Qui  domine  dessus  nos  jours. 

j 
;  |*^n  de  durable  ne  séjourne  ; 

V/olite  chose  naist  pour  périr  ;  ! 

Et  tout  ce  qui  périt  retourne,  ■ 

Pour  une  autre  fois  refleurir.  | 

Les  formes  des  choses  ne  meurent 

Par  leurs  domestiques  discords,  i 

Que  les  matières  qui  demeurent  \ 

Ne  refassent  un  autre  corps. 

La  rondeur  des  boules  mouvantes,  ] 

Tournoyant  d'un  égal  chemin,  | 

Couple  des  natures  naissantes  i 

Le  commencement  à  leur  fin  :  ' 
Ainsi  les  cités  populeuses , 

Qui  furent  champs  inhabités,  | 

Redeviendront  plaines  poudreuses,  ' 

Puis  retourneront  en  cités.  1 

Ne  voit-on  pas  comme  les  veines  '\ 

Des  rochers  dressés  en  coupeaux,         S. 

Enfantent  les  belles  fontaines,               '  ] 

Et  les  fontaines  les  ruisseaux , 

Les  ruisseaux  les  grosses  rivières ,  i 

Des  rivières  les  flots  chenus  5 

Se  vuident  aux  eaux  marinières,  i 

Et  la  mer  aux  rochers  veinus?  îî 


ROBERT  GARNIER.  17 

Comme  notre  ville  maistresse 
Des  princes  a  senti  les  loix , 
La  suite  des  temps  vainqueresse 
L'assujettira  sous  les  rois; 
Et  la  couronne  blondoyante , 
Qui  ceignit  des  tyrans  le  chef, 
De  mille  gemmes  rayonnantes 
Le  viendra  ceindre  de  rechef. 

Mais  ainsi  que  la  tyrannie 

Vaincra  nos  cœurs  abastardis , 

Advienne  qu'elle  soit  punie 

Ainsi  qu'elle  le  fut  jadis  , 

Et  qu'un  Brute  puisse  renaistre, 

Courageusement  excité, 

Qui,  des  insolences  d'un  maistre, 

Redélivre  notre  cité. 


FRAGMENT  DE  SCENE 

DE    LA    TRAGÉDIE    DE    MARC- ANTOI  NE. 
CÉSAR,  -victorieux. 

Grands  dieux, qui,  sans  mourir, livrez  tout  au  trépas; 
Qui,  sans  jamais  changer,  changez  tout  ici-bas; 
Vous  avez  élevé  jusques  au  ciel ,  qui  tonne , 
La  romaine  grandeur,  par  l'effort  de  Bellonne, 
Maistrisant  les  humains  d'une  horrible  fierté , 
Captivant  l'univers ,  veuf  de  sa  liberté  ! 
Toutefois  aujourd'hui  cette  orgueilleuse  Rome , 
Sans  bien ,  sans  liberté ,  ployé  au  vouloir  d'un  homme  ; 


38  ROBERT  GARNIER. 

1 
Son  empire  est  à  moi,  sa  vie  est  en  mes  mains; 

Je  commande ,  monarque ,  au  monde  et  aux  Ptomains  ; 

Je  fais  tout,  je  peux  tout,  je  lance  ma  parole , 

Comme  un  foudre  bruyant ,  de  l'un  à  l'autre  pôle , 

Soit  où  Phébus  attelle  au  matin  ses  chevaux  ; 

Où  la  nuit  les  reçoit,  recrus  de  leurs  travaux; 

Où  les  flammes  du  ciel  bruslent  les  Garamantes; 

Où  souffle  l'Aquilon  ses  froidures  poignantes  ; 

Tout  reconnoist  César,  tout  frémit  à  sa  voix, 

Et  son  nom  seulement  épouvante  les  rois. 


CHOEUR  DES  SOLDATS  CÉSARIENS. 

Toujours  la  guerre  domestique 
Rongera  notre  république  ? 
Et  sans  désemparer  nos  mains 
Des  glaives  dans  notre  sang  teints, 
Et  sans  dépouiller  la  cuirasse , 
Notre  ordinaire  vestement. 
Nous  irons-nous,  de  race  en  race. 
Massacrer  éternellement  ? 

Il  faut  donc  que  le  ciel  ne  cesse 
De  voir  notre  affi-euse  détresse , 
Et  découvre  de  toutes  parts 
De  nos  corps  cent  morceaux  épars 
Qui  rendent  fertiles  les  plaines 
Des  étrangères  régions , 
Orgueilleuses  de  se  voir  pleines 
De  tant  de  braves  légions  ! 


ROBERT  GARNIER, 
J'espere  que  la  cause  ostée 
De  cette  guerre  ensanglantée , 
Et  qu'étant  nos  cruels  discords 
Rompus  par  nos  derniers  efforts , 
On  verra,  dessus  notre  rive, 
Pâlir  les  rameaux  nourriciers 
De  la  palladienne  olive, 
Au  lieu  de  stériles  lauriers; 

Et  que  de  Janus,  le  bon  père. 
Le  temple,  que  Mars  sanguinaire 
Tenoit  ouvert  par  ci-devant. 
L'on  fermera  dorénavant  : 
Et  le  morion  inutile. 
De  ses  panaches  dépouillé  , 
L'on  verra  pendre  à  la  cheville, 
Et  le  coutelas  enrouillé. 


SCENE  DE  LA  TRAGEDIE  D'ANTIGONE. 

OEDIPE,  ANTIGONÉ. 
CE  D  I  P  E. 

Toi,  de  qui  la  constante  et  fidelle  tendresse 
Conduit  ton  père  aveugle  et  courbé  de  vieillesse. 
Antigone,  ma  fille,  abandonne  mes  pas; 
La  fleur  de  ta  jeunesse  avec  moi  n'use  pas; 
Retire-toi,  ma  fille.  Eh  !  de  quoi  me  profite, 
Si  je  veux  m'égarer,  ta  fidelle  conduite? 
Je  ne  veux  point  de  guide  au  chemin  que  je  sui  ; 
Je  cherche  le  trépas,  pour  finir  mon  ennui. 


20  ROBERT  GARNIER. 

Retire  donc  ta  main  qui  tendrement  me  serre , 
Et  permets  que  tout  seul  par  ces  montagnes  j'erre; 
J'irai  sur  Cithéron ,  aux  longs  costeaux  touffus, 
Où,  dès  que  je  fus  né,  dès  qu'au  monde  je  fus. 
Ma  mère  m'envoya,  pour  dans  un  arbre  paistre 
Les  corbeaux  de  ma  cbair  qui  ne  faisoit  que  naistre  : 
Il  me  demande  encore ,  il  faut  m'y  retirer  ; 
C'est  lui,  c'est  Cithéron,  que  je  dois  désirer; 
C'est  mon  premier  séjour ,  ma  demeure  première  : 
La  raison  veut  qu'il  soit  ma  retraite  dernière. 
Je  veux  mourir  vieillard,  où  je  fus  destiné 
De  mourir  enfançon ,  si-tost  que  je  fus  né. 
Redonne-moi  la  mort ,  rends-moi  la  mort  cruelle  , 
La  mort,  qui  me  suivoit  tiré  de  la  mamelle, 
O  meurtrier  Cithéron!  tu  m'es  cruel  toujours. 
En  allongeant  ma  vie,  et  retranchant  mes  jours,... 

Las  !  pourquoi  me  tiens-tu,  ma  fille  :  eh  î  vois-tu  pas 
Que  mon  père  m'appelle  et  m'attire  au  trépas  ? 
Pourquoi  me  retenir?  penses-tu  qu'il  me  reste 
Encore  un  parricide ,  et  encore  un  inceste  ? 
J'en  ai  peur,  j'en  ai  peur;  ma  fille,  laisse-moi  : 
Le  crime  maternel  me  fait  craindre  pour  toi. 

ANTIGONE, 

Ne  me  commandez  point  que  je  vous  abandonne; 
Je  ne  vous  laisserai  pour  crainte  de  personne  : 
Rien ,  rien  ne  nous  pourra  séparer  que  la  mort  ; 
Je  vous  serai  compagne  en  bon  et  mauvais  sort. 

Que  mes  frères  germains  le  royaume  envahissent. 
Et  du  bien  paternel  à  leur  aise  jouissent  : 
Moi,  mon  père  j'aurai,  je  ne  veux  autre  bien. 


ROBERT  GARNIER.  2\ 

Je  leur  quitte  le  reste ,  et  n'y  demande  rien. 
Mon  seul  père  je  veux  ;  il  sera  mon  partage  : 
Je  ne  retiens  que  lui ,  c'est  mon  seul  héritage. 
Ne  me  rejettez  point  :  me  voulez-vous  priver 
Du  bonheur  le  plus  grand  qui  me  puisse  arriver! 
S'il  vous  plaist  de  gravir  sur  l'ombrageuse  teste 
D'un  Cousteau  bocager,  me  voilà  toute  preste; 
S'il  vous  plaist  un  vallon,  un  creux  antre  obscurci, 
L'horreur  d'une  forest ,  me  voilà  preste  aussi  : 
S'il  vous  plaist  de  mourir ,  et  qu'une  mort  soudaine 
Seule  puisse  finir  votre  incurable  peine, 
Je  mourrai  comme  vous;  le  nautonnier  Charon 
Nous  passera  tous  deux  sur  les  eaux  d'Achéron. 

OEDIPE. 

O  la  grande  vertu  !  bons  dieux,  se  peut-il  faire 
Que  j'aie  oncque  engendré  fdle  si  débonnaire  ? 
Se  peut-il  faire,  hélas!  qu'un  lit  incestueux 
Ait  pu  jamais  produire  enfant  si  vertueux  ? 
Ma  fille  ,  laisse-moi  ;  veux-tu  bien  que  j'endure 
Que  mon  père  soit  mort,  sans  venger  son  injure? 

Je  ne  fais  qu'alonger  la  trame  de  mes  maux  ; 
Je  ne  vis  pas,  je  sens  les  funèbres  travaux 
D'un  qui  tombe  au  cercueil  ;  mon  ame  prisonnière 
Est  close  de  ce  corps,  comme  un  corps  de  sa  bière. 
Tu  penses  me  bien  faire,  en  prolongeant  ma  fin  ; 
Mais  je  n'ai  rien  si  cher,  qu'abréger  mon  destin. 
Tu  retardes  ma  mort,  qu'avancer  je  désire. 
Et  me  croyant  sauver,  ta  main  me  vient  occire. 
Ma  fille ,  laisse-moi  :  j'ai  moi-mesme  quitté 
Du  royaume  thébain  l'antique  dignité; 


2  2  ROBERT  GARNIER. 

Mais,  je  n'ai  pas,  laissant  ce  royal  diadesme, 
Dépouillé  le  pouvoir  que  j'avois  sur  moi-mesme. 
Je  suis  maistre  de  moi.... 

A  N  T  I  G  O  N  E. 

N'aurez-vous  point  pitié  de  ma  douleur  amere? 

CE  D  I  P  E. 

N'auras-tu  point  pitié  du  malheur  de  ton  père  ? 

ANTIGONE. 

Votre  malheur  est  grand;  mais  un  cœur  généreux 
Surmonte  tout  malheur,  et  n'est  plus  malheureux. 

OE  D  I  p  E. 

J'ai  ma  mère  épousée  ,  et  massacré  mon  père. 

ANTIGONE. 

Mais  vous  n'en  sçaviez  rien ,  vous  ne  le  pensiez  faire. 

OE  D  I  p  E. 

Tu  m'arrestes  en  vain  ;  tu  tasches,  pour  néant. 
De  me  clorre  l'enfer ,  qui  est  toujours  héant  : 
La  mort  s'offre  sans  cesse  ;  et  combien  que  la  vie 
De  tout  chacun  puisse  estre  à  tout  moment  ravie, 
La  mort  ne  l'est  jamais,  la  mort  on  n'oste  point; 
Quiconque  veut  mourir ,  trouve  la  mort  à  point  : 
Mille  et  mille  chemins  au  creux  Achéron  tendent, 
Et  tous  hommes  mortels,  quand  leur  plaist,  y  descendent. 

Sus!  donc,  OEdipe,  sus!  ne  t'outrage  à  demi; 
Ce  n'est  pas  assez  d'estre  à  tes  yeux  ennemi , 
Tes  yeux  seuls  n'ont  forfait,  tu  es  en  tout  coupable. 
Et  n'y  a  rien  de  toi  qui  ne  soit  punissable. 
Ouvre- toi  l'estomac  ,  déchire-toi  le  sein , 


ROBERT  GARNIER.  23 

Arrache- toi  le  cœur  de  ta  sanglante  main, 
De  ta  main  parricide.... 

ANTIGONE. 

Ah!  mon  père  ,  appaisez,  appaisez  votre  mal , 
Puisqu'il  ne  vient  de  crime ,  ains  d'un  malheur  fatal! 
Écoutez-moi ,  pauvrette  !  et  votre  oreille  douce 
Ma  suppliante  voix,  par  dédain,  ne  repousse! 
Je  ne  demande  pas  que  vous  veuillez  encor 
Reprendre  en  votre  main  le  sceptre  d'Agenor: 
Mais,  Dieu  !  qu'espérez-vous  aux  rives  ténébreuses, 
Éternel  compagnon  des  âmes  malheureuses  ? 
Est-ce  pour  ne  voir  plus  ce  beau  jour  écarté  ? 
Vos  yeux  déjà  du  jour  ont  perdu  la  clarté. 
Est-ce  pour  vous  priver  du  royal  diadesme? 
Vous  avez  scu  déjà  vous  en  priver  vous-mesme. 

OE  D  I  P  E. 

Je  me  veux  séparer  moi-mesme  de  mon  corps  ; 
Je  me  fuirai  moi-mesme  aux  plutoniques  bords  : 
Eh  !  puis-je  encor  fouler  les  campagnes  fécondes 
Que  Cérès  embellit  de  chevelures  blondes  ? 
Puis-je  respirer  l'air,  boire  Teau  qui  refuit. 
Et  me  paistre  du  bien  que  la  terre  produit? 
Puis-je,  encore  souillé  des  baisers  de  Jocaste, 
De  ma  dextre  toucher  la  tienne ,  qui  est  chaste  ? 
Puis-je  entendre  le  son  qui,  las!  le  cœur  me  fend  ! 
Des  sacrés  noms  de  père ,  et  de  mère ,  et  d'enfant  ! 

Je  ne  voyois  encor  la  clarté  vagabonde 
Du  jour,  et  je  n'étois  encores  en  ce  monde. 
Qu'on  décida  ma  mort,  misérable!  Devant 


24  ROBERT  GARNIER. 

Que  je  fusse  animé  ,  que  je  fusse  vivant ,   , 
J'étois  jà  parricide ,  et  ma  vie  naissante 
D'un  sort  contraire  étoit  coupable  et  innocente. 
Le  sort  sauva  mes  jours ,  afin  que  d'un  poignard 
J'ouvrisse  un  jour  le  sein  de  mon  père  vieillard , 
Et  pour  comble  de  maux,  me  fit,  6  chose  infâme! 
L'incestueux  mari  de  ma  mère  sa  femme. 
Quel  Scythe,  quel  Sarmate,  et  quel  Gete  cruel, 
Dépouillé  de  raison  ,  commit  onc  rien  de  tel  ? 
J'ai  ma  dextre  lavé  dans  le  sang  de  mon  père; 
J'ai  d'inceste  souillé  la  couche  de  ma  mcre  ; 
J'ai  produit  des  enfans  en  son  ventre  fécond , 
Qui  frères  et  enfans  tout  ensemble  me  sont. 

Ores  j'ai  tout  quitté,  fors  toi,  mon  Antigone; 
J'ai  laissé  h  la  fois  femme ,  enfans  et  le  trosne , 
Le  loyer  de  mon  crime ,  et  pour  le  gouverner , 
Mes  barbares  enfans  se  vont  assassiner. 

Hélas  !  c'est  le  destin  du  sceptre  agénoride , 
De  s'acquérir  toujours  avec  un  parricide!... 

ANTIGONE. 

Par  vos  cheveux  grisons,  ornement  de  vieillesse, 

Par  cette  douce  main  tremblante  de  foiblesse  , 

Et  par  ces  chers  genoux,  que  je  tiens  embrassés; 

De  votre  ame  aftligée  ,  ah  !  mon  père,  effacez 

Ce  désir  de  mourir.... 

Vivez  tant  que  nature  ici  vous  souffrira  , 

Puis  recevez  la  mort,  quand  elle  s'offrira.... 

OE  D  I  P  E. 

Ma  fille ,  leve-toi ,  tu  me  transis  le  cœur  : 


ROBERT  GARNIER.  25 

Oui ,  ton  desir  pieux  sera  du  mien  vainqueur  ; 
Oui,  je  vivrai,  ma  fille,  afin  de  te  complaire, 
Et  traisnerai  mon  corps  par  ce  mont  solitaire; 
Je  vivrai,  je  mourrai,  selon  qu'il  te  plaira  : 
Ta  seule  volonté  ma  conduite  sera. 


ELEGIE  SUR  LA  MORT  DE  RONSARD. 

A    DESPORTES, 

Nature  est  aux  humains  sur  tous  autres  cruelle  : 

On  ne  voit  d'animaux , 
En  la  terre  et  au  ciel ,  ni  en  l'onde  infidelle  , 

Qui  souffrent  tant  de  maux. 

Notre  esprit  incertain ,  aussi-tost  qu'il  raisonne , 

La  mort  va  redoutant  ; 
Et  sans  cette  frayeur,  que  la  raison  nous  donne, 

On  ne  la  craindroit  tant. 

Nous  craignons  de  mourir,  de  perdre  la  lumière 

Du  soleil  radieux  ; 
Nous  craignons  de  passer,  sur  les  ais  d'une  bierre. 

Le  fleuve  stygieux. 

Encor,  dès  que  le  ciel,  en  une  belle  vie, 

Quelques  vertus  enclost, 
La  chagrineuse  mort,  qui  les  hommes  envie , 

Nous  la  pille  aussi-tost. 

Ainsi  le  verd  émail  d'une  riante  prée 
Est  soudain  effacé  ; 


26  ROBERT  GARNIER. 

Ainsi  l'aimable  teint  d'une  rose  pourprée 
Est  aussi-tost  passé. 

La  jeunesse  de  l'an  n'est  de  longue  durée  ; 

Mais  l'hiver,  aux  doigts  gourds, 
Et  l'été ,  rembruni  de  la  torche  éthérée , 

Durent  presque  toujours. 

Mais ,  las  !  6  doux  printemps ,  votre  verdeur  fanie 

Ptetourne  au  mesme  point  : 
Mais,  quand  notre  jeunesse  une  fois  est  finie. 

Elle  ne  revient  point. 

La  vieillesse  nous  prend  maladive  et  fascheuse , 

Hostesse  de  la  mort, 
Qui, pleins  de  maux,  nous  pousse  en  une  tombe  creuse. 

D'où  jamais  on  ne  sort. 

Desportes,  que  la  Muse  honore  et  favorise. 

Entre  tous  ceux  qui  ont 
Suivi  le  saint  Phebus,  et  sa  science  apprise 

Dessus  le  double  mont  ! 

A  Ronsard ,  vVpolion  ,  ni  les  Muses  pucelles 

N'ont  de  rien  profité , 
Bien  qu'ils  eussent  pour  lui  les  deux  croupes  jumelles 

De  Parnasse  quitté. 

C'est  grand  cas  que  ce  dieu,  qui  dès  l'enfance  l'aime  , 

Affranchit  du  trépas 
Ses  divines  chansons ,  et  que  le  chantre  mesme 

N'en  affranchisse  pas  ! 

Vous-mesme  vous  verrez  le  fleuve  où  tout  arrive, 
Et  paîrez  le  denier 


ROBERT  GARNIER.  o.n 

Que  prend ,  pour  nous  passer  jusques  à  l'autre  rive 
L'avare  nautonnier. 

Adieu,  mon  clier  Ronsard!  î/abeille,  en  votre  tombe, 

Fasse  toujours  son  miel  ! 
Que  le  baume  arabique  à  tout  jamais  y  tombe , 

Et  la  manne  du  ciel  ! 

Le  laurier  y  verdisse ,  avecque  le  lierre 

Et  le  myrthe  amoureux  ! 
Riche  en  mille  boutons,  de  toutes  parts  l'enserre 

Le  rosier  odoreux  ! 

Ah  !  vous  estes  heureux  ,  et  votre  mort  heureuse , 

O  cygne  des  François  ! 
Ne  lamentez  que  nous,  dont  la  vie  ennuyeuse 

Meurt  le  jour  mille  fois. 

Vous  errez  maintenant  aux  campagnes  d'Elise, 

A  l'ombre  des  vergers, 
Où  mûrit  en  tout  temps ,  assuré  de  la  bise , 

Le  fruit  des  orangers  ; 

Où  les  prés  sont  toujours  tapissés  de  verdure , 

Les  vignes  de  raisins. 
Et  les  petits  oiseaux  gasouillant  au  murmure 

Des  ruisseaux  crystallins. 

En  grand'  foule  accourus,  autour  de  vous  se  pressent 

Les  héros  anciens , 
Qui  boivent  le  nectar,  d'ambroisie  se  paissent 

Aux  bords  élisiens. 

Sur  tous ,  le  grand  Eumolpe  et  le  divin  Orphée , 
Et  Line  et  Amphion, 


28  ROBERT  GARNIER. 

Et  Musée  ,  et  celui  dont  la  plume  échauffée 
Mit  en  cendre  llion  : 

Le  louangeur  thébain ,  le  chantre  de  Mantoue , 

Le  lyrique  latin  , 
Et,  avecque  Seneque,  honneur  grand  de  Cordoue 

L'amoureux  florentin  : 

Tous  vont  battant  des  mains,  sautellent  de  Uesse , 

S'entredisans  entr'eux  : 
Voilà  celui  qui  dompte  et  l'itale  et  la  Grèce 

En  poëmes  nombreux  ! 

L'un  vous  donne  sa  lyre,  et  l'autre  sa  trompette, 

L'autre  vous  veut  donner 
Son  myrthe,  son  lierre  ,  ou  son  laurier  prophète, 

Pour  vous  en  couronner. 

Ainsi  vivez  heureuse,  ame  toute  divine , 

Tandis  que  le  destin 
Nous  réserve  au  malheur  de  la  France ,  voisine 

De  sa  dernière  fin. 


JACQUES  DE  BILLY. 


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JxlCQUES  DE   BILLY. 


Jacques  de  Billy,  né  à  Guise  en  i535,  de  Louis 
de  Billy ,  gouverneur  de  cette  ville ,  descendant  de  l'an- 
cienne maison  de  Prunay ,  célèbre  dans  le  pays  Char- 
train  ,  fut  envoyé  à  Paris  dès  sa  première  jeunesse  ;  il 
y  fit  de  rapides  progrès  dans  la  langue  latine.  Rappelé 
à  1  âge  de  dix-huit  ans  ,  il  fut  envoyé  successivement  à 
Orléans  et  à  Poitiers ,  pour  y  suivre  des  cours  de  droit. 
La  mort  de  ses  parents  lui  laissa,  peu  de  temps  après, 
la  liberté  de  se  livrer  à  son  goût  pour  les  lettres, 
qu'il  aimoit  de  passion.  Il  se  retira  à  Lyon ,  et  en- 
suite à  Avignon ,  où  il  apprit  les  langues  grecque  et 
hébraïque. 

Jacques  de  Billy  avoit  embrassé  l'état  ecclésiastique; 
il  fut  d'abord  abbé  de  Ferrières  en  Anjou,  et  prieur 
de  Taussigny  en  Touraine.  Ces  deux  bénéfices ,  qui 
lui  rapportoient  quatre  mille  livres  de  rente  ,  suffi- 
soient  à  son  ambition  ;  mais ,  vivement  pressé  par  son 
fi'ère  aîné ,  Jean  de  Billy ,  il  consentit  à  se  charger  des 
abbayes  de  Saint-Michel  en  l'Herm ,  et  de  Notre-Dame- 
des-Chatelliers,  que  celui-ci  lui  résigna  pour  se  faire 
chartreux.  Sur  ces  entrefaites ,  les  guerres  civiles 
s' étant  allumées  ,  l'abbaye  de  Notre-Dame-des-Chatel- 
liers  fut  pillée ,  et  celle  de  Saint-Michel  entièrement 
ruinée.  Billy  s'épuisa  pour  réparer  ces  pertes.  Peu  de 
temps  après ,  la  nouvelle  de  la  mort  de  quatre  de  ses 
frères  et  de  deux  de  ses  oncles ,  tués  au  service ,  vint 


3o  JACQUES  DE  BILLY. 

mettre  le  comble  à  ses  chagrins.  Il  mourut  à  Paris  le 

o 

aS  décembre  i58i  ,  clans  la  quarante-sixième  année  de 
son  âge ,  et  fut  inhumé  à  Saint-Severin. 

Jacques  de  îîilly  passa  pour  l'un  des  plus  savants 
hommes  de  son  temps.  Ses  deux  Livres  d'observations 
sacrées,  ses  Locutiones  grœcœ ,  et  les  différentes  traduc- 
tions et  éditions  qu'il  nous  a  laissées  des  ouvrages  de 
quelques  pères  grecs ,  prouvent  que  cette  réputation 
n'étoit  pas  usurpée.  Mais  ses  productions  poétiques 
doivent  seules  nous  occuper  ;  elles  se  composent , 
1  °.  de  deux  Livres  de  Sonnets  spirituels  recueillis  pour 
la  plupart  des  anciens  théologiens,  tant  grecs  que  latins  : 
CCS  sonnets  sont  accompagnés  d'un  commentaire  en 
prose  ;  le  premier  Livre  fut  imprimé  en  iSyS  ;  il  ren- 
ferme cent  neuf  sonnets  :  le  second ,  qui  en  contient 
cent,  parut  en  iS-S;  —  2°.  D'un  poème  en  six  Livres, 
qui  a  pour  titre  Second  Âdveneinent  de  Jesus-Christ ; 
ouvrage  rempli  de  piété  et  d'onction  ;  —  3°.  Et  enfin  , 
d'un  traité  de  saint  Bazile,  intitulé  Du  Jugement  de 
Dieu,  etc.  Ce  traité  est  suivi  des  Quatrains  sententieux 
de  saint  Grégoire  de  Nazianze. 


JACQUES  DE  BILLY.  3r 


SONNET  i8«  DUI"  LIVRE  DES  SONNETS  SPIRITUELS. 

QUE    CELUI    QUI    TIENT    LE    CHEMIN    DE    SALUT    NE    DOIT 
TOURNER    SA   VUE    EN    ARRIERE. 

On  voit  communément  qu'étant  l'homme  arrivé 
En  lieu  fort  haut  et  aspre  ,  et  plein  de  précipice , 
Soudain  de  grand  frayeur  tout  le  poil  luy  hérisse  , 
Et  son  corps  de  vigueur  presque  est  du  tout  privé. 

Que  si  d'un  tel  danger  il  veut  être  sauvé , 
Et  garder  que  la  peur  son  esprit  n'éblouisse , 
Luy  reste  un  seul  moyen ,  c'est  qu'en  bas  ne  fléchisse 
Son  œil ,  ains  tienne  haut ,  et  toujours  élevé. 

Ainsi,  qui,  du  vallon  des  péchés  pleins  d'ordure. 
Au  sommet  est  monté  de  vertus  et  droicture, 
D'une  chose  garder  se  doit  soigneusement  ; 

C'est  de  baisser  les  yeux  et  les  ficher  en  terre , 
Et  le  monde  laissé ,  rechercher  à  grand  erre , 
Comme  un  chien  qui  retourne  à  son  vomissement. 


SONNET  25%  TIRE  DU  MEME  LIVRE. 

A  QUOI  SE  RECONNOISSENT  LES  VRAIS  ENFANS  DE  DIEU. 

L'aigle  étant  incertain  des  petits  qu'il  élève, 
S'ils  sont  siens,  que  fait-il,  pour  tel  doute  vuider? 
Où  Phœbus  ses  rayons  plus  vifs  il  voit  darder, 
Les  met,  de  tout  soupçon  afin  qu'il  se  relève; 


32  JACQUES  DE  BILLY. 

Car  s'il  voit  que  leurs  yeux  le  soleil  point  ne  grève, 
Pour  siens  il  les  ad  voue,  et  les  vient  à  garder. 
Si  leurs  yeux  trop  foiblets  ne  l'osent  regarder, 
Comme  faux  et  bastards  de  ses  griffes  les  crève. 

Ainsi  cet  aigle  grand  (  car  aux  divins  escrits 
Souvent,  au  lieu  de  Dieu,  l'aigle  on  voit  être  pris) 
Remarque  et  les  bastards,  et  ceux  dont  il  est  père  ; 

Car  si  au  ciel  il  voit  nos  yeux  estre  fichés, 
Il  nous  juge  estre  siens  ;  si  en  terre  panchés , 
Lors  pour  race  il  nous  tient  bastarde  et  adultère. 


QUA.TRAINS 

TRADUITS    DE    SAINT    GREGOIRE    DE    NAZIANZE. 
MIEUX  VAUT  BIEN  VIVRE  QUE  BIEN  PARLER. 

Mieux  vaut  l'œuvre  muet,  qu'un  caquet  inutile; 
Sans  la  vertu ,  jamais  nul  ne  fut  excellent. 
Cent  et  cent  l'ont  été  par  un  parler  coulant. 
La  grâce  aux  bien-vivans ,  non  aux  causeurs  distille. 

LA   VRAIE    NOBLESSE    GIT    EN    VERTU. 

Rougis  d'estre  méchant,  non  de  race  peu  claire, 
Car  noblesse  ne  vient  que  de  corps  jà  pourris. 
Mieux  vaut  qu'elle  ait  par  toy  commencé ,  que  fin  pris  : 
Comme  estre  beau  vaut  mieux  qu'estre  né  de  beau  père. 


JACQUES  DE  BILLY.  33 

qu'en  toutes   choses    est    requis    de    prendre    CONSEIIj 

d'autrui. 

l'oeil  voit  tout  fors  que  soy,  mesme  est  il  nécessaire , 
Pour  autre  chose  voir,  qu'il  ne  soit  chassieux  : 
Donc  user  du  conseil  sois  toujours  soucieux; 
Le  pié  du  pie  ,  la  main  a  de  la  main  affaire. 


V. 


34  NICOLAS  RAPIN. 


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NICOLAS   RAPIN. 


Nicolas  Rapin  naquit  à  Fontenay -le -Comte  en 
Poitou,  vers  l'an  i535.  11  fit  ses  études  à  Poitiers,  où 
il  eut  pour  condisciples  Scévole  et  Louis  de  Sainte- 
Marthe,  et  fut  reçu  avocat  au  Parlement  de  Paris. 
Quelque  temps  après  ,  ayant  été  nommé  maire  de 
Fontenay  ,  il  s'y  maria  ,  et  eut  un  grand  nombre 
d'enfants. 

Il  acheta,  en  iSyô,  la  charge  de  prévôt  des  maré- 
chaux, qui  venoit  d'êti'e  créée  pour  Fontenay  et  le 
Bas-Poitou.  Sa  sévérité  lui  suscita  des  ennemis;  ils 
portèrent  leurs  plaintes  aux  grands  jours  de  Poitiers , 
où  présidoit  Achille  de  Harlay  :  mais  ce  magistrat 
intègre  n'en  fit  aucun  cas;  au  contraire,  il  fut  charmé 
de  l'esprit  et  de  la  probité  de  Rapin;  et  lorsque ,  dans 
la  suite  (en  i584),  d  obtint  la  charge  de  premier  pré- 
sident du  Parlement  de  Paris,  il  lui  fit  donner  celle  de 
lieutenant  de  robe-courte  de  la  prévôté  de  Paris.  Ce  fut 
encore  à  la  recommandation  du  président  de  Harlay 
que  Henri  m  nomma  Rapin  grand-prevost  de  la  con- 
nestablie. 

Rapin  s'attacha  au  parti  du  roi  pendant  les  troubles 
de  la  Ligue  ;  la  reconnoissance  lui  en  faisoit  un  devoir, 
et  il  le  servit  avec  beaucoup  de  zèle  :  aussi,  en  i588 , 
fut-il  chassé  de  Paris  pour  être  bon  serviteur  du  roi ,  et 
dépouillé  de  son  état,  nous  dit  L'Estoile  dans  ses  3Jc- 
nioires  pour  l'Histoire  de  France.  On  le  réhabilita  dans 
sa  charge  ,  puisqu'il  la  possédoit  encore  sous  Henri  iv, 


NICOLAS  RAPIN.  35 

en  1099  ;  mais  il  s'en  démit  peu  de  temps  après.  Par- 
venu à  un  âge  avancé ,  il  ne  put  résister  au  désir  de 
rentrer  dans  ses  foyers  ;  il  se  retira  dans  une  maison 
qu'il  avoit  dans  l'un  des  faubourgs  de  Fontenay  et 
s'y  livra  tout  entier  à  la  culture  de  la  poésie. 

Cependant  l'impatience  de  revoir  ses  anciens  amis 
lui  fit  entreprendre  le  voyage  de  Paris  au  fort  de  1  hiver. 
Il  tomba  malade  à  Poitiers,  et  y  mourut  en  1608  ou 
1609,  âgé  d'environ  soixante-huit  ans.  Comme  il  l'a  voit 
ordonné  par  son  testament ,  son  corps  fut  transporté 
sans  pompe  à  Fontenay;  mais  un  grand  nombre  de 
poètes  composèrent  en  son  honneur  des  épitaphes  en 
grec,  en  latin  et  en  françois. 

Gillot  et  de  Sainte-Marthe ,  à  qui  il  avoit  confié  en 
mourant  la  plupart  de  ses  manuscrits ,  les  firent  impri- 
mer en  i6io,  in-4^,  sous  le  titre  d^OEuvres  latines  et 
françoises  de  Nicolas  Rapin.  Ce  recueil  se  compose , 
pour  les  poésies  latines,  de  deux  Livres  d'épigrammes, 
d'un  Livre  d'élégies ,  et  d'un  autre  de  ^  poésies  di- 
verses, etc.  l^es  poésies  Jrancoises  sont  des  traductions 
de  quelques  épîtres,  satires  et  odes  d'Horace  ;  des  deux 
Livres  du  Remède  d'amour  d'Ovide ,  etc.  ;  des  poésies 
diverses ,  comme  une  Ode  au  duc  de  Sully,  des  Stances 
a  Phillis ,  des  sonnets,  etc.  ;  d'autres  stances,  les  unes 
a  Rosni,  les  autres  sous  le  titre  de  la  Douche  aux  belles 
biberonnes  des  eaux  de  Fougues,  etc.;  l'Amour  philo- 
sophe^ pièce  galante  qui  avoit  déjà  paru  en  1599;  une 
traduction  des  Sept pseaumes penitentiaux ;  enfin,  deux 
Livres  de  vers  mesurés  a  la  façon  des  Grecs,  etc. 

Ce  fut  conjointement  avec  Passei-at ,  comme  nous 
l'avons  dit  à  l'article  de  ce  poète ,  que  Rapin  composa 
les  vers  de  la  satire  Ménippée. 


36  NICOLAS  RAPIN. 


SIXIEME  SATIRE 

BU    PREMIEn    LIVRE    d'hORXCE,    Il  O  C    F.  RAT    IN    rOTIS. 
A    M.     LE    PRÉSIDliNT    DE    THOU. 

C'ktoit  ceci  que  j'avois  désiré, 
Un  coin  de  terre  hors  du  bruit  retiré, 
Basty  aux  champs,  de  closture  moyenne, 
Au  pied  duquel  y  eût  une  fontaine 
De  vive  source,  et  un  bois  au-dessus. 
Dieu  m'a  donné  quelque  chose  de  plus. 

Me  voilà  bien  :  je  n'ai  plus  d'autre  envie 
Que  voir  la  paix  le  reste  de  ma  vie. 
Pour  ne  voir  plus  un  soldat  étranger, 
A  tous  propos  nos  maisons  saccager. 

Quand  je  séjoiniie  en  ce  doux  hermitage. 
Où  je  laboure  un  petit  héritage. 
Loin  de  la  ville  et  loin  des  bruits  divers. 
J'ai  tout  loisir  de  composer  des  vers  ; 
Car  je  ne  sens  la  curieuse  envie 
Des  nouveautés  qui  troublent  notre  vie  : 
L'ambition  ne  corrompt  mes  desseins; 
Les  vents,  la  pluye  et  l'automne  mal-sains. 
Qui  font  gagner  les  cricurs  et  les  prestres, 
Ne  viennent  point  ébranler  mes  fcnestres. 

Fascheux  procès,  ennemi  du  bon  temps, 
Qui  entretiens  les  fols  et  mal-contens, 
Les  uns  d'espoir,  les  autres  de  rancune. 
Pourquoi  viens-tu  corrompre  ma  fortune; 


NICOLA.S  RAPIN.  87 

Et  m'arracher  de  cet  heureux  loisir, 
Me  contraignant  voyager  sans  plaisir 
Jusqu'à  Paris  ,  et  là ,  pour  peu  de  chose , 
Solliciter  une  méchante  cause  ? 
Quand  je  suis  là,  plaidant,  je  ne  dors  point; 
Je  suis  sur  pied  dès-lors  que  le  jour  point  ; 
Et  quelque  hrume  ou  mauvais  temps  qu'il  fasse , 
Il  faut  aller  à  la  pluye ,  à  la  glace , 
Tantost  au  Louvre  et  tantost  au  Palais, 
Accompagner  les  coches  et  mulets; 
Il  faut  pousser,  il  faut  fendre  la  presse 
Et  quereller  le  premier  qui  me  presse , 
Heurter  celui  qui  va  trop  lentement  : 
Marche ,  coquin ,  avance  vistement. 

Voici  déjà  le  septième  an  qui  passe , 
Que  j'ai  cet  heur  d'estre  en  la  honne  grâce 
De  ce  seigneur,  qui,  en  toute  saison. 
Permet  que  j'aye  entrée  en  sa  maison. 
Non  que  de  lui  trop  privément  j'approche, 
Mais  il  me  met  quelquefois  en  son  coche 
Jusqu'au  Palais,  ou  me  mené  avec  lui, 
Allant  aux  champs  pour  éviter  l'ennui, 
Ne  s'enquérant  que  de  chose  commune; 
Quelle  heure  est-il?  qu'avons-nous  de  la  lune  ? 
Ne  dit-on  rien  de  nouveau  du  pays? 
Les  Rochelois  sont-ils  point  ébahis  ? 
Ceux  qui  trop  tost  ont  laissé  leur  fourrure. 
Sentent  encore,  au  matin,  la  froidure. 
Bref,  ne  me  dit,  en  devis  familier. 
Que  ce  qu'on  peut  dire  à  un  écolier. 


38  NICOLAS  RAPIN. 

Et  néanmoins,  depuis  cette  accointance, 
Beaucoup  de  gens  briguent  ma  connoissance. 
Vient-il  un  bruit  du  Louvre  ou  de  la  cour? 
Incontinent  vers  moi  chacun  accourt; 
L'un  m'interroge,  un  autre  me  rappelle; 
Je  suis  enquis  sur  chacune  nouvelle  : 
Eh  bien,  monsieur,  est-rl  vrai  ce  qu'on  dit? 
Que  sçavez-vous  de  ce  nouvel  édit  ? 
Car  approchant  des  dieux,  comme  vous  faites, 
Vous  sçavez  tout ,  et  leur  secret  vous  estes. 
Moi,  dis-je  lors,  certes,  je  ne  scais  rien. 
Ho!  disent-ils,  que  vous  vous  moquez  bien!- 
Moi,  dis-je  encore,  ou  que  Dieu  me  confonde 
Présentement,  si  je  sçais  rien  au  monde. 
Publira-t-on  la  bulle  par  moitié  ? 
Ne  feront  point  nos  princes  amitié  ? 
Tant  plus  je  jure  et  tant  plus  on  admire 
Que  le  sçachant ,  je  n'en  veuille  rien  dire. 
Le  jour  se  passe  en  semblables  discours. 
Non  sans  avoir  aucune  fois  recours 
A  mes  souhaits,  regrettant  en  moi-mesnie 
Mon  Terre-Neuve  et  mon  jardin  que  j'aime. 

O  petit  trou,  quand  aurai-je  pouvoir 
D'aller  encore  en  Poitou  pour  te  voir  ! 
Ou  quand  pourrai-je,  en  douce  solitude, 
Dormir  à  l'ombre  ou  dedans  mon  étude , 
Tout  à  loisir  mes  livres  feuilleter, 
Sans  avoir  soin  que  d'aller  visiter 
Mon  petit  pré ,  mes  vignes  et  mes  plantes , 
Et  les  fruits  verds  de  mes  nouvelles  antes  ! 


Î^ICOLAS  RAPIN.  39 

Oh  !  quand  verrai-je  à  ma  table  servir 
Du  bœuf  salé  pour  ma  faim  assouvir, 
Des  choux  au  lard  et  des  fèves  encore, 
Bien  qu'elles  soient  du  sang  de  Pythagore  ! 
O  doux  repas  !  ô  mets  délicieux , 
Aussi  plaisans  que  les  banquets  des  dieux  ! 
Mon  mestayer,  revenant  de  sa  grange, 
Sis  près  de  moi,  sans  faire  de  l'étrange, 
Porte  la  main  au  plat,  et  du  surplus 
Nos  serviteurs  sont  nourris  et  repus. 
Si  mes  voisins  me  viennent  voir,  aux  festes. 
Après  la  messe,  ils  trouvent  tables  prestes, 
La  nappe  blanche  et  le  feu  préparé , 
Et  le  vin  froid  si  l'air  est  altéré  ; 
Puis  on  met  sus  quelque  propos  honneste. 
Non  de  la  guerre,  ou  nouvelle  conqueste 
Sur  l'Espagnol,  encore  moins  combien 
Nos  voisins  ont  de  terres  et  de  bien  ; 
Mais  nos  discours  sont  de  l'agriculture, 
Si  le  labeur  peut  forcer  la  nature  ; 
Et  lequel  est  plus  content  et  heureux , 
Ou  l'homme  riche,  ou  l'homme  vertueux  ; 
Quelle  est  la  fin  et  but  de  notre  vie  ; 
Si  la  vertu  doit  céder  à  l'envie, 
Et  si  le  point  de  la  félicité 
Gist  en  l'honneur  ou  en  l'utilité. 

Il  me  souvient  qu'un  jour,  entre  les  autres , 
Comme  Gaultier,  qui  étoit  l'un  des  nostres , 
Louoit  la  ville  et  Tlieur  des  courtisans, 
Feu  Michonnet,  l'honneur  des  paysans. 


4o  NICOLAS  RAPIN. 

Facétieux,  bien-disant  et  affable, 
Vint  commencer  à  compter  cette  fable  : 

Un  rat  des  cbamps,  pauvre  et  bon  ménager, 
Reçut  un  jour,  dans  son  creux,  à  loger 
Un  rat  de  ville,  et,  pour  la  connoissance , 
De  bien  long-temps  n'épargna  la  dépense 
Pour  le  traiter;  il  lui  donna  des  poix. 
Des  raisins  cuits,  du  pain  dur  et  des  noix, 
Qu'il  réservoit  avec  une  couëne 
De  lard  rongé;  bref,  se  mettoit  en  peine 
De  contenter,  par  la  diversité 
De  plusieurs  mets,  son  boste  dégousté, 
Qui ,  d'une  dent  délicate  et  superbe , 
Dédaignoit  tout  :  lui,  coucbé  dessus  Iherbe, 
Près  du  pallier,  rongeottoit  seulement 
Le  menu  grain  d'un  épi  de  froment. 
Laissant  le  lard  et  clioses  plus  friandes 
A  son  ami,  qui,  las  de  ces  viandes, 
Lui  dit  ainsi  :  Malotru  que  tu  es! 
Veux-tu  toujours,  auprès  de  ces  forests, 
Mourir  de  faim  ?  Ces  montagnes  stériles 
Et  ces  prés  verds  sont-ils  plus  que  les  villes? 
Viens ,  disoit-il ,  sors  d'ici  et  me  croi  ; 
Laisse  ces  cbamps  et  t'en  viens' quant  et  moi. 
Puisqu'ainsi  est  que  toute  cbose  née, 
Par  une  fin  doit  estre  terminée. 
Et  que  le  foible,  aussi-bien  que  le  fort, 
Doit  succomber  sous  le  faix  de  la  mort , 

'  Le  Rat  de  mile  et  le  Rat  des  champs,  La  Fontaine,  Livre  i, 
Fable  9, 


NICOLAS  RAPm.  4l 

Pour  peu  de  jours  que  nous  avons  à  vivre , 
Prenons  notre  aise,  et  commence  à  me  suivre. 

De  tels  propos  le  pauvre  rat  tenté, 
Sort  de  son  trou,  laisse  sa  pauvreté, 
Se  met  aux  champs,  et  d'un  trotter  agile, 
Tous  deux  ensemble  arrivent  à  la  ville, 
Passent  les  murs,  et  entour  la  minuit 
Se  vont  camper  doucement  et  sans  bruit 
Dans  la  maison  superbe  et  honorable 
D'un  grand  seigneur  qui  tenoit  bonne  table, 
Où  l'on  voyoit,  dessus  les  lits  tendus, 
Les  beaux  tapis  de  Turquie  épandus, 
Les  ciels  couverts  de  soye  en  broderie, 
Et  les  parois  tous  de  tapisserie. 
Dans  la  dépense  y  avoit  à  monceaux. 
Restés  du  soir,  force  friands  morceaux , 
Perdrix,  levreaux ,  faisans,  canes  sauvages, 
Gasteaux  sucrés,  craquelins  et  fromages. 

Quand  le  bourgeois  eut  ainsi  fait  tout  voir 
Au  rat  des  champs ,  il  le  va  faire  seoir 
Sur  un  loudier  de  pluclie  incarnadine , 
Puis,  retroussé,  s'en  court  à  la  cuisine, 
Tourne  et  retourne ,  à  toute  heure  apportant 
Morceaux  divers,  dont  il  taste  pourtant 
Tout  le  premier,  n'oubliant  rien  à  faire 
De  courtoisie  et  de  civile  chère. 
Le  villageois ,  étant  ainsi  traité , 
Repaist  très-bien  ,  joyeux  d'avoir  quitté 
Son  antre  froid  et  ses  granges  désertes , 
Quand  tout-à-coup  trente  portes  ouvertes 


42  NICOLAS  RAPIN. 

Vont  faire  un  bruit  qui  fait  en  un  moment 
Ces  pauvres  rats  courir  liastivement 
Tous  éperdus,  laissant  leur  table  grasse 
Et  tournoyant  çà  et  là  par  la  place, 
Pour  se  sauver;  ils  pensent  estre  pris. 
Au  bruit  que  font  les  cliiens  clans  le  pourpris. 

Vraiment,  ce  dit  le  villageois  à  l'heure. 
Je  n'ai  besoin  de  si  belle  demeure. 
De  tant  de  rost  ni  tant  de  venaison. 
Adieu  vous  dis,  ville  et  riche  maison, 
Toujours  de  peur  et  d'alarmes  suivie! 
Je  m'en  retourne  à  ma  première  vie , 
Dans  mon  pailler,  où  les  noix  et  le  fruit 
Me  nourriront  sûrement  et  sans  bruit. 


A   M.    DE   HARLAY, 

PREMIER  PRÉSIDENT  AU  PARLEMENT  DE  PARIS. 

DÉTOURNE  tes  pensers  des  faveurs  de  la  cour; 
Maintiens  ton  grave  front,  quoique  le  temps  qui  court 
Desireroit  des  mœurs  qui  fussent  moins  austères. 
Aux  grands  maux ,  comme  sont  les  nostres  d'à  présent. 
Le  médecin  perd  tout,  qui  se  rend  complaisant: 
Les  breuvages  amers  sont  les  plus  salutaires. 


NICOLAS  RAPIN.  43 


ODE   D'HORACE, 

DU    PRK3JIER    LIVRE    M(E  C  E  N  A  S    jiTAVIS, 
ADRESSÉE  A   M.  LE  DUC   DE   SULLY,   PAIR  DE  FRANCE. 

Race  des  ducs  de  Flandre ,  illustre  de  Bé thune, 
O  riionneur  et  l'appui  de  ma  foible  fortune  ! 
Il  se  trouve  des  gens  qui  n'ont  autre  plaisir 
Qu'à  bien  courre  la  bague,  et,  d'un  noble  désir, 
Piquer  bien  un  cheval ,  rompre  bien  une  lance , 
Et  faire  en  un  tournois  paroistre  leur  vaillance, 
S'estimant  plus  que  rois ,  quand ,  de  l'honneur  épris , 
En  faveur  d'une  dame  ils  emportent  le  prix. 
Aucuns  se  plaisent  tant  à  labourer  leur  terre , 
Cultiver  leurs  jardins,  ordonner  un  parterre, 
Et  ménager  leurs  fruits,  sur  leur  bien  résidens, 
Que,  quand  un  roi  voudroit  les  faire  présidens 
Ou  conseillers  d'état,  ils  n'y  voudroient  entendre. 
Moins  encor  du  Pérou  le  voyage  entreprendre. 
Le  marchand  qui  se  trouve  en  mer  hors  de  saison , 
Battu  de  vents  divers ,  regrette  sa  maison  : 
Y  est-il  de  retour?  ses  vaisseaux  il  r'habille. 
Impatient  encor  de  quitter  sa  famille. 
Un  autre  sans  rien  faire  aime  à  passer  son  temps, 
L'hyver  auprès  du  feu,  dessus  l'herbe  au  printemps, 
Cherche  le  vin  de  Beaune,  et,  la  bouteille  pleine. 
S'étend  sous  un  boccage  ou  près  d'une  fontaine. 
Plusieurs  aiment  la  guerre  et  le  bruit  des  tambours, 
Ouïr  tirer  canons,  voir  brusler  des  faubourgs, 


/|  i  NICOLAS  RAPIN. 

Prendre  un  chasteau  d'assaut,  faire  des  funeradlcs, 
Et  n'ont  d'autre  plaisir  que  celui  des  batailles. 
Un  chasseur  passera  trois  jours,  le  j)liis  souvent, 
A  courir  les  forests  si  ses  chiens  ont  le  vent 
D'un  cerf  ou  d'un  sanglier,  tant  que  la  nuit  l'afiame  , 
Sans  se  ressouvenir  ni  denfans  ni  de  fenune. 
Quant  à  moi  ,  j'av  à  part  ma  fantaisie  aussi  ; 
J  ay  plaisir  d'estre  à  l'ombre,  et  mon  premier  souci 
Est  de  suivre  Apollon  pour  gagner  la  couronne 
Du  laurier,  (|ui  le  front  des  doctes  environne; 
La  danse  des  silvains,  les  nymphes  au  milieu, 
Me  srparent  du  peuple  et  me  font  demi-dieu; 
Mais  si  la  Muse  fait  que,  (juand  mon  lui  h  je  pince. 
Les  accords  de  ma  voix  aillent  jusqu  à  mon  prince. 
Qui  puisse  faire  cas  de  mes  vers  mesurés , 
Je  frapperai  du  chef  les  liants  cieux  asurés. 


A    M.    DE    ROSiVY, 

CONSEILLER    D  ITAT ,    ET    SUIUNTE^DANT    DES    FINANCES 
DU    IlOI. 

RosxY,  de  qui  le  soin  brillant, 
Comme  un  dragon  toujours  veillant  , 
Garde  les  pommes  hesj)erides 
Contre  les  avares  Phorcides, 

A  vous  je  me  suis  adressé, 
Pensant  estre  ])lutost  dressé 
De  (jurhjuo  souunr  <|ui  m'est  due, 
Déjà  trop  long-temps  attendue. 


NICOLAS  RAPIN.  45 

Vous  m'écoutez  parler  assez  ; 
Mais  pardessus  tout  vous  passez, 
Et  vous  rendez  inexorable, 
Sans  me  dire  un  mot  favorable. 

Je  cherche  volontiers  l'honneur 
De  prendre  au  corps  un  gouverneur, 
Et  cliastier  une  province 
Qui  fait  la  rebelle  à  son  prince. 

Des  mcchans  j'abats  la  fierté  ; 
Aux  bons  j'apporte  sûreté. 
Chassant  cette  canaille  vile 
De  voleurs,  qui  troublent  la  ville. 

Mais  si  on  m'oste  les  moyens 
De  servir  mes  concitoyens , 
Seroit-ce  pas  folie  extresme 
De  ne  me  point  servir  moi-mesme? 

Sans  plus  enfin  me  consommer, 
Je  serai  contraint  m'enfermer 
Dans  un  cabinet,  sur  un  livre, 
Pour  le  temps  qui  me  reste  à  vivre. 

J'ai  appris  les  poètes  grecs 
Et  des  vieux  Latins  les  secrets. 
Façonnant  l'élégie  et  l'ode 
Sur  la  lyre,  à  l'antique  mode. 

J'ai  mis  au  dorien  niveau , 
Par  un  artifice  nouveau. 
De  notre  langue  les  mesures 
En  quantités  et  en  césures. 


'|('>  NICOLAS  RAPIN. 

J'apporterai  cet  ornement 
En  France  avec  étonnenient , 
Pourvu  qu'au  dernier  de  mon  âge 
Pauvreté  n'entre  en  mon  ménage. 

Je  n'ai  j)as  si  (oible  la  voix 
Que,  si  votre  faveur  j'avois, 
Je  ne  fisse  ouïr  vos  louanges 
Jusques  aux  nations  étranges. 

Mais  vous  n'aimez  ces  honneurs  vains 
Des  chantres  et  des  écrivains 
Qui  ne  servent  (|iic  de  (Ifj)enses 
En  pensions  et  recompenses. 

C'est  pourquoi  je  ne  m'attends  pas 
Que  de  mes  vers  vous  fassiez  cas, 
Ni  qu'Apollon  ,  ni  .que  Minerve 
De  rien  auprès  de  vous  me  serve. 

Encor  que  soyez  amateur 

D'un  l)on  livre  it  d'un  bon  auteur, 

Et  des  sciences  et  des  langues, 

Si  n'aimez-vous  point  les  harangues. 

Non-valeur  et  faute  de  fond , 
Etoiciit  un  al)isme  profond; 
Tout  l'or  (|uc  la  l'rance  moissonne 
Se  jjcrdoil  sans  paver  personne. 

Les  subsides,  mal  départis, 
S'engageoienl  au\  mauvais  |)artis, 
Et  n'y  avoit  j)lus  de  ressource 
Que  pour  ceux  qui  tenoient  la  bourse. 


NICOLAS  RAPIN.  4? 

Mais  ,  par  votre  frugalité , 
Vous  ramenez  l'égalité, 
Et  d'un  zèle  sans  artifice 
Vous  joignez  l'ordre  à  la  justice. 

Pouvant  à  tous  faire  du  bien, 
Pour  vous  seul  vous  ne  faites  rien , 
Et ,  maniant  un  fonds  si  ample , 
De  continence  estes  l'exemple. 

Votre  bien  est  en  mesme  état  ; 
Votre  train  n'a  point  plus  d'éclat; 
Votre  table  et  votre  écurie 
Sont  d'un  Caton  ou  d'un  Curie. 

L'bumble ,  le  doux  ,  le  violent , 
Le  misérable  et  l'opulent, 
Sont  tous  traités  de  mesme  sorte , 
Avant  que  rien  de  vos  mains  sorte. 

Imprenable  de  tous  costés. 
Grands  et  petits  vous  rebutez  ; 
Vous  estes  mal-plaisant  en  somme , 
Et  plutost  un  rocher  qu'un  homme. 

Mais  à  bon  droit  on  peut  nommer 
L'épargne  des  rois ,  une  mer 
Qui  s'enfle,  par  maintes  manières. 
Des  eaux  de  diverses  rivières; 

Puis  sous  terre,  en  canaux  secrets. 
Ces  mesmes  eaux  font  un  regrès. 
Pour  départir  en  mainte  source 
Des  ruisseaux  l'éternelle  course. 


48  NICOLAS  RAPIN. 

Ainsi  les  grands  trésors  humains , 
Qui  procèdent  de  plusieurs  mains, 
Pour  à  un  seul  se  venir  rendre , 
Doivent  sur  plusieurs  se  répandre. 

Si  vous  passez  par  un  tranchant, 
Autant  le  bon  que  le  méchant. 
Personne  n'aura  plus  courage 
De  bien  faire  au  fort  de  Torage. 

La  vertu  n'est  pas  un  nom  vain, 
Et  s'aigrit  comme  du  levain, 
Si ,  après  son  service ,  on  pense 
La  priver  de  sa  récompense. 

Il  fait  bon  estre  ménager, 
Pour  les  laboureurs  soulager; 
Mais,  à  la  majesté  royale. 
Il  sied  bien  d'estre  libérale. 

La  maison  d'un  prince  si  grand, 
Chacun  y  apporte  et  y  prend  ; 
Et  celle  n'est  pas  magnifique. 
Où  quelque  larron  ne  pratique. 

Serrer  le  bouton  de  si  près, 
Engendre  plusieurs  maux  après  ; 
Les  valets  gastent  les  ménages. 
Quand  le  maistre  retient  les  gages. 

Pour  moi,  qui  ne  tourne  à  tout  vent, 
Tant  i\\w  le  roi  sera  vivant. 
Quelque  parti  qui  se  débauche. 
J'irai  droit  et  jamais  à  gauche. 


NICOLAS  RAPIN.  49 

J'aime  ce  prince  en  ses  humeurs, 
Son  règne  est  commode  à  mes  mœurs, 
Et  n'ai  pas  peur,  quoi  qu'on  en  die , 
Que  sous  lui  la  vertu  mendie. 

Je  ne  crains  point,  quand  il  vivra, 
Que  le  poison  qui  enivra 
La  France  de  guerres  civiles, 
Trouble  le  repos  de  nos  villes. 

Qu'il  vive  les  ans  de  Nestor, 
De  peur  que,  comme  fit  Hector, 
Dont  la  fin  fust  la  fin  de  Troye, 
Il  laisse  son  royaume  en  proye. 

Je  suis  de  sept  enfans  chargé , 
A  cent  créanciers  engagé, 
Et  mes  forces  sont  consommées , 
Des  frais  que  j'ai  faits  aux  armées. 

Bref,  si  aujourd'hui  ou  demain 
Vous  ne  tenez  un  peu  la  main 
Que  mieux  ci-après  on  me  traite, 
Je  puis  bien  sonner  la  retraite. 

D'offices  et  d'états  privé  , 
Je  m'en  irai  vivre  en  privé; 
Car  c'est  le  point  où  je  me  fie 
Au  bout  de  ma  philosophie. 

Je  fais  des  vers  une  fois  l'an  ; 

Et ,  pour  le  duché  de  Mdan , 

Je  ne  vôudrois  ni  ne  souhaite 

Qu'on  me  tinst  pour  un  grand  poëte. 

4 


5o  NICOLAS  RAPIN. 

S'il  falloit  que  ce  qui  m'est  dû, 
Mon  bien  et  mon  temps  fust  perdu , 
Au  lieu  de  me  mesler  de  crimes, 
J'irois  me  consoler  en  rimes. 

Mais  j'espère  qu'un  temps  viendra. 
Durant  ce  roi-ci,  qu'on  tiendra 
D'un  homme  de  bien  plus  de  compte. 
Qu'on  ne  tient  d'un  duc  ou  d'un  comte. 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.  5l 

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JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 


Jean-Baptiste  Chassignet  ,  fils  de  Jacques  Chassi- 
gnet ,  docteur  en  médecine  ,  naquit  à  Besancon  ;  il  fit 
une  grande  partie  de  ses  études  sous  Antoine  Huet 
principal  du  collège  de  cette  ville ,  qui  lui  inspira  le 
goût  de  la  poésie;  il  fut  ensuite  docteur  en  droit. 
L'époque  de  sa  naissance  et  celle  de  sa  mort  sont 
incertaines. 

Ce  poète  étoit  encore  fort  jeune  quand  il  publia  un 
recueil  intitulé  le  Mépris  de  la  Fie  et  la  Consolation 
contre  la  Mort,  qui  se  compose  d'environ  cinq  cents 
sonnets,  de  plusieurs  discours,  odes,  prières,  etc.  De 
pareils  sujets  n'occupent  pas  d'ordinaire  les  pensées 
des  jeunes  poètes  ;  mais  Chassignet  a  soin  de  prévenir 
ses  lecteurs  qu'il  étoit  d'un  caractère  triste  et  mélan- 
colique :  «  11  n'y  a  rien,  dit-il,  dont  je  me  sois  plus 
«  entretenu  que  des  imaginations  de  la  mort,  voire  en 
«  la  saison  plus  licentieuse  de  mon  âge ,  parmi  les  danses 
«  et  les  jeux  ,  où  tel  me  pensoit  empêché  à  digérer,  à 
«  part  moi ,  quelque  trait  de  jalousie ,  cependant  que  je 
«  me  guindois  en  la  contemplation  des  maux  et  incon- 
«  véniens  qui  nous  choquent  de  tout  côté    etc.  » 

Son  second  ouvrage  est  une  paraphrase  des  cent 
cinquante  Pseaiiines  de  David.  Il  y  en  a  quelques  uns 
qui  peuvent  passer  pour  de  véritables  odes.  Ces  deux 
recueils  sont  tout   ce   qui  reste  des  productions  de 


Chassignet. 


Sa  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 

Voici  comment  il  exprime,  dans  la  préface  du  se- 
cond recueil ,  l'idée  qu'il  s'étoit  formée  de  la  poésie  : 
«  Ni  plus  ni  moins  que  la  voix  contrainte  dans  l'étroit 
«  canal  d'une  trompette  sort  plus  aiguë  et  éclate  plus 
«  fort ,  ainsi  me  semble-t-il  que  la  sentence  pressée 
«  aux  pieds  nombreux  de  la  poésie,  s'élance  bien  plus 
«  brusquement  et  nous  frappe  d'une  plus  vive  se- 
•c-cousse,  etc.»  C'étoit  la  définir  en  poète;  et  il  faut 
avouer  que  Chassignet  avoit  de  son  art  une  connois- 
sance  aussi  parfaite  qu'elle  pouvoit  l'être  dans  le  temps 
où  il  vivoit.  Les  enjambements  sont  bien  moins  fré- 
quents cbez  lui  que  dans  la  plupart  de  ses  contempo- 
rains; et  sa  versification  ne  manque  ni  d'harmonie  ni 
d'une  certaine  correction. 


LE  MEPRIS  DE  LA  VIE, 

ET  CONSOLATION  CONTRE  LA  MORT. 

Je  te  viens  faire  entendre,  en  mes  tristes  discours, 
De  quelle  façon  va  la  course  de  nos  jours. 
Les  arbres  ont  leur  temps  dans  lequel  ils  commencent 
A  jetter  leurs  bourgeons,  dans  lequel  ils  avancent 
Leurs  scions  tendrelets ,  et  de  feuillages  verds 
Revestent  leurs  rameaux  élancés  de  travers  ; 
Incontinent  se  perd  la  fleur  délicieuse, 
Et  prend  d'un  fruit  nouveau  la  forme  gracieuse. 
Mais  ({uelquefois  aussi  plusieurs  sortes  de  fruits 
En  leurs  tendres  boutons  sont  bruslés  et  détruits  ; 
Les  autres  en  leur  fleur  incontinent  périssent; 
Sitost  qu'ils  sont  formes ,  les  autres  se  fanissent  : 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.  53 

Encore,  entre  ceux-ci,  ce  désastreux  hasard 
Arrive  aux  uns  plus  tost  et  aux  autres  plus  tard; 
Le  hasard  fait  leur  sort  :  les  traînardes  chenilles 
Vont  des  uns  dévorant  les  fleurettes  gentilles. 
Les  autres  sont  mangés,  en  jettant  leurs  boutons, 
Du  scadron  bourdonnant  des  goulus  hannetons. 

C'est  le  portrait  de  l'homme  :  il  bourgeonne  en  renfance  ; 
Depuis,  ayant  atteint  la  forte  adolescence, 
Il  pullule  et  fleurit ,  et  de-là  va  croissant 
Jusqu'au  dernier  degré  de  l'âge  fleurissant, 
Auquel  étant  monté ,  à  la  fin  il  succombe , 
Dévallant  peu  à  peu  sous  la  poudreuse  tombe. 
Mais  il  n'est  pas  à  tous  ordonné  de  vieillir  ; 
Les  uns,  encore  enfans,  nous  voyons  défaillir; 
Les  autres,  retranchés  par  la  faulx  vengeresse 
Du  vieillard  fugitif,  trépasser  en  jeunesse  : 
Quelques-uns  opprimés  en  la  virilité, 
Peupler  des  monumens  l'aveugle  obscurité; 
Et  d  autres,  parvenus  au  bout  de  la  carrière. 
Déjà  vieux  et  grisons,  charger  le  cimetière. 

Cependant  il  advient,  par  accidens  divers, 
A  l'un  de  choir  plus  tost  dans  les  tombeaux  couverts; 
A  l'autre  un  peu  plus  tard;  plusieurs  par  maladie, 
Lente  ou  précipitée,  ont  vu  trancher  leur  vie; 
Les  uns  sont  par  les  champs  des  voleurs  attrapés; 
Les  autres,  au  logis,  du  tonnerre  frappés: 
Les  uns  meurent  blessés  au  milieu  de  la  guerre , 
Les  autres  fracassés  de  l'éclat  d'une  pierre; 
Les  uns  d'un  mol  pépin  s'estouffent  en  mangeant; 
Les  autres,  sous  les  eaux,  meurent  en  navigeant. 


54  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 

Entre  tant  de  dangers  s'écoule  notre  vie, 
Tant  que  par  le  destin  elle  nous  soit  ravie. 
Va-t-en  dans  un  verger,  et  remarque  des  yeux 
Ou  les  jeunes  scions ,  ou  bien  les  arbres  vieux  : 
Chacun  a  sa  saison;  l'un  mûrit  en  automne, 
L'autre  quand  à  Cerés  on  fait  une  couronne 
D'un  tortillon  d'épis ,  et  l'autre  au  renouveau 
Se  parfait  en  sa  forme  et  prend  un  teint  nouveau. 
Ainsi  l'homme  on  voit  croistre  ;  ore  viste,  ore  à  peine 
Atteignant  de  son  corps  la  croissance  certaine. 
Voire  même  ceux-là  qui  sont  plus  tost  venus , 
Deviennent  rarement  ou  grisons  ou  chenus, 
Ains  délogent  soudain,  suivant  la  décadence 
Qui  par  même  chemin  marche  avec  l'accroissance; 
Si  bien  que  le  trépas,  qui  nous  est  coutumier. 
Par  intervalle  joint  le  dernier  au  premier. 
L'on  connoist  aux  jardins  quelle  est  la  différence 
Qu'ont  les  arbres  entre  eux  d'humeur  et  de  substance. 
Aux  dattes  Ton  connoît  les  fertiles  palmiers. 
Les  vignes  au  raisin,  aux  pommes  les  pommiers, 
Aux  glands  les  chênes  vieux,  les  savoureuses  prunes 
Au  fructueux  prunier,  le  noyer  aux  noix  brunes. 
Mais  si-tost  que  le  tronc  du  sol  est  arraché , 
Que  la  feuille  est  tombée  et  les  reins  ébranchés, 
Que  le  fruit  est  cueilli ,  que  la  racine  tendre 
Est  sèche  est  mise  au  feu ,  et  puis  réduite  en  cendre. 
Croyez-vous  qu'à  la  voir  notre  œil  reconnoistroit 
De  quel  arbre  fruitier  telle  cendre  seroit  ? 
Au  chemin  d'ici-bas ,  tels  pullulent  et  croissent 
Les  fragiles  humains ,  dont  les  uns  se  connoissent 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.  55 

Aux  racines  et  troncs  de  leurs  prédécesseurs , 
Les  autres  aux  scions  des  enfans  successeurs. 
Enfin  nous  convenons  en  une  même  chose, 
C'est  que  nous  courons  tous  dedans  la  tombe  close  ;• 
C'est  que  nous  mourons  tous  et  tombons  tous  au  seuil 
Du  logis  de  Pluton,  prisonniers  du  cercueil. 
Mais,  las!  quand  une  fois  la  mort  a  fait  résoudre 
La  masse  de  nos  corps  en  quelque  vile  poudre, 
Ce  n'est  plus  rien  de  nous;  et  les  grands  empereurs 
Ne  sont  point  reconnus  parmi  les  laboureurs , 
Ils  gissent  pesle-mesle;  et  sous  la  tombe  noire 
Ils  n'ont  point  d'avantage ,  ou  d'honneur  ou  de  gloire. 


PARAPHRASE  DU  PSEAUME  LXXIX, 

qui    REGIS    ISRAËL,    INTENDE. 

O  grand  Dieu ,  qui  conduis  le  peuple  israélite , 
Ainsi  que  le  berger  conduit  et  sollicite 

Un  troupeau  de  moutons , 
Exauce  ma  prière ,  offre-moi  ta  conduite. 
Et  préserve  ton  parc  des  animaux  gloutons! 

Grand  Dieu ,  qui  de  tout  temps ,  assis  en  sentinelle 
Sur  les  deux  chérubins  ,  qui  couvrent  de  leur  aisle 

L'arche  du  testament , 
Montres  de  ta  grandeur  la  lumière  nouvelle, 
Illuminant  les  yeux  de  notre  entendement  : 

Déployé  en  Ephraïm,  manifeste  en  Manasse, 
Découvre  en  Benjamin  ton  pouvoir  et  ta  grâce, 


56  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 

Nous  sauvant  des  mallieurs  : 
Seigneur,  convertis-nous;  si  nous  voyons  ta  face , 
Nous  serons  délivrés  de  toutes  nos  douleurs. 

Jette  l'œil  sur  ta  vigne ,  autrefois  apportée 
D'Egypte  en  ces  quartiers,  oii  tes  mains  l'ont  plantée, 

Autour  d'elle  arrachant 
Des  profanes  gentils  la  tige  surmontée , 
Et  de  tes  propres  mains  toi-même  la  bêchant. 

Soudain  le  froid  tremblant  de  son  large  feuillage 
Mit  les  champs  à  couvert ,  mit  les  monts  à  l'ombrage, 

Et  ses  reins  plantureux 
Passèrent  en  grosseur  de  tronc  et  de  branchage 
Les  cèdres  plus  puissans  du  Liban  odoreux. 

Cette  vigne  de  Dieu  si  soigneusement  faite , 
A  l'instant  commença  de  rechausser  la  creste , 

Avançant  ses  provins 
De  la  mer  jusqu'au  fleuve,  et  d'une  longue  traite, 
Porter  au  loin  les  bras  de  ses  pampres  divins. 

Pourquoi,  sire  ,  à  ce  coup,  négligeant  sa  culture , 
As-tu  démantelé  les  murs  de  sa  closture  , 

Mis  en  proie  son  vin  ? 
Pourquoi  l'as-tu  donnée  aux  passans  en  pasture  , 
Qui,  pour  la  vendanger,  s'écartent  du  chemin  ? 

Les  sangliers  outrageux ,  hostes  des  bois  sauvages , 
Les  animaux  des  champs,  qui  gistent  es  bocages. 

Les  ours  et  les  limiers  , 
L'ont  froissée  et  détruite,  en  ont  fait  tels  ravages. 
Qu'on  n'y  voit  un  seul  trait  de  ses  honneurs  premiers. 


JEAN-BAPTITE  CHASSIGNET.  37 

O  grand  Dieu  des  combats  !  retourne  et  considère 
Des  yeux  de  ta  merci  quelle  est  notre  misère; 

Et  du  ciel ,  ton  séjour  , 
Viens,  hélas!  visiter  ta  vigne  solitaire, 
Qui  maintenant  ressemble  un  désert  sans  amour  ! 

Sur-tout  regarde,  ô  Dieu  !  ce  petit  sep  débile. 
Que  tu  as  élevé  en  puissance  virile , 

Par  toi-mesme  planté  ; 
Parfais-le ,  et  le  remets  en  état  plus  tranquille , 
Si  que  ton  sacré  los  en  soit  par-tout  chanté. 

O  grand  Dieu  des  combats ,  qui  rehausse  ou  terrasse 
Ceux  à  qui  tu  dépars  ou  la  mort  ou  la  grâce  , 

Les  biens  ou  les  malheurs  ! 
Seigneur,  convertis-nous;  si  nous  voyons  ta  face  , 
Nous  serons  garantis  de  toutes  nos  douleurs. 


SONNET. 

Assieds-toi  sur  le  bord  d'une  ondante  rivière. 
Tu  la  verras  fluer  d'un  perpétuel  cours  , 
Et  flots  sur  flots  roulant  en  mille  et  mille  tours , 
Décharger  par  les  prés  son  humide  carrière. 

Mais  tu  ne  verras  rien  de  cette  onde  première, 
Qui  naguère  couloit  :  l'eau  change  tous  les  jours. 
Tous  les  jours  elle  passe,  et  la  nommons  toujours 
Mesme  fleuve  et  mesme  eau ,  d'une  mesme  manière. 

Tu  vois  dans  ce  portrait  celui  du  genre  humain  : 
L'homme  n'est  aujourd'hui  ce  qu'il  sera  demain  , 
Tant  le  temps  en  son  cours  le  mine  et  le  consume! 


58  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 

Le  nom,  sans  varier,  nous  suit  jusqu'au  trépas; 
Et  dans  ce  jour  enfin  ,  quoique  je  ne  sois  pas 
Celui  qui  vivoit  hier,  toujours  mesnie  on  me  nomme. 


DU  PSEAUME  VI, 

DOMINA,    NJS   IN    FURORE,    etc. 

Daigne  me  regarder  des  yeux  de  ta  clémence  ; 
Ne  me  corrige  point,  Seigneur,  dans  ta  vengeance, 
Et  n'étends  sur  mon  chef  ton  courroux  endurci  ; 
Mais ,  touché  des  accens  de  ma  plainte  éplorée , 
Evoque ,  Père  doux ,  ma  cause  déplorée 
Du  siège  de  justice  au  trosne  de  merci. 

Seigneur,  si  de  tes  mains  les  ouvrages  nous  sommes, 
Pardonne  aux  criminels  comme  père  des  hommes, 
Et  non  point  comme  auteur  de  leur  iniquité  : 
Siéroit-il  pas  bien  mieux  à  ta  divine  essence 
D'effacer  le  péché  par  ta  grande  clémence , 
Qu'effacer  le  pécheur  par  ta  sévérité  ? 

Tire-moi  des  langueurs  qui  me  suivent  sans  nombre , 
Comme  les  corps  humains  sont  suivis  de  leur  ombre , 
Plutost  par  ta  bonté  que  par  ton  jugement; 
Et  retourne  sur  moi  les  yeux  de  ton  visage , 
Tels  qu'ils  luisent  en  toi ,  quand  tu  portes  l'image , 
Non  d'un  juge  irrité ,  mais  d'un  père  clément. 

Que  si  tu  veux,  Seigneur,  perdre  ta  créature, 
Quel  est  celui  de  nous,  qui  dans  la  sépulture 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.  5ç) 

Se  souviendra  de  toi  au  royaume  des  morts  ? 
Est-ce  dans  le  tombeau,  dessous  la  terre  noire, 
Que  les  corps  sans  esprit  célèbrent  de  ta  gloire 
La  renaissante  histoire  et  les  vivans  accords  ? 

Qu'excessif  et  cruel  est  le  mal  qui  me  touche  ! 
Je  n'ai  plus  pour  parler  de  langue  ni  de  bouche  ; 
Ma  bouche  ne  fait  plus  que  se  plaindre  et  gémir; 
Mon  lit  toutes  les  nuits  est  trempé  de  mes  larmes  ; 
Çà  et  là  combattu  de  diverses  allarmes, 
Quand  tout  le  monde  dort,  je  ne  puis  m'endormir. 

Pourrois-je  bien  dormir,  pécheur  abominable, 
Si  mes  yeux ,  devenus  en  fleuve  inépuisable , 
Ne  font  plus  que  pleurer  mes  immortels  ennuis  ? 
J'en  ai  trouble  la  vue ,  et  leur  prunelle  éteinte , 
Devant  mes  ennemis,  s'éblouissant  de  crainte. 
Au  lieu  de  voir  des  jours ,  ne  voit  plus  que  des  nuits. 

Mais  tu  sais  pardonner ,  et  ta  main  tu  retire , 
Sitost  que  nous  cessons  de  provoquer  ton  ire  ; 
Et  c'est  ainsi ,  grand  Dieu ,  que  variant  le  sort , 
Ceux  qui  sur  notre  honte  établissent  leur  gloire , 
De  vergogne  éperdus ,  voyent  en  nos  victoires 
Leur  honte  et  notre  honneur,  notre  vie  et  leur  mort. 

Ils  se  réjouissoient  de  nous  voir  en  tristesse; 
Nos  pleurs  étoient leurs  ris ,  nos  pertes  leur  richesse. 
Nos  peines  leur  repos ,  nos  hy  vers  leurs  printemps  ; 
Tous  nos  jours  de  tempeste  étoient  leurs  jours  de  calme  ; 
Nos  plaisirs  leurs  douleurs,  nos  défaites  leurs  palmes, 
Et  nos  jours  pluvieux  le  plus  beau  de  leurs  temps. 


6o  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.. 

Mais  en  moins  d'un  moment,  confondus  en  leurs  trames , 

Ils  frémiront  d'horreur,  reprochant  à  leurs  âmes 

Tant  d'injustes  desseins  contre  moi  projettes  ; 

Et  la  Honte  bientost ,  à  Téchine  courbée  , 

A.  l'œil  cave ,  au  teint  rouge ,  à  la  bouche  plombée , 

Sera  le  plus  doux  fruit  de  leurs  impiétés. 


SONNET. 

Sais-tu  que  c'est  de  vivre  ?  autant  comme  passer 
Un  chemin  tortueux;  ore  le  pied  te  casse, 
Le  genou  s'affoiblit,  le  mouvement  se  lasse, 
Et  la  soif  vient  le  teint  de  ta  lèvre  effacer. 

Tantost  il  t'y  convient  un  tien  ami  laisser, 
Tantost  enterrer  l'autre  ;  ore  il  faut  que  tu  passe 
Un  torrent  de  douleur,  et  franchisses  l'audace 
D'un  rocher  sourcilleux ,  fascheux  à  traverser. 

Parmi  tant  de  détours,  il  faut  prendre  carrière 
Jusqu'au  fort  de  la  mort;  et  fuyant  en  arrière 
Nous  ne  fuyons  pourtant  le  trépas  qui  nous  suit  : 

Allons-y  à  regret  ?  l'Eternel  nous  y  traisne  ; 
Allons-y  de  bon  cœur  ?  son  vouloir  nous  y  mené  ; 
Plutost  qu'estre  traisné,  mieux  vaut  estre  conduit. 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 


SONNET. 

Tu  accuses  la  mort  des  tourmens  rigoureux 
Que  tu  souffre  en  mourant ,  et  tu  ne  considère 
Que  tu  as  bien  souffert  de  douleur  plus  amere , 
Etant  encore  esclave  en  ce  corps  langoureux  : 

Commençant  en  langueur  ton  âge  douloureux, 
Tu  le  parfais  en  pleurs ,  et  finis  en  misère  ; 
La  vie ,  et  non  la  mort,  de  tes  maux  est  la  merc, 
Qui  te  rend  en  mourant  et  vivant  malheureux  : 

Le  bout,  et  non  le  bord  de  notre  foible  route  , 
Est  ce  qui  nous  tourmente ,  et  fait  que  Ton  redoute 
L'inévitable  loi  du  temps  et  du  destin  ; 

Ne  t'émerveille  donc ,  puisque  notre  souffrance 
Vivant  avecque  nous,  avecque  nous  commence. 
Si  le  soir  de  nos  jours  ressemble  à  son  matin. 


PSEAUME  IX, 

CONFITEBOR    TIBI ,  DOMINE ,  IN    TOTO   CORDE   MEO. 

Je  me  réjouirai  en  ta  grandeur  sublime , 
Et  d'un  hymne  sacré  à  ton  nom  magnanime. 
J'exalterai ,  grand  Dieu ,  l'effet  de  ta  bonté  ! 
Puisque  mon  ennemi  renversé  sur  la  terre, 
Languissant  et  recru,  ne  m'a  sçu  vaincre  en  guerre, 
Combattu  de  ma  main,  par  la  tienne  dompté. 

Des  barbares  gentils  tu  dissipes  l'audace. 

Tu  détruis  les  médians,  tu  consommes  leur  race, 


62  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET. 

Effaçant  de  la  terre  et  leurs  corps  et  leur  nom. 
Des  mains  des  ennemis  les  glaives  tu  retire; 
Tu  rase  leurs  cités ,  et  laisse  leur  empire  , 
Par  le  feu  dévoré,  sans  gloire  et  sans  renom. 

Vous  donc ,  peuples  dévots ,  glorifiez  sans  cesse 
Ce  grand  moteur  des  cieux,  qui  dans  la  forteresse 
De  la  sainte  Sion ,  a  posé  son  séjour  ; 
Annoncez  ses  décrets ,  publiez  ses  louanges  ; 
Allez  chanter  sa  gloire  aux  nations  étranges, 
Quelque  part  que  Phébus  donne  au  monde  le  jour. 

Regarde,  ô  Tout-Puissant,  dès  le  haut  de  ton  temple; 
Regarde  ma  misère ,  et  propice ,  contemple , 
Prenant  pitié  de  moi ,  l'état  de  mes  ennuis  : 
Vois  comme  mes  jaloux  m'accablent  de  leurs  haines, 
Me  battent  de  fureur ,  me  surchargent  de  peines , 
Viens,  et  délivre-moi  des  dangers  où  je  suis. 

Ah  !  fais  que  de  la  mort  la  faulx  étincelante 
N'ose  approcher  de  moi,  et  permets  que  je  chante, 
Aux  portes  de  Sion ,,  tous  tes  faits  merveilleux  : 
Te  rendant  cet  honneur ,  en  dépit  de  l'envie , 
D'avoir  mis ,  par  ta  grâce ,  en  sûreté  ma  vie 
Contre  les  attentats  des -tyrans  sourcilleux. 

Les  peuples  ont  creusé  une  grande  ouverture , 
Afin  de  me  surprendre  ;  et  leur  propre  imposture 
Les  a  jusqu'à  la  mort  eux-mesmes  confondus  : 
Ils  ont  tendu  des  rets;  ils  ont  mis  des  cordelles 
Aux  lieux  où  je  passois  ;  mais  leurs  pieds  infidèles 
Se  sont  eux-mesmes  pris  aux  rets  qu'ils  m'ont  tendus. 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.  63 


PSEAUME  LXXXI, 

DEUS    STETIT    IN    SYNAGOGA    DEORVM. 
(C'est  Dieu  qui  parle.) 

JcsQUES  à  quand,  corrompus  par  présens, 
A  prix  d'argent,  rendrez-vous  vos  sentences, 

Ployant,  au  gré  des  courtisans, 

La  droiture  de  vos  balances? 

Jusques  à  quand  autoriserez-vous 

Sur  les  petits ,  des  hautains  l'arrogance  ? 

Jusqu'à  quand,  d'un  visage  doux, 

Resarderez-vous  l'insolence  ? 

Faites  justice  aux  pupilles  honteux  : 
Gardez  le  droit  à  la  veuve  dolente  ; 

Et  que  le  pauvre  souffreteux , 

D'injustice  ne  se  lamente. 

Tirez  des  mains  des  tyrans  oppresseurs 
Les  innocens  dépourvus  de  défenses, 

Ne  permettant  aux  ravisseurs 

De  terrasser  leur  innocence. 

Que  tout  le  monde  entre  en  confusion , 
Pour  la  fierté ,  l'audace  et  l'ignorance 
Des  juges  pleins  de  passion. 
Autant  que  vuides  de  prudence. 

Juges  hautains ,  et  vous  ,  rois  glorieux  , 
Qui  vous  paissez  de  vos  fausses  louanges, 


64  JEAN-BA.PTISTE  CHASSIGNET. 

Je  vous  avois  tous  nommés  dieux, 
Du  Très-Haut  les  fils  et  les  anges. 

J'ai  mis  la  paix  et  la  guerre  en  vos  mains  ; 

Dessous  vos  loix  j'ai  la  terre  asservie, 
Vous  octroyant  sur  tous  humains , 
Puissance  de  mort  et  de  vie. 

Mais  le  tranchant  d'une  vengeante  mort 
Terrassera  l'orgueil  de  votre  audace, 
Enfermant,  sous  un  mesme  sort. 
Le  prince  avec  la  populace. 


PSEAUME  XCI, 

BONUM    EST   CONFITJERI   DOMINO    ET    PSALLERE. 

Soit  que  du  beau  soleil  la  perruque  empourprée 

Redore  de  ses  rais  cette  basse  contrée  ; 

Soit  que  la  nuit,  du  monde  efface  les  couleurs. 

J'exalterai ,  le  jour ,  ta  louange  sacrée , 

La  nuit,  je  chanterai  ta  grâce  et  tes  valeurs. 

Quoi  !  les  ingrats  pécheurs,  dépourvus  de  science. 
Ne  se  tourneront  point  devers  ta  sapience. 
Ne  reconnoistront  point  tes  hauts  faits  merveilleux  ; 
Innombrables  hauts  faits ,  que  par  expérience , 
Tu  révèle  aux  petits ,  et  cache  aux  orgueilleux  ? 

Ils  ne  connoistront  pas  que  les  ouvriers  iniques 

De  toute  impiété,  fleurissent  magnifiques, 

Sur  l'avril  de  leurs  jours,  en  richesse  et  splendeur  ; 


JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNET.  65 

Comme  on  voit  au  printemps,  es  campagnes  rustiques, 
Les  herbes  s'éniailler  de  grâce  et  de  verdeur  : 

Mais  qu'ils  meurent  aussi  au  janvier  de  leur  âge. 
Sans  honneur,  sans  crédit,  comme  le  verd  herbage 
Se  tanne  au  premier  froid  de  l'hyver  casanier. 
Lorsqu'on  le  voit  changer  de  teint  et  de  visage, 
Et  perdre  en  un  moment  son  lustre  printanier. 

Pour  moi ,  Seigneur ,  lavé  dedans  l'huile  d'olive , 
Ma  face  reprendra  une  couleur  plus  vive, 
La  bouche  un  teint  plus  gai,  l'œil  un  ris  plus  gaillard; 
J'aurai  le  chef  moins  gris,  la  marche  plus  hastive, 
D'âge ,  plus  que  de  corps ,  langoureux  et  vieillard. 

Cependant  l'homme  droit  fleurira  de  la  sorte, 
Qu'auprès  de  Jéricho  fleurit  la  palme  forte , 
Que  le  cèdre  fleurit  au  Liban  bocageux; 
Le  vent  ni  la  chaleur  aucun  coup  ne  lui  porte, 
Verdoyant  au  milieu  des  liyvers  orageux. 

La  plante  qui  prendra,  dans  la  maison  divine 
Du  Seigneur  notre  Dieu,  une  ferme  racine, 
Se  vestira  de  fleurs,  parera  de  rameaux, 
Sans  redouter  des  vents  la  tempeste  mutine, 
Ni  le  chaud  de  l'été ,  ni  le  débord  des  eaux. 

Le  cours  du  temps  goulu  ne  pourra  rien  sur  elle; 
Sa  jeunesse  sera,  sans  vieillir,  éternelle; 
Les  oisillons  du  ciel  y  viendront  faire  bruit; 
Son  ombre  allégera  le  passant  qui  pantelle, 
Donnant  en  sa  saison  et  la  feuille  et  le  fruit. 
v.  5 


66  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNÈT. 

Ces  plantes  étendant  leurs  racines  profondes 
En  la  maison  de  Dieu,  engendreront,  fécondes, 
Comme  leurs  devanciers,  un  grand  nombre  d'cnfans, 
Sans  que  des  ans  rongeurs  les  courses  vagabondes 
Effacent  la  verdeur  de  leurs  chefs  trlomplians. 

Ces  enfans  nouveaux-nés,  admirant  la  sagesse 
De  Dieu  le  Créateur ,  annonceront  sans  cesse , 
Par  les  quatre  climats  de  ce  bas  univers, 
La  grandeur  de  ses  faits,  le  fruit  de  sa  promesse. 
Qui ,  provignant  les  bons  ,  extirpe  les  pervers. 


SONNET. 

Vous  avez  beau  croupir  en  l'humaine  carrière, 
Le  temps  de  votre  mort  vous  ne  diminuerez  ; 
Mais  aussi  longuement  endormis  vous  serez , 
Que  si  vous  étiez  morts  en  voyant  la  lumière. 

Là  oïl  finit  la  vie,  elle  est  toujours  entière; 
Ce  que  du  temps  futur,  mourant,  vous  laisserez, 
N'étoit  non  plus  à  vous,  que  les  ans  expirés 
Avant  d'estre  conçus  au  sein  de  votre  mère. 

Nul  meurt  avant  son  jour;  peut-estre,  au  mesme  temps 
Que  vous  rendez  l'esprit,  mille  autres, moins  contens, 
Ressentent  de  la  mort  l'homicide  rudesse. 

N'estimeriez-vous  pas  les  pèlerins  bien  fous, 
D'aller  sans  aucun  but?  chetlfs,  et  pensiez-vous 
N'arriver  jamais  là  où  vous  couriez  sans  cesse? 


JEAN-BAPTISTE  CIÏASSIGNET.  67 


LIVRE   II.   PSEAUME   XLVIII. 

Voi-TU  bien  ces  richards ,  superbement  vestus 

De  pourpre  et  d'écarlate, 
Qui  donnent  mille  ébats  à  leur  chair  délicate , 
Mettant  en  leurs  trésors  leurs  plus  belles  vertus? 

Le  frère,  toutefois,  ne  sçauroit  de  la  mort 

Sauver  son  propre  frère , 
Ni  présenter  à  Dieu  une  offrande  si  chère. 
Qui  réveille  un  mortel  qui  sous  la  tombe  dort. 

L'inviolable  loi  du  Destin  le  défend  ; 

La  Mort  aime  carnage , 
Et  frappe  également  l'ignorant  et  le  sage. 
Le  prudent  et  le  fol,  le  vieillard  et  l'enfant.  l^ 

Et  puis ,  ces  malheureux ,  qui  tant  ont  fait  de  pas , 

Qui  tant  ont  pris  de  peines 
Povu^  garder  des  trésors ,  délaissent  leurs  domaines 
Aux  mains  d'un  héritier  qu'ils  ne  connoissent  pas. 

Leurs  jardins,  si  bien  faits  ,  leurs  parterres  si  beaux, 

Leur  palais  et  leur  grange 
Echappent  de  leur  main,  et,  par  un  triste  échange  , 
Au  lieu  de  leurs  maisons,  ils  peuplent  des  tombeaux. 

Cependant  ils  pensoient,  perpétuant  leur  nom, 

Qu'éternels  en  leurs  races , 
Ils  pourroient  prolonger  jusqu'aux  dernières  traces 
Du  monde  consumé,  leur  gloire  et  leur  renom.  » 


68  JEAN-BAPTISTE  CHASSIGNÊT. 

Le  bras  du  Tout-puissant  de  Tenfer  abvsiné 

Délivrera  mon  ame, 
Me  recevant  à  soi  aussi-tost  que  la  lame 
Revomira  mon  corps,  derechef  animé. 

Mais,  quand  pour  les  médians  le  jour  s'éclipsera. 

De  leur  richesse  altiere 
Ils  ne  remporteront  que  les  ais  d'une  bière, 
Et  leur  gloire  au  tombeau  ne  les  assistera. 

Et  soudain  qu'ils  seront  dans  l'enfer  arrestés, 

Compagnons  de  leurs  pères. 
Après  avoir  quitté  leurs  grandeurs  passagères. 
Ils  pleureront  long-temps  leurs  courtes  voluptés. 


ANTOINE  DE  COTEL.  69 


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ANTOINE  DE   COTEL. 


AntoiiXE  de  Cotel  ,  né  à  Paris ,  et  conseiller  au 
Parlement  de  cette  ville,  appartenoit  à  une  famille 
noble  5  c'est  ce  qu'il  nous  apprend  dans  l'un  de  ses 
sonnets  : 

Je  suis,  je  le  confesse,  et  ay  toujours  esté 

Moyen ,  non  pourtant  vil ,  noble ,  de  race  honneste  ; 

mais  il  ajoute  qu'il  préféroit  au  vain  titre  de  gen- 
tilhomme une  réputation  sans  tache  et  la  gloire  que 
donne  l'esprit. 

Les  productions  d'Antoine  de  Cotel  furent  impri- 
mées en  i5y8  (Paris,  in-^\  sous  le  titre  de  Premier 
Livre  des  mignardises  et  gayes  poésies ,  etc. ,  avec  quel~ 
qiies  traductions ,  imitations  et  inventions  du  mesme  au- 
theur. 

Les  Mignardises  se  composent  de  trente-huit  son- 
nets entremêlés  de  rondeaux  et  de  chansons,  de  quatre 
élégies ,  d'une  épître ,  de  quelques  épigrammes ,  de 
la  Cigale ,  poème  d'une  assez  grande  étendue  5  des 
Bergeries ,  et  enfin  de  plusieurs  autres  sonnets  et  épi- 
grammes.  La  plupart  de  ces  pièces  ont  l'amour  pour 
objet. 

On  trouve  parmi  les  Traductions  une  version  du 
quatorzième  Livre  de  \ Iliade  d'Homère,  en  vers  de 
dix  syllabes ,  quelques  imitations  de  Théocrite  et 
d'Ovide,  etc. 

Les  épigrammes  de  Cotcl  ne  sont  pas  sans  mérite  j 


70  ANTOINE  DE  COTEL. 

il  en  est  deux  surtout  que  nos  lecteurs  verront  avec 

plaisir,  l'une  commence  par  ces  vers  : 

T'ayant  vu  ce  matin ,  saluer  par  la  rue 

Un  grand  ane  emjiourpré  qui  jamais  ne  salue,  etc. 

C'est  un  apologue  qui  a  été  traité  depuis  par  notre 
bon  La  Fontaine  (  Fable  i4,  Liv.  v,  F  À  ne  portant  des 
reliques)'^  l'autre  a  pour  objet  l'avarice  d'une  cour- 
tisane qui  amasse  pour  aclieter  des  adorateurs,  lorsque 
le  temps  aura  rendu  ses  attraits  impuissants.  Jacques 
Tabureau  s'étoit  déjà  exercé  sur  le  même  sujet. 


SONNET. 

J'ai  vécu  deux  jours  attendant , 
Nourri  seulement  d'espérance, 
Pratiquant  de  la  patience 
La  simple  vertu  cependant. 

Encore ,  faut-il  que ,  gardant 
Deux  autres  jours  ma  pénitence , 
Je  fasse  si  dure  abstinence , 
Ou  que  je  meure ,  en  vous  perdant. 

Mais  si,  déçu  de  mon  attente, 
La  récompense  ne  contente 
Avec  usure  mon  espoir, 

Adieu  patience ,  et  ma  vie  ! 

Il  vaut  mieux,  mourant,  voir  finie 

Sa  peine ,  que  toujours  l'avoir. 


ANTOINE  DE  COTEL. 


EPIGRAMME.  • 


T'ayant  vu  ce  matin ,  saluer  par  la  rue 

Un  grand  ane  empourpré  qui  jamais  ne  salue , 

Je  ne  puis  me  garder ,  ami ,  de  te  conter 

L'histoire ,  qui  soudain  s'est  venu  présenter , 

D'un  ane  de  jadis  qui  ayant  sur  Téchine , 

De  la  déesse  Isis  la  statue  divine, 

Par  la  ville  d'Argos  d'aventure  passoit, 

Où  le  peuple  dévot  à  genoux  se  baissoit, 

Et  avec  grand  honneur ,  adorant  la  déesse , 

Tapissoit  le  pavé  d'une  jonchée  espaisse  ; 

Dont  le  pauvre  baudet,  sot  et  lourd  qu'il  étoit, 

Ne  sachant  la  grandeur  du  fardeau  qu'il  portoit. 

Et  trop  outrecuidé  ,  se  donnant  assurance 

Qu'à  lui  seul  s'adressoit  cette  humble  révérence, 

D'aise  s'enfloit  les  flancs,  marchoit  d'un  grave  pas 

Lentement  mesuré  d'un  sévère  compas  ; 

Sans  tourner  çà  ne  là,  hochoit  tout  beau  la  tête. 

Et  d'un  branle  d'oreille,  et  d'un  soupir  honnête, 

Ne  pouvant  faire  mieux,  par  signe  au  moins  disoit 

Qu'il  prenolt  bien  à  gré  l'honneur  qu'on  lui  faisoit. 

Il  s'en  alloit  hennir  :  mais  l'anier,  qui  devine 

Le  vouloir  fantastic  de  son  ane  à  la  mine. 

De  trois  grands  coups  de  fouet  son  derrière  émouchant, 

Dans  le  nœud  de  sa  gorge  étouffa  ce  doux  chant, 

'  L' Ane  portant  des  reliques.  La  Fontaine,  Liv.  v,  Fab.  14. 


,..i* 


72  ANTOINE  DE  COTEL. 

Puis  encor  se  moquant,  lui  dit  de  cette  sorte  : 
Baudet,  il  n'est  pas  dieu,  qui  Dieu  sur  le  dos  porte. 
C'est  assez  pour  ce  coup ,  plus  dire  je  n'en  veux  : 
Mais  fais-en  ton  profit,  ami,  si  tu  le  peux. 


SONNET 

SUR   LA   MORT    DE    LOUIS    LE    ROI,   CÉLÈBRE    SAVANT   DU 
SEIZIÈME  SIÈCLE. 

Le  Roi  ,  c'est  un  grand  cas,  vu  ton  ancien  ^2e, 
Ton  savoir,  ton  moyen,  et  que  tu  es  mort  vieux. 
Que  tu  n'eus  en  ta  vie  un  meuble  précieux, 
Ni  certaine  maison,  ni  le  moindre  héritage; 

Que  l'un  de  tes  pourpoints  trotta  toujours  en  gage. 
Si  jamais ,  comme  on  dit,  tu  t'en  vis  avoir  deux. 
Et  que  tu  as  toujours  été  nécessiteux , 
Cliétif,  sans  feu,  sans  lieu,  sans  buron  ,  ni  ménage. 

La  mort  doncques.  Le  Roi ,  aux  autres  dommageable , 
Te  servant  de  repos,  t'est  d'autant  profitable. 
Que  tu  ne  seras  plus  souffreteux  désormais; 

Que  tu  es  affranchi  de  fortune  muable  ; 

Que  tu  n'as  plus  besoin  de  lit,  buffet,  ni  table, 

Et  qu'elle  t'a  donné  demeure  pour  jamais. 


K:l^ 


Mv 


ANTOINE  DE  COTEL.  7 3 


SONNET. 

DE    DEMOISELLE    I.    L.    D. 

Pendant  qu'elle  pleuroit,  comme  une  prude  femme, 
Son  mari  languissant  de  long-temps  dans  un  lit, 
L'embonpoint  la  laissa  ;  son  beau  teint  se  pâlit  ; 
Une  fièvre  la  prit  dont  elle  rendit  l'ame. 

Mais  lai  qui  avoit  jà  un  pied  dessous  la  lame , 
Quitté  des  médecins ,  dès  que  libre  il  se  vit 
Maître  de  sa  maison ,  tout  dru ,  il  se  refit , 
Voire ,  fut  tôt  épris  d'une  nouvelle  flame. 

Ainsi  doncque,  pauvrette ,  elle  mourut  pour  lui  : 
Et  il  fut,  plus  heureux,  malade  pour  autrui. 
Ainsi  le  mal  de  lui  fut  enfin  la  mort  d'elle. 

Et  lui,  tout  au  rebours,  au  lieu  d'elle  vêquit, 
Et  au  printemps  nouveau,  gai,  quasi  renasquit, 
Ainsi ,  comme  un  phénix ,  des  cendres  de  la  belle. 


EPIGRAMME. 


Bâtir  châteaux,  courir  grands  tables, 
Faire  l'amour,  coucher  gros  jeu. 
Sont  grands  chemins ,  qui ,  délectables , 
Conduisent  l'homme  en  pauvre  lieu. 


74  ANTOINE  DE  COTEL. 


CHANSON. 

HÉLAS ,  chétlf  !  une  belle  maîtresse , 
Par  la  moitié  mon  pauvre  cœur  m'ôta, 
Et  à  l'instant,  une  autre  larronesse 
Me  vint  embler  l'autre  qui  me  resta. 

Il  est  en  deux  ;  pourtant  chacune  d'elles 
Sans  le  partir,  me  le  possède  entier; 
Et  les  servant,  mes  services  fidelles 
Se  font  entiers,  et  non  point  par  quartier. 

Toutes  les  deux  ne  me  sont  non  plus  qu'une, 
Et  l'une  m'est  autant  que  toutes  deux  : 
Je  n'en  veux  qu'une ,  et  les  voyant ,  chacune 
Toujours  me  plaît  :  ainsi  les  deux  je  veux. 

Vivant  pour  Tune,  ainsi  ma  destinée 

A  toutes  deux  serviteur  m'a  donné  ; 

Je  veux  mourant  de  cent  morts  pour  l'aînée , 

Etre  pour  l'autre  à  cent  morts  destiné. 


1 

ÊÈkM. 


ANTOINE  DE  COTEL.  ^5 


SONNET. 

Thulene%  et  son  état ,  sont  éteints  d'un  coup,  sire; 
Toutefois ,  s'il  vous  plaît ,  encore  est  il  en  vous 
De  les  faire  revivre  :  il  est  assez  de  fous , 
Et  trop  de  demandeurs,  pour  vous  faire  encor  rire. 

Entre  un  poëte  et  un  fou,  il  y  a  peu  à  dire  : 
Chacun  d'eux  est  mocqué,  et  se  mocque  de  tous; 
L'un  est  sou  vent  dépit,  l'autre  est  prompt  à  courroux  ; 
Chacun  d'eux  dit  et  va  où  son  plaisir  le  tire. 

L'un  porte  un  gai  chapeau ,  l'autre  des  bonnets  verts  : 
Chacun  aime  son  chant  :  l'un  jaloux  de  ses  vers , 
L'autre  de  sa  marotte  on  ne  sauroit  défaire. 

Ils  différent  pourtant  d'un  seul  point  en  vivant  : 
Car  l'on  dit  que  fortune  aide  aux  foux  bien  souvent, 
Et  qu'aux  poètes  elle  est  quasi  toujours  contraire. 

'  Voyez  le  sonnet  de  Passerai  sur  le  même  sujet,  t.  iv,  p.  l\ii. 


ri 


76  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 


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SCEVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 


ScÉvoLE  DE  Sainte-Marthe  naquît  à  Loudun,  le  2 
février  i536,  de  Louis  de  Sainte-Marthe,  seigneur  de 
Neuilly,  procureur  du  roi  à  Loudun ,  et  de  Nicole  Le 
Fèvre  de  Bizay,  fille  du  seigneur  de  Bizay,  en  Loudu- 
nois.  Il  fit  ses  première  études  à  l'Université  de  Paris , 
sous  Adrien  Turnèbe ,  Muret  et  Ramus.  Son  père ,  qui 
le  destinoit  à  la  magistrature  ,  l'envoya  ensuite  à  Poi- 
tiers et  à  Bourges  pour  y  étudier  la  jurisprudence. 

Chargé  de  grands  emplois  sous  les  règnes  de  Henri  m 
et  de  Henri  iv,  Scévole  de  Sainte-Marthe  les  remplit 
avec  autant  de  zèle  que  d'intégrité.  11  fut  nommé, 
en  iSyg,  maire  et  capitaine  de  Poitiers,  et,  quelque 
temps  après,  trésorier  de  France  dans  la  généralité  de 
cette  ville.  Cette  dernière  charge  ayant  été  suppri- 
mée ,  Scévole  de  Sainte-Marthe  fut  député  par  ses  con- 
frères pour  faire  au  roi  des  représentations  à  ce  sujet. 
Henri  m  lui  accorda  sa  demande,  en  disant  qu'il  n'y 
avoit  point  dédits  qui  pussent  résister  à  une  si  forte 
éloquence.  Scévole  de  Sainte-Marthe  reçut,  en  i^pS, 
le  grade  d'intendant  des  finances  dans  l'armée  de  Bre- 
tagne, et  en  iSg/i  il  contribua  de  tout  son  pouvoir  à 
fiiire  rentrer  la  ville  de  Poitiers  sous  l'obéissance  de 
Henri  iv.  Cependant  ces  différents  emplois  avoient 
sensiblement  altéré  sa  santé,  et  il  étoit  sur  le  point 
de  rentrer  dans  ses  foyers,  lorsqu'il  fut  élu  maire  de 
Poitiers.  Le  terme  de  ses  fonctions  expiré ,  il  fit  encore 
im  voyage  à  Paris,  et  se  retira  peu  de  temps  après  à 


SCEVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  77 

Loudun,  où  il  se  livra  tout  entier  au  commerce  des 
Muses.  En  reconnoissance  des  services  qu'il  avoit  ren- 
dus à  cette  ville ,  ses  concitoyens  lui  décernèrent  le 
titre  de  Père  de  la  patrie.  Il  y  mourut  le  29  mars  1628 , 
dans  la  quatre-vingt-septième  année  de  son  âge. 

Théophraste  Renaudot,  médecin  du  roi,  et  le  célèbre 
Urbain  Grandier,  prononcèrent  son  oraison  funèbre, 
l'un  au  palais  de  Loudun,  le  5  avril  1628,  et  l'autre 
dans  l'église  de  Saint-Pierre  de  Loudun ,  le  1 1  sep- 
tembre de  la  même  année. 

Scévole  de  Sainte-Marthe  se  fit  d'abord  connoître 
par  ses  poésies  latines.  Sa  Pœdotrophie,  où  il  traite 
principalement  de  la  manière  de  nourrir  les  enfants  à 
la  mamelle,  fut  mise,  pour  le  mérite  de  la  versifica- 
tion, au  rang  des  ouvrages  qui  ont  illustré  le  siècle 
d'Auguste.  Ce  poète  avoit  plus  de  trente  ans  quand  il 
commença  à  écrire  en  françois  ;  mais  ses  ouvrages  n'en 
sont  pas  moins  fort  nombreux  :  l'édition  qu'il  en  donna 
en  1600  (Poitiers,  wz-i2),  est  divisée  en  huit  parties; 
la  première  a  pour  titre  les  Métamorphoses  sacrées, 
production  singulière,  où  il  se  proposoit  de  faire  pour 
la  religion  chrétienne  ce  qu'Ovide  avoit  fait  pour  la 
fable;  mais  les  troubles  politiques  ne  lui  permirent 
pas  de  terminer  cette  pieuse  entreprise.  La  seconde 
partie  contient,  sous  le  titre  de  Poésie  royale,  plu- 
sieurs pièces  relatives  à  la  famille  royale  ;  la  Poésie 
meslée  forme  la  troisième  partie  ;  la  quatrième  est 
intitulée  Boccage  de  sonnets  inesles;  la  cinquième  se 
compose  àes  Epigrammes  ;  la  sixième  des  Vers  d^ amour; 
la  septième  des  Alcyons,  traduction  d'Ovide;  enfin, 
la  huitième  partie  renferme  quelques  Imitations  de 
divers  poètes  latins ,  etc. 


78  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MAUTHE. 


L'AVANT  MARIAGE  DU  ROI  CHARLES  IX. 

Amour,  le  plus  gaillard  des  dieux, 
A  qui  le  meurtre  est  odieux , 
Nagueres  déployant  ses  aîles , 
Vola  devers  notre  liorison, 
Pour  apporter  la  guérison 
A  nos  peines  continuelles; 

Et  gravant  du  bout  de  son  trait 
D'une  princesse  le  portrait, 
Devant  les  yeux  de  notre  prince, 
Au  fond  de  son  cœur  généreux 
rit  couler  le  feu  bienheureux 
Qui  doit  embellir  sa  province. 

Puis  joyeux  et  enflé  de  cœur. 
Pour  se  voir  être  le  vainqueur 
D'un  qui  doit  seul  vaincre  le  monde , 
Reprend  son  vol  pour  s'en  aller 
Vers  sa  mère,  lui  révéler 
Sa  joie  à  nulle  autre  seconde. 

Du  coté  du  soleil  levant 
Est  un  mont  bien  haut  s'élevant 
Dessus  la  cote  cyprienne , 
Qui  regarde  jusques  au  Nil, 
Et  découvre  le  champ  fertil 
Que  semé  la  gent'  pharienne. 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  79 

Là,  se  voit  irguer  en  tout  tems 
La  douceur  du  jeune  printems: 
Aussi  la  place  en  est  sacrée 
A  Vénus ,  mère  des  plaisirs , 
Qui,  féconde  en  nouveaux  désirs, 
Parmi  ses  bandes  s'y  récrée. 

Ce  parc,  défendu  aux  humains, 
Auquel  jamais  les  rudes  mains 
Des  laboureurs  ne  font  outrage , 
Foisonne  en  fruits  que  les  zéphirs 
Nourrissent  de  tendres  soupirs; 
Et  n'y  faut  autre  labourage. 

Sous  un  bocage  bien  épais , 
Naît  un  ombrage  toujours  frais , 
Et  par  le  feuillage  qui  tremble 
Court  un  petit  bruit  dont  le  son 
S'accorde  à  la  douce  chanson 
Des  oiseaux  que  l'amour  assemble. 

Rien  n'est  en  ce  plaisant  séjour 
Qui  ne  sente  les  feux  d'amour , 
Qui  d'amour  doucement  se  mêle 
Parmi  les  rameaux  verdissans 
Des  arbres ,  qui  sont  languissans 
D'une  passion  mutuelle. 

Là  ,  les  plans  se  courbans  en  bas 
Vers  les  plans  étendent  leurs  bras; 
Là,  brûlés  de  flammes  secrettes, 
Les  palmiers  cherchent  les  palmiers, 


8o  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 

Et  leurs  siflemens  coutiimiers 
Sont  messagers  des  amourettes. 

En  un  val  ,  sous  des  myrtes  verds , 
Bouillonnent  deux  sourgeons  divers: 
L'un  d'eau  douce,  l'autre  d'amere, 
Qui  mêlent  ensemble  leurs  eaux , 
Et  de  deux  contraires  ruisseaux 
Ne  font  qu'une  même  rivière. 

Là,  est  la  molle  oisiveté, 

Et  la  libre  lasciveté, 

Les  vrais  ris,  et  les  larmes  Teintes  : 

Les  doux  jeux,  les  tendres  soupirs. 

Les  douleurs  auprès  des  plaisirs , 

Et  les  désirs  parmi  les  craintes. 

Au  bas  de  la  sainte  forêt , 
Le  château  superbe  apparoît , 
Où  loge  la  tendre  déesse, 
Vulcan  même  en  fut  le  maçon , 
Et  lui  donna  telle  façon  , 
Que  l'art  y  combat  la  richesse. 

Sur  colonnes  de  diamant 

S'eleve  le  haut  bâtiment 

D'or,  qui  flamboie  en  mille  pointes  : 

De  fin  or  luit  le  grand  portai, 

Et  les  serrures  de  cristal 

A  doux  d'éméraudcs  sont  jointes. 

Là,  voit-on  par  un  appareil 
En  pompe  à  nul  autre  pareil  , 


SCÉVOLE  DE   SAINTE-MARTHE. 

Les  lys  de  sok-  délicate 
Tous  garnis  de  drap  d'or  frisé  ; 
Et  du  meuble  le  moins  prisé 
La  matière  est  de  fine  agate. 


'■■o' 


Amour  y  vint  tout  glorieux  ; 
Son  port ,  son  visage  et  ses  yeux 
Témoignoient  sa  haute  victoire  : 
Et  Vénus,  pour  s'en  enquérir, 
De  ces  paroles  vint  ouvrir 
Ses  dents  blanches  de  pur  ivoire  : 

Il  est  certain  qu'à  cette  fois. 
Du  plus  grand  des  dieux  ou  des  rois 
Ta  main  les  dépouilles  m'apporte  ; 
Et  lors  baisant  ses  blanches  mains , 
Ce  petit  meurtrier  des  humains 
Lui  répondit  en  cette  sorte  : 

Mère,  j'ai  rangé  sous  nos  lois 
Charles,  qui  ses  peuples  gaulois 
Fait  fleurir  en  paix  et  en  guerre. 
L'amour  des  hommes  et  des  dieux , 
Prince  désiré  de  nos  cieux 
Autant  qu'il  est  cher  à  la  terre. 

Et  ce  n'est  belle  de  bas  prix  "" 

Qui  brûle  ses  divins  esprits , 
Mais  bien  qui  sa  naissance'  tire 
De  la  race  grande  en  renom. 
D'un  autre  Charles  dont  le  nom 
A  grandi  le  nom  de  l'empire. 


V. 


8:i  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 

De  toi  dépend  l'avancement 
De  mon  heureux  commencement: 
Fais  que,  cédant  à  l'hymenée, 
Mars  se  retire  désormais, 
Et  qu'un  sacré  nœud  pour  jamais 
Lie  la  couple  fortunée. 

A  peine  avoit  dit,  et  alois 
Tout  soudain  fut  reçu  le  mords 
Par  les  cignes,  qui  s'accouplèrent 
Deux,  à  deux  au  timon  connu; 
Où  les  Charités  au  sein  nu 
A  double  rang  les  attelèrent. 

Les  oiseaux  joyeux  d'obéir , 
Par  l'air  commencent  à  fuir, 
Sitôt  qu'Ericine  est  entrée 
En  son  char,  qui  par  eux  porté 
Dore  de  nouvelle  clarté 
Toute  la  prochaine  contrée. 

Dessous  leur  vol ,  la  grande  mer 
Par-tout  commence  à  se  calmer , 
Respectant  la  haute  présence 
De  la  déesse  de  l'amour, 
Qui  en  son  humide  séjour , 
De  l'écume  prit  sa  naissance. 

Puis  gagnant  chemin  plus  avant , 
Sur  l'échiné  du  plus  doux  vent. 
Enfin  sous  eux  la  terre  ils  voyent , 
Et  découvrent  les  riches  ports 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  83 

De  la  Provence ,  dont  les  bords 
Montrent  leurs  citrons  qui  jaunoyent. 
Adonc  Mars  délogea  d'ici 
Laissant  à  Vénus  le  souci 
De  l'entreprise  qu'elle  brasse  , 
Et  traversant  les  eaux  du  Rhin , 
Reprit  lentement  le  chemin 
Du  séjour  connu  de  la  Thrace. 

Voyant  que  les  destins  amis 
Ont  amené  le  tems  promis, 
Qui  un  si  grand  bonheur  envoie , 
Le  Rhin  tire  hors  de  ses  eaux 
Son  chef  couronné  de  roseaux, 
Afin  de  témoigner  sa  joie. 

Puis  rassurant  le  tendre  cœur 
Des  nymphes  tremblantes  de  peur, 
Par  ces  gracieuses  nouvelles , 
Sur  le  bord  les  fait  élancer, 
Et  fouler  d'un  plaisant  danser 
La  terre  qui  fleurit  sous  elles. 

Ce  fut  alors  à  qui  mieux  mieux 
Pousseroit  sa  voix  jusqu'aux  cieux  : 
Sur  toutes,  la  nymphe  lorraine, 
Pour  son  frère  appellant  ce  dieu , 
Faisoit  résonner  tout  le  lieu 
De  chants  dignes  d'une  sirène. 

O ,  disoit-elle ,  enfant  divin , 
Qui  seul  conduis  à  bonne  fin 


84  SCÉVOLE  DE  SAIXTF-MARTHE. 

L'amour  d'honneur  acconipagnrt' , 
Viens,  portant  en  main  ton  flambeau 
Et  sur  la  tête  un  gai  chapeau, 
Vole  vers  nous ,  blond  Hymenée. 

Tu  es  des  amans  le  désir  ; 
Des  maris  tu  es  le  plaisir  : 
Et  les  pucelles  qui  soupirent 
Au  lit  coupable  de  leur  soin , 
Secrètement  à  leur  besoin 
Ta  chère  présence  désirent. 

Va  ravir  d'une  brusque  main , 

Au  sein  de  l'empire  germain , 

Des  princesses  l'honneur  plus  rare , 

Et  l'amené  au  lit  fortuné 

De  notre  prince  le  mieux  né , 

A  qui  nul  autre  s'accompare. 

Qui  ne  le  prendroit  pour  un  dieu, 
Quand  il  marche  haut  au  milieu 
De  ses  frères  ,  dont  la  lumière 
A  découvert  avant  le  tems 
Leur  vertu  non  sujette  aux  ans, 
Comme  les  vertus  du  vulgaire  ! 

Que  tardes-tu  donc ,  6  des  dieux 
Le  plus  aimable  et  gracieux , 
D'amener  si  bonne  journée  ? 
Viens,  portant  en  main  le  flambeau 
Et  sur  la  tête  un  gai  chapeau , 
Vole  vers  nous,  blond  Hymenée. 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 


SONNET. 

Desportes  ,  quand  le  tems ,  qui  toute  chose  emmené, 
L'usage  du  François  aura  tout  aboli , 
Par  le  même  destin  qui  rend  enseveli 
Et  l'usage  du  grec  et  la  langue  romaine, 

Ton  ouvrage  sera  une  vive  fontaine , 
Où  puiseront  ceux-là,  qui,  pour  vaincre  l'oubli, 
Apprendront  en  lisant  ce  langage  accompli. 
Dont  aujourd'hui  ta  voix  est  l'école  certaine. 

Ils  trouveront  chez  toi  cette  naïveté 
Qui  unit  la  douceur  avec  la  gravité. 
Et  diront  en  voyant  tes  rimes  si  faciles  : 

Il  paroît  bien  qu'alors  que  ce  poëte  écrivoit. 
Un  prince  tel  qu'Auguste  en  la  France  vivoit, 
Puisqu'il  fit  de  son  tems  renaître  des  Virgiles. 


EPITAPHE   D'UN   GUERRIER. 

Bien  que  la  fiere  mort  me  range  sous  sa  lame , 
Si  ai-je  cet  honneur  en  dépit  du  tombeau 
D'aimer  mieux  en  mourant  à  mon  Dieu  rendre  l'ame. 
Que  rendre  aux  ennemis  en  vivant  un  château. 


86  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 


ÉPITAPHE   DU  MÊME. 

Comme  je  m'efforçois  par  mon  langage  induire 
Le  cœur  de  mes  soldats  à  mourir  pour  le  roi , 
Moi-même  je  suis  mort,  afin  qu'on  vît  en  moi 
Que  je  savois  bien  faire  autant  comme  bien  dire. 


COMPARAISON  DU  POETE  ET  DU  FINANCIER. 

Mon  garrant ,  qui  es  favori 

De  la  muse  qui  m'a  nourri , 

Folle  seroit  la  fantaisie 

De  celui  qui  penser  voudroit 

Que  suivre  ensemble  on  ne  pourroit 

La  finance  et  la  poésie. 

Tel  homme  ne  connoîtroit  pas 

L'union  de  ces  deux  états 

Qui  de  tous  points  est  si  parfaite , 

Qu'on  peut  voir  assez  clairement 

Symboliser  entièrement 

Le  financier  et  le  poëte. 

Tous  deux  sont  subtils  et  adroits, 
L'un  de  l'esprit ,  l'autre  des  doigts  ; 
L'un  et  l'autre  ses  plaisirs  aime  ; 
Tous  deux  suivent  d'un  soin  pareil , 
L'un  Phébus,  l'autre  le  soleil. 
Qui  n'est  qu'une  déité  même. 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  87 

Tous  deux  se  recréent  aux  sons , 
L'un  d'écus,  l'autre  de  chansons, 
Deux  choses  d'effets  non  contraires  : 
Les  vers  à  l'amour  sont  duisans , 
Et  ces  beaux  écus  bien  luisans, 
En  amour  sont  trop  nécessaires. 

Tous  deux  également  ont  soin 
D'étendre  leur  renom  plus  loin , 
Rendant  la  France  décorée 
De  leurs  superbes  monumens, 
L'un  de  somptueux  bâtimens, 
Et  l'autre  d'écrits  de  durée. 

L'un  est  prompt  à  compter  l'argent, 
L'autre  n'est  pas  moins  diligent 
A  nombrer  des  vers  la  cadence  : 
Bref,  ils  ne  différent  tous  deux , 
Sinon  que  l'un  est  souffreteux  , 
L'autre  se  baigne  en  l'abondance. 

Nous  donc ,  mon  garrant ,  qui  suivons 
L'un  et  l'autre ,  si  nous  pouvons 
Les  tempérer  tous  deux  ensemble , 
De  Tune  et  l'autre  extrémité , 
Tirons  la  médiocrité  , 
A  qui  le  vrai  bonheur  s'assemble. 


88  SCÉVOLE  DE  SAI^^TE-MARTHE. 


EPIGRAMME. 


Je  confesse  bien  comme  vous, 
Que  tous  les  poètes  sont  fous  : 
Mais  puisque  poëte  vous  n'êtes, 
Tous  les  fous  ne  sont  pas  poètes. 


EPIGRAMME. 

Bien  que  notre  ennemi ,  favorisé  de  Mars  , 

Ait  fait  rougir  les  champs  du  sang  de  nos  soldars , 

Si  florira  leur  gloire ,  à  peu  d'autres  commune , 

Puisqu'au  moins  en  mourant  ils  ont  bien  combattu. 

Avoir  été  vaincu,  cela  vient  de  fortune  , 

Mais  n'avoir  point  fui,  cela  vient  de  vertu. 


EPIGRAMME. 

Si  Plutus  a  de  toi  bon  soin , 
Etendant  loin  ton  héritage  , 
Et  s'il  ne  me  donne  en  partage 
Que  ce  qu'il  faut  à  mon  besoin  ; 

Si  tu  habites  les  palais  , 
Traînant  d'hommes  une  grand'  suite , 
Et  moi  en  ma  maison  petite, 
Obéi  de  peu  de  valets; 

Si  chacun  t'ôte  le  chapeau, 
Et  personne  ne  me  salue  , 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  89 

Si  tu  t'ornes  de  soie  élue , 
Si  la  laine  couvre  ma  peau  ; 

Ne  pense  pas  que  pour  ton  bien  , 
En  mon  bas  état  je  te  cède  : 
Car  c'est  ton  bien  qui  te  possède , 
Mais  moi  je  possède  le  mien. 


EPIGRAMME. 

AU    ROI    CHARLES    IX. 

Auguste  fut  neveu  du  premier  empereur, 

Vous  êtes  fils  des  rois,  les  plus  grands  de  la  terre. 

Auguste,  jeune  d'ans  ,  fut  des  vieux  la  terreur, 

Et  votre  jeune  bras  les  plus  rusés  atterre. 

Auguste  ayant  conquis  le  monde  par  la  guerre. 

Le  garda  par  la  paix  :  vous  en  ferez  ainsi. 

Il  aima  les  savans  :  aimez-les  donc  aussi , 

De  peur  que  sa  vertu ,  par  écrits  ennoblie , 

Ne  gagne,  dessus  vous,  cet  avantage  ici. 

Que  sa  gloire  on  connoisse,  et  la  votre  on  oublie. 

SONNET. 

MoRiN,  cher  nourrisson  de  la  muse  Aonide , 
Qui  te  fait ,  en  savoir ,  être  un  second  Varron , 
En  naïve  éloquence,  un  autre  Ciceron, 
Et  en  prompte  mémoire  ,  un  nouveau  Simonide , 

Poussé  d'un  saint  désir,  qui  devers  toi  me  guide, 
Je  viens  voir  le  pays  ,  orgueilleux  de  ton  nom  , 


go  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 

Et  l'Océan  voisin,  qui ,  prenant  ton  renom  , 
Le  résonne  ,  joyeux ,  à  son  rivage  humide. 

Que  ce  m'est  de  plaisir,  après  un  si  long  tems, 
Renouer  l'amilié  que  notre  doux  printems 
A  vu  naître  jadis,  sur  la  croupe  jumelle! 

Chastes  sœurs,  s'il  est  vrai  que  vous  ayez  été 
Le  premier  fondement  de  cette  privante , 
Faites  que,  comme  vous,  elle  soit  immortelle. 


ÉPIGRAMME. 

Ne  blâmons  la  façon  de  fortune  inconstante , 
Qui  par-là  remédie  à  ses  propres  assauts, 
Flattant  les  affligés ,  pour  le  moins,  d'une  attente 
Qu'ils  recevront  des  biens,  ayant  reçu  des  maux. 
Quand  le  bien  nous  arrive,  après  longue  souffrance, 
Il  nous  semble,  pour  lors,  double  bien  nous  venir; 
Car  autant  que  du  bien  nous  plaît  la  jouissance , 
Autant  des  maux  passés  nous  plaît  le  souvenir. 


SONNET. 

VOEUX    POUU    CHARLES    IX. 

Seigneur  ,  qui  n'as  borné  l'étendue  infinie 
Que  de  soi-même  prend  ton  immortel  pouvoir , 
Tu  peux ,  et  je  te  pri'  qu'il  te  plaise  vouloir , 
De  Charles  jeune  d'ans  favoriser  la  vie. 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  91 

Garde  son  tendre  corps  de  toute  maladie  ; 
Fais  qu'heureux  en  ses  faits  France  le  puisse  voir  ; 
Conduis  son  noble  esprit,  et  lui  fais  concevoir 
De  justement  régner  la  généreuse  envie  ; 

Fais  que  de  peu-à-peu  en  âge  se  haussant, 
Il  soit  de  plus  en  plus  en  honneur  florissant. 
Comme  il  en  donne  à  tous  un  espoir  manifeste; 

Fais  qu'en  paix  ses  sujets  il  gouverne  ici  bas. 
Et  quand  il  changera  sa  vie  à  son  trépas. 
Qu'il  change  son  royaume  au  royaume  céleste! 


LA   STATUE   DE   PIGMALION. 

A    M.    DE    VILLEROY,    SECRETAIRE    d'ÉTAT. 

Puisque  l'amour  n'est  rien  qu'une  folie  extrême, 
Comment  ne  seroient  fous  tous  ceux  qu'amour  époint  ? 
Celui  est  de  raison  bien  dépourvu  lui-même. 
Qui  cherche  la  raison  en  ceux  qui  n'en  ont  point. 

Je  ne  m'étonne  donc ,  si  tant  d'hommes  au  monde 
En  ont  perdu  le  sens  par  les  siècles  passés  : 
Mais  en  cette  fureur  à  nulle  autre  seconde, 
Un  seul  Pigmalion  les  a  tous  surpassés. 

Cet  homme ,  ayant  horreur  de  l'impudique  flame 
Des  femmes  de  son  tems ,  plus  qu'autre  vicieux , 
En  libre  solitude ,  à  soi-même ,  et  sans  femme  , 
Goiitoit  des  longues  nuits  le  repos  ocieux. 


92  SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE. 

Tandis  ayant  taillé  d'une  femme  l'image , 
En  marbre  élaboiiré  d'un  ciseau  bien  appris, 
Il  se  plût  tellement  lui-même  en  son  ouvrage, 
Qu'il  fut  de  son  ouvrage  ardentement  épris. 

On  eût  dit,  à  la  voir,  qu'elle  eût  été  vivante. 
Et  que  sans  une  honte  eût  voulu  se  mouvoir  : 
Tant  l'artifice  grand  de  cette  main  savante , 
En  se  cachant  si  bien ,  d'autant  mieux  se  fait  voir. 

Pigmalion  l'admire,  et  d'une  feinte  vaine, 

Sent  une  vraie  ardeur;  il  retâte  souvent 

Si  c'est  un  corps  d'ivoire,  ou  bien  de  chair  humaine, 

Et  démentant  ses  doigts ,  maintient  qu'il  est  vivant. 

Il  devise  avec  elle ,  il  la  baise ,  il  la  flate , 
Et  croit  en  la  baisant  qu'il  en  est  rebaisé , 
Et  serrant  cette  peau ,  qu'il  trouve  délicate , 
Craint  de  fouler  le  corps  qui  du  sien  est  pressé. 

Il  lui  fait  des  présens,  pour  gages  d'amourettes. 
De  perles ,  de  joyaux ,  de  riches  bracelets., 
De  parfums  d'ambre  gris,  de  chapeaux  de  fleurettes. 
De  fruits  de  la  saison,  de  chiens  et  d'oiselets. 

La  fête  de  Vénus  en  Cypre  célébrée 
Avoit  fait  son  retour;  et  de  sang  épandu. 
Mainte  genice  blanche,  à  la  corne  dorée, 
Avoit  souillé  son  corps  sous  les  coups  étendu. 

Sur  les  autels  sacrés,  témoins  du  saint  office, 
Voloit  d'encens  fameux  une  épaisse  vapeur; 
Et  lors  ce  pauvre  amant,  offrant  son  sacrifice. 
Fit  sa  prière  aux  dieux,  plein  de  honte  et  de  peur. 


SCÉVOLE  DE  SAINTE-MARTHE.  gS 

Vénus  qui  asslstoit ,  favorable  à  sa  fête , 
Propice  à  sa  demande ,  anime  la  beauté  ; 
Pigmalion  s'approche  ,  il  admire,  s'arrête, 
Et  du  nouveau  prodige  il  demeure  enchanté. 

Il  ne  s'abuse  point,  et  plus  il  la  retâte. 
Plus  il  sent  obéir  la  chair  à  cette  fois. 
Ainsi  qu'auprès  du  feu  la  cire  dont  la  pâte 
Prend  en  s'amoUissant  la  forme  de  nos  doigts. 

Alors,  reconnoissant,  il  bénit  la  déesse. 
Qui  propice  a  daigné  ses  douleurs  appaiser, 
Et  à  bon  escient,  caressant  sa  maîtresse, 
Donne  à  sa  bouche  vraie  un  savoureux  baiser. 

Elle  qui  l'a  senti,  honteuse  est  devenue. 
Et  ouvrant  peu-à-peu  craintivement  les  yeux , 
Pour  saluer  du  jour  la  lumière  inconnue , 
D'un  même  coup  a  vu  son  amant  et  les  cieux. 

Les  poètes  souvent  ressemblent  à  cet  homme, 
Follement  amoureux  de  leurs  propres  écrits , 
D'une  amour  qui  sans  fruit ,  vainement  les  consomme. 
Auprès  d'un  froid  poëme  et  sans  vie  et  sans  prix. 

Mais  si  pour  réchauffer  sa  froideur  languissante, 
Ils  savent  le  vouer  à  quelque  noble  nom, 
La  gloire  par  ce  nom  soudainement  naissante 
Les  peut  faire  jouir  d'un  immortel  renom. 

Ainsi  un  Villeroy  pourra  donner  la  vie, 

Par  les  justes  honneurs  dont  il  est  revêtu , 

A  l'ouvrage  qu'ici  ma  Muse  lui  dédie , 

Pour  rendre,  par  mes  vers ,  hommage  à  sa  vertu. 


g4  SCÉVOLE  DE  SAINTE -MARTHE. 


EPIGRAMME.  ' 

J'ai  passé  mon  printems,  mon  été,  mon  automne; 
Voici  le  triste  hyver  qui  vient  finir  mes  vœux  ; 
Déjà  de  mille  vents  le  cerveau  me  bouillonne^ 
J'ai  la  face  ridée  et  la  neige  aux  cheveux. 

D'un  pas  douteux  et  lent,  à  trois  pieds  je  chemine , 
Appuyant  d'un  bâton  mes  membres  languissans, 
Mes  reins  n'en  peuvent  plus,  et  ma  débile  échine 
Se  courbe  peu  à  peu ,  sous  le  faix  de  mes  ans. 

Une  morne  froideur  sur  mes  nerfs  épanchée. 
Engourdit  tous  mes  sens,  désormais  curieux, 
D'un  glaçon  endurci  j'ai  l'oreille  bouchée  , 
Et  porte  en  un  étui  la  force  de  mes  yeux. 

Mais  bien  que  la  jeunesse  en  moi  ne  continue , 
Dieu ,  fais  que  ton  amour  me  conserve  le  cœur  ! 
Autant  que  de  mon  sang  la  chaleur  diminue , 
Daigne  de  mon  esprit  augmenter  la  vigueur. 

Que  sert  de  prolonger  une  ingrate  vieillesse , 
Pour  regarder  sans  fruit  la  lumière  du  jour  ? 
Heureux  qui  sans  languir  en  si  longue  vieillesse, 
Retourne  de  bonne  heure  au  céleste  séjour  ! 

'  Ce  sont  les  derniers  vers  qu'ait  faits  Scévole  de  Sainte-Marthe. 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.         qS 


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JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 


Jean  Vauquelin,  sieur  de  La  Fresnaye,  naquit,  en 
i536  ,  au  château  de  La  Fresnaye,  près  de  Falaise  en 
Normandie.  Envoyé  fort  jeune  à  Paris  pour  y  faire 
ses  études  sous  Turnèbe  et  Muret,  la  lecture  des  ou- 
vrages de  Ronsard,  de  Baïf  et  de  du  Bellay,  lui  inspira 
le  goût  des  lettres.  Ce  goiit  devint  bientôt  une  pas- 
sion :  à  peine  âgé  de  dix-huit  ans ,  il  se  rendit  à  Angers 
pour  y  prendre  des  leçons  de  poésies  de  Jacques  Tahu- 
reau ,  dont  nous  avons  déjà  parlé ,  et  de  là  à  Poitiers , 
où  il  se  lia  d'amitié  avec  Scévole  de  Sainte-Marthe. 
C'est  à  cette  époque,  et  dans  cette  dernière  ville,  que 
Vauquelin  publia  (en  1 555)  deux  Livres  de  Foresteries. 
Il  alla  ensuite  étudier  le  droit  à  Bourges.  De  retour 
dans  son  pays  natal,  il  y  remplit  d'abord  la  charge 
d'avocat  du  roi  au  bailliage  de  Caen ,  ensuite  celle  de 
lieutenant-général,  qui  lui  fut  résignée  par  Charles 
Bourgeville ,  dont  il  épousa  la  fille ,  et  enfin  celle  de 
président  au  présidial  de  Caen ,  qu'il  paroît  avoir  con- 
servée jusqu'à  sa  mort ,  arrivée  en  1606. 

Les  Œuvres  de  Jean  Vauquelin  de  La  Fresnaye 
furent  recueillies  et  publiées  six  ans  après  la  mort  de 
ce  poète  (Caen,  1612,  i>i-8°);  elles  se  composent: 
1°.  de  \  Art  poétique  en  trois  Livres;  2°.  de  cinq  Livres 
de  Satyres;  3"  de  deux  Livres  à'idjiies  ou  Idylles; 
4°.  d'un  Livre  ai  Epi^r animes  ;  5°.  d'un  Livre  à^Epi- 
taphes  ;  6".  et  enfin  d'un  Livre  de  Sonnets. 


96        JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 

C  etoit  sans  doute  une  difficile  entreprise  que  de  dé- 
terminer les  règles  de  la  poétique  francoise  vers  la  fin 
du  seizième  siècle,  lorsque  la  langue  n  etoit  pas  en- 
core fixée  5  Vauquelin  ne  la  jugea  pas  au-dessus  de 
ses  forces,  et  son  ouvrage  n'est  pas  sans  mérite,  même 
après  celui  de  Boileau,  dont  il  fut  le  précurseur.  Le 
poète  y  a  consacré  des  préceptes  fort  judicieux  et  qui 
contribuèrent  beaucoup  à  accélérer  les  progrès  du 
goût  en  France.  Il  y  remonte  à  l'origne  de  la  poésie  ; 
et ,  parcourant  successivement  les  différentes  révolu- 
tions qu'elle  avoit  éprouvées  chez  les  Grecs  et  chez 
les  Romains,  il  arrive  enfin  à  l'époque  où  elle  fut 
cultivée  en  France.  C'est  à  nos  Troubadours  que  Vau- 
quelin attribue  l'invention  de  la  rime:  Alors,  dit-il, 

Alors  des  Troubadours 
Fust  la  rime  inventée  en  chantant  leurs  amours  ; 
Et  quand  leurs  vers  rimes  ils  mirent  en  estime , 
Ils  sonnoient,  ils  chantoient ,  ils  balloient  sous  leur  rime. 
Du  son  se  fît  sonnet,  du  chant  se  fit  chanson , 
Et  du  bal  la  ballade  en  diverse  façon. 
Ces  Trouverres  alloient  par  toutes  les  provinces 
Sonner,  chanter,  danser  leurs  rimes  chez  les  princes. 
Des  Grecs  et  des  Romains  cet  art  renouvelle, 
Aux  François  les  premiers  ainsi  fut  révélé. 

Vauquelin  s'attache  ensuite  à  faire  connoître  ceux 
d'entre  nos  poètes  qui,  avant  lui  ou  de  son  temps, 
avoient  acquis  une  brillante  réputation.  Les  éloges 
qu'il  leur  prodigue  sont  sans  doute  fort  exagérés  ; 
mais  l'on  ne  peut  qu'applaudir  au  zèle  qu'il  fait  pa- 
roître  pour  l'honneur  de  sa  patrie.  Il  voudroit  que  la 
France  l'emportât  sur  toutes  les  autres  nations  par 
son  goût  et  son  amour  pour  les  lettres. 

Les  Satjres  de  Vauquelin  sont  dans  le  goût  des 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.  97 
Latins.  Elles  n'ont  peut-être  pas  toute  la  verve  et  le 
caustique  de  celles  de  Régnier,  mais  on  y  trouve  plus  de 
justesse  dans  les  pensées  et  dans  l'expression.  Ses  Idylles 
ont  de  la  douceur  et  de  la  mollesse  ;  ses  Epigrammes 
se  font  distinguer  par  un  tour  heureux  et  piquant. 

Nous  avons  encore  de  Vauquelin  un  poëme  en  vers 
de  dix  syllabes ,  qui  est  intitulé  pour  la  monarchie  de 
ce  rojaume  contre  la  division ,  etc. ,  et  Vlsraélite  ou 
l'Histoire  de  David  ;  ce  dernier  ouvrage  n'a  pas  été 
imprimé. 

Jean  Vauquelin  de  La  Fresnaye  eut  de  son  mariage 
avec  la  demoiselle  Bourgueville  quatie  fils,  dont  l'un, 
Nicolas  Vauquelin  des  Yveteaux,  qui  fut  précepteur 
de  Louis  xiii,  est  aujourd'hui  bien  plus  connu  que 
son  père. 


SATIRE. 

A    J.    A.    DE    BAÏF. 

Si  pour  avoir  tu  suis  la  poésie, 
Et  si  tu  l'as  pour  le  profit  choisie. 
Docte  Baïf,  à  vivre  tu  n'entens. 
Et  tu  ferois  juger  avec  le  teins 
L'opinion  dont  la  Muse  te  lie, 
N'être  à  la  fin  qu'une  pure  folie; 
Car  qui  seroit  de  sottise  si  plein. 
Qui  ne  sauroit  qu'on  a  besoin  de  pain? 
A  la  catin  le  poète  est  semblable; 
Belle  au  matin,  le  soir  peu  désirable. 

Il  fait  beau  voir  un  teint  damoiselet, 
Frais ^  coloré  de  roses  et  de  lait, 
V.  7 


98        JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Et  la  jeunesse  où  la  beauté  repose, 
Comme  au  rosier  la  vermelllette  rose, 
A  qui  l'humeur  au  printems  ne  défaut; 
Mais  quand  sa  fleur  vient  à  sentir  le  chaud, 
Et  puis  le  froid  qui  flétrit  sa  verdure. 
Sans  que  l'humeur  lui  prête  nourriture. 
Elle  devient  sèche  et  très-laide  à  voir. 
Sans  plus  d'honneur  des  hommes  recevoir; 
La  poésie  étant  nécessiteuse. 
Belle  devant,  ainsi  devient  hideuse. 

L'homme  se  fait  pauvrement  immortel 
Quand  il  n'a  point  de  pain  à  son  autel. 
Il  ne  vit  point  de  luths  et  d'épinettes , 
D'odes,  sonnets,  d'amours,  de  chansonnettes: 
Car  entre  nous  ne  vaut  pas  un  liard, 
Le  bon  Virgile,  au  prix  d'être  gaillard 
Comme  Vaumord,  dont  la  fine  ignorance, 
A  vingt  pour  cent,  double  son  abondance. 

J'ai  de  grands  biens,  disoit  le  vieux  Certout: 
Avec  ce  mot  soudain  il  couvroit  tout 
Ce  qu'il  avoit  en  lui  de  vilainie  : 
Quand  on  dit  j'ai ,  toute  la  compagnie 
S'en  éjouit;  mais  quand  on  dit  je  sai, 
Je  suis  savant  et  j'en  ai  fait  l'essai, 
Cela  ne  plaît  :  rêva- t'en  à  l'école, 
De  rien  ne  sert  ta  savante  parole , 
Lui  répond-on  ;  retourne  étudier , 
Ce  que  tu  sais  ne  vaut  pas  un  denier. 

Les  Muses  sont  filles  de  la  disete. 
Les  vers  leurs  fils,  vrais  pères  de  souffrete; 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.        99 
Et  les  chantant  on  périroit  de  faim , 
Qui  ne  voudroit  leur  apporter  du  pain. 
Tout  son  cœur  met  en  ses  vers  le  poëte; 
Mais  le  richard,  son  ame  plus  parfaite, 
Met  en  son  or;  auprès  duquel  combien 
Pourroit  valoir  des  Muses  tout  le  bien? 
Aux  carrefours  les  Muses  déprisées 
Ne  servent  plus  que  de  folles  risées; 
Et  même  c'est  un  crime  à  l'opulent 
Que  d'être  docte  et  poëte  excellent. 
Oh  !  que  lourdauts  et  que  bêtes  nous  sommes 
De  tant  louer  indignement  les  hommes! 
J'entends  les  grands  qui  pensent  qu'on  leur  doit 
Tous  les  beaux  vers  qu'un  bel  esprit  conçoit. 

Quiconque  écrit  sert  de  fable  et  de  conte 
A  cette  gent  qui  d'écrits  ne  tient  compte; 
Quand  ton  Phœbus  quelqu'un  estimera. 
L'autre  aussitôt,  ami,  te  blâmera; 
Tu  t'éjouis  les  en  oyant  bien  dire, 
Tu  es  marri  quand  quelqu'autre  en  veut  rire  ; 
Si  que  tu  sens,  entre  le  bien  et  mal, 
Un  déplaisir  au  court  plaisir  égal; 
Puis  tu  verras,  si  de  près  tu  regardes. 
Que  ton  honneur  bien  souvent  tu  bazardes 
En  un  sonnet,  en  quelque  bref  discours. 
Que  tu  remplis  de  fadeurs  et  d'amours, 
Même  en  quelque  air,  plein  d'indiscrettes  fiâmes, 
Qu'on  va  chantant  à  l'oreille  des  dames. 
Ha!  j'ai  pitié  de  l'homme  travaillé. 
Ayant  long-tems  à  ses  Muses  veillé. 


loo     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Lorsque  son  œuvre  aux  princes  il  présente , 
Et  qu'on  le  paist  seulement  d'une  attente  ! 
Lui  qui  n'est  point  à  la  fraude  nourri, 
En  se  voyant  d'un  grand  prince  chéri, 
Se  part  de  là  bouffi  d'outre-cuidance. 
D'avoir  chez  lui  la  corne  d'abondance  ; 
Et  par  sur  tous  pense  avoir  le  crédit, 
Ne  sachant  pas  ce  qu'en  arrière  on  dit. 
Et  si  tu  veux  lui  dire  :  Considère 
S'il  n'y  a  rien  en  tes  vers  k  refaire , 
Ceci  n'est  pas ,  ce  me  semble ,  assez  bien  ; 
Incontinent,  sans  te  dire  plus  rien. 
Encontre  toi,  tournant  sa  folle  plume. 
Comme  Archilloc,  sa  fureur  il  allume, 
Ou  t'estimant  être  son  envieux , 
Va  t'assaillir  de  vers  injurieux; 
Car  il  n'est  point  aucun  dessous  la  lune, 
Encor  qu'il  n'ait  chetif  science  aucune , 
Qui  son  esprit  échangeât  à  Platon , 
Et  le  plus  fou  pense  être  un  Salomon. 

O  pauvre  Homère,  6  malheureux  Ovide! 
Dont  l'un  mourut  sur  le  rivage  humide 
De  l'isle  los,  et  l'autre  tristement 
Eut  en  Pologne  un  glacé  monument  ! 
On  ne  voit  plus  d'hommes  bons  en  ce  monde, 
Qui  vertueux  et  de  nature  ronde. 
Avec  l'effet  arrachent  la  vertu 
Des  vieux  haillons,  dont  le  docte  est  vêtu. 

De  peu  de  cas  les  poètes  se  paissent; 
Mais  les  larrons  abondamment  s'engraissent 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      lOl 
De  bons  chapons,  de  perdrix,  de  faisans. 
Et  sur  leur  table  ayant  tous  mets  plaisans, 
Ils  ont  encor  souvent  chez  eux  plantée , 
Comme  en  trophé',  la  corne  d'Amaltée: 
"Vautours  goulus,  non  jamais  assouvis 
De  tant  de  biens  qu'au  peuple  ils  ont  ravis  ; 
Et  va  pressant  leur  griffe  déloyale 
Le  suc  coulant  de  l'éponge  royale. 

A  dire  vrai,  que  sert,  disent-ils,  l'art 
Que  des  premiers  a  ramené  Ronsart, 
Et  toi,  Baïf,  et  la  belle  cohorte. 
Ayant  depuis  écrit  en  mainte  sorte? 
Et  que  sert -il  qu'ore  notre  françois 
Egalé  soit  au  Romain  et  Grégeois  ? 
Qu'importe  encor  que  ta  belle  Francine 
Ait  emporté  la  couronne  myrtine 
Par  dessus  Laure  ?  et  qu'on  voit  tous  les  jours 
Etre  imprimés  nouveaux  sonnets  d'amours  ? 
Puisqu'il  n'est  point  si  petit  secrétaire, 
Qui  des  sonnets  ne  se  môle  de  faire? 
Clercs  de  Palais  en  leurs  bancs  retirés , 
Clercs  de  finance  en  leurs  contoirs  dorés? 
Je  ne  crois  point  qu'on  trouve  de  boutique 
Dedans  Paris  sans  jargon  poétique; 
Et  chaque  dame  a ,  selon  son  humeur, 
Ou  son  bouffon ,  ou  son  petit  rimeur 

On  n'use  point  pour  son  manger  et  boire, 
De  tous  les  chants  des  filles  de  Mémoire 
Ni  d'Apollon ,  lequel  le  plus  souvent 
Ayant  dîné,  ne  soupe  que  de  vent , 


102      JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Puis  en  ce  fait,  ni  d'ode,  ni  de  rime, 
Tant  honnes  soient  on  ne  fait  point  d'estime  : 
Chacun  s'en  mocque,  et  le  riclie  usurier 
Ne  bailleroit  là  dessus  un  denier  : 
Il  faut  porter  une  autre  chose  en  gage; 
Car  on  ne  \ïi  de  vers  ni  de  langage.  ' 
Mais  si  Phœbus  en  Thessale  pasteur, 
N'eût  rien  du  roi  dont  il  fut  serviteur. 
Quand  languissant  en  province  étrangère, 
Il  le  suivoit  conduit  d'amour  légère. 
Qu'espérez-vous  des  princes  d'aujourd'hui. 
Qui  n'êtes  point  dieux  ainsi  comme  lui  ? 

Partant,  Baïf,  il  faut  que  tu  sois  homme; 
Car  maintenant  ou  jamais  je  te  somme 
D'abandonner  les  Muses  et  Phœbus, 
Qui  ne  sont  rien  que  souffreteux  abus^ 
Et  plus  priser,  si  tu  me  voulois  croire, 
L'or  et  l'argent  que  d'avoir  la  victoire 
En  ce  bel  art,  dessus  le  beau  romain. 
Ou  sur  le  grec  te  travailler  en  vain. 
Il  faut  songer  à  tout  ce  qui  profite , 
Sans  mettre  en  jeu  tes  vers  ni  leur  mérite. 
Ains  pense  à  toi  :  du  tiens  sois  défendeur 
Et  de  l'autrui  prodigue  dépendeur. 
Je  veux  encor  que  tu  sois  prompt  à  prendre 
Et  bien  tardif  quand  H  te  faudra  rendre  ; 
Grand  prometteur  et  bailleur  de  beaux  jours, 
Aux  longs  délais  ayant  ton  seul  recours. 

■  Je  vis  de  LonDC  soupe  et  non  de  beau  langage , 
dit  le  bon  homme  Chrisale  dans  les  Femmes  savantes  de  Molière. 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.       1  o3 
L'homme  s'abuse  aux  promesses  vanteuses , 
Comme  l'enfant  aux  paroles  menteuses. 
Et  fais  surtout ,  en  cour,  de  l'empcché  ; 
Tantôt  du  gai,  puis  tantôt  du  fâché 
De  ne  pouvoir  parfaire  un  grand  négoce 
Pour  un  seigneur  d'Angleterre  ou  d'Ecosse. 

Les  grands  prélats  il  te  faut  pratiquer; 
Tu  gagneras  un  monde,  à  trafiquer 
Des  biens  de  Dieu  :  l'on  en  fait  marchandise  ; 
Non  seulement  entre  les  gens  d'Eglise, 
Mais  le  seigneur,  le  brave  chevalier, 
Pour  maintenir  l'honneur  de  son  colier, 
Ou  pour  gagner  le  marchand,  en  trafique. 
Comme  il  feroit  du  drap  de  sa  boutique. 
Pour  en  avoir  tu  dois  mettre  en  avant 
Tout  ton  esprit ,  si  tu  veux  que  savant 
Chacun  te  tienne,  et  n'être  comme  une  ombre 
Qui  ne  sert  plus  au  monde  que  de  nombre. 
Et  si  tu  veux  de  l'argent  emprunter. 
Courtoisement  apprends  à  bonneter; 
Et  s'il  te  faut  éviter  un  dommage , 
Ou  bien  un  coup  faire  à  ton  avantage. 
Fais  pour  un  cinq  un  sept  à  tout  besoin  ; 
Mais  s'il  te  faut  reculer  au  plus  loin 
Ton  créancier,  fais  par  dol  qu'il  attende 
Trente  ans  et  plus  la  dette  qu'il  demande. 
Parle  toujours  de  ce  que  moins  tu  sais  : 
Fais  semblant  d'être  un  Barthole  en  procès. . 
Et  bien  que  peu  de  dépenses  tu  fasses , 
Et  que  du  soir  le  reste  tu  gardasses 


lo4     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Pour  le  matin,  pourtant  feindre  il  te  faut 
Que  tu  mangeasse  et  perdrix  et  levraut, 
Et  que  souvent  tu  changes  de  viande , 
Etant  un  peu  de  nature  friande. 

Sois  charlatan,  cauteleux  et  mattois , 
Change  souvent  de  langage  et  de  voix , 
Et  tu  vivras  comme  on  vit  à  cette  heure , 
Sinon  toujours  pauvre  et  savant  demeure. 
Tâche  en  un  mot  d'avoir,  par  tous  moyens 
Que  tu  pourras,  richesses  et  moyens; 
Puisque  tu  vois  que  l'or  et  la  richesse 
Tiennent  toujours  nos  cœurs  en  allégresse; 
Que  l'or  fait  taire  un  malin  envieux. 
Et  qu'un  savant  sans  biens  est  odieux; 
Lors  tu  auras  une  Muse  parfaite, 
Qui  te  fera  philosophe  ou  poëte,. 
Et  plus  ton  bien  t'aquerra  de  savoir, 
Que  toi  savant  n'en  sus  jamais  avoir. 

ÉPIGRAMME. 

DE    T.' OR. 

Jadis  Epicarme  chantoit 

Qu'un  dieu  le  beau  soleil  étoit; 

Que  l'eau,  les  vents,  l'air  et  la  terre, 

Et  tous  les  astres  radieux 

Etoient  pareillement  des  dieux , 

Comme  l'éclair  et  le  tonnerre. 

Mais  Menandre  estime  en  ses  vers 
Que  les  grands  dieux  de  l'univers , 


JEAN  VAUQEELIN  DE  LA  FRESNAYE.      io5 
Les  plus  beaux  et  les  plus  utiles, 
Ce  sont  de  belles  pièces  d'or, 
Et  d'argent  la  monnoie  encor. 
Faisant  toutes  choses  faciles  ; 

Car  si-tot  que  tu  les  as  mis 
En  ta  maison  pour  vrais  amis, 
Tout  ce  que  tu  voudras  souhaite; 
Champs,  juges,  témoins,  avocats, 
Tout  sera  tien.  Tes  beaux  ducats 
Sont  dieux  enclos  en  ta  bougette  ; 

Dieux  qui  te  donnent  des  châteaux. 
D'argent  et  d'or  meubles  nouveaux. 
Et  chacun  ses  présens  leur  offre  : 
Qui  les  a  toutes  choses  peut  ; 
Car  il  tient  tout  ainsi  qu'il  veut 
Jupiter  enclos  en  son  coffre. 


SATIRE. 

A  JEAN  DE  MOREIi,  CHEVALIER,  etc.,  VICOMTE  DE  FALAISE. 

Le  mois  qui  porte  encor  jusqu'à  cet  âge 
Du  nom  d'Auguste,  auguste  témoignage, 
Est  le  septième  à  cette  heure  depuis 
Que  je  parti  tout  morne  et  plein  d'ennuis, 
Pour  m'en  venir  dedans  cette  province , 
Où,  exerçant  la  justice  du  prince. 
J'ai  grand  regret,  plein  d'affaires  et  d'ans, 
De  n'offrir  plus  aux  Muses  mon  encens. 


io6     .7EA.N  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
De  ce  travers  moi-même  je  me  blâme, 
Et  mon  erreur  je  confesse  en  mon  ame , 
Et  peu  me  sert  encore  de  la  voir, 
Si  je  ne  cède  aux  loix  de  mon  devoir. 
Toi  plus  discret ,  qui  conduis  et  qui  menés 
Plus  sagement  les  affections  vaines, 
Affections  qu'avec  si  fermes  doux, 
Dès  le  berceau,  nature  attaclie  en  nous. 
Corrige-moi  :  docile  je  sçai  prendre 
De  bonne  part  ce  qu'on  me  fait  entendre. 
Mais  je  ne  puis  le  prendre  doucement. 
D'un  qui  devroit  se  corriger  avant. 

Je  ne  bas  point;  personne  je  ne  tue; 
De  faire  bien  à  tous  je  m'évertue; 
Qui  me  fait  mal  est  bien  souvent  témoin 
Que  patient  je  m'en  retire  au  loin. 
Et  toutefois  je  ne  veux  entreprendre 
De  vouloir  dire  ou  bien  vouloir  défendre 
Que  mon  erreur  ne  soit  erreur  pourtant; 
Mais  je  dirai  que  je  n'en  ai  pas  tant, 
Qu'à  plus  grand  mal  le  peuple  ne  pardonne, 
Quand  de  vertu  le  nom  au  vice  il  donne. 

Le  sieur  d'Ambrun ,  plein  d'un  cœur  dévorant 
D'aller  des  biens  en  tous  lieux  acquérant. 
N'aime  son  fils,  son  frère  ni  soi-même, 
Si  fort  il  brûle  en  ce  désir  extrême; 
Et  néanmoins  bomme  bien  renommé, 
Homme  d'esprit  de  tous  il  est  nommé, 
Homme  d'honneur,  de  valeur,  de  science, 
Et,  qui  plus  est,  de  bonne  conscience. 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      107 
Le  sieur  d'Auly,  qui  fut  fait  chevalier 
Avant  que  d'être  à  grand  peine  écuyer, 
Brillant  ne  voit  que  le  monde  qui  brille, 
Et  s'ouhliant  dédaigne  sa  famille; 
Il  hait  son  nom;  il  veut,  voluptueux, 
Passer  les  grands  en  habits  somptueux; 
Il  ne  dit  rien  qu'en  mots  de  seigneurie, 
Et  son  étable  il  appelle  écurie  ; 
Il  veut  avoir  un  friand  cuisinier. 
Maître  d'hôtel,  dépensier,  aumônier. 
Et  quand  on  veut  lui  faire  un  grand  service, 
Il  faut  nommer  sa  dépense  l'office. 
Il  veut  avoir  des  chiens  et  des  oiseaux. 
Et  veut  bâtir  sur  des  dessins  nouveaux; 
Tous  ses  chevaux  ne  sont  que  de  manège, 
Et  tous  les  jours  ses  rentes  il  abrège  ; 
Car  sur  le  dos  il  porte  son  moulin. 
Teint  d'écarlate  aux  eaux  de  Gobelin. 
Tantôt  il  vend  la  grande  métairie, 
Et  puis  demain  l'herbage  ou  la  prairie. 
Comme  un  limas  en  la  belle  saison 
Portant  sur  lui  son  fardeau ,  sa  maison. 
De  mises  plus  il  a  que  de  recettes , 
Et  ses  habits  lardés  de  vieilles  dettes. 
Ce  qu'en  long-temps  son  père  et  ses  ayeux 
Avoient  acquis  d'un  labeur  soucieux , 
A  pleines  mains  à  l'abandon  il  jette , 
Non  peu  à  peu ,  la  vie  étant  sujette 
A  tant  de  maux,  trop  jeune  il  n'apperçoit 
Qu'on  vit  souvent  bien  plus  qu'on  ne  pensoit. 


o8     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 

D'Arsin  d'ailleurs  tant  de  charges  a  prises , 
Et  tous  les  jours  mené  tant  d'entreprises  , 
Qu'un  grand  mulet,  qu'un  sommier  le  plus  fort, 
Suivant  la  cour  en  seroit  déjà  mort; 
Or'  tu  le  vois  à  la  chancelerie, 
Or',  près  d'un  grand  en  quelque  galerie, 
Aux  intendans  des  finances  aller. 
En  un  clin-d'œil  de-là  les  ponts  voler. 
Et  puis  au  Louvre  oii  toujours  il  trafique  ; 
Et  nuit  et  jour  le  cerveau  s'alambique 
Comme  il  pourra  rechercher  les  moyens 
En  surpassant  tous  les  Italiens, 
Ou  d'augmenter  le  parti  des  gabelles , 
Ou  de  trouver  des  recettes  nouvelles  : 
Disant  à  tous  que  la  nécessité 
Force  les  loix  de  notre  honnêteté. 
Au  cabinet  d'un  prince  il  en  devise , 
Et  des  moyens  d'autrui  fait  marchandise. 
Haï  du  peuple ,  on  le  suit  toutefois , 
Comme  chéri  des  princes  et  des  rois; 
Le  gentilhomme  et  le  pauvre  en  leur  perte 
Ne  vont  à  lui  qu'à  tête  découverte. 

Le  sieur  d'Armont,  au  bonheur  arrivé. 
Du  bien  public  a  fait  son  bien  privé; 
Regnard,  son  fait  près  des  grands  il  commence , 
Et  puis  Lyon,  à  force  ouverte  avance 
Ses  beaux  desseins;  toujours  montant  plus  haut 
Ne  trouve  rien ,  ni  trop  froid ,  ni  trop  chaud. 
Il  s'est  acquis  le  nom  de  caut  et  sage , 
Pour  avoir  fait  aux  gens  de  bien  outrage , 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      109 
Et  pour  avoir  les  médians  élevez , 
En  la  boisson  des  vices  abreuvez. 
Sa  faute  ailleurs  n'est  pourtant  apperçue  ; 
Ce  peuple  enfin,  dont  si  trouble  est  la  vue, 
Un  noir  corbeau  blanc  cygne  appellera, 
Et  le  blanc  cygne  un  corbeau  nommera  ; 
Et  s'il  savoit  mon  amour  pour  la  rime, 
Juge  sévère  il  m'en  feroit  un  crime. 

Or  que  chacun  blâme  ou  loue  à  plaisir 
Ce  goût  des  vers  qui  vient  me  ressaisir, 
O  cher  cousin,  en  somme  je  confesse 
Qu'ici  je  perds  le  chant  et  la  liesse , 
Et  que  voici  le  premier  vers  chanté 
Depuis  que  j'ai  perdu  la  liberté. 

Je  pourrai  bien  alléguer  davantage 
D'autres  raisons  qui  m'ètent  le  courage.^ 
Quand  ma  Fresnaye  autrefois  j'ai  chanté 
Par  plusieurs  vers  qui  vaincront  le  Lé  thé, 
J'étois  alors  eu  ma  fleur  avrilliere , 
Au  mai  plaisant  de  ma  saison  première. 
Et  je  passe  or'  non-seulement  mon  juin, 
Ains,  j'entre  au  mois  où  l'on  cueille  le  vin. 

Mais  ni  les  eaux,  ni  la  terre  sacrée 
Ou  de  Libette,  ou  Permesse  ou  d'Ascrée, 
Ne  peuvent  pas  me  faire  écrire  mieux 
Que  je  n'écris,  sans  un  cœur  plus  joyeux. 
Ce  m'est  honneur,  en  la  balance  égale, 
Faire  honorer  la  majesté  royale; 
Mais  on  ne  voit  mille  soucis  mordans. 
Qui  nuit  et  jour  me  rongent  au-dedaus. 


Iio     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Au  ménétrier  je  suis  presque  semblable, 
Lequel  on  trouve  aux  festins  agréable, 
Et  qu'on  estime  autant  se  réjouir 
A  bien  sonner,  comme  on  fait  à  l'ouïr. 

Si  je  prens  l'air  aux  cbamps  ou  en  la  rue, 
Je  suis  suivi  d'une  épaisse  cohue 
De  gens  grondans  :  si  je  veux  reposer, 
Soudain  il  faut  procès  verbaliser. 
Soit  d'une  vue  ou  soit  sur  une  enquête , 
Ou  soit  pour  rendre  une  dépêche  prête; 
Importuné  d'écrire  au  Parlement, 
De  confronter,  faire  un  récolement, 
Puis  aussitôt  entendre  à  la  police. 
Penserois-tu ,  faisant  cet  exercice, 
Que  de  sa  Delphe  Apollon  s'éloignât, 
Et  les  beaux  lieux  de  Cynthe  abandonnât 
Pour  venir  voir  des  procès  les  tempêtes, 
Les  procureurs,  les  sergens  trouble-fêtes. 
Qui  de  tabuts  remplissent  nos  palais. 
Lui  qui  sans  plus  ne  cherche  que  la  paix? 

Tu  pourras  donc,  cousin  Morel,  me  dire 
Pourquoi  ce  fût  que  je  voulus  élire 
Cette  grand'  charge,  et  les  Muses  laisser 
Pour  de  justice  aller  m'embarrasser. 
C'est  qu'en  ce  point,  ami,  tu  me  vois  être 
Tel  que  ceux-là  qui,  sans  trop  se  connoître. 
Juges  se  font;  puis  faut  qu'avec  ennui 
Ils  jugent  tout  par  la  bouche  d'autrui, 
N'avisant  pas  que  d'argent  la  grand'  somme 
Fait  l'officier  et  non  pas  l'habile  homme  : 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNATE.      1 1 1 
Et  toutefois  souvent  sans  nul  égard, 
Les  moins  prudens  en  courent  le  hasard. 

De  moi  je  suis  à  ce  coq  tout  semblable, 
Qui  rencontra  la  perle  sous  la  table, 
Et  n'en  tint  compte;  ou  mauvais  écuyer. 
Je  m'accompare  à  ce  bon  chevalier 
Vénitien,  auquel  en  Allemagne 
Fut  fait  présent  d'un  beau  genêt  d'Espagne 
Par  Charles  Quint;  et  pour  montrer  l'honneur 
Qu'il  recevoit  d'un  si  brave  donneur, 
Monta  bientôt  ce  cheval  d'excellence , 
Ne  jugeant  pas  qu'il  y  a  différence 
A  se  servir  de  bride  et  d'éperon , 
Comme  à  s'aider  de  rame  et  d'aviron, 
Qui  le  sentant  lors  à  sauter  commence; 
Lui  de  sa  part  serre  contre  la  pance 
Les  espérons,  disant  je  ne  veux  pas 
Que  d'ici  haut  tu  me  jettes  en  bas. 

Le  gai  genêt,  sentant  la  main  farouche 
Du  bon  nocher  qui  lui  presse  la  bouche. 
Et  l'éperon  qui  lui  serre  le  flanc , 
Tant  que  par-tout  en  découle  le  sang. 
Ne  sait  comment  obéir  ni  que  faire. 
Etant  poussé  d'une  force  contraire , 
Du  frein  lequel  le  tire  par  devant 
De  l'éperon  qui  le  chasse  en  avant; 
Quand  par  hasard  le  cheval  se  débride. 
En  peu  de  sauts  la  selle  reste  vuide , 
Jettant  par  terre  étendu  rudement 
Le  chevalier  sans  poulx  ni  mouvement. 


1 1 2      JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Qui  fut  long-tems  sans  r'avoir  sa  parole. 
Il  estimoit,  maniant  la  gondole, 
Qu'il  maniroit  aussi  bien  le  genêt. 
Enfin  rompu,  tout  poudreux  et  mal  net, 
Il  se  relevé,  étant  plein  de  furie. 
D'avoir  reçu  si  grande  mocquerie  ; 
Et  se  tenoit,  quand  il  y  eut  pensé, 
De  l'empereur  fort  mal  récompensé. 
Long-tems  après  il  s'en  plaignoit  encore  ; 
Depuis  prudent ,  davantage  il  honore 
Les  belles  nefs  qu'un  cheval  furieux. 
H  eut  mieux  fait,  et  moi  j'eusse  fait  mieux, 
Lui  du  genêt,  et  moi  de  la  province 
Le  très-grand  bien,  si  en  parlant  du  prince 
J'avois  alors  sagement  répondu  : 
O  mon  grand  roi,  ce  don  ne  m'est  point  dû; 
Un  autre  aura  cet  office  agréable , 
Qui  plus  que  moi  s'en  connoîtra  capable. 


SATIRE. 

A  M.  DE  REPICHON  ,  TRÉSORIER  GENERAL  DE  FRANCE 
A  CAEN. 

Repichon  ,  qui  plutôt  desires  en  ton  cœur 
Les  fruits  de  l'olivier,  que  du  laurier  vainqueur; 
Fuyant  les  passions,  tu  montres,  pacifique. 
Un  exemple  nouveau  de  la  prudence  antique. 
Crois  si  chacun  voyoit  des  yeux  de  vérité 
Comme  du  monde  est  grande  ici  la  vanité, 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      Il3 

Nous  n'aurions  tant  de  maux,  tant  d'ennuis,  tant  de  peines . 
Que  nous  prenons  en  vain  pour  les  choses  mondaines  : 
Car,  prenant  comme  un  jeu  tout  ce  qui  s'offre  à  nous, 
Ni  du  peu  ni  du  trop  nous  n'aurions  de  courroux. 

Bienheureux  est  cehii  qui ,  bien  loin  du  vulgaire , 
Vit  en  quelque  rivage  éloigné,  solitaire, 
Hors  des  grandes  cités,  sans  bruit  et  sans  procès  , 
Et  qui ,  content  du  sien ,  ne  fait  aucun  excès  : 
Qui  voit  de  son  château,  de  sa  maison  plaisante. 
Un  haut  bois ,  une  prée  ,  un  parc  qui  le  contente  ; 
Qui,  joyeux,  fuit  le  chaud  aux  ombrages  divers. 
Corrigeant  par  le  feu  le  froid  des  longs  hyvers  ! 
Il  prend  son  passetems  de  voir  dedans  les  villes , 
Tant  d'hommes  convoiteux,  tant  de  troupes  serviles, 
Courre  aux  biens,  aux  profits,  aux  états,  aux  honneurs. 
Pour  aller  faire  après  les  grands  et  les  seigneurs. 

Il  ne  voit  près  de  lui  l'horreur  des  grands  armées , 
N'entend  point  la  rumeur  des  troupes  affamées, 
Qui  mangent  la  substance  au  pauvre  villageois , 
Qui  rançonnent  la  ferme  et  les  biens  du  bourgeois. 
Le  jour  il  ne  craint  point,  et  dans  sa  maison  belle, 
On  ne  pose  la  nuit  garde  ni  sentinelle. 
Il  n'est  point  désireux  de  hausser  son  renom 
Plus  haut  qu'entre  les  siens  avoir  toujours  bon  nom  : 
Entre  ses  bas  vallons  ,  sa  basse  renommée , 
Sans  autre  ambition,  se  tient  close  et  fermée. 
H  va  se  reposer  dessous  l'ombrage  épais 
D'un  grand  hêtre  feuillu  ,  pour  prendre  un  peu  le  frais; 
Il  oit  dans  les  forets  des  vents  un  doux  murmure , 
Qui  semble  caqueter  avecque  la  verdure  ; 
V.  S 


I  1 4      JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
li  oit  le  gazouillis  de  cent  mille  ruisseaux, 
Dont  les  Naïades  font  parler  les  claires  eaux;  • 

II  oit  mille  oisillons  qui  sans  cesse  jargonnent, 
Et  les  gais  rossignols  qui  par  dessus  fredonnent  ; 
Il  oit  un  escadron ,  un  essain  bourdonnant 
D'avettes ,  qui  là  vont  un  grand  bruit  démenant. 

Un  autre  jour  après  ,  il  fait  planter  la  vigne  ; 
Un  autre ,  fossoyer  les  beaux  parcs  à  la  ligne  ; 
Il  plante  le  sapin  aux  vergers  ombrageux, 
Les  saules  et  Tosier  aux  lieux  marécageux. 
Puis  il  cueille  la  prune  et  noire  et  violette , 
L'abricot  savoureux ,  la  cerise  rougette  ; 
Et  quand  Tété  brûlant  par  une  forte  ardeur , 
Du  feuillage  et  des  prés  a  flétri  la  verdeur, 
Avecque  ses  raisins  il  fait  cueillir  ses  pommes  , 
La  poire  que  Pomone  aussi  départ  aux  hommes. 
Oh!  qu'il  est  en  son  cœur  content  et  satisfait, 
Quand  il  tient  un  beau  fruit  du  fruitier  qu'il  a  fait  ; 
Quand  il  tient  une  grappe  en  sa  vigne  choisie , 
Dont  la  couleur  combat  avec  la  cramoisie  ! 
Jamais  il  ne  se  fâche  ;  il  est  paisible  et  doux , 
A  moins  qu'un  mouton  gras  ne  lui  mangent  les  loups  ; 
Car  alors  il  leur  fait  la  chasse  et  la  huée. 
Un  grand  peuple  il  assemble,  une  louve  est  tuée. 
On  en  porte  la  hure  après  par  les  hameaux  ; 
On  reçoit  des  présens  des  riches  pastoureaux. 

Il  ne  craint  jamais  faire  en  la  mer  de  naufrage: 
Il  se  rit  de  celui  qui  risque  à  son  dommage; 
Cette  infidelle  roue,  où  chacun  à  son  tour. 
Tantôt  haut,  tantôt  bas,  va  tournant  à  i'entour, 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      1 1  5 
Ne  le  tourmente  point  ;  et  sans  être  haussée , 
On  né  voit  pas  du  moins  sa  fortune  abaissée. 

Après,  quand  l'hyver  vient,  il  assaut  les  oiseaux, 
Avec  glus,  avec  rets,  avec  mille  arts  nouveaux: 
Comme  il  a  pris,  l'été,  la  caille  à  la  tirace , 
Il  prend  à  la  passée  en  hy ver  la  bécace  ; 
Aux  sources,  aux  étangs  de  tout  son  environ  , 
Il  tire  chevalant  au  canard ,  au  héron , 
Au  friand  butoreau,  qui,  surpris  par  sa  ruse, 
Ne  se  peut  garantir  de  la  prompte  arquebuse. 
Il  a  ses  chiens  courants,  qui,  beaux,  sont  blancs  et  gris. 
Par  qui,  malgré  sa  course ,  un  lièvre  est  toujours  pris, 
Et  les  cerfs  dégourdis  viandant  es  gaignages. 
Surpris  le  plus  souvent  demeurent  pour  les  gages. 
Il  fait  la  chasse  aux  dains,  il  la  fait  aux  sangliers. 
Qu'il  enserre  acculés  par  ses  plus  forts  lévriers. 
Une  autrefois  il  prend  grand  plaisir  à  la  pêche  ; 
Il  cherche  les  refonds ,  toutes  gens  il  empêche  ; 
Avecque  le  tramail,  la  nasse,  le  vervain  , 
La  ligne  ,  l'hameçon  et  l'épervier  soudain  , 
Il  prend  le  grand  brochet ,  la  truite  saumoniere , 
La  carpe ,  le  saumon ,  l'alose  marinière. 

Au  soir,  à  son  retour,  il  conte  à  la  maison. 
Quelle  peine  il  a  pris  après  sa  venaison, 
Qu'il  met  lors  sur  la  table,  et  prend  une  grand'  gloire 
De  montrer  le  beau  fruit  de  sa  belle  victoire  ; 
Sa  femme  l'accolant  l'admire  et  le  chérit  ; 
Tous  les  siens  en  ont  joie,  et  le  ciel  même  en  rit. 

Eh  !  qui  pourroit  penser  qu'une  infidelle  flamme 
Pût  embraser  le  cœur  d'une  gentille  dame 


Ii6      JEA.N  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 

En  ces  champêtres  lieux,  quand,  sans  aucun  loisir, 

Elle  prend  seulement  au  ménage  plaisir  ; 

A  nourrir  ses  enfants,  de  qui  la  petitesse, 

Par  mille  passetems  la  tient  en  allégresse; 

Et  pour  avoir  le  soin  de  toute  sa  maison , 

Où  les  biens  abondants  sont  en  toute  saison  ? 

Bien  que  peinte  ne  soit  sa  foce  naturelle, 

De  vermillon  d'Espagne ,  elle  n'est  pas  moins  belle  : 

Car  le  joyeux  travail,  qu'au  ménage  elle  prend. 

Toujours  belle,  vermeille  et  joyeuse  la  rend. 

O  dame  bienheureuse  au  ménage  empêchée , 

Qui  d'un  amour  de  cour  n'es  jamais  débauchée! 

Tel  mari  de  sa  femme  est  toujours  bien  traité, 
Trouvant  fort  à  propos  son  manger  aprêté 
Par  un  net  cuisinier,  qui,  hors  de  la  cuisine, 
Avec  le  jardinier  le  plus  souvent  jardine. 
Il  boit  de  meilleur  vin,  qui  par  le  bon  salé, 
A  reboire  d'autant  est  souvent  rappelle. 
On  prend  en  son  paillier  les  mets  dont  on  le  traite  ; 
On  prend  de  son  gibier,  si  que  rien  on  n'acheté; 
Il  a  bonne  garenne  et  fertile  verger  ; 
Il  a  bon  colombier,  bon  jardin  potager. 
Hé  !  qui  vivroit  ainsi,  voudroit-il  les  viandes. 
Les  mets  délicieux  des  tables  plus  friandes. 
Pour  être  fait  esclave  aux  superbes  palais 
Des  rois ,  où  les  seigneurs  ne  sont  que  des  valets  ? 

Oh  !  qu'il  a  d'aise  à  voir  revenir  pêle-mêle 
Les  vaches ,  les  taureaux  et  le  troupeau  qui  bêle  , 
Les  aumailles  marcher  lentement  pas  à  pas. 
Et  puis  d'autre  côté  galoper  le  haras , 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.       1 1 7 
Et  voir  les  bœufs  ayant  achevé  leur  journée , 
Ramener  leur  charrue  à  l'envers  retournée! 

Par  un  seigneur  de  cour  tel  propos  fut  conté. 
On  eût  dit  que  son  prince  il  eût  du  tout  quitté , 
Etant  hors  de  faveur,  pour  vivre  et  pour  se  plaire 
En  ses  maisons  des  champs ,  champêtre  et  solitaire  : 
Car  tout  son  train  s'étoit  à  son  vouloir  rangé , 
Et  son  vivre  civil  en  rustique  changé. 
Il  ne  blâmoit  rien  tant  que  la  cour  et  le  vice, 
Les  impôts,  les  partis,  des  contans  l'artifice. 
Mais  ayant  regagné  de  son  roi  la  faveur, 
Il  estima  plus  grand  le  gain  et  le  bonheur 
De  lui  faire  service  et  commander  en  France 
A  ceux  qui  manioient  l'argent  et  la  finance, 
Et  profits  à  monceaax  sur  profits  amasser, 
Que  de  vivre  au  village  et  aux  forêts  chasser. 


LA   BELETTE. 

FABLE.  ' 


Il  advint  d'aventure  un  jour  qu'une  belette , 
De  faim,  de  pauvreté,  gresle ,  maigre  et  défaite, 
Passa  par  un  pertuis  dans  un  grenier  à  blé  , 
Ou  fut  un  grand  monceau  de  froment  assemblé, 
Dont  gloute  elle  mangea  par  si  grande  abondance, 
Que  comme  un  gros  tambour  s'enfla  sa  grosse  pance , 
Mais  voulant  repasser  par  le  pertuis  étroit. 
Trop  pleine  elle  fut  prise  en  ce  petit  détroit. 

'  La  Belette  entrée  dans  un  grenier.  La  Fontaine ,  Liv.  m,  Fab.  17. 


1 1 8     JEAN  VAUQUELIN  DE  lA  FRESNAYE. 
Un  compère  le  rat  lors  lui  dit  :  O  commère  ! 
Si  tu  veux  resortir,  un  long  jeûne  il  faut  faire; 
Que  ton  ventre  appétisse,  il  faut  avoir  loisir, 
Ou  bien  en  vomissant  perdre  le  grand  plaisir 
Que  tu  pris  en  mangeant,  tant  que  ton  ventre  avide, 
Comme  vuide  il  entra ,  qu'il  s'en  retourne  vuide. 
Autrement  par  le  trou  tu  ne  repasseras; 
Puis  au  danger  des  coups  tu  nous  demeureras. 


EPITAPHE. 

L'Aretin  repose  en  ce  lieu. 
Qui  de  tout  médit ,  fors  de  Dieu  : 
Car  l'Aretin  ne  médisoit 
Que  de  cela  qu'il  connoissoit: 
Dieu  ne  connoissant  en  nul  point, 
L'Aretin  n'en  médisoit  point. 


EPITAPHE  DE  JAC.  TAHUREAU, 

ÉCUYER  ,  SIEUR  DE  LA  CHEVALERIE. 

Mon  Taliureau  mignardelet, 
La  Parque  ,  fatale  déesse , 
Rompit  de  tes  ans  le  fdet 
Au  bel  été  de  ta  jeunesse, 
Sachant  que  toujours  tu  vivrois, 
Et  que  jamais  tu  ne  mourrois , 
Si  tu  parvenois  en  vieillesse. 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      I  H) 


ÉPITAPHE  DE  P.  DE  RONSARD. 

Ronsard,  Tours  te  bâtit  fidelle 
Un  tombeau  :  sais-tu  bien  pourquoi  ? 
Afin  que  tu  vives  par  elle , 
Et  qu'elle  vive  aussi  par  toi. 


EPIGRAMME. 

DE    LA    VARIÉTÉ    DE    FORTUNE. 

Celui  qui  pauvre  s'alloit  pendre, 
Trouve  un  trésor  dans  un  poteau  : 
Pour  le  trésor  qu'il  alla  prendre, 
Il  laissa  là  son  vil  cordeau. 

Mais  celui  qui  riche  avoit  mise 
Sa  pécune  au  poteau  fendu  , 
A  du  pauvre  la  corde  prise , 
Et ,  misérable  ,  s'est  pendu. 

SATIRE. 

A  JEROME  VAUQUELIN,  SIEUR  DE  MÉHEUDIN,  LORS  CONSEILLER, 
DU  ROI  AU  PARLEMENT  DE  ROUEN  ,  ET  DEPUIS  AVOCAT- 
GÉNÉRAL. 

QuA-ND  je  pense  comment  le  tems  ailé  s'enfuit, 
Combien  en  s'envolant  sa  faulx  qui  nous  poursuit. 
Sait  accourcir  nos  jours ,  je  déplore  sans  cesse 
De  cet  être  mortel  la  fâcheuse  détresse. 


I20     JEAN  VAFQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 

L'homme  est  bien  insensé  qui  se  flatte  et  déçoit 
Pour  être  jeune  et  fort ,  et  tandis  n'apperçoit 
La  mort  à  son  talon  ;  j'ai  vu  porter  en  bière 
La  fdle  pensant  être  à  sa  mère  héritière  ; 
Le  jeune  aller  devant  son  grand-perc  chenu, 
Dont  en  herbe  il  tondoit  déjà  le  revenu. 
La  mort  commune  à  tous,  sans  fard  ni  tromperie, 
Tient,  ainsi  comme  aux  rois  ,  au  peuple  hôtellerie  : 
Chacun,  comme  il  arrive,  est  assis  en  honneur, 
Et  le  moindre  souvent  au  dessus  du  seigneur. 

Tandis  que  nous  vivons,  ébattons-nous  ensemble, 
Ce  peu  que  nous  avons ,  que  beaucoup  il  nous  semble; 
N'ayons  plus  désormais  de  désir  sans  raison  ; 
Et  si  pleine  d'argent  n'est  point  notre  maison. 
Et  si  nous  n'avons  point  un  grand  nombre  d'herbages, 
De  prés,  de  bois,  forêts,  campagnes,  pâturages. 
Et  là  mille  haras  ,  mille  troupeaux  bêlants. 
Taureaux  et  bœufs  membrus  ,  et  genissons  beulans, 
Des  châteaux,  des  comtés,  des  bourgs,  desbaronnies. 
Des  fiefs,  des  marquisats,  duchés,  châtellenies, 
Si  nous  sommes  contens  de  ce  que  nous  avons , 
Plus  heureux  mille  fois  que  les  rois  nous  vivons. 

Toutes  les  cours  des  rois  d'ennuis  sont  toutes  pleines, 
De  trahisons,  de  soins  et  d'ambitions  vaines; 
N'aimant  point  le  repos  des  Muses  souhaité. 
Ni  d'un  esprit  gentil  la  douce  liberté. 
Ah!  que  plutôt  cherchant  les  ombres  écartées, 
Au  chant  des  rossignols  y  passant  les  nuitées , 
Seul  j'aimerois  bien  mieux  librement  vivoter, 
Que  les  grandes  maisons  en  bombance  habiter! 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      121 
Oh  !  qu'il  vaudroit  bien  mieux  avec  sa  pastourelle 
Qui  n'a  pour  se  parer  que  la  fleur  la  plus  belle, 
Pasteur  auprès  des  bois ,  ne  vivre  que  de  fruits , 
Qu'être  en  grande  maison  accompagné  d'ennuis. 
Et  se  voir  appipé  d'une  langue  flatteuse. 
Qui  (loulîle  nous  déçoit  par  sa  voix  cauteleuse  ! 
Toujours  autour  des  grands  bouffons  et  flagorneurs 
Couvrent  leurs  cœurs  masqués  de  mille  faux  honneurs  ; 
Adorant  seulement  l'homme  à  l'heure  présente, 
Le  quittant  si  de  lui  la  fortune  s'absente. 

Libres  de  tous  ennuis ,  joyeux  doncque  vivons , 
Et  par  fois  les  ébats  des  doctes  sœurs  suivons; 
Et  dans  la  joie  enfin  de  prudence  suivie , 
Laissons,  si  nous  pouvons,  écouler  notre  vie. 
Las  !  comme  on  ne  voit  pas ,  après  un  rude  hiver, 
(Mais  présente  on  la  voit)  l'hyrondelle  arriver, 
On  ne  voit  point  venir  la  vieillesse  chenue  : 
Mais  on  est  ébahi  qu'on  la  trouve  venue , 
Et  que ,  sans  y  penser ,  on  voit  d'un  œil  marri , 
Déjà  de  tous  côtés ,  son  chef  être  fleuri. 
Obéissons  au  sort ,  laissant  en  terre  étrange 
Les  avares  voguer  des  Gaddes  jusqu'au  Gange  : 
Et  souvent  rencontrant  un  naufrageux  écueil , 
Du  ventre  des  poissons  se  bâtir  un  cercueil. 
Fuyons,  cousin,  fuyons  la  convoitise  avare. 
Et  toujours  la  vertu  suivons  comme  un  clair  phare  , 
Qui  rappelle  les  nefs  en  un  tranquille  port  : 
Et  joyeux  cependant,  sans  redouter  la  mort, 
Ni  sans  la  désirer,  ébattons  nous  à  l'aise, 
Quelquefois  es  coteaux  des  roches  de  Falaise , 


19.2     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Quelquefois  à  chasser  le  lièvre  ou  le  coiinin , 
Quelquefois  à  pêcher  en  ton  heau  Méheudin  , 
Quelquefois  à  passer  sous  le  frais  des  ombrages, 
Avec  plaisans  discours,  le  tems  dans  les  bocages 
Ou  soit  de  ton  Perron ,  soit  de  nos  Iveteaux , 
Soit  de  notre  Boissai,  la  maison  des  oiseaux. 
Et  toi  brûlant  encor  de  l'amoureuse  flame 
De  ta  belle ,  gentille  et  vertueuse  femme , 
Tu  te  déroberas  avec  elle  à  l'écart, 
Seulet  pour  la  baiser  en  quelque  coin  à  part , 
Et  dans  le  plus  touffu  d'une  ombre  reculée 
Attiédirez  l'ardeur  que  vous  tiendrez  celée; 
Et  lors  peut-être  oyant  les  ramiers  amoureux 
Roucouler,  se  baiser  bec-à-boc,  deux-à-deux, 
Et  d'un  autre  coté  les  chastes  tourterelles 
Prendre  leur  doux  plaisir  en  trémoussant  des  aîles, 
Vous  recommencerez  en  si  plaisant  séjour, 
Jeunes  et  vigoureux,  les  ébats  de  l'amour. 
Et  moi,  de  l'autre  part,  feignant  une  autre  affaire, 
Seulets  je  vous  lairai  dans  ce  lieu  solitaire, 
Pour  hâter  le  souper;  je  dirai  ce  discours 
A  ma  chère  Philis ,  et  lors  de  nos  amours 
Redirons  quelque  chose ,  et  du  tems  qu'en  liesse 
Dans  nos  bois  nous  passions  notre  tendre  jeunesse. 

Jamais  au  mont  Ida,  si  fécond  en  ruisseaux, 
Paris  et  son  OEnone  en  gardant  leurs  troupeaux 
Sous  les  cèdres  ombreux,  sur  la  belle  verdure, 
Oyant  des  ruisselets  le  délicat  murmure. 
N'eurent  tant  de  plaisir  en  leur  printems  nouveau, 
Quand  ils  gravoient  à  force  avecques  un  couteau , 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      128 
Leurs  noms  entrelacés  sur  l'écorce  des  hêtres, 
Que  nous  en  eûmes  lors  en  nos  beaux  lieux  champêtres, 
Regrettant  n'avoir  pas,  bien  que  sans  grand  renom. 
Vécu  seulets  ainsi  que  Bauce  et  Pliilemon. 

Or  donc,  cher  Vauquelin,  toujours  il  nous  faut  suivre 
En  repos  la  vertu ,  s'éjouir  et  bien  vivre , 
Se  contenter  du  sien ,  porter  d'un  cœur  joyeux 
Et  le  bien  et  le  mal  de  ce  monde  ennuyeux. 
Celui  qui  vit  ainsi ,  fait  que  de  sa  mémoire , 
Cent  ans  encore  après,  se  raconte  l'histoire. 


EPIGRAMME. 

DE    CUJAS. 


S'uN  jour  les  loix  doivent  périr , 
Cujas,  tu  mourras  avec  elles; 
Mais  si  les  loix  sont  immortelles, 
Tu  ne  dois  craindre  de  mourir. 


ÉPITAPHE  SUR  UN  CAS  PITOYABLE. 

Passant  ,  de  ce  tombeau  la  pitié  considère  : 
Par  mégarde  la  sœur  tua  son  petit  frère  : 
La  mère  occit  sa  fille ,  et  le  mari  la  mère  ; 
Et  la  justice  fit  décapiter  le  père. 


I  24     JEAN  VAUQUELIN  DE  I,A  FRESNAYE. 


SATIRE. 

s    M.    LE    BLAIS,    CONSEILLER    DU    ROI    AU    PARLEMENT 
DE    ROUEN. 

Mon  cher  Le  Biais,  dont  le  beau  jugement, 
Comme  un  soleil ,  reluit  au  parlement, 
Dont  l'amitié  conjointe  à  Talliance, 
A  ta  vertu  me  fait  avoir  fiance  : 
Fors  que  de  toi,  de  tous  autres  j'entens 
Que  prendre  femme  avisé  tu  prétens , 
Et  résolu  par  un  conseil  bien  sage , 
Tu  te  veux  mettre  aux  loix  du  mariage. 
Tu  me  le  cèle,  et  si  ne  sai  pourquoi  : 
Car  nul  ce  fait  n'approuve  tant  que  moi. 

Si  j'ai  osé,  par  manière  de  rire , 
Sur  les  époux  quelques  sornettes  dire  ; 
Aussi  j'ai  dit  plusieurs  fois,  qu'en  bonté. 
Nul  n'est  parfait,  sans  femme  à  son  côté. 
Et  qu'on  ne  peut  jamais  vivre  sans  blâme 
Ni  sans  péché ,  quand  on  vivra  sans  femme  : 
Car  qui  de  soi  n'en  a  point ,  il  faut  bien 
Qu'il  en  emprunte  à  quelques  gens  de  bien. 

Prend  donc ,  cousin ,  femme ,  si  la  dois  prendre  : 
S'il  se  doit  faire ,  hé  !  fais-le  sans  attendre 
Que  la  vieillesse  ait  tes  sens  éblouis  ; 
Ainsi  que  fit  le  sire  dom  Louis, 
Qui,  vieillard,  prit  un  palfroy  d'Angleterre, 
Pour  le  porter  en  paradis  grand'  erre  ; 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      12! 
Et  comme  a  fait  ton  voisin  glorieux , 
Qui  vieil  a  pris  un  hobin  furieux  : 
Car  le  vieil  âge  est  trop  plus  convenable 
A  bien  servir  Bacchus  en  une  table, 
Qu'au  lit,  Venus  :  et  puis  on  ne  peint  point 
Hymen  vieillard,  mais  jeune,  frais  et  coint. 
Par  un  vieillard,  des  jeunes  épousées, 
N'étant  les  fleurs  du  jardin  arrousées, 
Et  ne  voulant  les  laisser  dessécher. 
Elles  s'en  vont  ailleurs  de  l'eau  chercher 
Pour  leurs  secours,  pauvretés  langoureuses  ! 
Et  font  jaser  les  langues  dangereuses. 

Mais,  cher  Le  Biais,  tu  feras  bien  vraiment, 
En  prenant  femme ,  y  penser  sagement  : 
Car  on  ne  peut  par  après  se  dédire , 
Depuis  qu'on  a  le  traité  fait  escrire. 

Je  la  voudrois  de  moyenne  grandeur. 
Sans  grand'  beauté  ,  ni  sans  grande  laideur  : 
Quand  on  prend  garde ,  il  y  a ,  ce  me  semble , 
Un  beau  chemin  entre  les  deux  ensemble, 
Où  beaucoup  vont,  qui  marchantes  ainsi, 
N'ont  la  beauté  ni  la  laideur  aussi. 
Que  si  tu  veux  la  prendre  du  tout  belle , 
Maints  amoureux  tu  verras  autour  d'elle. 
Tu  ne  la  dois  prendre  si  laide  aussi , 
Pour  prendre  ensemble  un  ennuyeux  souci. 

Ta  femme  soit  débonnaire  et  gentile , 
Douce  faisant ,  et  propre  et  bien  habile  ; 
Qu'elle  ne  dorme  avec  les  yeux  ouverts , 
Et  que  jamais  ne  guigne  de  travers  : 


126     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 

Car  être  sotte  et  laide  sans  remède, 
Sera  toujours  des  laideurs  ia  plus  laide. 

Si  tu  me  crois ,  d'Hymen  suivant  la  loi , 
Dix  ou  douze  ans  elle  aura  moins  ({ue  toi. 
Plus  que  toi  vieille,  ou  bien  de  pareil  iige, 
Ne  la  fais  point  commander  ton  ménage  ; 
Car  puisqu'on  voit  le  bon  temps  et  les  ans , 
Plus  tôt  qu'en  nous ,  aux  femmes  se  passans , 
Elle  pourroit  te  sembler  en  vieillesse , 
Que  tu  serois  en  ta  pleine  jeunesse. 
Mais  si  tu  veux  prendre  femme  aujourd'hui , 
Il  faut  du  tout  laisser  le  nid  d'autrui , 
Pour  être  au  tien,  de  peur  qu'étant  volage. 
N'y  vînt  nicher  quelque  oiseau  de  passage. 

Beaucoup  ont  eu  jadis  opinion , 
Pour  du  médire  oter  l'occasion , 
Qu'on  ne  doit  perdre  une  Hélène  de  vue  : 
Car  aisément  chose  belle  est  perdue. 
Regarde  bien  qui  hante  en  ta  maison. 
Et  si  quelqu'un  n'y  va  point  sans  raison  ; 
Mais  une  fois  si  son  désir  la  mené 
A  t'en  donner,  ta  résistance  est  vaine. 

Il  fut  jadis  un  peintre  de  renom. 
De  qui  je  n'ai  souvenance  du  nom , 
Qui  souloit  peindre  avec  face  agréable , 
Avec  beaux  yeux  et  beaux  cheveux,  le  diable, 
Ne  lui  faisant ,  ni  les  ongles  griffus , 
Cornes  au  front,  ni  les  cheveux  touffus, 
Ains  plaisamment  une  chère  éveillée , 
Comme  au  bel  ange  allant  en  Gallilée , 


JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE.      127 
Où  le  grand  Dieu  l'envoya  messager  ; 
Il  le  peignoit ,  dispos,  gaillard,  léger, 
Tant  que  le  diable  estima  devoir  être 
Ingrat  tenu,  sans  ce  bien  reconnoître, 
Et  que  par  lui  vaincu  d'honnêteté , 
Un  grand  honneur  lui  pourroit  être  ôté. 
Au  peintre  en  songe ,  en  une  matinée  , 
Un  peu  devant  que  l'aube  ensafrannée 
Ouvrît  le  jour  ,  il  s'apparut ,  disant 
En  bref  propos ,  qu'il  allât  avisant 
Ce  qu'il  voudroit ,  qu'il  étoit  ce  beau  diable , 
Qu'il  avoit  peint  en  port  tant  agréable, 
Exprès  venu  pour  lui  rendre  merci 
De  l'avoir  peint  si  beau  jusques  ici. 
Le  pauvre  peintre  ayant  lors  une  femme , 
Excellemment  belle  sur  toute  dame, 
Dont  toutes-fois  il  étoit  fort  jaloux, 
Vivant  toujours  en  défiant  courroux, 
L'alla  prier  (  puisqu'il  lui  permit  dire 
Cela,  que  plus  en  ce  monde  il  désire) 
De  lui  montrer  au  certain  la  façon 
Comme  un  mari  peut  vivre  sans  soupçon, 
Bien  assuré  que  sa  femme  très-belle 
Ne  lui  sera  nullement  infidelle. 
Lors  lui  sembla  que  le  diable  un  anneau 
Lui  mit  au  doigt,  lui  disant,  bon-hommeau. 
Tandis  qu'au  doigt  tu  auras  cette  bague  , 
De  crains  jamais  que  ta  femme  divague. 
Le  peintre  alors  assuré  par  ceci , 
Qu'il  pourroit  bien  sans  un  jaloux  souci. 


128     JEAN  VAUQUELIN  DE  LA  FRESNAYE. 
Garder  sa  femme ,  en  cœur  joyeux  s'éveille , 
L'esprit  ravi  de  si  grande  merveille  : 
Mais  Lors  son  doigt  il  trouva  justement, 
Au  lieu  qu'il  craint  de  voir  prendre  à  l'amant. 

Or  en  son  doigt  cet  anneau  ferme  tienne 
Sans  point  l'ôter,  qui  voudra  de  la  sienne 
Jamais  vergogne  ou  corne  recevoir  : 
Et  toutes  fois  il  aura  beau  l'avoir, 
S'elle  ne  veut,  ou  s'elle  est  disposée 
A  voir  la  bague  en  autre  doigt  posée. 


EPIGRAMME  SUR  UN  RUVEUR. 

On  dit  à  Jean  que  par  trop  boire , 
Il  perdroit  à  la  fin  les  yeux  : 
Buvant,  dit-il,  j'aurai  mémoire 
D'avoir  vu  la  beauté  des  cieux  : 
Adieu  ,  mes  yeux  !  assez  j'ai  vu  ; 
Biais  encore  assez  je  n'ai  bu. 


AMADIS  JAMIN.  129 


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3««« 


AMADIS  JAMIN. 


Am  ADis  Jamin  ,  secrétaire  de  la  chambre  de  Charles  ix, 
naquit  à  Chaource,  bourg  du  diocèse  de  Troyes.  11 
eut  pour  maître  Ronsard,  qui  avoit  beaucoup  d'atta- 
chement pour  lui. 

Amadis  Jamin  publia  le  premier  volume  de  ses 
OEuvres  en  iSjS  (Paris,  1/1-4",  Robert  Etienne).  Ce 
recueil  est  divisé  en  cinq  Livres  ;  le  premier  se  com- 
pose, en  grandepartie,  de  pièces  adressées  à  Charles  IX, 
ou  relatives  aux  principaux  événements  de  la  vie  de  ce 
prince;  d'un  poëme  sur  la  Chasse;  d'un  autre  qui  a 
pour  titre  la  Libéralité,  et  de  quelques  poésies  cliré- 
tiennesjle  second  Livre  contient,  sous  le  titre  d'6^/Yrt«6', 
une  multitude  de  pièces  galantes;  le  troisième  ren- 
ferme les  Amours  d'Euryinedoa  et  de  Callirée;  le  qua- 
trième, qui  est  intitulé  Artemis ,  roule  encore  sur 
l'amour;  enfin,  les  Meslanges  forment  le  cinquième 
Livre. 

Ce  ne  fut  qu'en  i584  qu'Amadis  Jamin  fit  paroître 
le  second  volume  de  ses  OEuvres  (Paris,  in-\i  );  ce 
sont  des  odes ,  des  prières ,  la  paraphrase  de  quelques 
hymnes  de  l'Eglise  ,  un  poëme  sur  \  Ingratitude  et  per- 
fidie d'Origille,  pièce  moitié  morale  et  moitié  roma- 
nesque ;  vingt-six  sonnets  ,  etc.  ;  enfin  ,  quelques  vers 
contre  la  cour  et  la  vie  des  courtisans. 

Hugues  Salel  avoit  traduit  les  onze  premiers  Livres 
tle  Y  Iliade ,   en  vers  de  dix  syllabes  ;  Amadis  Jamin 

V-  9 


la 


lio  AMADIS  JAMIN. 

fraduisit  les  autres  en  vers  héroïques.  Voici  ce  que  Jean 
Vauquelin  de  La  Fresnaye  dit,  dans  son  Jrt poétique, 
de  cette  iraduction  de  \ Iliade  : 

Salel  premier  ainsi  du  grand  François  conduit, 
Beaucoup  de  V Iliade  a  doucement  traduit , 
Et  Jamin  bien  disant  l'a  tellement  refaite, 
Qu'à  l'auteur  ne  fait  tort  un  si  bon  interprète. 

Aniadis  Jamin  avoit  encore  entrepris  la  traduction  de 
\ Odyssée,  dont  il  ne  fit  que  les  trois  premiers  Livres. 

Quoique  Jamin  eût  pris  pour  modèle  Ronsard, 
alors  dans  toute  sa  gloire,  il  sut  éviter  les  défauts 
de  ce  poète  ;  et  s'il  a  moins  d'imagination  et  de  verve 
que  son  maître,  son  style  est  beaucoup  plus  correct 5 
sa  versification  a  de  la  noblesse  et  quelquefois  de 
l'élégance,  mais  elle  est  en  général  trop  uniforme. 


DE   LA   LIBERALITE. 

AU  ROI. 

Rien  ne  sied  mieux  aux  majestés  royales 
Que  d'avoir  l'ame  et  les  mains  libérales; 
Même  celui  qu'on  trouve  libéral , 
N'étant  pas  roi ,  prend  le  nom  de  royal. 
Vertu  consiste  à  donner,  non  à  prendre: 
Pour  ce,  les  rois  doivent  leiu's  biens  épandre 
Sur  les  mortels,  qui,  tout  dévotieux, 
Leur  font  honneur  et  les  estiment  dieux. 

Dieu  prête  aux  rois  une  riche  abondance , 
Afin  qu'après,  pleins  de  magnificence, 
Ils  fassent  bien  à  qui  l'a  mérité. 
Pour  son  loyer ,  le  guerrier  indompté 


AMADIS  JAMIN.  i3l 

Veut  obtenir  l'honorable  et  l'utile. 

Le  bon  poëte,  à  bien  chanter  habile, 
JYe  veut  sacrer  à  l'immortalité 
Les  rois  ingrats  qui  ne  l'ont  point  fêté. 

Cet  Alexandre  à  qui  la  terre  et  l'onde 
Ne  suftîsoient  comme  trop  petit  monde, 
Par  ses  bienfaits  fertilisa  son  tems 
En  bons  esprits  et  braves  combattans, 
D'où  vient  qu'encor  la  terre  n'est  remplie 
Que  des  labeurs  achevés  en  sa  vie. 
Rien  ne  vaut  tant  que  les  dons  gracieux  : 
Mêmes  ils  sont  agréables  aux  dieux; 
Quoique  nos  biens  ne  leur  soient  nécessaires, 
Par  là  pourtant  s'appaisent  leurs  colères. 
Toujours  de  rien  ne  s'engendre  qu'un  rien  : 
Du  bien  toujours  il  en  renaît  du  bien. 

Jamais  les  rois  prodigues  ne  se  nomment  : 
Car  leurs  moyens  jamais  ne  se  consomment. 
François  premier,  illustre  de  renom. 
Qui  pour  ses  faits  de  Grand  eut  le  surnom, 
Par  ses  bienfaits,  par  sa  magnificence. 
Sut  appeller  les  neuf  Muses  en  France. 
Il  conjoignit  Tune  et  l'autre  Pallas, 
Phœbus  ensemble  et  le  dieu  des  soldats , 
Ainsi  que  vous ,  et  de  la  dextre  même 
Qui  combattoit,  écrivit  maint  poëme. 

Exemple  soit  votre  père  Henri, 
Un  second  Mars,  des  étoiles  chéri, 
Qui,  libéral,  excellent,  magnifique. 
Honora  tant  la  science  bellique , 


l32  AMADIS  JAMIN. 

Et  tous  les  arts ,  renvoyant  bienheureux 
Ceux  qui  venoient  pauvres  et  souffreteux, 
Henri  qui  fut  es  guerres  admirable, 
Rendant  son  lys  à  l'aigle  redoutable. 

Cyrus  disoit  :  Un  sceptre  bien  doré , 
Mon  fils ,  ne  donne  un  royaume  assuré  : 
Mais  des  amis  la  fidelle  assistance 
D'une  couronne  est  la  sûre  défense. 
Il  te  les  faut  acquérir  par  bienfaits; 
Car  on  ne  peut  les  rencontrer  tous  faits: 
Ce  point  n'est  pas  des  choses  naturelles, 
Que  tous  humains  puissent  naître  fidelles. 
Comme  une  source,  épanchant  un  ruisseau, 
Plus  elle  jette,  et  tant  plus  le  vaisseau 
De  la  fontaine  enceinte  de  verdure , 
Est  toujours  plein  d'une  onde  vive  et  pure  ; 
Tels  sont  les  rois.  Ne  voyons-nous  la  mer 
Où  toutes  eaux  se  viennent  abîmer  ? 
Bien  qu'elle  envoyé  aux  nations  diverses 
Deçà  delà,  par  légères  traverses. 
L'humide  cours  de  ses  fleuves  cornus 
Pour  arroser  les  rivages  connus , 
Et  par  les  champs  fournir  de  nourriture. 
Malgré  cela,  de  ses  vagues  Tenflure 
Ne  décroit  point ,  et  ses  flots  et  reflots 
Courent  enflés  en  tout  tems  sans  repos. 

Qui  peut  compter  les  goûtes  vagabondes 
Dont  l'Océan  fuit  l'amas  de  ses  ondes  ; 
Qui  peut  compter  les  flambeaux  de  la  nuit 
Lorsque  la  lune  en  son  plein  nous  reluit. 


AMADIS  JAMIN.  l33 

Celui  dira  les  trésors  de  la  France. 

Bacchus  vineux  père  d'éjouissance 
Sur  nos  coteaux  a  ses  thyrses  plantes  : 
Cérès  la  blonde  a  ses  grains  apportés , 
Qui  savoureux  nourrissent  notre  vie 
Mieux  que  le  gland  venu  de  Chaonie. 

Pan  aime  France,  et  paît  mille  troupeaux 
Parmi  les  prés  amoureux  des  ruisseaux. 
Pomone  aussi ,  déesse  de  fruitage , 
Montre  partout  son  rustique  héritage  : 
Je  vois  les  dieux  prêts  à  nous  contenter, 
Et  sous  Henri  nos  Gaules  habiter  : 
Je  vois  déjà  votre  haute  largesse 
Nous  départir  faveur  avec  richesse. 

On  ne  voit  point  que  les  pauvres  mortels 
Chantent  aux  dieux  devant  leurs  saints  autels, 
Sinon  Thonneur  que  leur  grandeur  mérite , 
Quand  aux  humains  leur  déité  profite. 
Force  ,  santé ,  l'abondance  ,  la  paix 
Nous  viennent  d'eux ,  et  d'autres  biens  parfaits 
Viendront  de  vous,  afin  que  l'on  vous  nomme 
Un  dieu  sur  terre  en  la  forme  d'un  homme. 


ODE. 

DE    l'iîVCONSTANCE. 

Accuse  qui  voudra  les  hommes  inconstans 

Qui  ne  peuvent  garder  leur  amour  qu'un  printems , 

Je  les  veux  excuser  :  par  vraie  expérience , 

Je  sais  bien  que  le  mal  ne  vient  de  leur  côté , 


i34  AMADIS  JAMIN. 

Mais  des  clames  qui  sont  pleines  de  volonté , 
Gn'oiiettes  en  l'air,  siège  de  Tinconstance. 

Si  l'amant  est  miiable  alors  qu'il  apperçoit 
Que  d'une  feinte  amour  sa  dame  le  déçoit , 
J  approuve  sa  façon  :  tel  que  lui  je  veux  être. 
Si  la  dame  est  légère  ,  il  faut  être  léger  : 
Si  elle  fait  l'étrange,  il  s'en  faut  étranger: 
Un  serviteur  loyal  doit  imiter  son  maître. 

Le  soigneux  jardinier,  après  avoir  planté 
L'arbre  d'un  bon  terroir  en  saison  apporté 
Pour  en  faire  l'honneur  de  tout  son  jardinage , 
N'accuse  que  la  terre,  alors  qu'il  ne  produit. 
Ingrat  de  son  labeur,  feuilles,  ni  fleur,  ni  fruit; 
Et  l'arrachant,  le  plante  en  un  autre  boccage. 

Ainsi  quand  un  amant  ne  se  voit  profiter 
Aux  avances  d'amour ,  il  se  doit  dépiter 
Et  soudain  arracher  son  amitié  plantée: 
Loin  du  clos  infertile ,  il  doit  planter  ailleurs , 
Tant  que  Vénus  lui  donne  autres  destins  meilleurs  , 
Dont  sa  peine  à  la  fin  puisse  être  mieux  rentée. 

Une  femme  est  pareille  à  ce  vague  élément 

De  l'eau  qui  sans  couleur  glisse  légèrement , 

Empruntant  le  seul  teint  de  la  terre  où  il  passe. 

Ainsi,  sans  conserver  aucune  impression, 

La  femme  sait  vêtir  diverse  affection , 

Qui  se  grave  soudain,  et  tout  soudain  s'efface. 

Mais  qui  pourroit  fonder  sur  un  fondement  tel 
Incertain  et  mouvant  un  amour  immortel  ? 


AMADIS  JAMIN.  l35 

Le  vent  n'est  si  léger  que  leur  foible  pensée  ; 
La  neige  ne  se  fond  sous  le  tiède  soleil 
Si  tôt  que  leur  faveur  :  leur  amour  est  pareil 
A  la  vitre  pour  rien  en  cent  pièces  froissée. 

Pour  bien  aimer  enfin,  je  voudrois  être  aimé, 
Que  le  cœur  de  l'aimée  au  mien  fût  transformé. 
Le  serrant  bien  étroit  d'une  chaîne  éternelle  : 
Qu'elle  sentît  plaisir,  quand  je  serois  présent. 
Qu'elle  sentît  douleur,  quand  je  serois  absent, 
Et  que  telle  amitié  demeurât  immortelle. 


ODE. 

POUR    JUSTIFIER    l' I  N  CONS  T  AN  C  E. 

Ne  blâmons  désormais  des  femmes  le  courage , 
Comme  ignorant,  aveugle,  inconstant  et  volage; 
La  nature  est  leur  loi  :  tout  change  sous  la  mer , 
Dans  les  airs,  sur  la  terre  ;  et  n'est  pas  chose  étrange, 
Si  tout  en  ces  bas  lieux  se  change  et  se  rechange, 
Afin  que  l'un  mourant  puisse  l'autre  animer. 

La  faulx  du  temps  goulu  tranche  tout  et  consomme 
Empires  et  châteaux,  villes,  cités  et  l'homme: 
Il  est  vrai  que  le  genre  et  les  espèces  sont 
Toujours  en  l'univers,  et  que  jamais  le  monde 
N'est  vuide  d'animaux ,  d'une  suite  féconde  ; 
Mais  les  individus  se  perdent  et  s'en  vont. 

On  voit  toujours  marcher  des  hommes  sur  la  terre. 
Et  des  fleurs  qu'en  avril  son  riche  sein  desserre  ; 


i3f)  AMADIS  JAMIN. 

On  voit  mille  poissons  nouer  entre  les  eaux; 

On  voit  mille  chevaux  hennissants  par  la  prée  ; 

Mille  oiseaux  balancer  d'une  aile  diaprée; 

Mais  les  vieux  en  mourant  donnent  place  aux  nouveaux. 

Ainsi  l'amour  qui  naît  en  notre  fantaisie , 
Cet  amour  mutuel  dont  notre  ame  est  saisie , 
Ainsi  qu'il  naît,  se  meurt  :  comme  la  passion 
Qui  d'autre  cause  en  nous  tourne ,  vient  et  repasse  : 
L'une  dure  long-temps,  l'autre  soudain  s'efface, 
Afin  de  recevoir  nouvelle  impression. 

La  mort  de  vieille  amour  fait  naître  une  nouvelle; 
Ainsi  tout  ce  qui  vit  au  monde  renouvelle, 
Sans  que  rien  soit  perdu  :  les  choses  seulement 
Changent  de  place  et  forme,  et  file  à  file  coulent, 
Ainsi  que  les  ruisseaux  des  grands  fleuves  s'écoulent, 
Une  onde  poussant  l'autre  en  l'humide  élément. 

Autant  sont  les  effets  et  les  choses  durables , 
Que  les  causes  ne  sont  diverses  ni  muables  ; 
Autant  que  la  beauté,  qui  nous  cause  l'amour, 
Autant  que  les  vertus,  les  honneurs  et  la  grâce, 
Autant  que  la  constance  en  nos  dames  ont  place ^ 
Autant  fait  en  nos  cœurs  Cupidon  son  séjour. 

Jamais  aucune  amour  ne  se  verra  si  forte 
Que  la  longueur  du  tems  à  la  fin  ne  l'emporte; 
Tout  passe,  et  ce  passé  perd  à  nous  sa  saison. 
L'inconstance  est  constante,  et  le  soleil  qui  tourne 
Sans  cesse  au  zodiac,  en  un  lieu  ne  séjourne, 
Ains  repasse  et  revient  de  maison  en  maison. 


AMADIS  JAMIN.  iSy 

La  nature  se  plaît  en  cent  diverses  choses  ; 
Tantôt  elle  produit  violettes  et  roses, 
Tantôt  jaunes  épies;  belle  en  diversité, 
Qui  ne  veut  point  faillir  doit  suivre  la  nature  ; 
On  ne  se  paît  toujours  d'une  mcme  pâture; 
Rien  ne  donne  plaisir  comme  la  nouveauté. 


SONNET. 

Sommeil  léger,  image  déceptive , 
Qui  m'es  un  gain  et  perte  en  un  moment , 
Comme  tu  fais  écouler  promptement. 
En  l'écoulant,  ma  joie  fugitive! 

De  tous  amans,  nul  qui  au  monde  vive 
Ne  recevroit  plus  de  contentement 
Que  j'en  reçois  si  mon  bien  seulement 
Ne  s'envoloit  d'une  aîle  trop  hâtive. 

Endimion  fut  heureux  un  long  tems 
De  prendre  en  songe  infini  passe-tems, 
Pensant  tenir  sa  luisante  déesse. 

Je  te  demande  en  pareille  langueur 
Un  pareil  songe  et  pareille  douceur  : 
L'ombre  du  bien  n'est  pas  grande  largesse. 


i38  AWADIS  JAMIN. 


SUR  LA  DIVERSITÉ  DE  RELIGION. 

A    M.    DE    P  I  M  P  O  I  N  T. 

Docte  Pimpoint ,  que  les  savantes  sœurs 
Ont  allaité  de  leurs  saintes  douceurs, 
En  ce  dur  tems  que  veux-tu  que  je  chante? 
Quel  son  rendra  ton  oreille  contente  ? 
On  n'oit  que  sang  et  que  boulets  sonnans, 
Fers  acérés  sur  l'enclume  sonnans  ; 
On  ne  voit  plus  les  bœufs  par  la  campagne , 
Ores  elle  est  pour  les  chevaux  d'Espagne. 
Le  soc  ouvrier  de  sillonner  les  champs 
Tourne  sa  forme  en  des  glaives  tranchans. 
La  prud'homie  et  la  droite  justice 
Volent  au  ciel  voyant  notre  malice , 
Et  plus  ici  ne  se  maintient  la  foi  ; 
Car  on  n'a  point  ni  de  Dieu  ni  de  roi. 
D'oïl  vient,  Pimpoint,  que  le  vice  exécrable 
Rend,  6  forfait!  la  France  misérable? 

Cela  ne  vient  que  des  opinions 
Que  font  ici  tant  de  contagions 
Qui  terre  et  ciel  virent  à  la  renverse, 
Nous  bâtissant  religion  diverse. 
Les  ours  cruels  ne  font  la  guerre  aux  ours, 
Et  les  vautours  sont  amis  des  vautours  ; 
Aujourd'hui  Thomme  à  Thonnue  ne  s'accorde. 
Et  des  serpens  plus  sainte  est  la  concorde. 


AMADIS  JAMIN.  i39 

Chacun  se  iioye  au  déluge  des  eaux, 
Et  laissant  l'arche ,  est  pâture  aux  corbeaux  ; 
Car  les  médians,  à  bien  faire  inutiles, 
Troublent  l'état  et  le  repos  des  villes. 
Pareils  malheurs ,  du  temps  des  Albigeois , 
Vinrent  troubler  l'union  des  François. 

Considérons  la  gent  qui  sous  Moyse 
Aux  saintes  loix  étoit  si  bien  apprise  ; 
Considérons  l'histoire  des  Hébreux  : 
Yit-on  jamais  hommes  plus  furieux, 
Plus  acharnés  aux  batailles  meurtrières. 
Pour  repousser  des  erreurs  étrangères? 

Mais  qui  ne  sait,  chose  horrible,  combien 
De  monstres  eut  pour  dieux  l'Egyptien? 
Et  quantes  fois,  exercé  de  furie. 
Mit  en  pillage  et  ses  biens  et  sa  vie? 
Ils  se  tuoient  pour  leurs  impuissans  dieux 
Sans  cœur,  sans  mains ,  sans  oreille  et  sans  yeux. 
Un  peuple  avoit  pour  Dieu  le  crocodile. 
Et  l'on  craignoit  dedans  une  autre  ville 
L'Ibis  qui  paît  son  ventre  du  serpent; 
Et  le  poisson  qui  les  eaux  va  coupant. 
Fut  révéré  par  d'autres  villes  fîeres. 
Autant  de  peuple,  autant  sont  de  manières. 
En  maints  endroits  les  chats  et  pesants  bœufs 
Etoient  priés  d'un  million  de  vœux. 
D'un  oignon-dieu  la  vénérable  tête 
Oyoit  ailleurs  prières  et  requête  ; 
Ailleurs  le  chien ,  gardien  de  la  maison , 
Des  supplians  écoutoit  l'oraison  ; 


i/|0  AMADIS  JAMIN. 

La  chèvre  ailleurs  grande  déesse  on  nomme  : 
L'homme  adoroit  ce  que  méprisoit  l'homme. 

Mais  il  ne  faut,  pour  mon  dire  prouver, 
Qu'en  nos  cités  des  exemples  trouver; 
Chacun  trompé  des  hérétiques  charmes , 
Porte  en  la  main  les  parricides  armes. 
Hé!  Dieu  du  ciel,  permettras-tu  jamais 
Que  parmi  nous  vienne  habiter  la  paix? 
Et  les  médians  exercans  les  malices , 
De  leurs  forfaits  n'auront  dignes  supplices  ? 
Trois  fois  heureux  si  nature  suivions! 
Elle  commande  et  veut  que  nous  pleurions 
Quand  notre  ami  tombe  en  quelque  disgrâce , 
Quand  un  pupile  est  pillé  par  sa  race  ; 
Quand  l'innocent  ou  le  pauvre  affligé , 
Sans  nul  forfait,  à  la  mort  est  jugé. 
Le  naturel  veut  qu'on  verse  des  larmes 
Quand  d'une  vierge,  hélas!  pleine  de  charmes. 
Le  corps  s'enterre,  et  que,  sous  le  tombeau, 
L'enfant  est  clos  en  sortant  du  berceau. 
La  bête  sent  ;  mais  dans  le  corps  de  l'homme 
Qui  de  l'Auteur  l'image  se  renomme, 
Loge  l'esprit,  le  sens  et  la  raison; 
Suivant  leurs  loix ,  nul  mal  nous  ne  faisons  : 
A  tous  humains  nous  voulons  prêter  aide , 
Et  d'eux  aussi  nous  empruntons  remède. 
Par  ce  moyen ,  les  hommes  égarés 
Se  sont  ensemble  es  villes  retirés. 
Lors  seulement  ils  ne  faisoient  carnages 
Que  de  lions  et  de  bêtes  sauvages  : 


AMADIS  JAMIN.  i4r 

Mais  maintenant  l'un  à  l'autre  ils  sont  loups, 
Tant  lignorance  aveuglés  les  rend  fous! 
Nous  en  voyons  que  la  fureur  allume 
Plus  que  le  fer  qui  se  bat  sur  l'enclume. 
De  l'Orient  jusques  au  mont  d'Atlas 
On  vit  voler  d'Europe  les  éclats  : 
D'armes  par  tout  fourmille  l'Allemagne: 
D'armes  se  vét  la  belliqueuse  Espagne; 
France  gémit  soiis  l'effort  du  harnois  ; 
Et  l'Océan  sous  les  vaisseaux  anelois  : 
Bref,  notre  Europe  est  toute  ceinte  d'armes , 
Ne  voyant  rien  que  rapine  et  gens  d'armes. 

Ainsi,  contraint  d'une  juste  douleur 
Que  chacun  prend  de  si  triste  malheur, 
Je  vais  pleurant  nos  trop  longues  misères. 
Tristes  effets  d'opinions  légères  ; 
Et  mes  regrets  je  t'adresse  aujourd'hui. 
Sachant  combien  ton  cœur  souffre  d'ennui, 
De  voir  la  France  en  proie  à  tant  de  rage. 
Par  les  siens  même  exposée  au  pillage. 


DIALOGUE. 

LE  PASSANT   ET  LE  GÉNIE  DE  MONTCONTOUR. 
LE     PASSANT. 

Ces  corps  traînés  ici  comme  une  vile  ordure. 
Ensanglantés  de  coups,  qui  sont-ils?  dis-le  moi: 
Seulement  au  regard  je  tremble  tout  d'effroi, 
Les  voyant  des  corbeaux  et  des  chiens  la  pâture. 


1^1  AMADIS  JAMIN. 

liE    GÉNIE. 

Aux  médians  n'appartient  le  droit  de  sépulture , 
Qui,  séduits  des  abus  d'une  nouvelle  loi, 
Ont  trahi  leur  pays,  leurs  parens  et  leur  roi, 
Et  rompu  tous  les  droits  de  Dieu  et  de  nature. 

LE    PASSANT. 

Les  roses  et  les  lys  naissent  dessus  les  corps 

De  ceux  qui ,  pour  leur  prince ,  en  leur  pays  sont  morts , 

Ronces,  chardons,  halliers,  de  ceux  prennent  naissance, 

Qui  furent  des  François  l'épine  et  le  souci; 
Et  que  dans  les  enfers  ils  reposent  ainsi. 
Comme  ils  ont  en  repos  laissé  vivre  la  France  ! 


AU  ROI  CHARLES  IX. 

Les  puissans  rois ,  à  qui  tout  obtempère , 
Sont  les  enfans  du  dieu  Saturnien, 
Et  d'Apollon ,  père  parnassien , 
Ce  Jupiter  est  estimé  le  père. 

Mais  Apollon,  qui  la  lyre  tempère, 
A  enfanté  le  chœur  permessien; 
Vous  lui  devez,  sire,  faire  du  bien, 
Puisqu  Apollon  son  père  est  votre  frère. 

Les  poètes  sont  des  grands  rois  les  neveux , 
Et  si  souvent  ils  vivent  souffreteux , 
Ayant  de  l'eau  pour  unique  héritage. 

Faites  connoître  au  moins  à  cette  fois. 
En  me  donnant  quelque  bien  en  partage. 
Que  vous  pensez  qu'ils  sont  parens  des  rois. 


AMADIS  JAMIN.  1  4'3 


ELEGIE. 

A    M.    DE    PIBRAC. 

Celui  n'a  mérité  de  voir  le  jour  des  cieux 
Qui  tâche  d'effacer  le  nom  de  ses  ayeux, 
Et  perdre  leur  mémoire  :  ignorant  que  la  race 
De  nous  cliétifs  mortels  ainsi  qu'un  vent  se  passe, 
Et  que  nous  ne  pouvons  ou  dire  ou  faire  rien, 
Que  premier  nos  ayeux  n'ayent  fait  aussi  bien; 
Car  tous  les  siècles  d'or,  d'argent,  d'airain ,  de  cuivre, 
Reviennent  et  revont,  ne  cessant  d'entresuivre. 
Tout  ce  qui  a  sur  soi  le  lunaire  flambeau. 
Est  sujet  à  changer  et  se  faire  nouveau, 
Mais  son  supérieur  n'éprouve  rien  d'étrange  ; 
Toutefois  sans  mouvoir,  mouvant  tout,  il  le  change  ; 
Le  sage  qui  connoît  et  garde  au  souvenir 
Le  passé ,  le  présent  et  ce  qui  doit  venir, 
Ne  s'étonne  de  rien ,  ni  l'éclat  du  tonnerre 
Ne  le  peut  effrayer,  ni  l'effroi  de  la  guerre. 
De  tous  ces  changemens  il  fait  comparaison. 
Aux  saisons  qui  par  ordre  amènent  leur  saison , 
Car  tout  ce  qui  advient  sont  choses  coutumieres; 
Mais  vivans  révérons  la  cendre  de  nos  pères. 
Et  pensons  que  là  bas  nous  tomberons  comme  eux 
Accablés  sous  le  faix  du  tombeau  ténébreux , 
Et  que  ceux  qui  des  vieux  éteignent  la  mémoire, 
Méritent  de  mourir  sans  regret  et  sans  gloire , 
Indignes  du  nom  d'homme  et  de  respirer  l'air. 


l44  AMADIS  JAMIN. 

C'est  la  loi  de  nature  et  rompre  et  violer , 
Et  c'est  ôter  la  vie  à  qui  nous  l'a  donnée. 
Ceux  qui  de  cette  erreur  ont  l'ame  environnée, 
Commettent  parricide  et  sont  encore  pis , 
D'autant  que  de  nos  ans  la  gloire  c'est  le  prix  ; 
Car  heureux  est  celui  qui,  mourant  avec  gloire, 
Laisse  après  son  trépas  une  heureuse  mémoire , 
Un  bon  parfum  aux  lieux  es  quels  il  a  passé , 
Soit  un  grand  empereur  dont  le  bras  s'est  lassé 
A  soutenir  un  sceptre  en  force  souveraine , 
Soit  un  bon  laboureur  qui  guide  par  la  plaine 
Ses  bœufs  et  sa  charrue  !  et  si ,  tout  bien  compté , 
Le  monde  et  ses  effets  ne  sont  que  vanité. 
De  l'hier  aujourd'hui  n'est  aucune  parole; 
Au  nombre  de  mille  ans  jà  passés  il  s'enrôle , 
Ou  bien  au  rang  de  ceux  qui  ne  furent  jamais  ; 
Voilà  comme  l'oubli  vient  engloutir  nos  faits. 


SONNET. 

A    M,  BRIJLART,    SECRETAIRE    DU    ROI,  A   QUI   RONSARD  VENOIX 
DE  DÉDIER  UN  DE   SES  OUVRAGES. 

Te  donner,  mon  Brulart,  de  belle  poésie. 
C'est  aux  Corinthiens  envoyer  de  l'airain. 
C'est  envoyer  de  l'eau  dedans  l'humide  sein 
De  Thétis,  c'est  donner  des  fleurs  à  la  prairie. 

Nombre  de  tes  ayeux  ont  eu  l'ame  saisie 
Des  fureurs  d'Apollon  :  ils  ont  de  main  en  main 


AMADIS  JAMIN.  l45 

Héritage  immortel  d'un  esprit  plus  qu'humain, 
Gardé  si  beau  trésor  dedans  leur  fantaisie. 

Qui  ne  sait  des  Bourdins  et  Brularts  le  savoir, 
Et  comme  ils  n'ont  jamais  oublié  leur  devoir, 
Pour  bien  servir  les  rois  d'un  fidèle  courage  ? 

Donc  tu  n'as  de  Ronsard  ce  livre  sans  raison; 

Car  envoyer  des  vers  en  ta  docte  maison, 

Ce  n'est  que  les  remettre  en  leur  propre  héritage. 


lo 


i/jô  CLAUDE  MERMET. 


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CLAUDE  MERMET. 


Claude  Meumet  étoit  originaire  de  Saint-Rambert 
en  Savoie.  Parvenu  à  un  âge  mûr,  il  alla  s'établir  à 
Lyon,  où  il  iut,  selon  Duverdier,  notaire  ducal  et 
escrivain.  il  étoit  encore  dans  cette  ville  en  i585. 

Ses  productions  se  bornent  à  un  fort  petit  recueil 
(Lyon,  i585)  ,  qui  a  pour  titre   le    Temps  passé  de 
Claude  Mer  met ,  de  Saint-Kambert  en  Savoy  e ,   œu<i>re 
poétique  sententieuse  et  morale ,  pour  donner  profitable 
recréation  h  tous  gens  qui  aiment  la  vertu.  Dans  plu- 
sieurs morceaux  de  ce  recueil ,  il  plaide  le  bon  droit 
des  femmes ,  et  il  enseigne  le  secret  de  les  empêcher 
d^étre  mauvaises,  etc.  Ce  secret  consiste  à  avoir  pour 
elles  beaucoup   d'attentions,  à  ne  les  traiter  qu'avec 
douceur ,  à  ne  leur  rien  refuser  de  ce  que  la  raison  ou 
la  justice  les   autorise  à  demander ,   et   enfin  à  être 
indulgent  pour  leurs  foiblesses.  Dans  d'autres  pièces 
réunies  en  forme  de  quatrains ,  sous  le  titre  collectif 
de  la  Pierre  de  touche  du  vrai  ami ,  il  s'attache  à  prou- 
ver, ce  quimallieureusement  n'a  pas  besoin  de  preuves, 
que  ce  n'est  que  dans  l'infortune  qu'on  peut  discerner 
un  véritable  ami. 

On  trouve  encore  dans  le  même  recueil  un  Adieu  a 
la  ville  de  Saint-Rambert  ;  —  le  Cas  merveilleux  dhin 
jeune  Soul-dart ,  etc.,  espèce  de  conte  moral;  —  la 
Métamorphose  du  verre ,  etc. ,  poème  fait  à  l'occasion 
de  la  gelée  qui  fit  périr,  en  i573,  une  grande  partie 
des  vignes. 


CLAUDE  MERMET.  147 

Il  existe  encore  du  même  poète  une  traduction  fort 
médiocre  ,  en  vers  françois,  de  la  Sopfionisbe  du  Trissin , 
imprimée  aussi  à  Lyon  en  i585. 


CHANSON. 

LAVIS    DE     MARIAGE. 

Toi  qui  veux  femme  choisir, 

A  plaisir, 
Si  ta  belle  te  demeure, 
Des  amis  de  ses  beaux  yeux, 

Curieux, 
Te  viendront  voir  à  toute  heure, 

Si  tu  mets  en  ta  maison. 

Sans  raison, 
La  laide  et  mal  gracieuse, 
Elle  qui  rechignera. 

Te  sera 
Toute  sa  vie  ennuyeuse. 

Si  de  force  dépourvu, 

Tu  as  eu 
La  femme  jeune  et  féconde. 
C'est  un  cheval ,  pour  soudain  , 

Comme  un  daim. 
Te  porter  en  l'autre  monde. 

Si  tu  veux,  par  fol  désir, 

Te  saisir 
De  la  vieille  jà  chenue. 


i48  CLAUDE  MERMET. 

Tu  regretteras  toujours 

Les  beaux  jours 
De  ta  jeunesse  perdue. 

Si  tu  veux  la  riche  avoir, 

Son  avoir 
La  rendra  bien  si  rebelle , 
Qu'elle  te  méprisera, 

Et  dira 
Que  tu  ne  vivrois  sans  elle. 

Si  la  pauvre  tu  attends. 

Le  bon  tems, 
Chez  toi ,  n'arrêtera  guère  ; 
Pauvreté ,  par  désarroi , 

Tire  à  soi 
Toute  sorte  de  misère. 

Si  d'avarice  surpris , 

Tu  as  pris 
Une  femme  fausse  et  fîere , 
Tu  t'es  mis  la  corde  au  col , 

Comme  un  fol, 
Qui  se  noie  en  la  rivière. 

Mais  toi  qui,  par  ton  savoir. 

Dis  avoir 
Femme  belle  et  bonne  ensemble  ; 
O  beau  Phénix  devenu , 

Cher  tenu , 
Heureux  est  qui  te  ressemble! 


CLAUDE  MERMET.  iZjcj 


EPIGRAM3IE. 

SUR     LE     RICHE. 


Le  pauvre  est  en  plus  haut  servage: 
Car  devenir  riche  il  ne  peut; 
Mais  le  riche  a  cet  avantage , 
De  devenir  pauvre  s'il  veut. 


ÉPIGRAMME. 

UN  GEOLIER   PARLANT  AU  MARI  D  UNE   PRISONNIÈRE. 

Veux-tu  laisser  ici  ta  femme  désormais, 
Pour  un  peu  de  l'argent?  Hé,  prételui  la  main! 
Si  tu  ne  la  reprens  aujourd'hui  ou  demain, 
Foi  de  hon  compagnon,  tu  ne  l'auras  jamais. 

RÉPONSE. 

De  te  donner  argent  pour  elle  je  ne  puis. 
Si  tu  me  la  détiens,  je  ne  m'en  donne  esmoi. 
Quand  tu  l'auras  gardée  autant  de  tems  que  moi, 
Tu  en  seras  peut-être  aussi  las  que  j'en  suis. 


l5o  CLAUDE  MERMET. 


EPIGRAMME. 

A    tJN    ÉCOLIER    INGRAT. 

Si  6ter  je  te  pouvois, 

Une  fois , 
Ce  que  je  t'ai  su  apprendre, 
Tu  me  viendrois  caresser, 

Sans  cesser, 
Me  priant  de  te  le  rendre. 


EPIGRAMME. 

DES    AMIS. 

Les  amis  de  l'heure  présente 
Ont  le  naturel  du  melon  ; 
Il  en  faut  essayer  cinquante 
Avant  qu'en  rencontrer  un  bon. 


EPIGRAMME. 
d'un  enfant  de  bonne  maison. 

Quand  quelque  riche  fait  folie, 
Le  monde  dit  cela  n'est  rien  ; 
Mais  quand  quelque  pauvre  s'oublie 
Croyez  qu'on  le  redresse  bien. 


CLAUDE  MERMKT.  i  ;)  f 


É  P I  G  R  A  M  >I  E. 

A    U.\    GENTIL    COMPAGNON,    QCI    SENT    TOUTOUUS    SO\ 
PAYSAN. 

Ti   dis  ([iii'  fil  es  geiilllliomnio 

Par  la  favoiir  du  parchemin; 

Si  un  rai  le  trouve  en  dieniin, 

Qui-  ^cias-tn  .'  coinnie  un  autre  honniie. 


CHANSON 

p o f  R   r, E s   no  \i  M E s. 

Si  lu  le  plains  ipu'  ta  leininc  est  trop  bonne, 
L'ayant  gartiée  trois  semaines  en  tout, 
Attends  un  an,  et  tu  perdras  à  coup 
I/occasion  de  t'en  plaindre  à  personne. 

Mais  si  elle  est  malicieuse  et  fiere , 
Par  mon  conseil,  ne  l'en  estime  moins; 
Je  prouverai  toujours  par  bons  témoins 
Que  la  mauvaise  est  bonne  ménagère. 

Si  par  nature  elle  est  opiniâtre, 
Commande-lui  toute  chose  à  rehours  ; 
Et  tu  seras  servi  suivant  le  cours 
De  ton  dessein,  sans  frapper  ni  sans  battre. 

Si  elle  dort  la  grasse  matinée. 

C'est  ton  profit,  d'autant  qu'elle  n'a  pas 


l52  CLAUDE  MERMET. 

Tel  appétit,  quand  ce  vient  au  repas, 
Et  son  dormir  lui  vaut  demi-dînée. 

Si  elle  fait  la  malade  par  mine , 
Va  lui  percer  la  veine  doucement 
Sans  la  blesser,  et  tu  verras  comment 
Tel  éguillon  lui  porte  médecine. 

Si  elle  est  vieille  ou  malade  sans  cesse, 
Tu  la  sauras,  sage,  contre-garder, 
Attendant  mieux ,  et  tu  pourras  garder , 
Pour  un  besoin ,  la  fleur  de  ta  jeunesse. 

Si  tu  te  plains  que  ta  femme  se  passe 
De  faire  enfans,  par  faute  d'un  seul  point, 
Sois  patient;  mieux  vaut  ne  s'en  voir  point, 
Que  d'en  avoir  qui  font  honte  à  leur  race. 

Mais  si  tu  dis  que  la  charge  te  pesé 
D'enfans  petits,  dont  la  tête  te  deult, 
Ne  te  soucie ,  il  n'en  a  pas  qui  veut  : 
Ils  t'aideront  à  vivre  en  ta  vieillesse. 

Si  quelquefois  du  vin  elle  se  donne; 
Cela  lui  fait  sa  malice  vomir; 
C'est  un  pavot  qui  la  fait  endormir; 
Femme  qui  dort  ne  fait  mal  à  personne. 


CLAUDE  MERMET.  i53 

ÉPIGRAMME. 
d'un  sot  qui  vocloit  blesser  l'iionn'eur  des  femmes. 

Quand  quelqu'un  dit  à  une  femme 
Qu'elle  est  prodigue  du  corps  sien , 
Il  est  sot  en  la  haute  gr.me; 
Car  ce  qu'il  dit  ne  sert  de  rien. 
S'il  dit  vrai,  elle  le  sait  bien, 
Il  n'est  besoin  de  le  lui  dire; 
S'il  ment,  il  n'est  homme  de  bien, 
Jamais  donc  on  ne  doit  médire. 

ÉPITAPHE. 
sur  un  qui  pleuroit  la.  mort  du  banquier. 

]Ve  pleure  plus,  tu  te  fais  tort; 
Ce  n'est  qu'une  personne  morte. 

RÉPONSE. 

Ah!  je  ne  pleure  pas  le  mort; 

Je  pleure  l'argent  qu'il  m'emporte. 

ÉPITAPHE  D'UN  RICHE  DÉCÉDÉ. 

L'héritier  va  pleurant  le  mort, 
Pour  la  vieille  coutume  ensuivre; 
Mais  si  le  mort  retournoit  vivre. 
L'héritier  pleureroit  plus  fort. 


i54  MARC  CLAUDE  DE  BUTTET. 

MARC  CLAUDE  DE  BUTTET. 


Marc  Claude  de  Buttet  ,  gentilhomme  savoisien , 
de  l'une  des  premières  familles  de  Cliambëry ,  fut 
envoyé  fort  jeune  à  Paris  pour  y  faire  ses  études.  Le 
cardinal  de  Châtillon ,  dont  ses  talents  lui  concilièrent 
l'estime ,  le  présenta  à  la  princesse  Marguerite  de 
France ,  qui  épousa  peu  après  Emmanuel  Philibert, 
duc  de  Savoie. 

Buttet  se  trouva  quelque  temps  embarrassé  sur  le 
choix  de  la  profession  qu'il  devoit  suivre;  mais  le 
mariage  de  sa  protectrice  mit  un  terme  à  son  indéci- 
sion. Cette  alliance  rendoit  la  paix  à  la  France.  Buttet 
ne  consulta  plus  que  son  goi\t  pour  les  lettres.  11  com- 
posa un  épithalame  pour  Marguerite  et  Philibert ,  où 
il  avoit  adroitement  fait  entrer  l'éloge  de  Henri  ii,  du 
cardinal  de  Châtillon  et  de  plusieurs  autres  personnages 
distingués.  Cependant  la  mort  du  roi,  qui  avoit  été 
blessé  dans  un  tournoi,  changea  ces  fêtes  en  deuil; 
et  notre  poète  ,  n'osant  présenter  son  épithalame  dans 
de  si  fâcheuses  conjonctures,  étoitprêt  à  le  supprimer. 
Ses  amis  l'en  dissuadèrent  ;  il  le  présenta ,  et  le  fit 
imprimer  (Paris,  loSp,  Robert  Estienne  ).  Bultet 
accompagna  Marguerite  dans  les  états  de  son  mari; 
et,  toujours  favorablement  accueilH  à  la  cour  de  Savoie, 
il  s'y  occupa  exclusivement  de  la  poésie  et  des  mathé- 
matiques. Ce  poète  vivoit  encore  en  i584;  il  pro- 
mettoit  alors  quelques  ouvrages ,  qui  n'ont  pas  vu 
le  jour. 


MARC  CLAUDE  DE  BUTTET.  l55 

F.n  id6i,  Claude  Euttet  avf)it  publié  un  recueil  de 
poésies  (Paris,  Michel  Fezandat)  où  se  trouve  son 
Epitlialame  sur  le  mariage  de  Marguerite ,  et  une  Ode 
sur  la  paix,  qui  a  voit  déjà  paru  en  i  Sop  (  Paris ,  Gabriel 
Buon  ).  Ces  pièces  sont  suivies  de  deux  Livres  d'odes  et 
de  cent  vingt-huit  sonnets ,  réunis  sous  le  titre  col- 
lectif à'yimalthée. 

Lacroix  du  Maine  ^ite  du  même  poète  plusieurs 
autres  ouvrages,  qui  étoient  encore  manuscrits  en  1 584-. 
et  qui  sans  doute  n'ont  pas  été  imprimés  :  ce  sont  quel- 
ques poënies  contre  Barthelemi  Aneau  de  Bourges  y  — 
\ Histoire  de  Job,  en  versfrancois  ;  —  et  la  Maison  ruinée. 
Marc  Claude  de  Buttet  se  faisoit  gloire  d'avoir  intro- 
duit en  France  les  vers  saphiques,  c'est-à-dire  les  vers 
françois  mesurés  à  la  manière  des  Grecs  et  des  Latins, 
mais  ayant  la  rime  de  plus  que  ces  derniers.  Baïf, 
Rapin  et  quelques  autres  poètes  lui  ont  disputé  ce 
genre  de  poésie  ;  mais  Pasquier  regarde  Buttet  comme 
le  premier  qui  en  ait  fait  usage. 


AU   ROI. 

ODE. 

Heiyri,  le  plus  grand  roi  que  soutienne  la  terre, 
Apres  avoir  montré  combien  tu  peus  en  guerre , 
Mesme  avoir  envoie  jusqu'au  ciel  tes  hauts  faits, 
Retirant  tes  fureurs  qui  les  mauvais  punissent, 
Affin  qu'en  tes  pais  tes  belles  loix  fleurissent, 
Sogneux  de  notre  bien ,  tu  apportes  la  paix. 

Te  publiant  en  tout  roi  tant  émerveillable. 
Que  ça  bas  sous  le  ciel  d'une  gloire  semblable 


l56  MARC  CLAUDE  DE  BUTTET. 

Ne  marche  ton  pareil,  soit  qu'il  faille  parler 
De  tes  divines  loix ,  ou  des  effrois  belliques  : 
Tu  t'y  montres  si  grand  que  tous  les  rois  antiques 
A  ta  haute  vertu  ne  peuvent  s'égaller. 

Combien  t'aime  le  ciel  sus  les  ans  le  temogne 
En  tes  premiers  efforts  ta  conquise  Bologne , 
Et  le  septre  écossois  en  ton  poing  fleurissant  : 
Bien  souvent  a  senti  Charles,  César,  Auguste, 
Avec  le  meur  conseil  d'un  roi  chrestien  si  juste, 
Ce  que  peut  au  besoing  un  prince  si  puissant. 

Le  Rhin  en  est  témoin,  qui  en  l'aspre  furie 
De  Mars,  accourageant  ta  grand' gendarmerie 
Te  vit,  et  te  connut  au  front  de  tes  aïeux  : 
Et  voiant  sur  ses  bords  l'honneur  roial  du  monde. 
Libéral  te  rendoit ,  en  t'esclavant  son  onde  , 
Si  tu  eusses  voulu ,  de  soi  victorieux. 

Je  laisse  du  Piémont  les  fortes  villes  prises, 

La  tremblante  Italie  en  justes  entreprises  , 

Les  Siennois  de  ta  main  doucement  recuillis, 

La  ligustique  mer  humble  dessous  ta  force , 

Qui  t'ouvrit  ses  grands  bras,  pour  te  donner  la  Corse, 

A'oiant  venir  de  loin  les  saintes  fleurs  de  lis. 

Ton  antique  Calais  paravant  imprenable 
A  tes  septrés  aieux,  aux  plus  forts  effroiable. 
D'un  haut  mur  sourcilleux,  n'a  sceu  tant  présumer 
De  ses  forces ,  qu'en  fin  ta  mai  tresse  puissance 
N'ait  chassé  pour  jamais  les  fiers  Anglois  de  France , 
Trainans  leur  honneur  mort  tous  confus  par  la  mer. 


MARC  CLAUDE  DE  BUTTET.  167 

Et  qui  ne  scait  Teffort  de  la  foudre  galUque  ? 
Dieu  en  te  découvrant  la  secrette  Amérique, 
Y  descendit  les  tiens,  menés  d'un  si  bon  heur, 
Que  sous  un  autre  ciel ,  ou  de  nuit  ne  se  glissent 
Les  astres  tels  qu'a  nous ,  ja  veincueurs  ils  bâtissent 
Une  seconde  Gaule,  à  ton  roial  honneur. 

Bref  le  destin  guidant  ta  prudente  vaillance , 
A  étandu  les  bords  de  ta  croissante  France 
Par  les  terres  et  mers ,  si  loin  avec  ton  nom , 
Qu'au  bruit  de  tes  assauts  encor'  en  est  saisie 
D'un  grand  étonnement  et  l'Aphrique,  et  l'Asie , 
Qui  sans  te  voir  t'adore  oiant  ton  seul  renom. 

Mais  sire ,  sauf  l'honneur  de  ta  grande  coronne , 
En  parlant  de  tes  faits  plus  de  los  on  te  donne 
D'avoir  du  joug  de  Mars  tiré  ton  peuple  franc  : 
Car  qui  doute  soi  mesme ,  et  connnande  à  son  ire , 
Est  bien  un  plus  grand  roi,  et  plus  digne  d'empire 
Qu'un  qui  massacre  tout  et  par  flamme  ,  et  par  sang. 

Eut  battu  l'univers  jusqu'à  forcer  Neptune 
Ta  puissance  invincible ,  en  cela  la  fortune , 
Reine  par  dessus  tout,  prendroit  l'honneur  à  soi, 
Un  los  t'en  demourroit  avec  tes  caplteines  ; 
Mais  d'avoir  trlumphé  de  ces  antiques  haines 
Sans  avoir  compagnon ,  la  gloire  est  toute  à  toi. 

Le  cruel  dieu  guerrier  qui  effroie  le  monde  , 
A  la  merci  du  fer ,  acquit  la  terre  et  l'onde , 
Par  dix  mille  travaux  aux  antiques  Césars  : 
Il  est  si  trespuissant  qu'il  a  sur  tout  victoire , 


l58  MARC  CLAUDE  DE  RUTTET. 

Mais  par  la  douce  paix  triumphant  de  sa  gloire  , 

Tu  seras  appelle  le  grand  veincueur  de  JMars. 

Quelque  autre  chante  donq'  tes  sanglantes  batailles, 
Tes  triumphes  gagnés  aux  captives  murailles 
Des  peuples  loin  doutés,  se  courbans  sous  ta  loi  ; 
Moi ,  sire  ,  je  dirai  ta  divine  justice  , 
Tes  étas  bien  rangés,  et  ta  sainte  police, 
Ta  roiale  bonté,  ta  clémence  et  ta  foi. 

En  confessant  qu'en  guerre  et  paix,  on  ne  voit  estre 
Roi  plus  vaillant  ni  doux,  et  n'en  pourroit  tel  naitre. 
Bien  que  par  toi  s'en  vient  l'âge  d'or  précieux  : 
Par  l'un  à  juste  droit  il  faut  que  tu  te  nommes 
D'un  titre  mérité  le  plus  grand  roi  des  hommes. 
Par  l'autre,  l'on  te  voit  çà  bas  semblable  aux  dieux. 


A  MADAME  DE  SAINT- VALLIER. 

ODE. 

Nous  qui  de  cette  vile  terre 
Sortons ,  puis  y  sommes  remis , 
Avons  trois  puissans  ennemis 
Cauteleux ,  qui  nous  font  la  guerre. 
Le  Tems  saccageur,  et  brisant 
Noz  œuvres  en  les  déprisant; 
L'Envie  palle,  qui  empogne 
La  vertu  des  cueurs  triumphans; 
Et  la  Mort,  mesme  aux  jeunes  ans  , 
Qui  de  nous  gueres  ne  s'élogne. 


MARC  CLAUDE  DE  BUTTET.       1  Sq 

Sur  ces  trois  la  sagesse  humaine 
Pour  néant  clierche  son  povoir, 
Si  la  raison  ne  vient  provoir 
Aux  niau.v  dont  cette  vie  est  pleine. 
Car  le  fort  Tems  qui  tout  abbat, 
Hardi  nous  livre  le  combat  ; 
L'Envie  de  travers  nous  gronde  ; 
Et  si  sommes  tous  destinés 
D'estre  par  la  Mort  ruinés 
Entrant  au  misérable  monde. 

Onq'  en  vain  pourtant  ne  travaille 

La  vertu,  (jui  nous  lait  priser, 

Et  par  noz,  faits  éterniser 

En  tems  de  paix  ou  de  bataille. 

Car  contre  eux  les  tout-voians  dieux 

De  Timmorlalité  des  cieux 

Arment  leurs  favoris  poètes: 

Et  par  leurs  carmes  bien-heureux 

Les  heroës  chcvalereux , 

De  la  race  desquels  vous  estes. 

Or'  les  saintes  Muses  et  Grâces 

Equippent  ja  Buttet  en  point 

La  trousse  en  son  flanc.  Tare  au  poing. 

Pour  résister  à  leurs  menaces. 

Aux  armes  vont  l'industriant  : 

Puis  la  plus  belle  en  me  riant 

Un  bouclier  garde-corps  me  donne 

Pour  aux  hasards  m'accompagner^ 


i6o  MARC  CLA.UDE  DE  BUTTET. 

Sur  lequel  on  voit  rechigner 
L'horrible  chef  de  la  Gorgonne. 

J'appreste  une  lame  tranchante, 

Contre  le  Tems  caut  attrapeur  : 

Puis  mon  grand  bouclier  donne  peur 

A  l'Envie  de  dueil  crevante. 

Ainsi  d'un  martial  octroi, 

Ces  dames  m'ont  promis  pour  toi 

En  leurs  grands  efforts  les  détruire  : 

Voi  me  ci  ja  armé,  ja  soit 

Que  ta  vertu  qui  les  déçoit 

Se  peut  revanger  de  leur  ire. 

Aussi  telle  grandeur  ne  glisse 
Au  tour  des  ans  qui  se  resuit, 
Indigne  en  la  profonde  nuit 
Qu'un  long  oubli  Tensevelisse. 
Il  ne  faut  quethresor  si  beau 
S'accable  dessous  le  tombeau, 
Ni  que  ton  nom  là  bas  arrive 
Sans  gloire,  aux  ombres  se  plaignant 
Que  les  beaux  vers  le  dédaignant, 
N'ont  fait  qu'en  noz  bouches  il  vive. 

O  si  Mars ,  ami  de  ma  muse , 

Et  Phœbus,  que  tant  j'ai  cherché, 

M'ouvrant  un  antre  non  touché , 

Ses  beaux  lauriers  ne  me  refuse , 

Quelquefois  on  m'orra  tonner 

Les  grands  assauts  qu'on  vit  donner 


MARC  CLAUDE  DE  BUTTET.  iG 

Quand  les  deux  princes  allobroges, 
Voisins  ennemis  de  Ion"  lens. 
Firent  au  sang  des  eonibattans 
Les  grands  flots  de  l'Jsere  rouges. 

Lors  que  la  gent  savoisienne 

En  peu  de  nombre  époventa, 

Assaillit,  rompit  et  douta 

Le  fort  camp  du  daupbin  de  Vienne. 

Cbantant  Berol,  et  son  bon  lieur, 

Je  n'oblierai  point  l'honneur 

Illustrant  ta  maison  antique, 

Ni  les  noms  aux  astres  voUans 

De  tes  aieux  de  Miolans , 

Coulonnes  de  la  republique. 

Je  (lirai  des  lauriers  la  gloire 
Qu'ils  lesoient  en  leur  sang  bagner, 
Se  perdans ,  pour  mieux  se  gagner 
A  l'inviolable  mémoire. 
Je  publirai,  par  leurs  moiens, 
De  quel  cueur  les  Savoisiens 
Conquirent  et  chasteaux  et  villes, 
Et  que  plus  leur  pais  leur  doit 
Que  jadis  Rome  ne  devoit 
Aux  Scipions,  ni  aux  Camilles. 


1 1 


i62  MARC  CLAUDE  DE  BUTTET. 

A  APOLLON. 

VERS     SAPHIQUES. 
ODE. 

Prince  des  Muses  ,  joviale  race, 
Vieil  de  ton  beau  mont  subit ,  et  de  grâce 
Montre  moi  les  jeux ,  la  lyre  ancienne , 
Dans  Mitylene, 

Qu'autrefois  Sapphon  sona  si  dolente  , 
Quand  le  cueur  bruloit  à  la  pauvre  amante, 
Père,  si  tu  veux  que  je  les  fredonne, 
Donne  la ,  donne. 

Et  que  d'un  archet  résonant  je  pousse 
Mille  grands  beautés  de  ma  nymphe  douce. 
Douce,  non,  mais  las  à  l'amant  fidèle 
Toute  cruelle. 

Or  que  dans  ces  bois  je  me  tire  à  l'ombre. 
Plein  d'amours  nuisans ,  que  je  porte  sombre 
Trompe  mes  langueurs ,  la  doleur ,  la  peine , 
Qui  me  regeine. 

Vange  toi ,  Paean  ,  de  la  Cyprienne , 
Qui  va  commandant  à  la  bande  tienne  ; 
Pas  ne  suis  du  rang  de  sa  trouppe  serve. 
Mais  de  Minerve. 

O  l'honeur  par  tout  révérend  de  Clare , 
Des  faveurs  tiennes  ne  me  sois  avare , 


MARC  CLAUDE  DE  BUTTET.  i63 

Montre  les  hauts  cieux  en  ma  gloire  belle, 
Perpétuelle. 

Par  fureurs  saintes  loge  clans  ma  teste  , 
Contre  les  Parcjues  sacre  mol  poète  , 
Des  nouveaux,  lauriers  à  la  jeune  muse 
Dieu  ne  refuse. 

Mets  Tamour  tousjours  de  la  belle  en  estre, 
Fai  (|ue  ton  liitli  d'or  resone  en  ma  dextre, 
Et  que  Tord  Python  de  sa  langue  inique 
Plus  ne  me  pique. 


SUR  LA  MORT  D'UNE  DAMOISELLE. 

ODE. 

Levés  vous  aux  prières  miennes, 
O  saintes  vierges  tespienncs  , 
Et  or'  à  ce  triste  tombeau, 
Accoures ,  immortel  trouppeau  : 
Debout,  sortes  des  vertes  ombres 
D'Helicon  ,  pour  voir  les  encombres. 
L'angoisse  et  le  regret  profond 
Que  les  destins  souffrir  nous  font- 
La  beauté  ou  les  douces  Grâces 
Choisirent  leurs  duisantes  places, 
Lors  que  le  dur  tens  les  troubloit  ; 
La  nymphe  qui  vous  ressembloit, 
Du  ciel  pour  un  miracle  offerte , 
De  soi  et  de  nous  a  fait  perte. 


l64  MARC  CLAUDE  DE  BUTTET. 

Las!  si  les  Heliades  seurs 
Lamentant  fondirent  en  pleurs, 
De  dures  écorces  étreintes, 
Regretant  en  vain  par  leurs  pleintes 
Leur  frère  mal  caut  attelant 
Le  char  tout  l'univers  brûlant: 
Au  moins  soient  meslés  en  voz  carmes 
Durs  soupirs  ,  compagnons  des  larmes  ; 
Et  d'un  cri  étrange  et  peu  beau 
Fendes  cet  avare  tombeau, 
Menant  une  pleinte  si  grande , 
Que  le  ciel  mesme  vous  entende. 

Et  moi ,  me  rongeant  jours  et  nuits , 
Je  verrai  avec  mes  ennuis 
Si  mes  angoisses  inhumaines , 
Si  mes  aspres  sanglots  et  peines , 
Et  mes  pleurs  pronts  à  le  laver. 
Seront  forts  pour  le  soulever. 

Prins  tu  plaisir ,  ciel ,  de  parfaire 
Ce  bel  euvre  pour  le  défaire  ? 
O  terre  mère  !  peus  tu  bien  , 
Perdant  ton  plus  souverein  bien , 
Ores  tes  gais  atours  reprendre? 
La  fiere  parque  a  fait  descendre , 
Ah  Dieu,  en  un  moment  si  brief! 
Dessous  toi,  ô  creve-cueur  grief! 
O  dure  parque  inexorable! 
Tout  ce  qu'eut  ce  tens  d'admirable , 
De  douceur,  de  grâce  et  beauté , 
Et  n'a  peu  fléchir  sa  bonté 


MARC   CLAUDE  DE  BUTTET.  l6j 

La  rigueur  d'une  loi  si  dure  : 
Mais  le  ciel  en  print  tant  de  cure , 
Qu'encores  elle  a  le  povoir , 
Maugré  la  mort ,  faire  revoir 
Sa  vertu  survivante  au  monde. 
Hé  Dieu ,  quelle  angoisse  profonde , 
Ah  !  quel  regret  perpétuel 
Yoir  choir  sous  un  astre  cruel 
La  beauté  des  dieux  admirée  ! 
Voir,  helas!  devant  la  serée 
L'unique  rose  ainsi  fanir! 
Quiconque  ici  vaudra  venir 
De  pleurs  bagne  un  tombeau  si  rare. 
Et  fut  un  du  roch  plus  barbare 
Des  froids  Scytes  la  connoissant, 
Qu'il  aille  par  tout  annonçant 
Que  ces  cendres  encores  belles 
Furent  Tbonneur  des  damoiselles. 

Las!  comme  un  bref  lis  qui  fleurit, 
La  plus  grande  beauté  périt; 
Et  de  noz  ans  le  tant  court  nombre 
Derrier'  nous  fuit  ainsi  qu'une  ombre  ; 
Car  tout  en  ce  val  terrien 
Semble  un  songe,  et  est  moins  que  rien, 
Tant  peu  noz  plaisirs  y  séjournent. 
Les  beaux  soleils  couchés  retournent 
Plusieurs  fois,  leur  course  élevant 
Au  tour  éternel,  se  suivant 
Tousjoms  en  leur  splendeur  semblable  : 
Mais  si  d'un  coup  inévitable 


r66      MARC  CLAUDE  DE  BUTTET. 

La  parque  en  ses  cruels  effors , 

Empoudrant  ce  terrestre  corps , 

Nous  a  notre  lumière  éteinte, 

Ains  qu'avoir  la  grand'  borne  atteinte 

Que  de  terre  on  resortira, 

Longue  nuit  nous  assopira  : 

Las!  au  monde  rien  n'est  durable. 

Puis  donq'  que  le  sort  indontable 

N'a  de  noz  plus  beaux  jours  merci, 

Muses,  mettes  le  pié  ici. 

Et  sur  la  nymphe  ensevelie 

Jettes  la  rose  frais-cueillie, 

Jettes  voz  plus  beaux  lauriers  verds, 

Lui  gravant  mémorables  vers  : 

Affin  qu'ainsi  le  passant  sache 

Quel  thresor  cette  terre  cache. 


SONNET. 

Dix  et  neuf  ans  j'avoi  heureusement, 
Gardant  encor'  mon  innocence  entière  , 
Et  le  poil  d'or  de  ma  barbe  première , 
Sur  mon  menton  se  frisoit  seulement. 

Allors  qu'Amour,  trop  cauteleusement. 
En  me  flattant  d'une  douce  manière , 
Me  fit  ton  serf,  mesme  avec  la  prière 
Me  promettoit  un  fort  bon  traittement. 

Mais  je  n'ai  eu  que  peine  à  ton  service, 

Que  mal,  qu'ennui,  et  sans  faire  un  ssul  vice 

Pour  tout  guerdon  je  n'emporte  que  blâme  : 


MARC  CLAUDE  DE  BUTTET.  167 

Avec  la  mort  que  j'aten  brièvement. 
Voilà  le  bien  ,  Theur  et  l'avancement 
Que  j'ai  gagné  pour  vous  servir,  madame. 


SONNET. 

Combien,  combien  je  t'ai  en  révérence, 
JN'aiant  voulu  renoncera  tes  loix, 
Ingrat  Amour  orendroit,  tu  le  vois; 
Mais,  las!  j'en  ai  bien  pauvre  recompense. 

Et  que  me  vaut  d'avoir  parmi  la  France 
Cbanté  tes  traits,  ton  arc  et  ton  carquois? 
Et  que  me  vaut  t'a  voir  sacré  ma  voix. 
Si  tousjours  plus  tu  me  fais  de  nuisance? 

Ne  voi  tu ,  las  !  sur  moi  ta  trousse  vuide  ? 
Je  ne  suis  pas  l'outrecuidé  Tydide, 
Qui  de  ta  mère  outra  la  belle  main. 

Au  premier  choc  je  t'ai  donné  victoire  : 
De  me  tuer  auras  tu  quelque  gloire  ? 
Mal  sont  égaux  un  dieu  et  un  humain. 


i68  GUILLAUME  DU  SABLE. 


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GUILLAUME   DU   SABLE. 


Guillaume  du  Sable  avoit  été  élevé  à  la  cour  de 
François  i",  et  avoit  servi  domestiqiiement  sept  rois, 
François  r',  Henri  ii ,  François ii,  Charles  ix,  Henri  m, 
Henri  iv  et  Louis  xm.  Ses  poésies  furent  imprimées 
à  Paris  en  i6ii,sur  un  privilège  du  26  mai  1608. 
Guillaume  du  Sable  y  prend  le  titre  de  gentilhomme 
ordinaire  de  la  vénerie  du  roi ,  qualité  qui  l'a  déter- 
miné à  donner  à  ses  poésies  le  titre  de  la  Muse  chasse- 
resse. Parmi  des  pièces  très  insipides,  on  en  trouve  quel- 
ques unes  d'intéressantes.  H  composa  un  grand  nombre 
de  sonnets  en  Ihonneur d'une  demoiselle d'Agen,  nom- 
mée Armoise  ou  Armaisede  Loumagne.  Li  pièce  intitu- 
lée Coq-a^Fasne  de  la  truje  au  foin,  est  une  satire  passable 
sur  les  affaires.  Un  défaut  né<^essairemcnt  attaché  à  ce 
genre  de  poésie ,  c'est  de  n'être  entendu  que  par  les 
lecteurs  contemporains ,  ou  par  des  personnes  très 
instruites  de  l'histoire  anecdotique  du  temps.  Le  Coq- 
a-Vasne  de  Guillaume  du  Sable  est  une  histoire  abrégée 
de  la  Ligue  et  de  quelques  événements  particuliers, 
surtout  depuis  la  mort  de  Henri  11.  H  y  auroit  un  long 
commentaire  à  faire  à  cette  pièce  et  à  celle  qui  en  est 
une  continuation  ;  et  l'une  et  l'autre  peuvent  servir  à 
éclaircir  les  ouvrages  critiques  du  temps ,  tels  que  la 
Confession  de  Sancy,  la  Satire  Ménippèe ,  ou  le  Cat/io- 
licon,  etc.  L'auteur  est  un  huguenot  déterminé,  et 
parle  de  la  religion  catholique  et  du  pape  sur  le  ton 


GUILLAUME  DU  SABLE,  169 

des  ministres  les  plus  emportés  ;  il  ne  ménage  per- 
sonne, pas  même  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  considérable 
à  la  cour,  comme  Lavarenne  ,  Diacetti   ou  Dajacet 
Albert  de  Gondi,  la  maison  de  Lorraine,  la  Sorbonne 
le  chancelier  Birague,  Catherine  de  Médicis  elle-même. 
Dans  le  second  Coq-a-V asne ,  l'auteur  dit  : 

Nostradamus  a  eu  ses  vogues. 
Molossos,  en  latin ,  sont  dogues  ; 
Mais  mulets  pour  un  chancelier. 

Cela  revient  au  conte  que  fait  Henri  Etienne,  dans  son 
Jpologie  pour  Hérodote ,  que  Henri  viii ,  roi  d'Angle- 
terre, ayant  envoyé  trois  des  plus  beaux  dogues  en 
présent  à  François  i",  avec  une  lettre  latine  où  il  lui 
annonçoit  ce  présent ,  le  roi ,  qui  ne  savoit  pas  le  latin , 
donna  la  lettre  à  interpréter  au  cardinal  Duprat,  son 
chancelier,  qui  expliqua  ces  mots  :  Mitto  tibl  très 
molossos,  par  ceux-ci  :  Je  -vous  envoya  trois  mulets. 
Le  roi  ayant  reçu  ensuite  les  dogues,  dit  au  cardinal 
qu'il  lalloit  qu'il  se  fût  trompé,  et  que  les  mots  de 
la  lettre  ne  signifioient  pas  sans  doute  ce  qu'il  lui  avoit 
dit ,  puisque  le  roi  d'Angleterre,  au  heu  de  trois  mulets, 
lui  avoit  envoyé  trois  dogues.  -<  Sire  ,  cela  se  peut ,  dit 
«  le  cardinal  en  revoyant  la  lettre  ;  j'aurai  pris  molossos 
«  pour  multtos.  >.  On  a  accusé  Henri  Etienne  d'avoir 
imaginé  ce  conte ,  comme  beaucoup  d'autres  ,  dans 
son  Apologie.  Guillaume  du  Sable  se  montre ,  dans  ses 
poésies ,  ennemi  irréconciliable  de  la  Ligue  et  des 
Ligueurs.  11  y  a  plusieurs  sonnets  pleins  de  conseils 
hardis  adressés  à  Henri  m. 


170  GUILLAUME  DU  SABLE. 


SONNET. 

Si  ce  brave  Toscan  vlvoit  pour  le  jour  d'huy, 
Et  que  cognolssance  eut  de  ma  nymphe  agenoise, 
Je  crois  qu'il  quitteroit  sa  Laure  avignonoise, 
Pour  m'oter  et  ravir  ce  bien  que  je  poursuy. 

Lors,  ainsi  qu'un  jaloux  doubteux  et  plein  d'ennuy, 
Contre  ce  Florentin  prindrois  querelle  et  noise; 
Car  luy,  la  connoissant  tant  aimable  et  courtoise, 
Si  avare  en  seroit,  qu'il  voudroit  tout  pour  luy. 

Je  veux  bien  Tavouer ,  ô  excellent  Pétrarque  ! 
Qu'en  ton  vivant,  tu  fus  le  vray  prince  ou  monarque 
De  ceux  qui,  en  aimant,  n'ont  point  faussé  leur  foy; 

Nous  en  avons  encore  ici  bas  la  mémoire  ; 
Ne  pense  toutefois  sur  tous  avoir  victoire; 
J'en  cognois  aujourd'huy  d'aussy  loyaux  que  toy.  ' 

'  La  fin  de  ce  sonnet  ressemble  assez  à  celle  du  sonnet  de  Joh 
qui  finit,  comme  tout  le  monde  le  sait,  par  ce  vers: 
J'en  connois  de  plus  misérables. 


GUILLAUME  DU  SABLE.  171 


SONNET. 

SUR   LES   DÉVOTIONS  PRETENDUES  DE  HENRI  III. 

D'estre  amateur  de  paix,  aux  pauvres  charitable; 
A  la  veufve  assister,  consoler  l'affligé; 
Défendre  l'orphelin,  qui  du  riche  est  mangé; 
Toujours  estre  au  public  utile  et  profitable  ; 

Aux  bons  se  montrer  bon,  aux  méchans  redoutable; 
Ne  souffrir  aucun  tort  sans  estre  corrigé  : 
A  chascun  faire  droict ,  comme  on  est  oblisé , 
C'est  du  debvoir  d'un  roy,  pour  se  rendre  équitable. 

Non  pas  se  conformer  aux  capucins  pouilleux  , 
Ni  aux  jésuites  feints,  ligueurs  et  scandaleux, 
Lesquels  ont  inventé  ce  mauldit  monopole: 

De  pratiquer  la  Ligue  à  leur  dévotion  , 
Pour  planter  à  la  France  une  inquisition, 
Et  les  faire  sur  nous  régner  à  l'espagnole. 


i']2  FLORENT  CHRESTIEN. 


<S«S'5«8'A'E9e«««€-®e««-S6^3«$«'9S-€'«9^$-«'S«9e«-«^-«-&«S^e^««e«<e'«ç®C^a«'0'S89  3  4 


FLORENT  CHRESTIEN. 


Florent  Chrestien,  né  à  Orléans  en  i54o,  étoit 
fils  de  Guillaume  Chrestien,  gentilhomme,  originaire 
de  la  Bretagne ,  médecin  distingué ,  qui  s'attacha 
d'abord ,  en  cette  qualité ,  au  duc  de  Bouillon ,  et  en- 
suite à  François  i"'  et  à  Henri  ii,  Florent  Chrestien  se 
livra  de  bonne  heure  à  l'étude  des  langues  grecque  et 
latine ,  et  s'y  rendit  très  habile.  Son  mérite  le  fit  ap- 
peler auprès  de  Henri  iv,  alors  prince  de  Béarn,  à 
qui  il  servit  de  précepteur.  11  fut  dans  la  suite  nommé 
bibliothécaire  à  Vendôme ,  où  il  s'étoit  retiré.  Les 
Ligueurs  l'ayant  fait  prisonnier  loisqu'ils  s'emparè- 
rent de  cette  ville,  Henri  iv,  qui  n'étoit  encore  que 
roi  de  Navarre  ,  paya  sa  rançon  et  le  délivra.  Florent 
Chrestien  avoit  embrassé  la  secte  calviniste  :  il  se  fit 
catholique  sur  la  fin  de  ses  jours.  11  mourut  à  Ven- 
dôme au  commencement  du  mois  d'octobre  iSgô, 
dans  la  cinquante-sixième  année  de  son  âge. 

Parmi  les  nombreux  ouvrages  qu'a  laissés  Florent , 
sa  traduction  des  quatre  Livres  de  la  Vénerie (VOppien, 
poète  grec  d'Arnabaze,  mérite  de  tenir  le  premier 
rang.  11  ne  falloit  pas  moins  de  patience  que  d'érudi- 
tion pour  oser  l'entreprendre  j  sa  version  est  d'une 
fidélité  rare,  et  sa  diction  est  assez  correcte  pour  le 
temps  où  il  écrivoit;  mais  on  ne  peut  pas  en  dire  au- 
tant de  sa  versification,  qui  est  généralement  dure  et 
hérissée  d'enjambements.  Cette  traduction,  que  Jean 


FLORENT  CHRESTIEN.  lyS 

Dorât  et  quelques  autres  savants  ont  beaucoup  louée, 
est  aujourd'hui  fort  rare  et  très  recherchée  j  elle  fut 
imprimée  en  iSyS  (Paris,  z>?-4%  Mamert  Pâtisson, 
avec  les  caractères  de  Robert  Etienne  ). 

Les  autres  productions  de  Florent  Chrestien  sont  : 
1°.  une  tragédie  de  Jephté,  ou  le  î^œu;  2".  le  Corde- 
lier,  ou  le  saint  François  ;  3".  un  Hymne  génethliaque 
sur  la  naissance  de  M.  le  comte  de  Soissons;  4.°.  le  Ju- 
gement de  Paris  ^  5".  un  Cartel,  avec  quelques  stances 
et  sonnets,  faits  pour  les  tournois  a  Valéry^  en  Van 
1557,  etc. ,  etc. 

Jephté f  ou  le  Vœu,  est  une  traduction  assez  littérale , 
en  vers  de  douze ,  de  dix  et  de  huit  syllabes ,  de  la 
même  pièce  composée  en  latin  par  Buchanan.  Elle 
fut  imprimée  à  Orléans  en  i  Sôj ,  wz-4° ,  et  à  Paris  en 
iSyS  (Robert  Etienne,  /«-8°). 

Ce  n'est  que  dans  la  première  de  ces  éditions  que 
l'on  trouve,  à  la  suite  de  Jephté,  le  premier  Chapitre 
des  lamentations  de  Jercmie ,  traduites  en  stances. 

Florent  Chrestien  se  signala  par  quelques  écrits 
satiriques  en  prose  et  en  vers,  contre  Ronsard  et  ses 
partisans,  dont  il  étoit  l'ennemi  juré,  mais  avec  les- 
quels il  se  réconcilia  dans  la  suite ,  à  la  grande  satis- 
faction de  Ronsard ,  qui  paroît  avoir  fort  redouté  le 
génie  satirique  de  notre  poète. 


174  FLORENT  CHRESTIEN. 


FRAGMENT  DE  LA.  TRAGÉDIE  DE  JEPHTÉ. 
JEPHTÉ. 

O  vray  monarque!  6  Dieu  plein  de  justice! 

O  tout  puissant!  6  deité  propice! 

Père  clément,  mais  vers  tes  ennemis 

Cruel  vengeur,  bénin  à  tes  amis. 

Dieu  en  courroux,  severe  et  redoutable, 

Mais  s'appaisant,  6  Seigneur  irritable. 

Mais  plein  d'amour,  nous  avions  mérité 

Noz  durs  travaus  et  la  captivité 

Où  nous  estions,  nostre  meschante  vie 

Fut  à  bon  droit  aus  mescliants  asservie; 

Car  te  laissant  nostre  libérateur. 

Père  de  vie  et  de  tout  bien  auteur, 

Nous  présentions,  helas!  aus  pierres  sourdes. 

Au  bois  muet  noz  offrandes  trop  lourdes, 

Dont  je  rougis,  avec  nostre  oraison; 

Lbomme  qui  est  capable  de  raison, 

Qui  participe  à  la  vie  éternelle,  * 

Adore  un  tronc  qui  n'a  point  de  cervelle , 

H  donne  encens  à  un  sepulclire  infaict. 

Et  l'bomine  ouvrier  craint  l'œuvre  qu'il  a  faict. 

Ainsi,  Seigneur,  tes  faveurs  ordinaires 

Nous  ont  laissé,  nous  di-je,  refractaires 

A  tes  edils,  et  ainsi  justement 

Fusmes  mattez  d'un  cruel  cbastiment, 

Quand  or'  Ammon,  or'  la  force  Idumee 


FLORENT  CHRESTIEN.  jn^ 

Or'  Palestine  encontre  nous  armée, 
Or'  ceux  de  Syre  ont  gasté  et  poilu 
Ton  héritage  et  ton  partage  esleu; 
Et  à  la  fin  encores  à  grand  peine 
Priasmes-nous  ta  bonté  souveraine 
Pour  quelque  maus  que  nous  peussions  avoir. 
Mais  toy,  Seigneur,  selon  ton  bon  pouvoir. 
Par  ta  douceur  miséricordieuse, 
Tu  as  brisé  ton  ire  furieuse  : 
Et  oubliant  toute  haine  du  tout, 
Tu  as  remis  tes  enfans  dessus  bout , 
Eux  qui  jadis  s'estoyent  par  leur  audace 
Déshéritez  et  ostez  de  ta  grâce, 
Et  comme  si  tu  avois  peu  donné 
De  leur  avoir  leurs  forfaits  pardonné. 
Tu  les  remplis,  comme  pour  accessoires. 
De  grands  honneurs,  de  triomphe  et  victoires. 
Noz  ennemis  sont  ores  desarmez 
Et  mis  en  route,  ou  bien  tous  consumez, 
Leurs  arcs  rompus ,  les  morts  jettez  par  terre 
Ostent  la  fuite  aus  chariots  de  guerre; 
Tel  menassoit  de  douter  la  cité. 
Et  nous  tenir  tous  en  captivité , 
Qui  maintenant  estendu  par  la  voye , 
Sert  de  viande  à  tout  oiseau  de  proye  ; 
Les  champs  par  tout  de  corps  morts  sont  couvers, 
Les  eaux  de  sang  :  Père  de  l'univers. 
Pour  ceste  cause  ores  en  toutes  places 
Nous  te  louons  en  action  de  grâces: 
A  toy.  Seigneur,  et  en  toutes  saisons , 


176  FLORENT  CHRESTIEN. 

Nous  présentons  nos  humbles  oraisons, 
Sacrifians  aux  autels  ordinaires. 
Te  chantant  Dieu,  et  père  de  nos  pères, 
Toy  qui  jadis,  par  les  flots  menassants, 
A  nos  ayeus  fis  des  chemins  passans. 
Quand  toy  parlant,  la  paresseuse  masse 
De  la  grand  mer  vint  à  leur  faire  place. 
Posant  ses  vents,  la  mobile  liqueur 
Se  contraignit  et  s'estonna  de  peur. 
De-çà ,  de-là  les  ondes  s'escartantes 
Representoyent  deus  murailles  pendantes, 
Et  firent  voye.  Et  pour  ce  maintenant, 
O  Seigneur  Dieu ,  comme  en  te  souvenant 
De  ta  bonté  et  de  ton  alliance, 
Reçoy  les  veus  que  mon  obéissance 
Or'  te  présente,  et  bien  qu'ils  soyent  petits, 
Si  ne  sont-ils  d'un  petit  cœur  partis. 
Or'  pour  monstrer  ma  promesse  tenue , 
Quand  ma  maison  sentira  ma  venue. 
Quand  sain  et  sauf  je  viendray  triomphant, 
Ce  que  premier  me  viendra  au  devant. 
Sur  ton  autel  te  sera  sacrifice  : 
Bien  que.  Seigneur,  le  moindre  bénéfice 
Que  nous  sentons  par  ta  bénignité 
Surpasse  encor  la  superfluité 
De  tous  nos  dons  :  les  oblations  grasses 
N'egallent  point  tes  faveurs  et  tes  grâces; 
Mais  tov,  Seigneur,  qui  prens  en  bonne  part 
Les  petits  dons  qu'un  bon  cœur  te  départ, 
Comme  tu  es  véritable  sans  cesse. 


FLORENT  CHRESTIEN.  177 

Gardant  ta  foy  et  tenant  ta  promesse , 
Aussi,  6  Dieu  débonnaire,  tu  veus 
Que  les  humains  s'acquittent  de  leur  veus 
Fidèlement,  tu  monstres  ta  puissance 
Aux  refragans ,  et  ta  douce  clémence 
A  tous  craignans  ;  car  à  toy  appartient 
Tout  ce  grand  monde  et  tout  ce  qu'il  contient! 

JEPHTÉ,  LE  PRESTRE. 

JEPHTÉ. 

O  grand  soleil,  auteur  du  jour,  ô  pères  viens! 
O  hommes  innocens ,  destournez  loing  voz  yeus 
Du  meschant  sacrifice,  où  toy,  terre  patente, 
Qui  dois  boire  le  sang  de  la  vierge  innocente, 
Ouvre-toy  jusqu'au  fond,  et  tout  vif  m'engloutis 
Dans  un  abisme  creus,  devore-moi  tandis 
Que  je  ne  suis  meschant  :  quelque  part  où  je  meure 
Il  ne  m'en  chaut,  pourveu  que  je  meure  à  ceste  heure. 
D'aller  mesme  aus  enfers  je  ne  refuse  pas, 
Pourveu  que  je  ne  soy'  parricide  là  bas; 
Que  di-je,  les  enfers?  j'y  fay  ma  demeurance, 
Les  enfers  sont  chez  moi  :  de  quelle  contenance 
Par  ma  femme  pleurante  or  seray-je  abbordé  ? 
De  quel  port,  de  quel  œil  seray-je  regardé 
Par  ma  fdle  vouée  à  la  mort  misérable , 
Qui  viendra  m'accoller  en  sa  voix  lamentable  ? 

LE    PRESTRE. 

Tousjours  ce  dueil  advient  aus  maus  désespérez, 
Toutes  et  quantesfois  que  les  cueurs  ulcérez 
V.  12 


178  FLORENT  CHRESTIEN.  " 

Chassent  le  médecin,  et  que  la  maladie  \ 

Du  crime  perpétré  ne  veut  qu'on  remédie. 

Mais  il  est  en  ton  chois  ou  d'estre  malheureus , 

Ou  de  ne  l'estre  pas  :  regarde  l'un  des  deus, 

Ou  immolle  ta  fdle,  ou  fais  tout  le  contraire; 

L'un  et  l'autre  est  en  toy,  tu  le  pourras  hien  faire;    ^ 

Et  si ,  pour  mieus  parler,  il  n'est  en  ton  pouvoir, 

Si  ce  n'estoit  qu'un  homme  eust  plaisir  de  se  voir 

Misérable  et  meschant;  comment  t'est-il  possible 

De  perpétrer  ainsi  un  crime  si  horrible, 

Que  nature  deffend  et  la  dévotion,  « 

Et  qui  est  envers  Dieu  abomination  ; 

Car  d'aimer  ses  enfans  cela  vient  de  nature,  1 

Et  non  seulement  nous,  mais  toute  créature 

Qui  vole  par  le  ciel,  qui  nage  dans  la  mer,  i 

Tout  ce  qui  vient  de  terre  est  sujet  à  aimer. 

Tout  sent  dedans  soymesme  un  affection  sainte: 

Ceste  grande  vertu  dans  noz  cœurs  est  emprainte 

Par  le  sage  vouloir  de  la  divinité, 

Afin  que  par  ainsi  chacun  soit  incité 

A  nourrir  ses  enfans ,  à  contenir  le  monde 

En  un  commun  accord,  et  la  race  féconde 

A  se  multiplier,  et  pour  estroitement  , 

Imprimer  mieus  ce  nom  dans  nostre  entendement, 

Il  s'est  fait  père  et  veut  que  père  l'on  l'appelle , 

En  nous  recommandant  l'amityé  paternelle  ; 

Par  son  exemple  mesme ,  et  par  l'exemple  aussi  | 

Des  oyseaus  et  poissons  qui  ont  ce  saint  soucy. 

Nous  qui  devrions  avoir  l'humanité  plus  grande, 

Comme  hommes  qui  portons  ce  nom  qui  nous  commande ,  I 


FLORENT  CHRESTIEN.  179 

Plus  que  les  animaus  nous  sommes  inhumains , 
Et  ne  nous  contentans  de  polluer  noz  mains 
D'un  péché  malheureus,  d'un  forfait  exécrable, 
Nous  en  accusons  Dieu  et  l'en  faisons  coupable, 
Faisants  accroire,  helas  !  que  Dieu  reçoit  en  gré 
L'holocauste  sanglant  dessus  l'autel  sacré, 
Crime  que  ne  feroit  1  ^Egypte  qui  ignore 
Le  service  de  Dieu,  ny  l'Assyrie  encore 
Qui  est  pour  aujourd  huy  sur  toutes  nations, 
La  plus  pleine  d'erreurs  et  superstitions, 
De  mensonges,  d'abus,  de  dévotions  folles, 
D'abominations  qui  se  font  aus  idoles; 
Mais  il  vaut  mieus  garder  la  pureté  des  mains, 
Nous  qui  sommes  issus  de  pères  purs  et  saints. 
Et  n'offrir  rien  à  Dieu  que  choses  bien  sacrées 
Et  pures  ;  car  le  sang  des  bestes  massacrées 
N'appaise  nostre  Dieu,  Dieu  n'est  point  contenté 
Par  le  meurtre  d'un  bœuf  qui  luv  est  présenté. 
La  vraye  oblation ,  le  plaisant  sacrifice 
C'est  un  cœur  non  poilu,  nettoyé  de  tout  vice, 
C'est  une  ame  reculte  en  simple  vérité , 
En  chaste  conscience,  en  sainte  pureté. 

J  E  P  H  T  É. 

Pourquoy  donc  en  sa  loy  requiert  il  sacrifice? 

LE     p  RESTEE. 

Ce  n'est  point  qu'il  se  plaise  au  sang  d'une  génisse. 
Ou  qu'il  soit  affamé  d'un  veau  pour  en  manger, 
Mais  affin  qu'à  sa  loy  nous  nous  venions  ranger. 

JEPHTÉ. 

Quand  on  promet  un  veu ,  ne  le  faut  il  pas  rendre  ? 


i8o  FLORENT  CHRESTIEN. 

LE    PRESTRE. 

La  loy  veut  qu'il  soit  juste ,  et  ainsi  le  faut  prendre. 

JEPHTÉ. 

Tout  se  fust  mieus  porté  si  du  commencement 
Je  n'eusse  rien  promis  que  bien  et  sagement. 
Mais  ores  que  c'est  fait,  la  loi  du  ciel  venue 
Veut  que  toute  promesse  au  Seigneur  soit  tenue. 

LE    PRESTRE. 

Quelle  loy  veut  qu'un  père  immole  son  enflant  ? 

JEPHTÉ. 

Celle  qui  veut  qu'un  veu  se  paye  au  Dieu  vivant. 

LE    PRESTRE. 

Ce  qu'il  ne  faut  tenir,  faut  il  qu'on  le  promette  ? 

JEPHTÉ. 

Si  ne  doit  on  fausser  une  promesse  faite. 

LE    PRESTRE. 

Si  c'estoit  pour  brusler  les  lois  des  pères  viens  ? 

JEPHTÉ. 

Tels  veus  ne  se  font  point  que  par  gens  furieus. 

LE    PRESTRE. 

D'autant  qu'il  contrevient  à  la  saincte  parole  : 

JEPHTÉ. 

Voire. 

LE    PRESTRE. 

Quoy  donc  ?  celui  qui  son  enfant  immole  ? 

JEPHTÉ. 

La  cause  et  non  le  fait  ici  doit  avoir  lieu. 

LE    PRESTRE. 

Penses  tu  par  ainsi  bien  obéir  à  Dieu  ? 


FLORENT  CHRESTIEN.  j8t 

J  E  PHTÉ. 

Dieu  commanda  qu'Isac  fust  tué  par  son  père. 

LE    PRESTRE. 

Dieu  qui  le  commanda  l'empescha  de  ce  faire. 

J  E  PHTÉ. 

Mais  il  le  commanda. 

LE    PRESTRE. 

Affin  que  ceste  foy 
D'Abraham  fust  cogneue. 

JEPHTÉ. 

Et  l'engarda  :  pourquoy  ? 

LE    PRESTRE. 

Pour  monstrer  à  chacun  que  l'humble  obéissance 
Lui  plaist  plus  que  l'hostie. 

JEPHTÉ. 

A  sa  saincte  puissance 
Il  faut  donc  obéir? 

LE    PRESTRE. 

Voire. 

JEPHTÉ. 

Veut  il  exprès 
Qu'on  fasse  veus  ? 

LE    PRESTRE. 

Oui. 

JEPHTÉ. 

Et  qu'on  les  rende  après? 

LE    PRESTRE. 

Oui. 

JEPHTÉ. 

Les  desloyaus  et  tardifs  à  les  rendre 
Seront  doncques  punis. 


l82  FLORENT  CHRESTIEN. 

LE    PRESTRIi. 

Tu  ne  sçaurois  défendre 
Encor  en  cest  endroit  ny  couvrir  ton  forfait. 
Tout  homme  qui  s'oblige  à  quelque  meschant  fait, 
Est  transporté  de  soy,  ses  passions  saisies 
Obéissent  tousjours  aus  folles  phantasies. 
Au  reste,  quehjue  veu  que  tu  ayes  traité, 
Cesse  d'accuser  Dieu  de  ta  meschanceté. 
Et  ne  pense  que  lui  qui,  en  sa  loy  divine, 
Hait  les  hommes  meschants,  et  leur  faits  abomine, 
S'appaise  dun  forfait  dont  il  est  irrité. 
La  parole  de  Dieu,  pleine  de  vérité. 
Est  constante  à  jamais,  son  commandement  stable. 
Eternel,  permanent  et  qui  n'est  point  muable, 
Dont  il  ne  se  faut  point  détourner  çà  de  là. 
Yoilà  le  but  où  faut  tousjours  viser,  voilà 
Où  il  se  faut  régler;  ceste  loy  souveraine 
Doit  être  le  conseil  de  nostre  vie  humaine. 
Puisque  Dieu  nous  la  donne  afin  de  nous  garder. 
Et  que  comme  un  flambeau  elle  puisse  guider 
Nos  pas  mal  asseurez,  et  qu'elle  nous  gouverne. 
Or  ayant  délaissé  bien  loing  ceste  lanterne 
Si  témérairement,  rentre  au  chemin,  devant 
Que  l'erreur  te  destourne  encores  plus  avant. 

Mais  tu  es  abusé  bien  fort  si  tu  estimes 
Qu'un  veu  fol  soit  payé  par  ineschantes  victimes  ; 
Car  tant  s'en  faut  qu'ainsi  ton  crime  soit  oslé, 
Que  mesme  il  se  croistra  par  ceste  cruauté  , 
Et,  pour  n'estre  trompé  ici  à  l'aventure. 
Comme  Dieu  prend  plaisir  à  l'oblation  pure 


FLOPvENT  CHRESTIEN.  l83 

Des  sacrifices  saints,  aussi  a  il  horreur 
Des  veusmeschants  et  pleins  d'abominable  erreur, 
Et  qui  de  feu  profane  un  autel  environne, 
Quand  son  intention  encores  seroit  bonne, 
Ne  demeure  impuny;  or  regarde  en  ce  lieu. 
De  croire  un  bon  conseil,  cesse  d'irriter  Dieu 
En  cuidant  l'appaiser;  car  Dieu  ne  s'accommode 
Qu'à  sa  volonté  seule,  et  non  pas  à  ta  mode. 
Et  ne  veut  qu'on  le  serve  ou  honore  autrement. 
Que  comme  veut  sa  loy  et  son  commandement. 

JE  PHTÉ. 

J'av  souvent  apperceu  que  ces  messieurs  les  sages. 
Qui  sont  estimez  tels  par  les  communs  langages , 
Ont  bien  peu  de  sagesse  et  sont  sur  toutes  gens 
Les  moins  gardans  les  loix,  et  les  plus  negligeus 
Des  misteres  sacrez  :  la  simple  populace 
Garde  tousjours  ses  veus,  ignore  la  fallace, 
N'estimant  rien  plus  grand,  plus  stable  et  solennel, 
Que  ce  qu'elle  promet  au  Seigneur  éternel  ; 
De  sorte  qu'aujourd'huy,  si  l'on  m'en  faisoit  juge, 
La  sagesse  n'est  rien  qu'un  voile  ou  un  refuge 
A  la  meschanceté,  qu'un  prétexte  et  un  fard 
Pour  couvrir  les  forfaits.  Ah  !  que  de  nostre  part 
Ne  songeons  nous  plustost  à  A'ivre  en  innocence 
Que  par  le  faus  manteau  d'une  vaine  prudence 
^■oiler  nos  meschants  cœurs  et  nostre  intention, 
Qui  cherclîje  seulement  la  réputation, 
N'aquerant  que  le  bruit  de  mener  bonne  vie. 
Pourtant  je  suis  d'advis  que  quiconque  a  envie 
De  voir  en  pieté  ses  enfans  renommer, 


i84  FLORENT  CHRESTIEN. 

Qu'il  ne  les  face  trop  aus  lettres  consommer; 
Car  plus  riiomme  est  lettré  et  remply  de  science, 
Plus  il  est  envers  Dieu  remply  de  nonchalence. 

LE    PRESTRE. 

Or,  si  tu  peus  ,  escoute  encores  le  danger 

Où  tu  es  emmené  pour  croire  de  léger  : 

Celuy  qui  se  deffend  par  l'erreur  variable 

Du  vulgaire  ignorant,  n'est  point  plus  excusable; 

Jamais,  comme  je  croy,  la  sainte  majesté 

Ne  donnera  ce  règne  à  la  mesclianceté. 

Que  le  consentement  d'un  meschant  populaire 

Puisse  changer  le  droit  en  tort,  et  puisse  faire 

Que  le  mal  soit  le  bien:  et,  bien  que  le  flatteur, 

Qui  devant  les  tyrans  est  dissimulateur. 

Loue  ordinairement  les  forfaits,  et  renverse. 

Par  le  masque  du  nom  une  chose  diverse , 

Si  ne  fera  il  point  que  vertu  soit  vertu. 

Pour  estre  ainsi  avis  à  un  peuple  testu; 

Car  la  vertu  est  simple  et  toute  la  puissance 

Des  tyrans  altérez  du  sang  de  l'innocence. 

Et  tous  les  potentats,  par  leur  autorité. 

Ne  corrompront  jamais  sa  pure  intégrité. 

Maintenant  nous  voyons  qu'entre  le  peuple  ignare 

L'homme  le  plus  indocte,  incivil  et  barbare. 

Prendra  plus  de  licence,  et  plus  arrogamment. 

Sur  les  points  plus  obscurs  asserra  jugement, 

Et  plus  ostinement,  selon  son  ignorance, 

Soustiendra  puis  après  sa  première  sentence , 

Sans  poiser  cependant  les  maus  qu'il  entreprend , 

Et  sans  examiner  la  raison  qu'il  deffend  ; 


FLORENT  CIIRESTIEN.  l85 

Et  bien  cju'll  soit  aveugle  entre  tous,  il  argue 
De  son  aveuglement  ceus  qui  ont  bonne  veue , 
Comme  un  qui  ha  la  fièvre,  endurant  sans  repos 
Vn  accès  chaleureus  qui  luy  brûle  les  oz, 
Il  trouve  tout  amer,  et  loutesfois  il  pense 
Avoir  seul  entre  tous  un  goust  par  excellence, 
Combien  qu'il  soit  tout  seul  sans  aucun  goust; ainsi, 
Vous  qui  avez  lesprit  de  ténèbres  noircy, 
Environné  d'erreurs  comme  de  gros  nuages, 
Vous  voulez  commander  à  ceux  (|ui  sont  plus  sages , 
Et  en  lieu  d'obéir  et  les  suivre  tout  dous, 
Or  vous  les  contraignez  d'aller  avecques  vous, 
Tirant  vers  un  escucil  et  en  danger  extresme 
Un  navire  asseuré  et  ferme  de  soymesme. 
La  religion  vraye  et  vraye  piété 
N'est  pas  honorer  Dieu  selon  ta  volonté, 
N'y  comme  maintenant  follement  tu  estimes 
De  luy  sacrifier  telles  quelles  victimes, 
Mais  ce  que  les  décrets  du  ciel  ont  avoué, 
Et  que  nos  pères  ont  anciennement  loué. 

JE  PUT É. 

Tout  ce  que  l'homme  fait  en  bonne  conscience 
Est  agréable  à  Dieu;  Dieu,  par  sa  bienveillance, 
Aime  un  petit  présent  parti  d'un  simple  cœur. 
Approuvant  non  tant  l'or  que  le  cœur  du  donneur. 

LE     PRESTRE. 

Si  la  meschanceté  de  ton  ame  perverse 
Corrompt  ce  qui  est  droit,  et  qu'elle  le  renverse, 
Ton  pervers  jugement  toutesfois  ne  sçauroit 
Dresser  ce  qui  est  courbe  et  faire  qu'il  soit  droit; 


i86  FLORENT  CHRESTIEN. 

Car  ce  que  vous  nommez  choses  droites ,  jolies , 

Simples,  bonnes,  ce  sont  vanitez  et  folies; 

Si  peut  estre  il  n'y  a  plus  grande  vanité, 

Que  de  fermer  les  yeux  au  jour  de  vérité. 

Puis  volontaire  aveugle  avec  un  tiltre  honneste, 

Tu  veus  avoir  louange  en  un  fait  qu'on  déteste, 

M-eslant  et  confondant  tout  indifferamment 

Quand  tu  rapportes  tout  au  simple  jugement 

Du  vulgaire  inconstant ,  le  droit  et  l'injustice , 

L'honneur,  le  déshonneur,  la  vertu  et  le  vice; 

Que  si  l'avis  des  fols  ha  tant  autorité. 

De  faire  que  le  faus  devienne  vérité, 

Le  profane  sacré,  et  l'inique  équitable, 

Et  l'injure  le  droit,  pourquoy,  en  cas  semblable, 

N'estimerons  nous  pas  qu'ils  puissent  de  nouveau 

Transformer  Teau  en  feu,  et  puis  le  feu  en  l'eau? 

Et  les  pierres  en  bois,  les  bois  en  pierres  fortes. 

Et  redonner  la  vie  aus  personnes  ja  mortes. 

Et  arrester  du  temps  les  mouvemens  divers. 

Et  confondre  et  troubler  l'ordre  de  l'univers? 

Et  si,  comme  il  est  vray,  tu  penses  que  ces  choses 

Ne  sont  en  leur  puissance,  ains  seulement  encloses 

En  la  main  du  Seigneur,  sans  que  l'humain  soucy 

Y  ait  pouvoir  aucun,  tu  dois  penser  aussi 

Que  la  loy  du  Seigneur  est  autant  éternelle, 

Est  autant  stable  ou  plus,  où  la  force  mortelle 

N'a  aucune  puissance;  et  ce  grand  jour  prédit 

Pour  juger  les  humains  ne  rompra  cet  edit. 

Le  feu  dissoudra  bien  en  la  haute  journée 

La  terre ,  l'eau ,  le  ciel  ;  mais  la  loy  ordonnée 


FLOBENT  CHÎIESTIEN.  187 

Par  la  bouche  de  Dieu  dure  éternellement, 
Sans  que  le  temps  en  perde  un  seul  point  seulement. 

J  E  P  HTÉ. 

Or  suivez  donc  cela,  si  c'est  vostre  sentence, 
Vous  qui  faites  leçon  de  sagesse  et  prudence  : 
Jaime  mieus  une  simple  et  sotte  vérité, 
Qu'une  sagesse  belle  en  toute  impiété. 


SONGE  DE  GEORGE  BUCHANAN. 

Vers  le  matin  que  le  prochain  soleil 

Rend  la  clarté  des  astres  palissante, 

Quand  vers  l'Aurore  un  plus  estroit  sommeil 

Verse  sur  nous  sa  vertu  languissante , 

Devant  mon  lit  sainct  François  j'avisay, 

Enchevestré  d  une  corde  puissante , 

Pleine  de  neuds,  estant  stigmatisé. 

Tenant  en  main  une  robbe  sacrée, 

Un  grand  manteau,  un  glaive  desguisé, 

Des  brodequins  îj  gueule  fenestree. 

Tenant  un  livre,  une  corde,  un  chapeau; 

Puis  en  riant  me  vient  dire  d'entrée  : 

Soy  mon  soldat,  pren  cet  habit  nouveau. 

Et  fay  estât  d'abandonner  le  monde, 

Fuy  les  appas  de  ce  qu'on  trouve  beau  ; 

Fuy  le  soucy  et  la  vie  oli  abonde 

Le  vain  plaisir  accompagné  de  peur. 

Desprise  moy  l'espérance  inféconde, 

Et  bref  tout  soing ,  m'ayant  pour  conducteur, 


j88  FLORENT  CHRESTIEN. 

En  me  suivant ,  c'est  la  voye  certaine 
Pour  être  au  ciel  près  de  nostre  Seigneur. 
Voyant  ainsi  cette  image  soudaine , 
Je  m'estonnay,  puis  contraint  à  la  fin  , 
Je  parle  ainsi  à  ce  beau  capitaine, 
Ja  ne  déplaise  à  l'ordre  serafin 
Si  je  dis  vray  :  Geste  robbe  trop  rude, 
N'est  pas  mon  cas,  ce  n'est  point  mon  dessin: 
Qui  voudra  vivre  en  dure  servitude 
Prenne  l'habit,  quant  à  moy,  j'aime  mieus 
La  liberté  ou  j'ay  mis  mon  estude  ; 
Prenne  l'habit  qui  voudra  en  tous  lieus 
Estre  eshonté  :  la  honte  m'en  engarde, 
La  modestie  et  le  cœur  vertueus. 
Qui  portera  ceste  robbe  cafarde, 
Soit  tousjours  prest  à  chacun  abuser, 
Contrefaisant  la  mine  papelarde , 
Selon  le  temps  propre  à  se  desguiser; 
Ou  moy,  ma  vie  est  à  jamais  vouée 
A  la  simplesse ,  et  ne  sçait  point  user 
De  ce  beau  fard  dont  leur  ame  est  douée. 
Non  que  je  craigne  une  bande  d'ennuis, 
Gomme  de  pous,  d'une  voix  enrouée, 
D'espouvantaus  qui  tracassent  les  nuicts , 
Ou  bien  de  vivre,  ainsi  comme  une  beste, 
De  jour  en  autre ,  ou  aller  par  les  huis 
Hurler  bien  fort  ou  bien  faire  la  queste. 
(Si  toutesfois  encore  à  recevoir 
Tous  ces  fratras  la  cour  du  ciel  s'appreste  ) 
Mais  le  chef  rase  et  vuide  de  sçavoir 


FLORENT  CHRESTIEN.  189 

N'a  pas  grand  lieu  dans  la  céleste  gloire, 
Mesme  à  grand  peine  un  moine  y  peut  on  voir; 
Va  visiter,  si  tu  ne  m'en  veux  croire, 
Maint  temple  ancien  et  maint  ancien  tombeau , 
Là  maint  autel  est  basti  en  mémoire 
De  maint  evesque;  au  monachal  trouppeau 
Rien  ou  bien  peu,  et  surtout  on  ignore 
La  robbe  grise  avecques  son  cordeau  ; 
Car  c'est  l'habit  que  le  ciel  moins  honore: 
Le  prenne  donc  qui  veut  prendre  plaisir 
A  son  malheur  et  à  son  dam  encore; 
Que  si  tu  as ,  ô  beau-pere ,  désir 
De  mon  salut,  donne  la  robbe  grise 
Aux  mendians,  et  vien  pour  me  saisir 
D'un  bonnet  rouge  et  d'une  mitre  exquise. 


1Ç)0  ANDRE  DUCROS. 


»«»a«e«««a»«>a»a««ita»a»^(iajsaaaa<»^<.a.«ia><i-ao^t>^«i^a^o^,j^,,^ya-o«o«aacao» 


ANDRÉ  DUCROS. 


DuvERDiER  est  le  seul  de  nos  biographes  qui  ait 
fait  mention  de  ce  poète,  docteur  médecin  de  Saint- 
Bonnet-le-Chastel  en  Forest  j  mais  il  ne  fait  connoître 
aucune  particularité  de  sa  vie. 

André  Ducros  a  laissé  un  Discours,  en  vers  héroï- 
ques, sur  les  misères  de  ce  temps ,  dédié  à  madame  de 
Saint-Geniés ,  dame  d  honneur  de  la  reine  Jeanne  de 
Navarre.  Ce  discours  fut  imprimé  d'abord  à  Bergerac , 
en  i569,  ^''~4"5  et  ensuite  à  Angoulême  et  à  La  Ro- 
chelle, par  Barthélemi  Bertou,  la  même  année.  Voici 
comment  le  poète  entre  en  matière  : 

De  quoi  sert  aux  mortels  se  réduire  en  mémoire 
L'heureux  siècle  doré,  sinon  pour  se  déjjlaire 
Doublement,  et  jeter  mille  ruisseaux  des  yeux, 
Venant  à  contempler  ce  siècle  injurieux. 

Ducros  avoit  aussi  composé ,  dit  Duverdier,  le  Tom- 
beau de  nilustre  Louis  de  Bourbon ,  prince  de  Condé, 
contenant  environ  mille  vers.  Cetouvraofe  étoit  encore 
manuscrit  entre  les  mains  de  la  veuve  de  notre  poète, 
lorsque  Duverdier  écrivoit  sa  Bibliothèque;  il  n'a  pro- 
bablement jamais  été  imprimé.  Nous  avons  encore 
d'André  Ducros  plusieurs  sonnets  et  autres  composi- 
tions, tant  latines  que  françoises. 


ANDRÉ  DUCROS.  19] 


SONNET. 

A  CjVTHEUINE  DK  I-A  SELLE,   DAME  DE  CHASSINCOURT. 

L'homme  naist  avec  pleurs,  présage  véritable 
De  ce  tyran  malheur  qui  sa  vie  poursuit. 
Le  tourment  pas  à  pas  sa  nourriture  suit, 
Ensemble  devient  grand,  ensemble  misérable. 

Ennuy  perpétuel  tout  son  plaisir  accable  : 
Pour  éviter  le  mal ,  il  a  mal  jour  et  nuict. 
Angoisse  est  près  de  lui,  lorsque  plus  il  la  fuit  : 
Son  discours,  son  dessein  n'est  sinon  qu'une  fable. 

Un  heur  dissimulé,  pipeur  de  sa  raison, 
Le  fait  rire  aujourd'hui  joyeux  en  sa  maison. 
Demain  la  triste  mort  aux  vers  le  baille  en  prose. 

Rien  n'est,  dessous  la  lune,  éternel,  ne  constant: 
Le  sage  donc,  La  Selle,  en  ce  monde  n'attent 
(Mais  seulement  là  haut)  contentement,  ne  joye. 


192  ANDRÉ  DUCROS. 


SONNET. 

J'ai  plusieurs  fois  résolu  de  chasser 
De  mon  esprit  un  objet  où  il  vise  : 
J'ay  prudemment  fait  souvent  entreprise 
Pour  de  ses  lacs  me  pouvoir  deslacer; 

Mais  comme  un  pied  je  cuide  conunencer 
A  tirer  hors,  pour  le  mettre  en  franchise, 
L'autre  serré ,  en  plus  estroite  prise 
S'empestre  alors  qu'il  le  sent  avancer. 

Ainsi  celuy  qui ,  au  gué  d'un  grand  fleuve , 
Tourne  à  costé  quand  profond  il  le  treuve, 
Guidant  sortir,  se  plonge  plus  avant  : 

Ainsi  voulant  sortir  du  marescage. 
Le  fort  cheval  d'un  pié  se  va  levant. 
Mais  plus  alors  des  autres  il  s'engage. 


GABRIEL  LE  BRETON.  igS 


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GABRIEL   LE   BRETON. 


Gabriel  i.e  Rretox,  ou,  suivant  Lacroix  du  Maine, 
Guillaume  Le  Breton,  Nivernois,  seigneur  de  La  Fon  , 
avocat  au  Parlement  de  Paris,  avoit  composé ,  dans  sa 
jeunesse,  im  Livre  d'élégies,  de  sonnets,  etc.,  qui 
pour  la  plupart  ont  été  perdus.  François  d'Amboise, 
son  ami ,  publia  quelques  unes  de  ces  pièces  à  la  suite 
de  \ Adonis,  tragédie  allégorique  de  Le  Breton,- où  la 
mort  de  Charles  ix  est  représentée  par  celle  d'Adonis. 
Cette  tragédie  fut  imprimée  en  1079  (Paris,  ///-la, 
Abel  l'Angelier);  il  en  existe  un  grand  nombre  d  édi- 
tions, dont  on  peut  voir  les  dates  dans  Beauchamps 
(  Recherches  sur  les  théâtres ,  second  âge  du  théâtre Jran- 
c'o/'.ç);  elle  est  suivie  d'un  poëme  qui  a  pour  titre 
r Amour  mercenaire. 

Le  Breton  avoit  écrit  plusieurs  autres  ouvrages, 
parmi  lesquels  étoient  trois  tragédies,  Didon,  Doro- 
thée et  Tobie ;  le  Ramoneur,  comédie;  un  Paradoxe 
que  les  dames  doivent  marcher  le  sein  découvert,  etc.  ,■ 
mais  aucune  de  ces  productions ,  dont  les  titres  seuls 
ont  été  conservés  par  Lacroix  du  Maine  et  Duverdier, 
n'étoit  imprimée  en  1 584  5  époque  à  laquelle  Le  Breton 
vivoit  encore. 


iH 


T94  GABRIEL  LE  BRETON. 


FRAGMENT  DU  HT  ACTE  D'ADONIS. 

Gomme  souventesfois  un  navire  étraneer 

Sur  les  flots  adrians  vole  prompt  et  léger, 

Le  ciel  mesme  se  rit,  la  mer  est  toute  calme; 

De  ses  travaux  passés  il  emporte  la  palme, 

Eole  ne  se  montre  à  ses  vœux  discordant , 

Les  Tritons  sont  pour  lui,  Neptune  et  Son  trident 

Et  tous  astres  bénins  lui  semblent  faire  escorte  : 

Tandis  en  un  clin-d'œil  vient  la  tempeste  forte. 

Mêlée  de  frimats,  de  feux  et  de  glaçons, 

Qui  perd  le  marinier  en  diverses  façons  : 

Elle  ravit  aux  yeux  le  jour  et  les  étoiles  ; 

Elle  casse  la  hune,  elle  brise  les  voiles; 

Le  navire  en  morceaux  vogue  de  toutes  parts, 

Adonques  les  nochers,  hideusement  épars. 

Ou  morts,  ou  demi  morts,  blanchissent  sur  l'arène: 

Tel  est  l'état  douteux  de  cette  vie  humaine. 

Qui  vient  et  s'en  rêva  comme  un  flot  agité. 

Nul  ne  se  doit  fier  à  la  félicité 

S'il  voit  qu'à  bonne  fin  ses  affaires  procèdent  : 

Car  misère  et  plaisir  l'un  à  l'autre  succèdent. 

Le  mal  est  plus  certain  ,  et  ne  faut  qu'un  moment 

Pour  changer  nos  plaisirs  en  pénible  tourment. 

Ores  que  tous  les  dieux  se  fassent  recognoistre 

Propices  envers  nous,  qui  s'oseroit  promettre 

Un  demain  asseuré  ?  mesme  souvent  la  nuict 

Après  le  jour  heureux  dommageable  nous  suit. 


GABRIEL  LE  BRETON.  igS 


FRAGMENT  DU  V^  ACTE  DE  LA  MEME  TRAGÉDIE. 

EsTRANGE  et  dure  loy  que  les  hommes  descendent 
Si  tost  dans  le  sépulchre  et  leur  âge  despendent. 
Sans  espoir  de  retour,  ô  funèbre  destin! 
On  couppe  tous  les  ans  les  mauves  et  le  thin  : 
Les  mauves  et  le  thin  leur  verdure  reprennent; 
Mais  les  hommes  s'en  vont,  et  jamais  ne  reviennent. 


196  JACQUES  GREVIN. 


««c«««£«36  3&S9&^«ftc^««w9«C<v?ôf-»«^««S-«?«^^-»«'»^f^Afi^?^S^8*Sd«S9â»v#9«^'^ 


JACQUES  GREVIN. 


Jacques  Grevin  naquit  à  Clermont  en  Beuuvaisis 
vers  l'an  i  54o.  On  lit  dans  une  de  ses  odes  qu'ayant 
perdu  son  père  fort  jeune,  il  fut  élevé  par  l'un  de  ses 
oncles ,  Pierre  de  Prônes.  Il  fit  ses  humanités  sous  le 
célèbre  Muret,  et  se  distingua  de  bonne  heure  par 
son  talent  pour  la  poésie. 

il  n'avoit  pas  plus  de  dix-sept  ans  lorsqu'on  repré- 
senta au  collège  de  Beauvais,  en  i558,  sa  comédie 
de  la  'l'hrésoriere ,  et  l'on  voit  dans  l'avis  au  lecteur, 
qui  précède  cette  pièce  ,  qu'il  en  avoit  composé  une 
autre  intitulée  In  Maubertine ,  qu'il  n'avoit  point  pu- 
bliée ,  dit-il,  parce  qu'on  la  lui  avoit  desrohée. 

Il  fit  paroître  en  i56o  sa  tragédie  de  César,  en  cinq 
actes  et  en  vers,  qu'on  lui  reprocha  d'avoir  prise  en 
partie  d'une  pièce  latine  de  Muret  ;  mais  les  deux  ou- 
vrages ayant  été  confi^ontés,  Grevin  sortit  victorieux 
de  cette  accusation.  Ce  fut  encore  en  i56o,  et  au 
même  collège  de  Beauvais ,  qu'on  joua  sa  comédie  des 
Esbaliis ,  dans  laquelle  figure  un  certain  monsieur  Josse, 
marchand ,  qui ,  peut-être ,  est  la  souche  de  cette  fa- 
mille de  Josse ,  si  connue  dans  l'orfévi'erie  depuis 
Molière. 

Ces  trois  productions  dramatiques  lui  acquirent 
une  brillante  réputation.  11  effaçoit  incontestablement 
tous  ceux  qui  l'avoient  devancé  dans  la  carrière  ;  et , 
ce  qui  ajoutoit  encore  à  son  mérite,  il  les  effaçoit  à 


JACQUES  GREVIN.  197 

un  âge  où  Ton  ne  peut  guère  compter  sur  des  triomphes. 
Aussi,  aux  applaudissements  qui  lui  lurent  prodigués, 
se  joignirent  les  témoignages  les  plus  flatteurs  de  la 
part  des  poètes  de  son  temps.  Il  y  a  sans  doute  beau- 
coup d'exagération  dans  les  éloges  qui  lui  furent 
alors  prodigués;  mais  il  faut  convenir  cependant  que 
les  comédies  de  Grevin  ne  manquent  pas  d'une  cer- 
taine grâce  dans  le  style;  qu'on  y  trouve  de  la  gaîté, 
de  la  naïveté  ;  que  ses  plans  sont  assez  bien  conçus  et 
assez  bien  exécutés,  et  que  la  versification  en  est  cou- 
lante et  facile. 

Au  sortir  du  collège,  où  il  s'étoit  signalé  par  de  si 
éclatants  succès,  Grevin  se  livra  à  l'étude  de  la  mé- 
decine ,  et  se  fit  recevoir  docteur  à  la  Faculté  de  Paris. 
C'est  à  cette  époque ,  ou  peu  de  temps  après,  qu'éper- 
dument  amoureux  de  la  fille  d'un  médecin,  nommée 
Nicole  Etienne ,  il  composa  pour  elle  un  grand  nombre 
de  poésies  qu'il  publia  sous  le  titre  ^Olympe  et  de  Jeux 
Olympiens;  mais  cette  jeune  personne  s'étant  mariée, 
Grevin  suivit  son  exemple. 

Grevin  accompagna  à  Turin  Marguerite  de  France , 
femme  d'Fmmanuel-Philibert ,  duc  de  Savoie.  Notre 
poète  resta  au  service  de  cette  princesse  en  qualité 
de  médecin  et  de  conseiller,  jusqu'à  sa  mort,  arrivée 
le  5  novembre  iSjo.  Marguerite  lui  fit  faire  de  ma- 
gnifiques funérailles,  et  devint  la  protectrice  de  sa 
A^euve  et  de  sa  fille ,  qu'elle  honora  de  ses  bienfaits. 

Grevin  avoit  fait  paroître,  en  i558,  un  Hymne  sur 
le  jnariage  de  François ,  daupJdn  de  France  ,  et  de 
Marie  Stuart,  reine  d^Ecossc  ;  les  regrets  de  Charles 
d'Autriche^  empereur ^  cinquième  du  7iom,  ensemble  la 
description  du  Beauvaisis,  aifec  quelques  autres  œuvres. 


198  JACQUES  GREVIN. 

Ces  poëmes,  dans  lesquels  il  ne  s'est  pas  astreint  à 
observer  ralternatlvo  des  rimes  de  différents  genres, 
ne  sont  pas  dénués  d'agrément. 

On  attribue  à  Grevin  un  ouvrage  intitulé  Pocsnie  sur 
l'histoire  des  François  et  hommes  vertueux  dans  la  mai- 
son des  Médicis,  imprimé  en  iSÔy.  lia  encore  laissé  les 
Emblèmes  d  Adrian,  dit  Junius ,  mises  en  vers  françois , 
(iSôt);  les  (Œuvres  de  Nicandre ,  médecin  et  poète 
grec,  traduites  en  vers  (même  année) ,  etc. ,  etc.  Enfin  , 
une  traduction  des  Préceptes  de  Plutarque,  de  la  ma- 
nière de  se  gouverner  en  mariage. 

Les  poésies  de  Jacques  Grevin  eurent  tant  de  succès , 
quelles  furent  traduites,  les  imes  en  grec  et  les  autres 
en  latin ,  par  Dorât,  Florent  Chrestien ,  etc.  Nous  avons 
pensé  qu'il  seroit  aussi  instructif  qu'agréable  aux  lec- 
teurs et  aux  amateurs  de  l'art  dramatique  de  leur  offrir 
l'une  des  premières  comédies  de  notre  théâtre;  c'est 
ce  qui  nous  a  déterminé  à  imprimer  en  son  entier  la 
comédie  de  la  Trésoriere. 


JACQUES  GREVm.  199 

TRAGÉDIE  DE   CÉSAR. 

ACTE   V. 


MARC  BRUTE  ,  CASSIUS ,  DECIME  BRUTE  ,  MARC  ANTOINE  , 
SOLDATS. 

MARC    BRUTE. 

Le  tyran  est  tué,  la  liberté  remise, 

Et  Rome  a  regaigné  sa  première  franchise. 

Ce  tyran,  ce  César,  ennemi  du  sénat. 

Oppresseur  du  pays ,  qui  de  son  consulat 

Avoit  fait  héritage ,  et  de  la  republique 

Une  commune  vente  en  sa  seule  pratique; 

Ce  bourreau  dinnocens,  ruine  de  nos  loix, 

La  terreur  des  Romains,  et  le  poison  des  droicts, 

Ambitieux  d'honneur,  qui,  monstrant  son  envie, 

S'estoit  fait  appeler  père  de  la  patrie. 

Et  consul  à  jamais,  à  jamais  dictateur. 

Et  pour  comble  de  tout ,  du  surnom  d'empereur. 

Il  est  mort  ce  meschant ,  qui ,  décelant  sa  rage , 

Se  feit  impudemment  eslever  une  image 

Entre  les  rois  ;  aussi  il  a  eu  le  loyer 

Par  une  mesme  main  qu'eut  Tarquin  le  dernier. 

Respire  donc  à  l'aise ,  ô  liberté  romaine  ! 

Respire  librement  sans  la  crainte  inhumaine 

D'un  tyran  convoiteux.  Voyla ,  voyla  la  main 

Dont  ore  est  affranchi  tout  le  peuple  romain. 

CASSIUS. 

Citoyens,  voyez  cy  ceste  dague  sanglante  , 


200  JACQUES  GREVIN. 

C'est  elle,  citoyens,  c'est  elle  qui  se  vante 

Avoir  faict  son  devoir ,  puisqu'elle  a  massacré 

Celuy  qui  mesprisoit  1  aruspice  sacré , 

Se  vantant  qu'il  pou  voit,  malgré  tous  les  plus  sages. 

Changer  à  son  vouloir  les  asseurez  présages. 

Nous  avons  accompli,  massacrant  ce  félon. 

Ce  que  le  grand  Hercule  accomplit  au  lyon , 

Au  sanglier  d'Erymante ,  et  en  l'hydre  obstinée , 

Monstre  sept  fois  testu,  et  vangeahce  ordonnée 

Par  Junon  sa  marastre.  Allez  donc,  citoyens. 

Reprendre  maintenant  tous  nos  droicts  anciens. 

DECIME    BRUTE. 

Puissent  pour  tout  jamais  ainsi  perdre  la  vie 

Ceux  qui  trop  convoiteux  couveront  une  envie 

Pareille  à  celle  là  :  puissent  pour  tout  jamais 

Perdre  d'un  pareil  coup  leur  gloire  et  leurs  beaux  faicts. 

a  Ainsi,  ainsi  mourront,  non  de  mort  naturelle, 

((  Ceux  qui  voudront  bastir  leur  puissance  nouvelle 

«  Dessus  la  liberté  ;  car  ainsi  les  tyrans 

«  Finent  le  plus  souvent  le  dessein  de  leurs  ans.  » 

c  Ass  lus. 
Allons  au  Capitole,  allons  en  diligence. 
Et  premiers  en  prenons  l'entière  jouissance. 

MARC    ANTOINE. 

J'invoqvie  des  Fureurs  la  plus  grande  fureur. 
J'invoque  le  Chaos  de  l'éternelle  horreur , 
J'invoque  l'Acheron ,  le  Styx  et  le  Cochyte  ; 
Et  si  quelque  aultre  dieu  sous  les  enfers  habite , 
Juste  vangeur  des  maux,  je  les  invoque  tous, 


JACQUES  GREVm.  201 

Homicides  cruels,  pour  se  vanger  de  nous. 
Hé,  traistres  !  est-ce  donc  laniitic  ordonnée 
De  desrober  la  vie  à  qui  vous  l'a  donnée  ? 
Avez  vous  sceu  si  bien  espier  la  saison 
Pour  mettre  en  son  effect  la  feincte  trahison 
Conceue  des  long  temps  dedans  vostre  poictrine. 
Seule  qui  nous  enfante  une  orgueilleuse  Erynneî 
J'atteste  icy  le  ciel ,  seul  juste  balanceur 
De  tout  nostre  fortune ,  et  libéral  donneur 
Des  victoires,  des  biens,  de  l'heur  et  de  la  vie. 
Qu'ainsi  ne  demourra  ceste  faulte  impunie , 
Tant  qu'Antoine  sera  non  moins  juste  que  fort. 

Et  vous,  braves  soldats ,  voyez,  voyez  quel  tort 
On  vous  a  faict,  voyez  ceste  robbe  sanglante. 
C'est  celle  de  César  qu'ores  je  vous  présente  : 
C'est  celle  de  César,  magnanime  empereur, 
Vray  guerrier  entre  tous ,  César  qui  d'un  grand  cueur 
S'acquit  avecque  nous  l'entière  jouissance 
Du  monde  :  maintenant  a  perdu  sa  puissance , 
Et  gist  mort  estendu ,  massacré  pauvrement 
Par  l'homicide  Brute. 

LEPREMIERSOLDAT.  * 

Armons  nous  sur  ce  traistre , 
Armes,  armes,  soldats ,  mourons  pour  nostre  maistre; 
Si  jamais  nous  avons  croisez  les  ennemis 
Aux  froissis  des  harnois,  si  nous  nous  sommes  mis 
Quelquefois  au  danger  d'une  trenchante  espee. 
Lors  que  nous  poursuyvions  la  route  de  Pompée, 
C'est  maintenant,  soldats,  qu'il  nous  fault  bazarder, 
Yoire  plus  promptemcnt  que  n'est  le  commander. 


2oa  JACQUES  GREVIN. 

MARC    ANTOINE. 

Sus  doncques  ,  suyvez  moy,  et  donnez  tesmoignage 
De  vostre  naturel  et  de  vostre  courage 
Pour  César ,  ne  craignans  de  tomber  au  danger 
De  vostre  propre  mort  pour  la  sienne  vanger. 
Moy,  je  vay  remonstrer  à  ce  peuple  de  Romme 
Quels  malheurs  nous  promet  la  perte  d'un  tel  homme, 
Si  elle  n'est  vangee  ainsi  qu'il  appartient. 

LE    PREMIER    SOLDAT. 

Voyez  vous  bien ,. soldats,  encor'  il  me  souvient 
De  nos  propos  tenus ,  qui  comme  un  seur  présage 
Et  certain  messager  d'un  évident  naufrage  . 
Nous  ont  predict  au  vray  l'homicide  commis. 
De  long  temps  machiné  par  ses  propres  amis , 
Aumoins  qu'il  pensoit  siens. 

LE    SECOND    SOLDAT. 

«  Geste  mort  est  fatale 
ce  Aux  nouveaux  inventeurs  de  puissance  royale.  » 


LA  TRESORIÈRE, 


COMÉDIE  EN  CINQ  ACTES. 


Ceste  comédie  fut  faicte  pai'  le  commandement  du  roy 
Henri  ii ,  pour  servir  aux  nopees  de  madame  Claude  ,  du- 
chesse de  Lorraine  ,  mais  pour  quelques  empescliements 
différée ,  et  depuis  mise  en  jeu  à  Paris ,  au  collège  de  Beau- 
vais ,  après  la  satyre  qu'on  appelle  communeement  les 
Féaux,  le  5  de  février  m.  d.  lviii. 


JACQUES  GREVm.  20 5 


AU  LECTEUR. 


La  liberté  des  poètes  comiques  a  tousjours  esté  telle , 
que  souventesfois  ils  ont  usé  de  mots  assez  grossiers,  do 
sentences  et  manières  de  parler  rejectées  de  la  boutique 
des  mieux  disans,  ou  de  ceux  qui  pensent  mieux  dire  ^  ce 
que  par  aventure  Von  pourra  trouver,  lisant  mes  Comé- 
dies. Mais  pourtant  il  ne  sefault  renjrongner,  car  il  nest 
pas  icj  question  de  farder  la  langue  dhin  tnercadant , 
d'un  serviteur  ou  d'une  chambrière ,  et  moins  orner  le 
langage  du  vulgaire,  lequel  a  plustost  dict  un  mot  que 
pensé.  Seulement  le  comique  se  propose  de  représenter  la 
vérité  et  naïveté  de  sa  langue,  comme  les  mœurs,  les 
conditions  et  les  estât  s  de  ceux  quil  met  enjeu,  sans 
toutesf ois  faire  tort  a  sa  pureté,  laquelle  est  plustost  entre 
le  vulgaire  (Je  dy  si  Von  change  quelques  mots  qui  res- 
sentent leur  terroir)  qu^  entre  ces  courtizans ,  qui  pensent 
avoir  faict  un  beau  coup  quand  ils  ont  arrache  la  peau 
de  quelque  mot  latin ,  pour  déguiser  lefrançois ,  qui  n'ha 
aucune  grâce ,  disent-ils ,  s'il  ne  donne  a  songer  aux 
femmes,  comme  s'ils  prenojent  plaisir  de  n'estre  point 
entendus.  Tu  ne  trouveras  donc  estrange ,  Lecteur,  si  en 
ces  Comédies  tu  ne  trouves  un  langage  recherché  curieu- 
sement, et  enrichi  des  plumes  d'autruj  :  car  je  ne  suis 
point  de  ceux  qui  font  parler  un  cuisinier  des  choses  cé- 
lestes et  descriptions  des  temps  et  des  saisons  :  ou  bien 
une  simple  chambrière  fançoise  des  amours  de  Jupiter 
avec  Leda,  et  des  vaillantises  d'Alexandre  le  Grand.  J<.' 


2o6  JACQUES  GREYIN. 

îne  contente  seulement  de  donner  aux  François  la  Comé- 
die en  telle  pureté  qu  anciennement  Pont  baillée  Aristo- 
phane aux  Grecs  y  Plaute  et  Térence  aux  Romains.  Ce 
que  je  me  suis  proposé  tousjours  en  escrimant  ce  poëme , 
ainsi  qu'ont  peu  appercevoir  ceux  qui  ont  vu  la  Mauber- 
tine  y  première  Comédie  que  je  mis  en  jeu  ,  et  que  j' avoje 
bien  délibéré  te  donner,  si  elle  ne  m'eust  esté  desrobéc. 
Toutesjbis  celles  cy  pourront  siijjire  pour  monstrer  le 
chemin  a  ceux  qui  viendront  après  nous.  Tu  peux  donc 
maintenant,  ami  Lecteur,  adverti  de  ce  poinct ,  te  mettre 
a  lire  ce  poème  ;  et  si  tu  troui^es  quelque  chose  qui  ne  soit 
a  ton  goust ,  soUi>ienne  toy  que  ce  nest  chose  estrange,  si 
ceux  qui  vont  les  premiers  en  un  désert  et  pajs  incogneu 
se  fours>OYent  souventesfois  de  leur  chemin. 


JACQUES  GRE  VIN.  20' 


!■»«*»*«•  i«9*v*»»««,a^^,i^  »^  5^  j 


AYANT-JEU. 


Non,  ce  n'est  pas  de  nous  qu'il  fault, 
Pour  accomplir  cest  eschaffault, 
Attendre  les  farces  prisées 
Qu'on  a  tousjours  moralisees  : 
Car  ce  n'est  nostre  intention 
De  mesler  la  religion 
Dans  le  subject  des  choses  feinctes. 
Aussi  jamais  les  lettres  sainctes 
Ne  furent  données  de  Dieu  , 
Pour  en  faire  après  quelque  jeu. 
Et  puis  tout'  ces  farces  badines 
Me  semblent  estre  trop  indignes 
Pour  estre  mises  au  devant 
Des  yeux  d'un  homme  plus  scavant. 
Celuy  donc  qui  vouldra  complaire 
Tant  seulement  au  populaire  , 
Celuy  choisira  les  erreurs 
Des  plus  ignorans  basteleurs  : 
Il  introduira  la  nature, 
Le  genre-humain,  l'agriculture, 
Un  tout,  un  rien  et  un  chascun. 
Le  faux-parler  ,  le  bruict-commun . 
Et  telles  choses  qu'ignorance 
Jadis  mesla  parmi  la  France. 


208  JA.CQUES  GREVIN. 

Que  pourrons  nous  donc  inventer 
A  fin  de  chascun  contenter  ? 
Quoy  !  le  badinage  inutile 
Par  qui  quelquefois  Martin-Ville 
Se  feit  escôuter  de  son  temps  ? 
Quoy!  demandez  vous  ces  romans 
Jouer  d'une  aussi  sotte  grâce , 
Que  sotte  est  ceste  populace 
De  qui  tous  seuls  ils  sont  prisez? 
Vous  estes  bien  mieux  avisez, 
Comme  je  croy  :  vostre  présence 
Mérite  avoir  la  jouissance 
D'un  discours  qui  soit  mieux  limé. 
Aussi  avons-nous  estimé 
Que  la  gentille  poésie 
Veult  une  matière  choisie  , 
Diane  d'estre  mise  aux  escrits 
De  ceux  qui  ont  meilleurs  esprits  : 
Et  non  pour  estre  ainsi  souillée, 
Ou  en  mille  pars  détaillée 
Par  ceux  qui  encor'  ne  l'ont  pas 
Saluée  du  premier  pas  : 
Et  qui  pensent,  malgré  Minerve, 
La  retenir  ainsi  que  serve, 
Ou  dans  l'escole  la  lier 
Ainsi  qu'un  petit  escolier. 
Non ,  non ,  ce  n'est  pas  sa  nature 
Qu'elle  s'en  voise  à  Tavanture 
Vers  celuy  qui  la  veult  avoir. 
Il  fault  premièrement  sçavoir 


JACQUES  GREVIN.  aog 

Petit-à-petit  sa  pensée: 
Car  ell'  ne  veuit  estre  forcée, 
Ny  traictee,  comme  souvent 
Nous  l'avons  veue  au  paravant 
Au  joug  d'une  plume  marastre. 

N'attendez  donc  en  ce  théâtre 
Ne  farce  ne  moralité  : 
Mais  seulement  l'antiquité  , 
Qui  d'une  face  plus  hardie 
Se  représente  en  comédie: 
Car  onc  je  ne  pourroy  penser 
Qu'aucun  se  voulust  courroucer 
Encontre  nous,  si  pour  mieux  faire 
Nous  voulons  aux  doctes  complaire. 

Or  sçachez  qu'en  tout  ce  discours 
Nous  représentons  les  amours 
Et  la  linesse  coustumiere 
D'une  gentille  tresoriere. 
Dont  le  mestier  est  descouvert 
Non  loing  de  la  place  Maubert. 
Vray  est  que  le  protenotaire. 
Principal  de  tout'  ceste  affaire  , 
Est  de  nostre  université. 

Mais  j'ay  un  peu  trop  arresté  ; 
Il  vault  mieux  avec  le  silence 
Vous  en  donner  la  jouissance. 


j4 


ENTREPARLEURS. 

LOYS,  gentilhomme. 

RICHARD,  serviteur. 

LE   TRESORIER. 

MARIE,  fille  de  chambre  de  la  Tresoriere. 

LE   PROTENOTAIRE. 

BOjVIFACE,   serviteur. 

CONSTANTE,   tresoriere. 

SL'LPICE,  marchand. 

THOMAS,  serviteur. 


JACQUES  GREVIN.  21  r 

LA  TRÉSORIÈRE, 

COMÉDIE. 


ACTE    PREMIER. 

SCENE   I. 

LOYS,  RICHARD. 

LO  YS. 

Eh  bien  ,  Richard  ,  quelle  nouvelle 
Apportes-tu  de  ma  cruelle? 
VeuU-el!e  doncque  estre  tousjours 
Ainsi  paoureuse  en  ses  amours  ? 

RICHARD. 

Monsieur,  je  croy  que  la  pauvrette 
Sans  aucun  repos  vous  souliaitte 
Entre  ses  bras ,  voulez  vous  mieux  ? 

LO  YS. 

Je  pense,  moy,  que  tous  les  dieux 
Prennent  plaisir  en  mon  martire  : 
Incessamment  mon  mal  empire, 
Sans  toutesfois  avoir  cest  heur 
D'appaiser  mon  amour  vainqueur. 

RICHARD. 

Non,  non ,  monsieur,  j'av  espérance 
Que  vous  en  aurez  jouissance 


2  12  JACQUES  GRE VIN. 

En  peu  de  temps  :  laissez  moy  faire  ; 
C'est  mon  office,  dont  j'espère 
En  faire  si  bien  mon  devoir. 

LO  YS. 

Ouy;  mais  tousjours  le  vain  espoir 
Trompe  ma  trop  grande  constance 
Au  milieu  de  mon  impuissance. 

RICHARD. 

Vrayment  une  telle  beauté 
A  bien  un  amant  mérité  : 
Et  d'autant  qu'estes  languissant , 
D'autant  quand  serez  jouissant 
Le  plaisir  sera  désirable. 

LOYS. 

Mais  tousjours  pauvre  misérable 
Le  jour  je  me  mourray  cent  fois 
Pour  son  amour ,  et  toutesfois 
Desja  je  prevoy  que  l'yssue 
Sera  de  quelque  maigre  veue. 
Cela  ne  vient  point  que  ma  race 
Ne  fust  digne  d'avoir  la  grâce 
D'une  dame  de  plus  bault  lieu  : 
C'est,  c'est  bien  plustost  quelque  dieu 
Qui  me  cacboit  dedans  son  sein 
L'impuissance  de  mon  dessein. 

RICHARD. 

Monsieur,  je  me  tiendrois  beureux 
De  mourir  estant  amoureux 
D'une  si  parfaicte  beauté. 


JACQUES  GREVIN.  21 

LOYS. 

Richarxl,  Richard,  la  cruauté 
De  cest  Archerot  qui  me  domte 
Selon  son  fier  désir,  surmonte 
L'extrême  douleur  de  la  mort. 

RICHARD, 

Nous  sommes  en  cela  d'accord  : 
Mais  à  ceste  longue  espérance 
Opposez  vostre  jouissance. 

liO  YS. 

Encore,  Richard,  je  t'asseure 
Que  tout  le  malheur  que  j'endure 
N'est  rien ,  si  tu  peux  faire  tant 
Qu'en  la  parfin  je  sois  content 

RICHARD. 

Ce  n'est  pas  moy  qu'il  fault  prier. 
Il  ne  tient  qu'à  ce  trésorier. 

LOYS. 

Le  mari  est-il  adverti  ? 

RICHARD. 

Non ,  non  ;  mais  il  n'est  pas  parti 
Ainsi  qu'elle  pensoit. 

LO  YS. 

Comment  ? 

RICHARD. 

Pour  s'en  aller  faire  un  payement 
En  Languedoc.  Luy  deslogé , 
Vostre  malheur  sera  chansé 
En  un  perdurable  plaisir  : 
Car  alors  vous  aurez  loisir 


2i4  JACQUES  GREVm. 

De  recouvrer  le  temps  perdu. 
Si  avez  long  temps  attendu, 
Reprenez  hardiment  courage. 

LO  YS. 

Ha  !  Richard  ,  pourquoy  d'avantage 
As-tu  celé  mon  doux  repos? 

RICHARD. 

Il  ne  venoit  pas  à  propos  :  . 

Encore  vostre  joye  augmente 
De  plus  en  plus  par  ceste  attente. 
Et  si  je  m'en  rapporte  à  vous , 
Si  vous  ne  trouvez  pas  plus  doux 
Le  plaisir,  par  le  tardement, 
Que  n'eussiez  au  commencement. 

T.  G  Y  s. 
Vrayment,  Richard,  pour  ton  devoir, 
Tu  mérites  de  recevoir 
D'un  plus  grand  seigneur  le  loyer. 

RICHARD. 

Monsieur,  il  ne  fault  qu'employer 

Richard ,  quand  il  est  question 

De  conduire  une  faction  : 

«  Aussi  le  serviteur  doit  faire, 

«  Pour  à  son  hon  maistre  complaire  , 

«  Le  devoir  comme  il  appartient 

a  Jusques  à  la  mort ,  s'il  convient 

a  L'endurer  pour  l'amour  de  luy.  » 

LO  YS. 

Mais  dy,  Richard,  est-ce  aujourdhuy 
Que  nostre  trésorier  se  part  ? 


JACQUES  GREVIN.  2l5 

RICHARD. 

Penseriez-vous  bien  que  Richard 
Vous  le  dist  s'il  n'estoit  ainsi? 
Vie ,  mettez  moy  tout  souci 
Sous  le  pied. 

LO  YS. 

Mais  ce  trésorier 
Me  doit  encore  mon  quartier. 
Il  fault  que  tu  sois  diligent 
De  recouvrer  tout  cest  argent 
Avant  qu'il  parte  :  et ,  qui  plus  est , 
Je  luy  payray  son  interest, 
S'il  veult  faire  du  rigoureux  ; 
Car  à  ces  braves  glorieux 
Il  fault  quitter  une  moitié 
Pour  avoir  l'autre. 

RICHARD. 

L'amitié 
Vault  bien  cela,  c'est  pour  l'usagç 
De  son  ennuyeux  coquage. 

LOYS. 

Va-t'en  vers  luy ,  voyla  quittance  : 
Que  s'il  veult  faire  quelque  avance, 
Promets  luy  le  vin  hardiment. 

RICHARD. 

Je  m'y  en  vay. 

li  O  YS. 

Pareillement 
Fay  les  recommandations 
De  mes  journelles  passions  , 


PI 6  JACQUES  GRF.VIN, 

A  ma  damoiselle  et  maistresse: 
Que  si  de  ma  longue  destresse 
Elle  ha  quelque  eonipassion  , 
Qu'eir  me  donne  assignation 

•  Pour  par  un  doux  contentement 

Mellrc  la  (in  à  mou  tonnent. 

RICHARD. 

Mon  maistre  ha  hien  ce  qu'il  luy  fault, 
Encore  qu'il  ait  le  cueur  hault , 
Et  qu'il  ne  veuille  estre  domté, 
Si  est-ce  qu'il  est  surmonte 
Par  une  femme  aussi  couunune 
Que  les  divers  cours  de  la  lune. 

Elle  peull  tant  envers  mon  maistre, 
Que  par  babil  ell'  l'a  faicl  estre 
Un  parangon  de  pauvreté  : 
Et  sous  l'ombre  d'une  beauté , 
Qu'elle  vend  plus  cher  (ju'au  marclié, 
Elle  luy  a  ja  arraché 
Les  biens,  l'honneur  et  les  amis: 
C'est  une  mer ,  où  il  a  mis 
Mille  trésors  qu'elle  dévore , 
Sans  les  regorger  ;  et  encore 
Qu'U  luv  donne  tant  qu'il  vouldra, 
De  rien  plus  il  n'en  adviendra 
A  mon  maistre  qu'elle  déçoit , 
Ny  à  elle  (jui  le  reçoit. 
Et  ce  pendant,  mille  langueurs. 
Et  milles  amoureaux  vain(|ueurs 
Tormentans  son  cucur  attizé. 


JACQUES  GREVIN.  217 

Je  pensoy  qu'il  fiist  jilus  ruzé ,  j 

Veu  qu'il  a  tant  hanté  les  armes , 

Les  couriizans  et  les  gensdarmes  :  j 

Mais  les  plus  fins  y  sont  trompez  ,  | 

Et  les  plus  légers  attrapez, 
Tant  seulement  sous  Tapparance 

D'une  légère  jouissance,  1 

Encore  si  pour  sa  beauté  ' 

Elle  valoit  le  decroté , 
Je  dirois  :  Mais  quoy!  seulement 
La  façon  de  l'habillement 
Vault  autant  que  la  bague  entière. 
Et  bien ,  c'est  une  tresoriere  , 
Laquelle  par  son  doux  parler 
Sçait  bien  un  homme  emmieler. 

Mais,  par  ma  foy,  j'estime  autant  , 

Ma  Marion,  et  suis  content  j 

Encore  plus  de  mes  amours  j 

Que  non  pas  luy  de  son  velours ,  \ 

Sans  qu'il  me  la  faille  prier. 

Mais  n'est-ce  pas  mon  trésorier 
Que  je  voy  venir  droict  à  moy  ?  l 


SCENE  IL 

LE  TRESORIER,  RICHARD. 

LE    TRESORIER. 

Puisque  c'est  l'affaire  du  roy, 
Je  ne  diffère  m'absenter, 
Afin  d'un  chascun  contenter  : 
Le  gain  recompense  le  mal. 


2l8  JACQUES  GREVIN. 

Qu'on  face  seller  mon  cheval. 

RICHARD. 

Tant  mieux,  il  est  prest  de  partir, 
La  dame  pourra  départir 
La  jouissance  de  son  corps. 
Puisque  monsieur  s'en  va  dehors. 

L,F.    TRESORIER. 

Encor'  ay-je  quelque  douleur 

De  laisser  ma  femme  en  sa  fleur  : 

Car,  las  !  ceste  tendre  jeunesse 

Ne  pourra  porter  la  destresse 

De  mon  absence;  et  puis  ces  gens 

Qui  sont  soigneux  et  diligens 

A  tromper  une  créature , 

Qui  sera  simple  de  nature. 

Vray,  que  je  tien  tant  de  ma  femme, 

Qu'avant  me  foire  un  cas  infâme 

Plustost  endureroit  la  mort. 

RICHARD. 

Helas  !  jamais  ne  luv  feit  tort , 
Elle  est  de  bonne  parenté. 

TE    TRESORIER. 

Pensez  qu'un  homme  est  tormenté, 
Depuis  qu  il  luy  convient  souvent 
Aller  à  la  pluye  et  au  vent , 
Délaissant  avec  le  mesnage 
La  femme  en  la  fleur  de  son  aage. 

RICHARD. 

Le  cueur  luy  fault,  la  conscience 
Luy  fait  cognoistre  son  offense. 


JACQUES  GREVIN.  2T9 

L,E    TRESORIER. 

Il  ne  m'est  rien  plus  aggreable 
Qu'avec  ma  femme  désirable 
Jouir  du  bien  que  Dieu  me  donne. 
Mais  qnoy  !  la  practique  en  est  bonne  : 
Car  je  pourray,  si  je  suis  sage, 
Practiquer  en  ce  mien  voyage 
Trois  mille  francs  en  peu  de  jours. 

RICHARD. 

Ce  pendant  comment  les  amours 
Se  demerront,  la  damoiselle 
Ne  sera  du  tout  si  rebelle 
Qu'auparavant  ;  car  le  loisir 
Luy  fera  mille  fois  choisir 
Le  bon  moyen ,  l'heur  et  le  temps 
Pour  rendre  ses  amis  contens, 
Tant  le  courtizan  que  son  page. 

Mais  il  fault  faire  mon  message, 
Craignant  qu'en  quelque  coing  de  rue 
Je  ne  le  perde  de  la  veiie: 
Puis  je  pourrois  venir  trop  tard. 
Dieu  gard  monsieur. 

LE    TRESORIER. 

Eh  bien  ,  Richard , 
Comment  va  du  seigneur  Loys? 

RICHARD. 

Il  a  tousjours  dix  mille  ennuys 
Qui  le  tormentent,  pour  autant 
Qu'il  n'ha  pas  son  argent  contant , 
Et  si  ne  voit  qui  en  apporte. 


2'20  JACQUES  GREVIN. 

Et  qui  pis  est,  jamais  sa  porte 
N'est  sans  un  marchand  ennuyeux, 
Qui,  se  présentant  à  ses  yeux, 
Le  menace  pour  son  argent 
De  luy  envoyer  un  sergent. 

LE    TRESORIER. 

Ricliard  ,  par  Dieu!  c'est  comme  moy. 

Car  maintenant  je  ne  reroy 

A.  peine  rien  de  mon  office. 

Encore  pour  faire  service 

Al  quelques  uns  ,  tousjours  j'avance  , 

Et  si,  ma  foy,  la  recompense 

Que  j'en  reçoy,  n'est  comme  rien. 

RICHARD. 

Vertu-bieu!  je  vous  enten  bien, 
r^e  payment  n'est  encore  prest , 
Nous  demandons  un  intcrest , 
Voyla  comment  vous  estes  doux. 
Je  suis  venu  par  devers  vous 
Pour  entendre  tant  seulement 
Si  mon  maistre  aura  le  paymcnl 
De  son  quartier  que  luy  devez. 

LE    TRESORIER. 

Vous  estes  fort  mal  arrivez 
Vous  venez  après  la  bataille  : 
Je  ne  scache  pas  une  maille. 

RICHARD. 

Comment,  monsieur?  et  ce  pendant 
Mon  maistre  sera  attendant 
Vostrc  retour  ? 


JACQUES  GREVIN.  221 

I,E    TRESORIER. 

Il  le  fault  bien. 

RICHARD. 

Mais,  monsieur,  pensez-vous  combien 
Ce  luy  est  chose  insupportable 
D'estre  si  long  temps  redevable 
A  un  tas  de  gens  importuns? 

LE    TRESORIER. 

Vrayment ,  Richard ,  je  scay  aucuns 
Qui  m'ont  voulu  donner  le  quart 
De  leur  payment. 

RICHARD. 

Ma  foy ,  Richard  , 
N'ha  point  telle  commission  ; 
Pour  donner  une  portion 
De  l'argent ,  il  le  fera  bien. 

LE    TRESORIER. 

c'est  bien  parlé  :  viença,  combien 
Veult-il  donner  pour  l'interest , 
S'il  trouve  son  argent  tout  prest? 
Quant  est  de  moy,  je  ne  1  ay  pas  : 
Mais  il  n'y  a  que  quatre  pas 
Jusqu'au  logis  d'un  mien  ami. 

RICHARD. 

Le  Trésorier  n'est  endoi  mi , 
Se  voyant  en  main  la  fortune 
De  pouvoir  gaigner  la  pecune. 

LE    TRESORIER. 

Que  dis-tu,  Richard  ? 


'222  JACQUES  GREVm. 

RICHARD. 

Je  songeois 
En  comptant  cy  dessus  mes  doits, 
Combien  il  voudroit  bien  donner. 

LE    TRESORIER. 

Je  ne  pourroy  plus  séjourner. 

RICHARD. 

De  trois  cens  livres  vingt  escus. 

LE    TRESORIER. 

Ha,  vrayment  il  mérite  plus. 
Vûudroit-il  bien  en  donner  trente  ? 

RICHARD. 

Pour  vingt  et  cinq,  qu'il  se  contente 
Je  vous  feray  recompenser, 
Si  voulez  encor'  avancer. 

LE    TRESORIER. 

Je  le  veux  à  mesme  profit  : 
Aussi  je  voudroy  qu'il  me  leit 
Quittance  des  paymens  entiers 
Qu'il  recevra  des  deux  quartiers. 

RICHARD. 

Vous  les  aurez. 

LE    TRESORIER. 

Mais  il  ne  fault 
Aussi  m'en  faire  aucun  default , 
Car  je  veux  partir  dans  une  lieure  : 
Parquov  soyez  en  mon  demeure 
Incontinent. 

RICHARD. 

C'est  bien  assez. 


JACQUES  GREVIN. 
Jamais  ils  ne  seront  lassez 
De  prendre  argent  de  toutes  pars  : 
Il  n'est  pas  des  pauvres  souldars 
Desquels  ces  braves  trésoriers 
N'attirent  tousjours  des  deniers  ; 
Mais  au  besoing  il  se  fault  taire. 

SCENE  III. 

MARIE,  RICHARD. 

MARIE. 

Dieu  ,  monsieur  le  Protenotaire , 
Est  négligent  en  ses  amours. 
J'ay  veu  le  temps  que  tous  les  jours 
Il  passoit  devant  la  mai-^on 
Cinquante  fois;  mais  la  saison, 
Comme  je  croy,  luy  est  venue, 
Qu'il  ne  va  plus  parmi  la  rue: 
Pensez  qu'il  est  devenu  sage. 

RICHARD. 

Si  je  joue  mon  personnage  , 
Je  sçauray  d'elle  tout'  l'affaire 
De  ce  jeune  Protenotaire. 

MARIE. 

((  Nous  fuyons  tousjours  nostre  bien , 
«  Jamais,  jamais  à  un  bon  cbien 
«  Ne  tombera  quelque  bon  os  :  » 
Apres  qu'ils  ont  tourné  le  dos, 
Ils  font  leurs  meilleures  risées 
De  celles  qu'ils  ont  abusées. 


224  JACQUES  GREVIN. 

RICHARD. 

Les  plus  rusez  y  sont  donc  pris. 

MARIE. 

Quant  ils  ont  l'amour  entrepris 
De  quelque  dame ,  à  Dieu  comment 
S'ils  en  ont  eu  contentement. 

RICHARD. 

Autant  ailleurs,  c'est  ma  devise. 

3IARIE. 

Voyla  madamoiselle  esprise 
De  l'amour  d'un  jeune  escolier, 
Qui  n'a  le  soûl  pour  employer , 
Et  veult  estre  aimé  à  crédit. 

RICHARD. 

Ne  l'avois-je  donc  pas  bien  dlct? 

MARIE. 

Le  seigneur  Loys  ce  pendant 
Est  à  son  amour  prétendant, 
Sans  toutesfois  avoir  cest  heur 
D'appaiser  sa  trop  grande  ardeur, 
Si  n'est  de  quelque  vaine  course  : 
Luy  qui  ha  plus  d'escus  en  bourse 
Que  l'autre  n'ba  pas  de  deniers. 
«  Mais  voyla  comment  les  derniers 
«Seront  tousjours  favorisez, 
«  Et  les  plus  fermes  desprisez.  » 

r.  I  C  H  A  R  D. 

J'enten  le  neud  de  la  matière , 
Il  se  fault  garder  du  derrière. 


JACQUES  GREVIN.  22: 

MARIE. 

Voyci,  Richard,  le  serviteur 
Du  seigneur  Loys;  j'ay  grand  peur 
Qu'il  n'ait  entendu  ce  qu'ay  dict; 
Au  pis,  j'en  ferny  contredict  : 
Mon  Dieu  ,  Richard  ,  venez  avant. 

RICHARD. 

Que  faites  vous  icy  devant  ? 

MARIE. 

Rien  ;  sinon  que  ma  ('amoiselle 
Veult  parler  à  vous. 

RICHARD. 

Que  veult-elle  ? 

MA  RIE. 

Quant  à  moy,  je  ne  le  sçay  pas; 
Elle  est  ja  descendue  en  bas. 


V. 


15 


ii6  JACQUES  GREVIN. 


ACTE   SECOND. 


SCENE  I. 

LE  PROTENOTAIRE,  BONI  FA  CE. 

LE    PROTEÎNOTAIUE. 

He  !  BoQiface,  mon  ami , 
Je  suis  desja  mort  à  demi , 
Tant  ce  petit  dieu  me  tormente. 
Ha ,  ma  trop  cruelle  Constante  ! 
La  grand'  constance  de  ton  sort , 
Seule  me  causera  la  mort. 

BONIF  ACE. 

Comment  cela,  monsieur?  vous  ay-je 
Si  long  temps  servi  au  collège , 
Pour  maintenant  vous  défier 
De  vostre  serviteur,  premier 
Qui  en  a  mis  les  fers  au  feu  ? 

LE    PROTENOTAIRE. 

Helas ,  Boniface  !  pour  Dieu , 
Si  jamais  la  fidélité 
De  ton  devoir  m'a  incité 
A  recompenser  ton  service 
Comme  je  doy  de  mon  office  ; 
C'est  ores  qu'il  te  fault  prévoir 
Au  mal  instant  du  desespoir, 
Et  monstrer  ton  invention. 


JACQUES  GREVIN.  il'] 

BONIFACE. 

Je  sçay  bien  qu'il  n'est  question 
Que  d'argent  dont  avez  default  : 
«  Car  le  temps  est  venu  qu'il  fault 
«  Tousjours  avoir  argent  en  banque  , 
«  Qui  veult  que  la  dame  ne  manque.  » 

LE     PROTENOTAIRE. 

Il  est  vray;  car  tout  mon  torment 
Vient  de  cela  tant  seulement  ; 
Tu  sçais  que  nous  n'avons  la  croix , 
Encores  qu'il  y  ait  trois  mois 
Avant  que  recevoir  argent, 

BONIFACE. 

Vous  estes  par  trop  diligent 
A  faire  la  magnificence, 
Depuis  qu'avez  la  jouissance 
De  quarante  ou  cinquante  escuz. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Boniface,  je  ne  suis  plus 
Enfant  comme  je  sovdois  estre. 

BONIFACE. 

Il  fault  que  vous  soyez  le  maistre 
Doresnavant  des  passions 
De  voz  journelles  actions. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Je  le  seray.  Mais  pense-tu 
Combien  est  grande  sa  vertu  , 
Et  combien  sa  perfection 
Peult  dompter  mon  affection  ? 


aao  JACQUES  GREVIN. 

BONIFACE. 

Nous  voyons  cela  tous  les  jours  : 
Ce  sont  voz  premières  amours. 

L,E    PROTENOTAIRE. 

Ce  n'est  point  cela,  Boniface  : 
Tant  seulement  sa  bonne  grâce, 
Son  doux  parler  et  son  maintien  : 
Sans  rien  flater,  méritent  bien 
L'amour  d'un  bien  plus  grand  seigneur. 

BONIFACE. 

Voyla ,  vous  y  avez  le  cueur  : 
Non  pas  vrayment  que  je  desprise, 
Disant  cela ,  vostre  entreprise  : 
Mais  il  ne  fault  estre  si  cbaud 
En  ses  affaires. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Son  cueur  hault 
Mérite  un  plus  parfaict  service. 

BONIFACE. 

Mais  si  l'argent  du  bénéfice 
Ne  suffît  à  telle  despense? 

L,E    PROTENOTAIRE. 

Il  fault  aimer  en  espérance, 

Il  nous  viendra  quelque  bazard. 

BONIFACE. 

Ouy  bien ,  mais  possible  trop  tard , 
Il  fault  prévoir  à  son  affaire. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Encore  le  bien  de  mon  père 
Ne  manquera  point. 


JACQUES  GREVIN.  29.9 

BONIFACE. 

Il  ne  pense 
Que  nous  façions  si  grand  despense. 

LEPROTENOTAIRE. 

Ha  ,  je  veux  estre  entretenu 
Honnestenient  du  revenu 
Qui  m'appartient. 

BONIFACE. 

C'est  la  raison  : 
Car  vous  estes  d'une  maison 
Qui  le  mérite  :  mais  aussi 
Il  fault  avoir  des  siens  souci. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Or ,  Boniface ,  il  n'est  pas  heure 
De  faire  plus  longue  demeure  ; 
Nous  avons  mesticr  d'autre  chose. 

BONIFACE. 

Je  l'enten. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Dont  je  me  repose 
Du  tout  sur  toy. 

BONIFACE. 

Je  feray  tant , 
Que  nous  aurons  argent  contant. 

LE    PROTENOTAIRE. 

J'ayme  mieux  payer  l'interest, 
Pourveu  que  le  payment  soit  prest. 

BONIFACE. 

Je  vous  pry',  laissez  faire  à  moy. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Aussi  je  m'en  attens  à  toy. 


:3o  JACQUES  GREVIN. 

BONIFACE. 

Vous  le  pouvez;  allez  m'attendre 
Dans  le  palais ,  j'iray  vous  prendre 
Au  repasser. 

LE    PROTE  NOTAIRE. 

Le  secrétaire 
M'y  doit  trouver  pour  quelque  affaire. 

SCENE  IL 

CONSTANTE,  BONIFACE,  RICHARD. 

CONSTANTE. 

Richard  ,  mon  amy ,  dictes  luy 
Que  j'en  endure  autant  d'ennuy 
Qu'il  m'est  possible,  et  que  j'espère, 
Mais  qu'il  soit  parti ,  si  bien  faire 
Qu'il  sera  content  du  devoir 
Que  j'en  feray. 

BONIFACE. 

Il  fault  sçavoir 
Que  veult  ce  doux  contentement. 

RICHARD, 

Vous  n'en  voulez  foy  ne  serment. 
Mais  il  vous  aime  de  tel  cueur, 
Que  desja  sou  amour  vainqueur 
L'a  presque  mis  au  desespoir. 

CONSTANTE. 

Las ,  Ricbard ,  il  ba  tout  pouvoir 
Sur  moy,  qui  suis  sienne,  et  j'esperc, 
S'il  me  survient  en  mon  affaire , 
Le  recognoistre  tant  «[ue  l'ame 


JACQUES  GREVm.  23i 

Me  batte  au  corps. 

BONIFACE. 

La  pauvre  femme 
Ne  se  donne  qu'à  ses  amis  : 
J'enten  bien  tout ,  elle  a  commis 
Quelque  petite  portion 
De  l'amoureuse  affection 
Sur  la  bource  tVun  amoureux. 

RICHARD. 

Ma  damoiselle ,  il  est  heureux 
De  ce  qu'il  vous  plaist  demander 
La  chose  qu'il  peult  accorder. 

CONSTANTE. 

Eh  bien,  Richard,  vous  luy  direz 
Que  je  suis  sienne,  et  le  prirez 
De  ce  dont  je  vous  ay  parlé. 

BONIFACE. 

Voyla  le  pacquet  emmalé  ; 

Mon  maistre  peult  bien  dire  à  Dieu. 

RICHARD. 

Je  ne  puis  plus  estre  en  ce  lieu , 
Je  vay  quérir  l'autre  quictance. 

BONIFACE. 

Si  est-ce  que  j'ay  espérance 
D'émoucher  quelque  argent  de  vous. 

CONSTANTE. 

Hault,  Boniface  ,  un  peu  plus  doux; 
Quelqu'un  vous  fait-il  desplaisir  ? 

BONIFACE. 

Il  la  fault  avoir  à  loisir. 


2  32  JACQUES  GREVIN. 

Ha,  ma  damoiselle  Constante! 

CONSTANTE. 

Quel  est  reuniiv  qui  vous  tormente  ? 
N'y  sçauroit-on  bien  tost' prévoir? 
Il  est  grand  seigneur,  qui  peult  voir 
Monseigneur  le  Protenotaire. 

BONIFACE. 

Il  est  empesché  d'un  affaire 
Qui  est  de  bien  grand'  importance, 
En  quoy  il  a  bonne  espérance 
De  parvenir  à  grand  honneur. 

CONSTANTE. 

Eh  bien,  bien,  ce  sera  monsieur; 
Il  ne  vouldra  plus  regarder 
Ses  amis. 

BONIFACE. 

Tant  eir  sçait  farder 
Et  emmicler  son  langage  ! 

CONSTA  NTE. 

Bon  Dieu ,  que  vous  estes  sauvage 
Depuis  un  peu  ! 

BONIFACE. 

c'est  que  je  pense 
A  une  bonne  recompense 
Qu'on  donne  pour  son  bénéfice , 
Si  quelcun  veult  faire  un  service 
De  luy  prester  deux  cens  escus. 

CONSTANTE. 

Ne  luy  en  fauldroit-il  non  plus? 


JACQUES  GREVIN,  23H 

BONIFACE. 

Non. 

CONSTANTE. 

N'ha-il  point  quelque  amitié 
Dedans  Paris ,  pour  la  moytié  ? 

BONIFACE. 

Non,  du  tout;  ouy  bien  pour  cinquante. 

CONSTANTE. 

Ha  ,  vrayment  je  suis  tres-contente 
De  luy  prester  le  demourant , 
Du  bon  cueur,  en  m'asseurant. 

BONIFACE. 

Ma  damoiselle ,  le  plaisir 
Sera  selon  vostre  désir 
Honnestement  recompensé. 

CONSTANTE. 

A  son  vouloir. 

BONIFACE. 

J'ay  avancé 
Ma  langue ,  sans  son  mandement. 

CONSTANTE. 

Vous  le  pouvez  honnestement  : 
Car  je  suis  si  bien  son  amie, 
Que  s'il  me  demandoit  la  vie , 
Je  luy  departirois  mon  ame. 

BONIFACE. 

«  Tant  le  bon  vouloir  d'une  dame 
«  Peult  aider  l'ami  au  besoing.  » 

CONSTANTE. 

Boniface ,  j'ay  plus  de  soing 


!34  JACQUES  GREVIN. 

De  ravancemeiit  de  son  bien 
Et  honneur,  que  non  pas  du  mien, 
Encore  que  j'en  soy  reprise  : 
Mais  je  suis  tellement  esprise 
De  son  amour ,  que  j'ay  grand  peur 
Que  ce  soit  mon  dernier  malheur. 
Au  pis  aller,  je  suis  heureuse 
Que  ceste  estincelle  amoureuse 
A  touché  sa  perfection. 

BONIFACE. 

Ce  n'est  qu'à  bonne  intention 
Ma  damoiselle ,  et  le  torment 
Se  finira  heureusement. 

CONSTA  NTE. 

Je  pry  Dieu  qu'il  vous  veuille  ouir. 

BONIFACE. 

Et  alors  vous  pourrez  jouir  , 
Vous  sçavez  quoy. 

CONSTANTE. 

Ha!  Boniface. 

BONIFACE. 

Ma  damoiselle ,  vostre  grâce  , 
Et  vostre  parfaicte  beauté 
Seule  vainquit  sa  liberté  : 
Car  plus  il  vit  en  ce  martyre , 
Tant  plus  constamment  il  aspire 
A  faire  chose  qui  contente 
Le  seul  désir  de  sa  Constante. 

CONSTANTE. 

Escoutez  ;  je  vous  veux  prier, 


JACQUES  GREVIN.  235 

A  cause  que  le  Trésorier 
S'appreste  pour  tantost  partir, 
D'en  vouloir  monsieur  advertir, 
Qu'il  soit  un  peu  plus  diligent  : 
Et  cependant ,  voyla  l'argent  ; 
Il  m'en  fera  recognoissance 
Quand  il  viendra. 

BONIFACE. 

J'ay  espérance 
Qu'avant  qu'il  soit  une  bonne  heure , 
Il  sera  dans  vostre  demeure. 

Vive,  vive  l'invention 
Pour  bien  faire  une  faction  : 
H  en  fault  bien  faire  la  croix 
En  nostre  âtre  :  ils  sont  tous  de  poix , 
Je  les  ay  eus  tous  pour  le  pris 
Que  ceste  dame  les  a  pris. 
Je  recognoy  bien  cestuy-ci , 
Et  ce  double  ducat  aussi , 
Un  noble ,  un  angelot  encor  : 
C'estoit  pour  des  brasselets  d'or 
Que  monsieur  luy  donna  un  jour. 
Ce  demeurant  vient  de  l'amour 
Des  bonnes  gens  de  son  quartier. 
A  tous  les  diables  le  mestier, 
Qui  ne  nourrit  et  entretient 
Le  compaignon  qui  le  maintient, 
Et  ne  fust  qu'un  peigne  de  buys.    ♦ 

CONSTANTE. 

Au  moins  si  le  seigneur  Loys 


236  JACQUES  GREVIN. 

Me  fait  ce  bien ,  dont  je  le  prie, 
Ma  hource  sera  bien  remplie 
De  l'argent  que  j'av  debourcé. 

SCENE  III. 

LE  TRESORIER,  SULPICE,  CONSTANTE. 

LE    TRESORIER. 

Croyez  qu'un  argent  avancé 
Vault  bien  cela. 

SULPICE. 

Si  fait  vrayment  ; 
Et  je  m'esbaby  fort  comment 
Vous  faictes  si  bonneste  tour. 

LE    TRESORIER. 

Sire  §ulpice,  c'est  l'amour 
Que  je  luy  porte. 

SULPICE. 

Il  le  vault  bien. 
Et  puis  de  ces  gens  l'entretien 
Sert  de  beaucoup  aucuncfois. 
Il  me  souvient  (ju'un  jour  j'estois 
En  la  court  pour  un  mien  affaire , 
Seulement  un  Protenotaire 
Auquel  j'avois  faict  du  service  , 
Feit  tout  mon  cas. 

LE    TRESORIER. 

Sire  Sulpicc , 
Comme  vous  dictes ,  le  maintien 
De  gens  de  court  est  nostrc  bien. 
Je  crains  que  nos  faultes  commises 


JACQUES  GREVIN.  '. 

A  la  parfin  ne  soyent  reprises  , 
Comme  nous  voyons  la  fortune 
Estre  plus  souvent  importune 
A  gens  qui  sont  en  tel  degré , 
Qui  n'ont  tousjours  le  vent  à  gré  : 
Il  ne  faudroit  au  mal  extresme 
Que  ce  bon  gentilhomme  mesme 
Pour  bien  conduire  mon  affaire, 
S'il  m'advenoit  quelque  misère. 

SULPICE. 

Vous  dictes  bien,  il  fault  prévoir 
Au  mal  qui  nous  peult  décevoir. 
C'est  ainsi  qu'il  fault  disposer , 
C'est  ainsi  qu'il  fault  aviser 
A  un  malheur  qui  se  présente 
Pour  brouiller  tousjours  nostre  attente. 
Tant  nature  nous  est  cruelle. 
Mais  n'est-ce  pas  ma  damoiselle 
Que  je  voy  venir  droict  à  nous? 

CONSTANTE. 

Mon  Dieu!  monsieur,  dépeschez  vous, 
Vous  sçavez  qu'il  est  desja  tard. 

LE    TRESORIER. 

Je  n'atten  plus  qu'après  Richard. 

CONSTANTE. 

Helas ,  mon  Dieu  !  la  seule  peur 
Qu'il  ne  vous  avienne  un  malheur. 
Me  le  faict  dire;  tous  les  champs 
Sont  remplis  de  mauvaises  gens  : 
Sur  tout  gardez  vous  bien  du  soir. 


..38  JACQUES  GREYIN. 

SULPICE. 

Encor'  y  faict  il  l)on  prévoir , 
Cela  ne  \ient  que  de  hou  cueiir. 

LE    TRESORir^R. 

Si  vous  voyez  le  serviteur 
Du  seigneur  Loys ,  que  Marie 
L'amené  après  nous. 

CONSTANTE. 

Je  vous  prie 
De  tost  despecher  vostre  affaire. 

SCENE   IV. 

MARIE,  seule. 

L'homme  de  ce  Protenotaire 

N'est  pas  des  plus  niez  du  monde  : 

Quand  il  est  céans  il  me  sonde  , 

Et  semble  bien  à  l'ouyr  dire 

Qu'il  ait  intention  de  rire 

Tout  ainsi  comme  fiiict  son  maistre  ; 

Et  croy  que  s'il  se  scntoit  cstre 

Si  peu  que  rien  favorisé , 

Il  seroit  bien  assez  rusé 

D'essayer  s'il  pourroit  bien  faire 

Ce  que  faict  le  Protenotaire. 

Je  n'useray  plus  de  rudesse 

En  son  endroit  ;  car  ma  maistresse 

Dict  qu'il  ne  fault  point  refuser 

Ce  qui  ne  se  peult  onc  user. 

«  Aussi  est-ce  une  grand'  folie 

«  Que  d'engendrer  melancbolie. 


JACQUES  GRE  VIN.  289 

«  Nous  n'aurons  pas  tousjours  le  temps 
«  Pour  rendre  nos  désirs  contens.  » 
Il  fault  donc  prendre  le  loisir, 
Puisque  nous  voyons  le  plaisir 
S'offrir  d'une  gaité  de  cueur. 
Et  pourquoy  non  ?  le  serviteur 
N'aura-il  aussi  grand'  puissance 
De  me  donner  la  jouissance , 
Et  rendre  l'appelit  content 
De  ce  point  que  l'on  prise  tant, 
Comme  monsieur  à  sa  Constante  ? 
"Je  croy  que  le  mal  qui  tormente 
L'esprit  et  mon  repos  de  nuict 
Se  guerist  par  mesme  deduict  : 
Autant  peult  le  lait  que  le  prestre , 
Et  le  serviteur  que  le  maistre , 
Le  pauvre ,  comme  un  de  grand'  race. 
Mais  je  ne  voy  point  Boniface 
Venir  ainsi  qu'il  a  promis. 


24o  JACQUES  GREVIN. 


ACTE  TROISIEME. 


SCENE   I. 

LOYS,  seul. 

«  AujouRDHUY  l'on  ii'ha  plus  d'amis, 

«  Si  n'est  la  bource  et  les  escus  ; 

«  Aujourd'huy  Ton  ne  trouve  plus 

«  Qui  veuille  tenir  la  querelle 

«  De  quelque  honneste  damoiselle. 

«Le  gain  faict  tout,  le  gain  emporte 

«  Les  rempars  d'une  ville  forte  ; 

«  Le  gain  faict  roqus  les  maris  ; 

a  Le  gain  est  le  dieu  de  Paris  ; 

«C'est  le  dieu  des  inventions, 

«  Et  la  fin  des  intentions. 

«  Le  sain  faict  courir  les  marclians 

«  Aux  périls  et  dangers  des  champs  ; 

«  Au  péril  des  vens  et  tempestes , 

«  Qui  plus  souvent  dessus  leurs  testes 

«  Tombans  d'épouvantable  effort , 

«Leur  mettent  dans  les  dens  la  mort, 

«  Voyre  au  plus  beau  de  leur  jeunesse.  » 

Encore  qu'il  soit  tel ,  si  est-ce 

Que  jamais  il  n'eut  la  puissance 

De  faire  fléchir  la  constance 

De  ma  cruelle.  De  son  cueur 


V. 


JACQUES  GREVIN.  241 

Amour  en  feut  le  seul  vainqueur  ; 

Tant  seulement  d'une  beauté 

Son  cueur  se  sentit  incité  : 

Il  repose  aussi  en  un  lieu 

Digne  du  triomphe  d'un  dieu. 

Qu'un  dieu  tout  seul  aussi  se  vante 

D'avoir  faict  broncher  ma  Constante 

Elle  seule  dessous  le  ciel 

Qui  mérite  avoir  l'honneur  tel. 

L'amour  qui  le  commun  enflamme, 

N'est  que  neige  au  pris  de  ma  flamme , 

D'autant  que  sa  divinité 

Surpasse  toute  humanité 

Au  brasier  qu'il  m'a  faict  sentir. 

SCENE   IL 

RICHARD,   LOYS. 

RICHARD. 

MosTsiEUR,  il  est  prest  à  partir, 
Et  ne  reste  plus  que  quictance 
Pour  vostre  dehte  et  pour  l'avance  ; 
Car  l'argent  est  desja  tout  prest. 

LOYS. 

Combien  prent-il  pour  l'interest  ? 

RICHARD. 

Vingt-cinq  escus  pour  le  payment, 
Et  autant  sur  l'avancement. 

LOYS. 

C'est  trop  vrayment  de  la  moitié. 

16 


24^  JACQUES  GREVIN. 

RICHARD. 

Encor'  si  n'estoit  l'amitié 

D'un  sien  voisin ,  il  ne  pourroit 

Vous  en  bailler. 

LO  YS. 

Et  ce  seroit 
Un  tour  duquel  la  repentance 
Suivroit  de  bien  près  la  vengeance. 
Retiendroit-il  ainsi  mou  bien  ? 

R  I  c  u  A  u  D. 

Monsieur,  encor'  n'y  prend  il  rien; 
C'est  un  marchant,  comme  j'ay  dict, 

L  o  Y  s. 
Pardieu,  il  a  pauvre  crédit 
A  ce  presteur. 

RICHARD. 

Yoyla  que  cest  : 
«  Les  amis  sont  h  interest , 
«  Encore  se  faull-il  liaster.  » 

L  o  Y  s. 

Or,  puisqu'il  en  fault  eschapper, 
Yoyla  l'autre  quictance  encor'. 

RICHARD. 

c'est  mon ,  mais  de  la  cliaine  d'or 
Que  demande  la  damoiselle. 

L  o  Y  s. 
Je  n'en  sçaclic  point  d'assez  belle: 
Délivre  liiy  cinquante  escus 
Pour  en  acheter  une,  ou  plus, 
S'il  est  mestier;  la  recompense 


JACQUES  GREVIN.  243 

Que  je  prétends,  vault  la  despence  : 
Au  demeurant ,  haste  le  pas. 

RI  CHAUD. 

Les  escadrons  et  les  conibas 
N'eurent  oncque  si  grand'  puissance 
Que  monsieur  n'y  feit  résistance  : 
Et  maintenant  une  beauté 
Triomphe  de  sa  liberté. 
Encor'  vrayment  la  damoiselle  , 
Quant  tout  est  dict ,  n'est  pas  si  belle  ; 
Toutesfois  je  ne  la  deprise; 
«  Car  on  dict  que  la  marchandise 
«  Qui  plaist  est  à  demy  vendue.  » 
Je  crain  que  ma  voix  entendue 
Ne  soit  entrée  en  la  cervelle 
De  ceste  rapporte-nouvelle  , 
Qui  m'attend  là  devant  la  porte; 
Car  vravment  elle  est  assez  sotte 
Pour  le  rapporter  à  Constante. 

SCENE   III. 

MARIE,   RICHARD. 
MARIE. 

VoYcr  Richard  qui  se  tourmente 
De  quelque  malheur  advenu. 
Son  esprit,  est  bien  détenu 
A  voir  sa  manière  de  faire. 

RICHARD. 

Il  fault  penser  à  mon  affaire , 
Puisque  j'aproche  la  maison. 


ii44  JACQUES  GREVm. 

MARIE. 

Venez ,  Richard  ;  c'est  la  raison 
Que  si  long  temps  on  vous  attende. 

RICHARD. 

Eh  bien,  quoy,  petite  friande? 

Vous  serez  donc  tousjours  fascheuse , 

Vous  ferez  donc  la  rigoureuse 

Au  pauvre  Richard  langoureux  ? 

Mon  Dieu,  que  je  serois  heureux. 

Si  je  pouvois  à  mon  loisir 

Avoir  de  ce  sein  le  plaisir  : 

Ces  deux  ivoirines  boulettes , 

Ces  deux  cerises  rondelettes. 

Ce  sera  bien  quand  vous  voudrez. 

MARIE. 

Laschez  vos  chiens,  vous  les  prendrez; 
Car  vous  estes  le  nompareil. 

RICHARD. 

Si  vous  estes  de  mon  conseil , 
Nous  ferons  bien  noz  besongnettes. 

MARIE. 

Eh  mon  Dieu ,  Richard  ,  que  vous  estes 
Ores  esveillé  pour  vostre  aage! 

Ri  CH  ARD. 

Ce  n'est  sinon  que  le  courage, 
Qui  s'augmente  de  jour  en  jour. 

MARIE. 

Vous  voulez  donc  l'aire  lamour? 

RicnARr. 
Ma  fov,  Richard  se  délibère 


JACQUES  GREVIN.  2  45 

Avoir  tousjours  pour  l'ordinaire 
Quelque  chose  qui  soit  de  mise. 

MARI  E. 

Voyla  une  belle  entreprise. 

RICHARD. 

Il  m'y  fault  or'  avant  prévoir. 

MARIE. 

Comment  ?  Il  sembleroit  à  veoir 
Que  vous  ne  sceussiez  troubler  l'eau. 

RICHARD. 

L'intention  est  au  cerveau , 

Marie  ;  et  puis  «  il  ne  fault  pas 

«  Estimer  le  moyne  à  son  pas , 

«  Quand  il  marche  dans  le  couvent.  » 

MARIE. 

Ananda,  vous  estes  sçavant, 
Vous  entendez*  bien  cet'  affaire. 

RICHARD. 

Je  suis  niez,  laissez  moy  faire* 
Aussi  bien  n'engendré-je  point. 

MARIE. 

Richard  ,  Richard ,  j'enten  le  poinct  : 
Vous  voulez  rire  ;  c'est  cela. 

RICHARD. 

Ma  foy ,  me  voyci ,  me  voyla  ; 
Je  ne  tiens  jamais  mon  courroux  : 
Je  suis  humain ,  courtois  et  doux , 
Prest  à  vous  faire  tout  service , 
A  celle  fin  que  je  jouisse  ; 
Vous  entendez  le  demeurant. 


246  JACQUES  GREVIN. 

MARIE. 

Sus,  SUS,  Richard  :  marchez  avant; 
Monsieur  le  Trésorier  attend 
Pour  vous  donner  argent  content  : 
Il  est  chez  le  sire  Sulpice. 

RICHARD. 

«  Prendre  argent  est  un  hon  office , 
«  Et  mauvais  d'estre  fournisseur.  » 

MARIE. 

Vous  estes  un  heau  gaudisseur, 
Ananda ,  je  m'y  recommande, 

RICHARD. 

Adieu  la  petite  friande. 

MARIE. 

Il  veult  resemhler  Boniface. 
SCENE  IV. 

CONSTANTE,  MARIE. 

CONSTANTE. 

ViENÇA,  meschante;  quand  sera-ce 
Que  feras  ce  qu'il  appartient  ? 

MARIE. 

Ce  n'est  pas  à  moy  qu'il  tient. 

CONSTANTE. 

Que  jaze-tu  en  ceste  place  ? 

MARIE. 

Que  voulez  vous ,  si  Boniface 
Ne  se  veult  d'avanture  haster? 

CONSTANTE. 

Qu'as-tu  à  faire  d'arrester 


JACQUES  GREVIN.  2^7 

Le  valet  du  seigneur  Loys, 

A  babiller  devant  cest  huys 

Avec  luy?  Vous  sentez  le  cueur  : 

Encor'  avec  un  serviteur. 

Sainct  Jean,  le  bon  ami  de  Dieu, 

Vous  irez  en  un  autre  lieu 

Faire  vostre  belle  menée. 

Comment ,  madame  Taffetee  , 

Est-ce  Testât  que  je  vous  monstre  ? 

Croyez  que  si  je  vous  rencontre, 

Vous  maudirez  à  jamais  l'heure 

D'avoir  entré  en  mon  demeure. 

Marchez,  marchez,  entrez  dedans. 
Voyla ,  c'est  l'amour  de  ce  temps  : 

«  Aujourdhuy  l'on  ne  voit  plus  homme 
«  Garder  la  fidélité ,  comme 

«  Les  amoureux  du  temps  passé ,  » 

Le  ferme  amour  est  déchassé, 

Et  en  son  lieu  une  feintise . 

Le  seul  masque  ,  à  sa  place  prise. 

Nous  ce  pendant  mal  avisées. 

Sommes  plus  souvent  abusées 

Par  ceux  qui  ne  font  que  chercher 

Le  moyen  de  nous  débaucher. 

<c  Et  voyla  comment  aujourdhuy 

«  La  fin  d'amour  n'est  rien  qu'ennuy  :  » 

Car  des  hommes  l'outrecuidance 

Est  cause  de  ceste  inconstance  : 

Eux  qui  tireroient  d'une  femme 

Les  biens,  l'honneur,  le  corps  et  l'ame; 


248  JACQUES  GREVIN. 

Et  puis  quand  ils  ont  falct ,  à  Dieu, 
Tout  autant  en  un  autre  lieu, 
Ainsi  que  fortune  leur  donne  : 
Mais  en  vain  je  me  passionne. 

SCENE  V. 
LE  PROTENOTAIRE,  BONIFACE,  CONSTANTE. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Ma  Constante  se  plainct  de  moy, 
Et  m'accuse,  comme  je  croy, 
De  ce  que  je  demeure  tant 
A  venir. 

CONSTANTE. 

Ah  !  trop  inconstant  ! 
Et  moy,  trop  facille  à  lo  croire. 
Je  pensoy  le  Protenotaire 
Estre  digne  d'un  plus  grand  heur  : 
Mais  je  croy  que  son  serviteur 
A  pris  sur  luy  plus  de  puissance 
Qu'il  ne  feit  onc  d'obéissance. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Ha,  Boniface  !  maintenant 
J'aperçoy  que  tout  ce  tourment 
Ne  luy  vient  sinon  (jue  de  moy. 

CONSTANTE. 

L'amour  donc  n'aura  plus  de  loy  ? 
On  n'en  fera  donc  plus  de  compte? 

LE    PROTENOTAIRE. 

L'impatience  me  surmonte , 
Je  n'en  sçaurois  plus  endurer. 


JACQUES  GREVIN.  ^49 

CONSTANTE. 

Encor'  qui  me  faict  espérer  , 
C'est  la  mort  après  longue  attente. 

1,E    PROT  ENOT  AIRE. 

Las  !  que  pensez  vous ,  ma  Constante , 
En  vous  menassant  du  trespas  ? 

BONIFACE. 

Le  voyla  pris ,  il  a  son  cas  ; 
La  clame  le  tient  à  son  aise. 

CONSTANTE. 

Helas  !  monsieur  ,  ne  vous  clesplaise  , 
Je  vous  pensoys  estre  plus  loing. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Comment,  mon  cueur?  comment,  mon  soing? 

Penseriez-vous  bien  qu'en  amour 

Je  voulsisse  faire  un  tel  tour  ? 

Yous  n'avez  expérimenté 

Quel  vouloir  ha  ma  fermeté , 

Encor'  vous  n'avez  asseurance 

Quelle  est  en  amour  ma  constance. 

BONIFACE. 

Il  en  a  tout  au  long  du  bras. 

CONSTANTE. 

Pardonnez  moy  mon  seul  soûlas , 
«L'amour  est  tousjours  soubçonneux.  » 

BONIFACE. 

c'est  l'ordinaire  entre  amoureux, 
Qui  faict  que  la  foy  se  renforce  : 
«  Car  c'est  d'amour  subtile  amorse 
«  Que  les  débats  de  deux  amans.  » 


iSo  JACQUES  GREVIN. 

liE    PROTENOTAIRE. 

La  mort  puisse  mes  jeunes  ans 
Plustost  retrancher  en  ma  fleur, 
Que  je  soy  jamais  serviteur 
D'une  autre  dame  que  de  vous. 
Jamais  l'amour  ne  me  soit  doux , 
Si  par  mon  infidélité 
Je  sers  à  une  autre  beauté. 
Plustost  me  laisse  tout  amy, 
Et  plustost  me  soit  ennemi 
L'aspect  de  mon  astre  fatal. 

BONIFACE. 

Il  est  au  plus  fort  de  son  mal. 
«  Il  n'y  a  rien  dessoubz  les  cieux 
a  Ou  pire ,  ou  plus  audacieux.  » 

CONSTANTE. 

Aussi  vous  sçavez,  monseigneur, 
Que  mon  corps  et  tout  mon  honneur 
Vous  fut  abandonné  par  moy 
Sur  l'asseurance  de  la  foy, 
Comme  seul  digne  d'estre  aimé. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Aussi  tousjours  ay-je  estimé 
Mon  heur  favorisé  des  dieux , 
Comme  celuy  seul  sous  les  cieux 
Qui  est  heureux  en  ses  amours. 

BONIFACE. 

c'est  la  coustume;  on  voit  tousjours 
Ces  jeunes  gens  à  marier 
Devenir  fols. 


JACQUES  GRE  VIN.  aSl 

LE    PROTENOTAIRE. 

Le  Trésorier 
A-il  desja  gaigné  le  hault  ? 

CONSTA  NTE. 

Non  pas  encore  ;  mais  il  fault 
Entrer  céans,  et  vous  cacher: 
Encor  fault-il  se  dépescher  ; 
Car  il  n'est  pas  loing. 

1,E    PROTENOTAIRE. 

Mais  comment, 
S'il  demouroit  plus  longuement? 

CONSTANTE. 

Il  est  sur  le  poinct  de  partir. 
SCENE  VI. 

RICHARD,   CONSTANTE. 

RICHARD. 

Par  le  corps  !  j'en  veux  advertir 
Mon  maistre  ;  il  le  sçaura.  Comment  l 
Est-ce  là  donc  le  beau  serment 
De  loyauté  ?  Je  m'en  doubtois  ; 
J'en  suis  certain  à  ceste  fois  : 
Car  de  mes  deux  yeux  je  l'ay  veu. 

CONSTANTE. 

Eh  bien ,  Richard ,  avez-vous  eu 
Vostre  payment? 

RICHARD. 

Une  moitié. 

CONSTANTE. 

Mon  don  n'est-il  point  oublié  ? 


2  52  JACQUES  GREVIN. 

RICHARD. 

Voicy  l'argent  pour  en  avoir , 
Si  vous  voulez  le  recevoir. 

CONSTANTE. 

Pourquoy  non?' 

RICHARD. 

Ouvrez  vostre  main. 

CONSTANTE. 

Ha ,  Richard  !  ce  seroit  en  vain  ; 
Je  vous  pri',  ne  me  trompez  plus. 

RICHARD. 

Non,  non;  voyla  cinquante  escus 
Pour  avoir  une  chaine  d'or. 
Me  pensez-vous  mocqueur? 

CONSTANTE. 

En  cor' 
Vous  avez  de  moy  souvenance  : 
Voyla  pour  vostre  recompense. 

RICHARD. 

Il  m'a  commandé  de  sçavoir 
Quand  il  pourroit  vous  venir  voir. 

CONSTANTE. 

Non  pas  pour  aujourdhuy  ;  demain. 

RICHARD. 

Touchez  en  donc  dedans  ma  main. 

CONSTANTE. 

Je  le  veux  ;  je  me  recommande. 

RICHARD. 

Par  le  corps  bieu!  ell'  ne  demande 


JACQUES  GREVIN.  253 

Que  les  escuz  :  car ,  quant  au  reste , 
Eir  ha  son  cas  ;  mais  je  proteste 
D'en  avoir  bien  tost  la  vengeance, 
Et  du  payment ,  et  de  l'avance , 
Et  des  cinquante  escuz  encor', 
Des  anneaux  et  des  chaines  d'or 
Dont  monsieur  luy  a  faict  présent. 
Eli'  n'ha  rien  trop  chauld  ne  pesant. 
Et  voyla  ;  la  coustume  est  telle  : 
Car,  envers  une  damoiselle , 
Il  fault  tousjours  l'argent  en  main  ; 
Et  puis  on  sçait  bien  que  son  gain 
Est  semblable  à  l'oiselerie. 
L'oiseleur  en  quelque  prairie 
Vient  espandre  ses  grains  semez , 
Oli  les  oiseaux  acoustumez 
Ainsi  se  laissent  amorcer: 
«  Car  il  fault  un  peu  avancer, 
«  Pour  en  avoir  du  gain  après  ;  » 
Et  lors  qu'ils  sont  pris  dans  les  retz, 
Ils  payent  au  long  la  despense 
Dont  l'oiseleur  a  faict  l'avance. 
Ainsi  le  bordeau ,  c'est  le  pré 
Là  où  l'amoureux  est  entré 
Connne  un  oiseau  :  la  macquerelle 
Est  l'oiseleur ,  qui  renouvelle 
Souvent  l'appas,  et  met  en  main, 
Au  lieu  d'amorce  ,  une  putain  : 
Les  caresses,  les  mignardises. 
Les  bon-jours  et  les  gaillardises , 


254  JACQUES  GRE  VIN. 

Le  doux  acueil,  le  deviser, 
Sont  les  moyens  d'aprivoiser. 
Et  en  ceste  façon ,  mon  maistre 
Est  aux  rets  :  mais  si  je  puis  estre 
Escouté,  il  aura  vengeance 
De  toute  ceste  grand'  despense. 
Encore  ce  beau  Trésorier, 
Et  ce  coqu,  se  fait  prier, 
Où  il  est  le  plus  diligent  : 
Et  fait  acroire  que  l'argent 
Qu'il  m'a  baillé  n'est  pas  à  luy. 
Je  luy  feray  dire  aujourd'huy 
Celuy  qui  a  mangé  le  lard  , 
Si  je  le  puis  tenir  à  part. 


JACQUES  GRE  VIN.  255 


ACTE   QUATRIEME. 


SCENE  I. 

LOYS,  RICHARD. 

LO  YS. 

Amour  premier  de  nostre  \ie 
Inventa  la  bourellerie , 
Et  cruauté,  comme  je  croy  : 
Car  assez  en  moy  j'apperçoy 
Combien  sa  rage  est  redoutable, 
Moy  qui  suis  le  plus  misérable 
Qui  soit  en  ce  monde  vivant. 
Je  suis  ébranlé  comme  au  vent, 
Je  suis  espoind  et  tormenté , 
Demi-mort ,  rompu  ,  transporté , 
Tourné  dans  la  roue  d'amour  : 
En  mon  esprit  ne  fait  séjour 
Aucun  repos  ;  je  suis  ja  las  ; 
Là  je  suis  où  je  ne  suis  pas  ; 
Mon  esprit  n'est  là  où  je  suis; 
Je  veux  cela  que  je  ne  puis  : 
Vivant  et  mourant  je  demeure; 
Ce  qui  me  plaist  en  la  mesme  heure 
Me  tourne  en  mescontentement, 
Tant  desja  l'amoureux  tonnent 
S'est  acquis  sur  moy  de  puissance  ; 


•2  56  JACQUES  GREVIN. 

Il  me  met  en  routte,  il  m'élance, 

Il  désire,  il  ravit,  il  tient; 

Ce  qu'il  me  donne ,  il  le  retient  : 

H  me  faict  à  l'instant  deffaire 

Ce  que  luy  mesmc  m'a  faict  l'aire , 

Et  l'œuvre  faicte  à  sa  poursuitte 

Est  tout  incontinent  destruitte. 

Et  encor'  avec  ces  malheurs  , 

Ce  seul  poinct  cy  faict  que  je  meurs. 

Richard. 

RICHARD. 

Monsieur, 
ï.  o  Y  s. 

Ce  peult-il  faire, 

Que  ce  gentil  Protenotaire 
Soit  jouissant  de  mon  mérite  ? 

RICHARD. 

Je  vous  ay  l'affaire  descrite , 

Hors  mis  le  sault  tant  seulement.  t 

N'est-ce  donc  pas  assez  ?  ^ 

I.  o  Y  s.  \ 

Comment  ? 

RICHARD. 

Demandez  vous  comment  j'ay  sceu 
Ce  beau  chef-d'œuvre  ?  je  l'ay  veu 
De  mes  deux  yeux  :  et  d'avantage, 
J'ay  entendu  tout  leur  langage , 
Et  la  conduitte  de  l'affaire. 

I.  o  Y  s. 
Mais  qui  est  ce  Protenotaire  ? 
Le  pourras  tu  bien  rccognoistrc  ? 


JACQUES  GRE  VIN.  25j 

RICHARD. 

Ha  !  je  voy  bien  que  c'est;  mon  maistre 
Ne  croira  Dieu  que  sur  bon  gage. 

LO  YS. 

Je  perds  le  sens  et  le  courage , 
Tant  ce  dur  rapport  me  tormente. 
Qui  eust  pensé  que  ma  Constante 
M'eust  voulu  faillir  en  amour, 
Et  me  faire  un  si  lasche  tour? 
Encore  ne  le  puis-je  croire. 
As-tu  veu  ce  Protenotaire 
Entrer  dedans  ? 

RICHARD. 

Ouy,  je  l'ay  veu. 
L  o  Y  s. 
As-tu  veu  qu'elle  l'a  receu  ? 

RICHARD. 

J'ay  veu  mesme  qu'ell'  le  baisoit, 
Et  le  flatant  le  courtisoit. 

LO  YS. 

Tout  cela  n'est  que  courtoisie; 
Je  ne  pren  point  de  fantasie 
Pour  un  baiser  :  car  maintenant 
Cela  se  fait  honnestement. 

RICHARD. 

Mais  quand  avecque  ce  baiser 

On  adjouste  le  deviser, 

Qui  monstre  assez  l'affection 

De  l'amoureuse  passion , 

Je  crois  qu'il  ne  fault  plus  de  doute. 

'7 


a 58  JACQUES  GREVIN. 

I.  o  y  s. 
Est-ce  ainsi  donc  qu'ell'  me  redoute  ? 
Seray-je  donc  si  peu  prisé  ? 

RICHARD. 

Elle  vous  a  dévalisé. 

LO  YS. 

Encore  ne  le  croy-je  point. 
Raconte  moy  de  poinct  en  poinct 
Comment  le  tout  s'est  démené. 

RICHARD. 

J'estois  en  un  lieu  détourné 
Où  j'ay  entendu  tout  l'affaire. 

LOYS. 

Je  suis  donc  contrainct  de  le  croire  : 
Tu  ne  voudrois  estre  menteur. 

RICHARD. 

Je  n'en  suis  que  le  serviteur  ; 
Et  pour  le  devoir  de  service, 
Je  fais  au  moins  mal  mon  office 
Qu'il  m'est  possible.  Au  demourant, 
Tousjours  véritable,  espérant 
Faire  tousjours  de  mieux  en  mieux. 

LOYS. 

L'eau,  la  terre,  l'air  et  les  cieux, 
Et  mille  autres  fureurs  esprises , 
Contrarient  mes  entreprises. 
Mais  je  veux  monstrer  combien  peult 
Mon  ire  depuis  qu'ell'  s'esmeut. 

RICHARD. 

M  Celuy  qui  vouldra  s'empescher, 


JACQUES  GREVm.     ^  259 

«  Qu'il  entreprenne  estre  nocher, 
«  Pour  dessus  la  grand'  mer  conduire 
«  Par  son  conseil  une  navire 
«  Et  une  femme  :  car  au  monde , 
«  Il  n'y  a  rien  qui  plus  abonde 
a  En  toutes  affaires  nouvelles 
«  Que  les  nefs  et  les  damoiselles.  » 
Et  pourtant  si  mon  maistre  est  sage , 
Qu'il  ne  s'en  fasche  d'avantage. 
Puis  j'ay  entendu  bien  souvent , 

Que  d'une  femme  le  devant 

Ressemble  ceste  lampe  ardante 

Qui  est  dans  l'église  pendante  , 

A  fin  d'alumer  les  chandelles 

De  tout'  les  offrandes  nouvelles  : 

Elle  en  alume  infinité 

Sans  perdre  rien  de  sa  clarté  : 

Aussi  la  femme  a  beau  changer 

Un  familier  à  l'estranger, 

L'estranger  au  premier  venu, 

Tousjours  son  cas  est  maintenu 

En  son  entier,  si  d'aventure 

Elle  n'y  mesle  quelque  ordure. 

Et  si ,  dit-on  communément , 

Qu'après  le  doux  esbatement 

Du  jeu  d'amour,  il  n'y  pert  plus, 

Le  tablier  rabaissé  dessus. 


26o  JACQUES  GREVIN. 

SCENE   IL 

LE   TRESORIER,   SULPICE. 

LE    TRESORIER. 

Sire  Siilpice,  j'ay  vouloir 
De  vous  le  faire  apercevoir. 

SULPICE. 

Vous  me  faictes  par  trop  d'honneur. 

LE    TRESORIER. 

Vous  trouverez  un  serviteur, 
Et  un  ami  en  mon  endroit. 

SULPICE. 

Non,  non,  monsieur;  quand  il  fauldroit 
Monstrcr  la  bonne  affection  , 
Vous  sçauricz  quelle  intention 
J'ay  de  vous  faire  du  service. 

«  LE    TRESORIER. 

Je  le  sçay  bien ,  sire  Sulpice , 
Ce  n'est  d'aujourd'buy  scidement: 
Et  je  vous  promets  le  serment, 
Que,  tant  que  Dieu  me  donne  vie, 
J'auray  tousjours  pareille  envie  : 
Je  vous  cognoy  digne  damier. 

SULPICE. 

Autant  devez  vous  estimer 
De  ma  part. 


JACQUES  GRE  VIN.  261 

SCENE  III. 

LOYS,  RICHARD,  THOMAS,  LE  TRESORIER,  SULPICE. 

1,0  Y  s. 

Ça,  ça,  tous  en  armes! 

RICHARD. 

Ils  ont  affaire  à  des  gendarmes  ; 
Ils  le  cognoistront  par  effect. 

THOMAS. 

Monsieur ,  ce  ne  seroit  mal  faict 

De  prendre  en  main  quelque  rondelle. 

LOYS. 

Non,  non,  je  n'ay  que  faire  d'elle; 
Elle  pense  donc  que  je  prise 
Davantage  sa  marchandise 
Que  mon  honneur  :  je  ne  suis  plus 
De  ceux  qui  donnent  des  escuz 
Pour  m'entretenir  en  sa  grâce  : 
Je  suis  d'une  trop  nohle  race. 

THOMAS. 

Je  veux  faire  provision 
Maintenant  d'un  bon  morion  , 
Pour  couvrir  le  hault  de  ma  teste. 

L  o  Y  s. 
Me  penseroit  elle  tant  beste , 
Que  voulsisse  endurer  tel  tort? 

LE    TRESORIER. 

Sire  Sulpice ,  quel  effort  ! 

Que  veult  dire  ceste  entreprise  ? 


202  JACQUES  GREVIN. 

s  U  L  P I  C  E. 

Possible  quelque  noise  esprise 

Entre  eux  ;  car  tousjours  ces  souldars 

Ont  querelles  en  toutes  pars. 

LE    TIIESOKIER. 

Entrons  dedans. 

SULPICE. 

Fermez  vostre  liuys. 

LE    TRESORIER. 

Je  cognoy  le  seigneur  Loys  ; 
Je  croy  qu'il  ne  me  cherche  pas. 

RICHARD. 

Monsieur,  monsieur,  hastons  le  pas, 
Le  Trésorier  est  à  la  porte. 

LOTS. 

Ça,  ça,  faictes  moy  bonne  escorte; 
Qu'on  me  luy  fende  les  nazeaux. 

RICHARD. 

Je  veux,  comme  des  bécasseaux, 
Enfiler  ceste  Tresoriere, 
Le  Trésorier,  la  chambrière. 
Pour  marque  qu'une  telle  injure 
N'est  impunie. 

THOMAS. 

Et  moy,  je  jure 
Que  le  premier  par  moy  trouvé 
Demourera  sur  le  pavé, 
Prolenotaire  et  Bonifiée. 

LE    TRESORIER. 

Sire  Sulpice,  il  nous  menasse. 


JACQUES  GREVIN.  263 

Helas,  mon  Dieu  !  je  suis  perdu. 

THOMAS. 

Le  Trésorier  m'a  entendu; 
Il  heurte  pour  entrer  dedans. 

SULPICE. 

Ils  sont  armez  jusques  aux  dens, 
Et  si  chascun  son  baston  porte. 

LE    TRESORIER. 

Ne  veult-on  point  ouvrir  la  porte? 
Me  laisserez  vous  massacrer? 

THOMAS. 

Il  est  en  grand  peine  d'entrer; 
Pousons  dedans,  armet  en  teste. 

LO  YS. 

Sus ,  que  chascun  de  nous  s'apreste 
De  faire  maintenant  devoir. 

RICHARD. 

Je  lui  feray  bien  à  sçavoir 
A  ce  gentil  Protenotaire , 
Qu'il  n'a  pas  maintenant  affaire 
A  un  pédante  de  collège. 

THOMAS. 

Il  est  pris,  il  s'est  mis  au  piège. 

LOYS. 

Sus,  sus,  dedans;  enfoncez  l'huys. 

RICHARD. 

Il  me  semble  à  voir  que  je  suis 
A  l'assault  de  quelque  rempart. 
Enfonçons  l'huys  de  part  en  part  ; 
Nous  sommes  sur  noz  ennemis. 


264  JACQUES  GREVIN. 

SCENE  IV. 

MARIE,  seule. 

Miséricorde,  mes  amis; 
Sommes  nous  en  une  province 
Où  Ton  ne  craigne  point  le  prince  ? 
Helas ,  mon  Dieu  !  quelle  fraieur  ! 
Encore,  qui  plus  est,  monsieur 
A  trouvé  ce  Protenotaire , 
Qui  n'a  sceu  autre  chose  faire , 
Sinon  que,  se  pensant  sauver, 
Et  voyant  subit  arriver 
Le  courtisan  et  ses  souldars , 
Qui  le  chercboient  de  toutes  pars , 
Il  s'est  rendu  à  leur  mercy. 
O  quel  ennuy  !  6  quel  soucy , 
Quelle  lamentable  journée 
Maintenant  nous  est  ordonnée! 
Voyla  ;  jamais  nous  n'aurons  bien 
Dans  le  logis  :  car  aussi  bien 
Tousjours  le  Trésorier  jaloux 
Nous  acravantera  de  coups: 
Jamais  il  n'aura  mercy  d'elle. 
Encore  si  ma  damoiselle 
N'eust  esté  prise  en  ce  delict 
Avec  monsieur  dessus  le  lict , 
L'on  eust  peu  couvrir  cet'  affaire  : 
Mais  comment?  le  Protenotaire 
La  tenoit  desja  embrassée  , 
Quant  le  mari  l'a  devancée 


JACQUES  GRÉVIN.  :î65 

Comme  elle  se  pensoit  cacher, 
Et  si  ne  la  pouvoit  lâcher  : 
Ce  qui  a  tant  seulement  faict 
Qu'il  les  a  pris  dessus  le  faict. 
Je  m'esbahis  bien  fort  comment 
Il  n'est  venu  premièrement 
A  Boniface  :  toutesfois 
J'en  suis  eschappee. 

SCENE   V. 

BONIFACE,  MARIE. 

BONIFACE. 

J'estois 
Pour  mon  profit  particulier, 
Quant  j'ay  ouy  ce  beau  Trésorier 
Heurter ,  crier  d'une  voix  forte 
Que  l'on  luy  vint  ouvrir  la  porte. 
Si  est-ce  que  j'ay  si  bien  faict , 
Qu'il  ne  m'a  pris  dessus  le  faict  ; 
Car,  quand  j'ay  ouy  ce  beau  mesnage  , 
Ainsi  qu'un  homme  de  courage, 
J'ay  gaigné  le  grenier  au  foin  : 
Les  jambes  servent  au  besoin  ; 
Encor'  n'est-il  que  tousjours  estre. 
Mais,  par  Dieu  !  ce  pendant  mon  maistre- 
Est  pour  les  gaiges  demeuré , 
Et  moy  un  peu  plus  asseuré 
Que  je  n'estois. 

MARIE. 

Hé  ,  Boniface  ! 


-^ 


366  JACQUES  GREVIN. 

Yravment  vous  avez  bonne  grâce  ; 
Encor  vous  vous  niocquez  des  gens. 

BOMFACE. 

Comment  cela  ?  ce  sont  sergens 
Qui  veulent  mener  prisonnier 
Vostre  maistre  le  Trésorier  : 
Quant  à  moy,  j'ayme  mieux  m'en  taire. 

MARIE. 

Mais  monsieur  le  Protenotaire 
Est  tout  seul  entre  ces  souldars. 

BONIFACE. 

Je  ne  me  mets  en  tels  liasars; 
Je  pourrois  bien  ,  faisant  ma  monstre  , 
Recevoir  quelque  malencontre  : 
Je  feray  cy  la  centinelle. 

MARIE. 

Las!  que  dira  ma  damoisclle  ? 
Il  m'est  avoir  qu'elle  me  suyt. 
Hé,  vierge  Marie,  quel  bruit! 
Je  croy  que  le  seigneur  Loys 
Veult  tout  tuer. 

BONIFACE. 

Il  n'est  que  Thuys 
Pour  bien  escliapper  du  danger  : 
C'est  assez  pour  m'en  estranger  ; 
Par  Dieu!  je  n'y  retourne  pas. 

MARIE. 

Hé ,  Boiiiface ,  parlez  bas  : 

Je  m'en  vay  jusque  à  la  salette. 


JACQUES  GREVIN.  267 

BONIF  ACE. 

Quant  à  moy,  ma  tasclie  est  ja  faicte, 
Je  n'y  retourne  du  jourdlmy, 
Puisque  l'affaire  j'ay  conduy 
Jusqu'icy,  j'en  suis  échappé, 
Et  monsieur  demeure  trompé  ; 
Qu'il  se  contente  à  sa  fortune. 

MARIE. 

Elle  nous  est  à  tous  commune  ; 
Encor'  en  fault-il  voir  la  fin. 

BONIFACE. 

J'en  suis  bien  content  ;  mais  à  fin 
Que  ne  m'y  pensiez  embrouiller, 
Si  l'on  me  faisoit  despouiller, 
J'en  aurois  mon  recours  sur  vous. 


268  JACQUES  GREVIN. 


ACTE  CINQUIÈME. 


SCENE  L 

SULPICE,  LOYS,  RICHARD,  LE  TRESORIER. 

SULPICE. 

Monsieur  ,  soyez  un  peu  plus  doux  : 
Quel  profit  pourriez-vous  avoir 
Quand  vous  le  feriez  à  sçavoir 
A  la  justice  ? 

LOYS. 

C'est  tout  un  ; 
Le  profit  est  à  tous  commun. 

RICHARD. 

Ça,  ça,  monsieur  le  Trésorier, 
Vous  en  porterez  le  collier. 
Et  ce  pour  juste  recompence 
D'avoir  pillé  argent  de  France. 

suLPicr.. 
Il  se  soumet  à  tout  accord. 

RICHARD. 

Par  Dieu!  je  seray  le  plus  fort; 
Vous  viendrez  aussi  quant-et-quant  ; 
Car  vous  en  faisiez  le  payment 
En  son  nom,  m'aidant  à  tromper  : 
Vous  ne  me  pouvez  eschapcr 
Que  ne  vous  face  mille  ennuys. 


JACQUES  GREVIN.  269 

liE    TRESORIER. 

Escoutez-moy ,  seigneur  Loys; 
Nous  sçavez  que  j'ay  faict  avance  : 
Sera-ce  donc  la  recompence 
Que  pour  moy  vous  voulez  choisir, 
Apres  vous  avoir  faict  plaisir  ? 
Auriez  vous  bien  donc  le  couraige 
De  m'empescher  en  ce  voyage , 
Considéré  que  mon  affaire 
Me  contraint  comme  nécessaire 
Pour  le  profict  de  nostre  prince  ? 

RICHARD. 

Vous  estes  subject  à  la  pince; 
C'est  cela  qui  gaste  le  tout. 

LOYS. 

Encor'  en  aurons  nous  le  bout  ; 
Richard,  fais  ce  que  je  commande. 

LE    TRESORIER. 

Seigneur  Loys,  je  ne  demande 
Sinon  avoir  appoinctement 
Avecque  vous. 

RICHARD. 

Premièrement 
Il  fault  venir  en  la  prison, 

LE    TRESORIER. 

Je  vous  feray  toute  raison , 

Si  vous  faictes  un  tour  honneste. 

RICHARD. 

Cela  n'est  que  laver  la  teste 

De  l'asne  qui  est  aux  Bons-hommes. 


270  JACQUES  GREVIN. 

LOYS. 

Voyci  grand  cas,  tant  que  nous  sommes 
ÎS'aurons  pouvoir  de  le  mener 
Au  palais  pour  l'emprisonner. 

RICHARD, 

Charge  le  moy  comme  une  balle 
Sus  le  dos,  ou  comme  une  malle; 
Puis  nous  aurons  vostre  courtault, 
Qui  le  mènera  aussi  tost 
Que  commandé.  . 

SULPICE. 

Submettez  vous, 
Et  puis  monsieur  sera  plus  doux. 

LE    TRESORIER. 

A  celle  fin  d'en  voir  le  bout, 
Je  suis  content  de  perdre  tout. 
J'ay  payé  le  quartier  passé  ; 
Encore  vous  ay-je  avancé 
Celuy  qui  vient,  pour  avoir  paix 
Avecque  vous,  monsieur,  je  fais 
Comme  si  n'eussiez  rien  reçeu. 

SULPICE. 

Vrayment  vous  ne  serez  deçeu 
Par  ce  moyen,  et  de  ma  part 
J'en  donray  le  vin  à  Richard: 
Et  si  désire  faire  plus. 

LOYS. 

Vous  dictes  bien  ;  mais  les  escuz 
Que  la  Constante  tient  cncor' 
Pour  avoir  une  chesne  d'or? 


JACQUES  GREVIN.  271 

LE    TRESORIEK. 

Ces  escuz  vous  seront  rendus , 
Et  autant  d'autres  despendus , 
Pour  nous  resjouir  tous  ensemble. 

SULPICE. 

C'est  un  bon  parti ,  ce  me  semble. 

RICHARD. 

Le  vin  que  vous  avez  promis 
A  Piichard ,  n'est-il  pas  donc  mis 
Parmi  le  marché? 

SULPICE. 

Si  est  bien , 
Je  vous  le  veux  donner  du  mien. 

RICHARD. 

Mais  j'ayme  bien  mieux  dans  ma  main 
Le  voir  que  d'attendre  à  demain  : 
«  Car  je  sçay  bien  que  les  promesses 
a  De  leur  naturel  sont  traitresses  :  » 
Parquoy  si  voulez  paix  à  moy, 
Foncez  argent. 

SULPICE. 

Ha,  par  ma  foy, 
Vous  l'aurez  ;  car  c'est  la  raison. 

LO  YS. 

Entrons  doncques  en  la  maison , 
Affîn  d-e  ravoir  ma  quictance: 
Car  je  veux  du  tout  asseurance. 


272  JACQUES  GREYIN. 

SCENE   IL 
BONIFACE,  LE  PROTENOTAIRE. 

BONIFACE. 

Non  ,  non  ,  monsieur  ;  si  j'eusse  esté 
Dedans  nostre  université, 
Je  leur  eusse  faict  à  cognoistre 
Que  la  dedans  je  suis  le  maistre  ; 
Encore  j'ay  bonne  espérance 
D'en  avoir  un  jour  la  vengeance. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Mais  que  diable  es  tu  devenu 
Ce  pendant? 

BONIFACE. 

J'estois  détenu 
Combatant  contre  deux  souldars  : 
Par  Dieu  !  c'estoient  deux  grans  pendars 
Qui  m'eussent  arraché  la  vie 
Du  corps  ,  si  n'cust  esté  l'envie 
Qu'avoy  de  vaillamment  deffendre  , 
Si  bien  que  je  leur  ay  faict  rendre 
Tout  le  courage  avec  les  armes , 
Encor'  que  ce  feussent  gendarmes. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Par  Dieu  !  je  n'ay  sceu  si  bien  faire , 
Qu'au  plus  fort  de  tout  mon  affaire 
Je  n'aye  esté  surpris.  Mais  quoy  ! 
Il  ne  se  souvient  plus  de  moy  ; 
Car  l'ardeur  du  seigneur  Loys , 
Oui  enfonroit  en  bas  son  huvs 


JACQUES  GREVIN. 
Pour  entrer  dedans  la  maison , 
Luy  a  faict  perdre  la  raison. 

BONIFACE. 

Non,  monsieur,  je  m'en  veux  vanger, 

LE    PROTENOTAIRE. 

Mais  ,  Bonifaee,  en  quel  danger 
Penses-tu  que  j'estois  alors  ? 
Je  t'asseure  que  tout  mon  corps 
Estant  aussi  froid  que  le  marbre , 
Trembloit  comme  une  feuille  d'arbre. 

BONIFACE. 

Ne  vous  pouviez  vous  revancher? 

LE    PROTENOTAIRE. 

Encor'  ne  sçavoy-je  attacher 

Mes  chausses  cheutes  aux  genouls. 

BONIFACE. 

Ha ,  si  j'eusse  esté  avec  vous  ! 

LE    PROTENOTAIRE. 

Encore  me  pensant  sauver, 
Un  autre  m'est  venu  trouver 
Caché  dans  la  chambre  privée  : 
Puis  Constante  y  est  arrivée, 
Ce  qui  a  faict  que  me  sauvant, 
Je  me  suis  trouvé  au  devant 
Du  seigneur  Loys,  qui  suyvoit 
Le  Trésorier,  qui  s'enfuyoit. 

BONIFACE. 

Quelle  mine  vous  a-il  faict  ? 

LE    PROTENOTAIRE. 

Il  m'a  dict  que  c'estoit  bien  faict, 
V.  i8 


2'j!i  JACQUES  GREVIN. 

A  l'homme  qui  cherche  tousjours 
Son  aventure  en  ses  amours , 
Et  que  luy  estant  pourchassant 
De  ce  dont  j'estois  jouissant  , 
Il  se  pensoit  estre  aimé  d'elle. 

BONIFACE. 

Connnent  !  de  ceste  damoiselle  ? 
Sçait  on  pas  bien  qui  est  Constante  ? 

LE    PROTENOTAIRE. 

Ouy,  et  qu'en  ceste  folle  attente 
Il  avoit  dépendu  beaucoup  : 
Mais  qu'il  vouloit  tout  en  un  coup 
Son  argent,  que  le  Trésorier 
Retenoit  dessus  son  quartier, 
Puis  qu'elle  estoit  ainsi  commune. 

BONIFACE. 

Or  la  damoiselle  en  ha  d'une, 
L'argent  qu'elle  vous  a  preste , 
Entre  nos  mains  est  arresté 
Jusque  à  plus  grande  recompense , 
Des  presens  et  de  la  despence 
Que  vous  avez  faict,  poursuyvant 
Son  amour,  et  dorénavant 
Il  se  fault  garder  d'y  rechoir. 

LE    PROTENOTAIRE. 

Boniface ,  allons  nous  en  voir 
Tous  les  escuz  de  la  Constante. 


JACQUES  GREVIN.  276 

SCENE    III. 
MARIE,  seule. 

Loué  soit  Dieu,  tout  se  contente; 

Et  qui  plus  est ,  le  Trésorier 

Ne  sera  point  mis  prisonnier; 

J'en  remercy'  bien  nos  amis. 

Encore  plus,  il  a  promis 

Pardonner,  dont  je  me  contente, 

A  mademoiselle  Constante  , 

Et  à  moy  aussi,  promettant 

D'en  faire  encor'  demain  autant, 

Cela  s'entend  ;  mais,  par  ma  foy, 

Je  regarderay  mieux  à  moy. 

Et  à  mon  cas  dorénavant, 

Que  je  n'ay  faict  par  cy  devant. 

Ne  vaudra-il  pas  mieux  choisir, 
A  fin  de  prendre  mon  plaisir. 
Quelque  jeune  homme,  que  tousjours 
Languir  aux  misères  d'amours  ? 
Si  faict,  pendant  que  la  jeunesse 
Esmeut  dans  mon  cueur  l'allégresse 
Du  doux  amour ,  qui  or'  m'enlasse ,  ■ 
Et  ducjuel  desja  Boniface 
M'a  faict  sentir  l'ébatement: 
Mais  ce  sera  secrettement; 
Car  voyla ,  l'on  n'est  jamais  sage 
Qu'après  les  plaits  :  c'est ,  c'est  l'usage 
Du  temps  qui  court;  et  pour  vray  dire, 
Ma  maistresse  veut  tousjours  rire 


JACQUES  GREVIN. 
Au  premier  venu ,  c'est  tout  un , 
Autant  aux  nobles  qu'au  commun  : 
Et  en  cela  gist  tout  Taffaire , 
De  par  Dieu.  Le  Protenotaire 
Dont  elle  tiroit  tant  d'escuz  , 
Maintenant  n'y  reviendra  plus  ; 
Et  voyla  autant  de  praticque 
Etrangee  de  sa  bouticque. 
Mais  il  fault  aller  apprester 
Le  banquet.  De  vous  inviter , 
Messeigneurs ,  j'auroy  bonne  envie 
Mais,  anenda,  la  compagnie 
Qui  est  céans  mangeroit  bien 
Le  Trésorier  et  tout  son  bien. 


FIN    DE    LA    TRESORIERE. 


JACQUES  GREVIN.  277 


SONNET. 

C'est  un  pesant  fardeau  que  le  siège  Saint-Pierre, 

Et  si  nous  y  voyons  un  chacun  aspirer  : 

Un  vicaire  voudroit  une  cure  attirer, 

Et  puis  un  évêclié,  puis  un  chapeau  conquerre. 

Et  puis  la  papauté ,  pour  des  amis  acquerre  : 

Et  le  pape  ne  fait  encor'  que  désirer 

Bonne  vie  et  santé  ,  afin  de  n'expirer 

A  l'heure  qu'il  se  voit  le  plus  grand  de  la  terre. 

La  plus  grand  part,  hélas  !  le  fait  pour  vivre  heureux , 
Sans  soin  et  sans  tourment,  en  loisir  paresseux, 
Faire  toujours  grand'  chère  et  s'adonner  aux  vices. 

Mais,  lorsque  cet  état  ne  valloit  que  des  coups. 
Des  persécutions,  des  chaînes  et  des  doux. 
Les  hommes  lors  n'étoient  friands  de  bénéfices. 


178  JACQUES  GREVIN. 


SONNET. 

Dont  vient  cela,  Ronsard,  que  d'autant  plus  on  chante 
L'Amour,  pour  alléger  ce  tourment  langoureux, 
D'autant  plus  se  plaignant  on  devient  amoureux, 
Et  plus  ce  doux  erreur  à  nos  yeux  se  présente  ? 

Encore  sur  la  mer,  après  que  la  tourmente, 
Le  tonnerre  et  l'éclair,  et  le  ciel  nubileux 
Ont  montré  quelquefois  leur  front  audacieux, 
Nous  voyons  du  soleil  la  face  reluisante. 

C'est,  ce  crois-je,  Ronsard,  que  la  mer  et  l'Amour 
Ont  même  naturel  ;  car  la  mer,  pour  un  jour 
Qu'elle  paroît  paisible,  elle  éjneut  le  courage 

Du  marinier  sauvé,  qui  retourne  au  danger: 
Et  l'Amour  quelquefois,  pour  nous  encourager, 
En  se  montrant  plus  doux,  nous  rappelle  au  naufrage. 


JEAN  DE  LA  TAILLE.  279 


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JEAN   DE   LA  TAILLE. 


Jk/VN  de  La  Taille,  ëcuyer,  naquit  vers  Tan  i54o, 
au  village  de  Bondaroy,  près  de  Pithiviers,  dans  le 
diocèse  d'Orléans.  Lacroix  du  Maine  assure  qu'il  vivoit 
encore  en  i6oy. 

Ce  fut  en  publiant  les  Œuvres  de  son  frère  ,  Jacques 
de  La  Taille,  que  notre  poète  fit  paroître  son  théâtre. 
Il  se  compose  de  deux  comédies  en  prose,  les  Cori- 
vaux  et  le  Negromant ;  et  de  deux  tragédies,  la  Fa- 
mine ,  où  se  trouvent  quelques  situations  attendris- 
santes et  assez  bien  ménagées ,  et  Said  le  furieux.  Dans 
cette  dernière  pièce  seulement,  Jean  de  La  Taille  s'est 
assujetti  à  l'alternative  des  rimes ,  qui  n'est  observée 
que  dans  les  chœurs  de  la  première. 

Ces  productions  dramatiques  sont  suivies  de  la  Mort 
(T Alexandre ,  Paris  et  d'OEnone,  poème  d'une  lon- 
gueur eiccessive ,  et  du  Courtisan ,  autre  poème  qui 
offre  quelques  morceaux  assez  bien  écrits,  quoique  en 
général  la  versification  de  Jean  de  La  Taille  soit  fort 
négligée  et  même  incorrecte. 

Ce  poète  a  encore  laissé  laGeomance  ou  fJlrt  de  sa- 
voir, dit  Lacroix  du  Maine,  les  choses  passées ,  présentes 
et  à  venir;  et  enfin  un  discours  sur  les  Duels,  petit  livre 
intéressant ,  ajoute  le  même  écrivain, ^^7'  la  quantité  de 
faits  curieux  qu  il  contient. 


t8o  JEAN  DE  LA  TAILLE. 

LE  BLASON  DE  LA  MARGUERITE. 

CHANSON. 

En  avril  où  naquit  Amour, 
J'entrai  clans  son  jardin  un  jour, 
Où  la  beauté  d'une  fleurette 
Me  plut  sur  celles  que  j'y  vis. 
Ce  ne  fut  pas  la  pâquerette, 
L'œillet,  la  rose  ni  le  lys  : 
Ce  fut  la  belle  marguerite, 
Qu'au  cœur  j'aurai  toujours  écrite. 

Elle  ne  commençoit  encor 
Qu'à  s'éclore,  ouvrant  un  fond  d'or; 
C'est  des  fleurs  la  fleur  plus  parfaite. 
Qui  plus  dure  en  son  tein  naïf 
Que  le  lys  ni  la  violette, 
La  rose  ni  l'œillet  plus  vif; 
J'aurai  toujours  au  cœur  écrite 
Sur  toutes  fleurs  la  marguerite. 

Les  uns  loueront  le  teint  fleuri 
D'autre  fleur  dès  le  soir  flétri. 
Comme  d'une  rose  tendrette 
Qu'on  ne  voit  qu'en  un  mois  fleurir  : 
Mais  par  mol,  mon  Inunble  fleurette 
Fleurira  toujours  sans  flétrir: 
J'aurai  toujours  au  cœur  écrite 
Sur  toutes  fleurs  la  marguerite. 


JEAN  DE  LA.  TAULE.  28 1 

Plût  à  Dieu  que  je  pusse  un  jour 
La  baiser  mon  saoul,  et  qu'Amour 
Cette  grâce  et  faveur  m'eût  faite , 
Qu'en  saison  je  pusse  cueillir 
Cette  jeune  fleur  vermeillette, 
Qui  croissant  ne  fait  qu'embellir! 
J'aurois  toujours  au  cœur  écrite 
Sur  toutes  fleurs  la  marguerite. 


LE  BLASON  DE  LA  ROSE. 

A  DEMOISELLE  ROSE  DE  LA  TAILLE  ,  SA  COUSINE. 

Aux  uns  plaît  l'azur  d'une  fleur, 
Aux  autres  une  autre  couleur  : 
L'un  des  lys,  de  la  violette. 
L'autre  blasonne  de  l'œillet 
Les  beautés,  ou  d'une  fleurette 
L'odeur  ou  le  teint  vermeillet  : 
A  moi ,  sur  toute  fleur  déclose , 
Plaît  l'odeur  de  la  belle  rose. 

J'aime  à  cbanter  de  cette  fleur 

Le  teint  vermeil  et  la  valeur, 

Dont  Vénus  se  pare ,  et  l'aurore , 

De  cette  fleur,  qui  a  le  nom 

D'une  que  j'aime  et  que  j'honore, 

Et  dont  l'honneur  ne  sent  moins  bon  : 

J'aime,  sur  toute  fleur  déclose, 

A  chanter  l'honneur  de  la  rose. 


s8a  JEAN  DE  LA  TAILLE. 

La  rose  est  des  fleurs  tout  l'honneur, 
Qui  en  grâce  et  divine  odeur 
Toutes  les  belles  fleurs  surpasse, 
Et  ([ui  ne  doit  au  soir  flétrir, 
Comme  une  autre  fleur  qui  se  passe. 
Mais  en  honneur  toujours  fleurir  : 
J'aime,  sur  toute  fleur  déclose, 
A  chanter  l'honneur  de  la  rose. 

Elle  ne  défend  à  aucun 
Ni  sa  vue,  ni  son  parfum; 
Mais  si  de  façon  indiscrette 
On  la  voidoit  prendre  ou  toucher, 
C'est  lors  que  sa  pointure  aigrette 
Montre  qu'on  n'en  doit  approcher  : 
J'aime,  sur  toute  fleur  déclose, 
A  chanter  l'honneur  de  la  rose. 


SONNET. 

Doux  rossignol ,  dont  la  plaisante  voix 
Fait  mil  fiedons  en  musique  excellente. 
Si  de  chanter  aussi  hien  je  me  vante. 
Si  comme  toi  je  lamente  en  ces  hois. 

Va,  je  te  pri',  si  lamenter  tu  m'ois. 
Vers  ma  nuulresse,  et  mon  mal  lui  présente 
Par  un  doux  chant  fléchis-la  et  l'enchante  : 
Dis-lui  qu'avoir  tes  ailes  je  voudrois; 


JEAN  DE  LA  TAILLE.  283 

Dis-lui  toujours  que  je  repense  en  elle, 
Çn  sa  douceur,  en  sa  beauté  plus  belle 
Que  ce  printems,  ces  roses  et  ces  lys. 

Ha!  que  je  porte  à  tes  amours  d'envie; 
Car,  quand  tu  veux,  tu  caresses  t'amie, 
Et  moi,  cliétif,  d'elle  absent  je  languis! 


EPITAPHE. 

Puisqu'en  France  aujourd'hui  n'abonde  que  souci. 
Que  vices,  que  langueurs,  que  misère  éternelle. 
Dieu  en  a  retiré  celle  qui  gît  ici, 
Voyant  que  ce  faux  siècle  étoit  indigne  d'elle. 

Et  puisque  les  humains  l'ont  nommée  Angélique, 
Dieu  et  les  cieux  voyant  qu'un  tel  nom  méritoit 
Pour  être  belle,  et  sage,  et  constante,  et  pudique 
L'ont  fait  jouir  de  l'heur  que  son  nom  promettoit. 


284  JACQUES  DE  LA  TAILLE. 


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JACQUES  DE  LA  TAILLE. 


Comme  son  frère,  Jacques  de  La  Taille  cultiva  l'art 
dramatique,  et  il  s'y  seroit  probablement  distin<(ué, 
s'il  n'eût  été  moissonné  à  la  fleur  de  son  âge  :  né  en 
i542,  il  mourut  de  la  peste  en  1062. 

A  peine  âgé  de  seize  ans,  il  avoit  déjà  composé  deux 
tragédies  :  l'une  a  pour  titre  Alexandre,  et  l'autre 
Darie  ou  Darius.  On  trouve  dans  la  première  quelques 
situations  intéressantes,  des  mouvements  heureux  et 
une  versification  facile;  mais,  en  général,  Jacques  de 
La  Taille  avoit  les  mêmes  défauts  que  son  frère  :  il 
écrivoit  avec  trop  de  négligence,  et  comme  lui  il  s'est 
affranchi  de  l'alternative  des  rimes.  En  passant  d'un 
acte  à  l'autre ,  il  ne  se  faisoit  aucun  scrupule  de  changer 
la  mesure  des  vers;  un  acte  est  écrit  en  vers  héroïques, 
le  suivant  est  en  vers  de  dix  syllabes ,  etc. 

Entraîné  par  l'exemple  de  son  siècle ,  et  peut-être 
par  son  goût  particulier,  il  composa  un  traité  sur  l'art 
de  faire  des  vers  métriques  en  françois ,  et  il  se  pro- 
posoit  de  joindre  l'exemple  au  précepte ,  lorsque  la 
mort  vint  le  surprendre. 


JACQUES  DE  LA  TAILLE.  2  8  5 


EPIGRAMME. 

d'un    LYON    ET    DUN    RENARD. 

Dedans  un  antre ,  un  lyon  d'aventure 
Trouve  un  renard  navré  mortellement, 
Dont  il  s'approche,  et  voyant  sa  blessure  : 
Qui  t'a,  dit-il,  outragé  tellement? 
Mais  sors  de  là,  permet  tant  seulement 
Que  je  te  lèche,  et  lors  en  moins  de  rien 
Tu  seras  sain  :  tu  ne  sais  pas  combien 
Ma  langue  est  bonne  et  puissante  en  cela. 
L'autre  répond  :  Ami,  je  le  sais  bien, 
Mais  je  crains  trop  pour  les  voisins  qu'elle  a. 


EPIGRAMME. 
d'une  courtisane  devant  un  miroir.  ' 

Pour  mirer  désormais  l'éternelle  beauté 
De  ta  face,  6  Vénus!  je  t'offre  ce  miroir; 
Car  je  ne  m'y  vois  plus  telle  que  j'ai  été , 
Et  telle  que  je  suis  je  ne  m'y  veux  plus  voir. 

'    LAÏS  C0KSACRA:VT  soit  miroir  dans  le  TEMPIE  DE  VENUS. 

Je  le  donne  à  Vénus,  puisqu'elle  est  toujours  belle; 

Il  redouble  trop  mes  ennuis. 

Je  ne  saurois  me  voir,  en  ce  miroir  fidèle, 

Ni  telle  que  j'étois,  ni  telle  que  je  suis. 

Voltaire. 


^86  JACQUES  DE  LA  TAILLE. 


INSCRIPTION 

POUR    LA    REINE    d' ECOSSE,    MARIE. 

Zeuxis  voulant  pourtraire  une  Junon, 
Fit  assembler  les  plus  belles  de  Grèce; 
Mais  maintenant  il  ne  faudroit,  sinon 
Que  ma  beauté  pour  peindre  une  déesse. 

ÉPIGRAMME. 
d'un  devin. 

Quelque  devin  voyant  son  sort  fatal , 
Dit  qu'il  étoit  à  mourir  destiné 
L'an  quarantième  après  son  jour  natal  ; 
Mais,  quand  ce  vint  à  l'an  déterming, 
H  n'en  mourut,  dont  lui  tout  forcené, 
Pour  ne  mentir  se  mit  au  col  la  liart, 
Et  s'étranglant,  ô  Ihomme  infortuné! 
Estima  moins  sa  vie  que  son  art. 

INSCRIPTION 

POUR    LA    REINE    CLAUDE. 

Dfku  ne  m'a  point  son  bonheur  épargné, 
Puisque  je  suis  en  France  la  première 
A.  (jui  trois  rois  de  France  il  ait  donné 
Pour  mon  époux,  pour  mon  fds,  pour  mon  frère. 


JACQUES  DE  LA  TAILLE.  287 


EPIGRAMME. 

A    MADAME    ANNE    DE    HERTE,   DUCHESSE    DE    GUISE. 

D'une  éloquence  si  rare 
Vous  avez  la  langue  ornée , 
Qu'il  semble  que  soyez  née 
D'Athènes,  non  de  Fenare. 


INSCRIPTION 

POUR    LE    ROI    FRANÇOIS  ,    PREMIER    DU    NOM. 

CÉSAR  voyant  d'Alexandre  l'image, 
Comme  envieux  se  mit  à  soupirer; 
Mais  ce  portrait  auroit  bien  l'avantage 
De  faire  même  Alexandre  pleurer. 


JEAN  DOUBLET. 


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JEAN   DOUBLET. 


Jean  Doublet,  né  à  Dieppe,  paroît  avoir  vécu  dans 
la  retraite,  ou  du  moins  avoir  peu  fréquenté  les  poètes 
de  son  temps  ;  on  ne  connoît  rien  de  relatif  à  sa  vie, 
et  ses  productions  ne  donnent  aucune  lumière  à  ce 
sujet. 

Quoique  ce  poète  soit  peu  connu,  il  mérite  cepen- 
dant de  l'être  :  ses  poésies  sont  en  petit  nombre,  mais 
on  y  trouve  des  expressions  heureuses ,  et  son  style 
est  presque  toujours  poétique.  Doublet  a  composé  des 
élégies  et  des  épigrammes,  dont  la  plupart  sont  tra- 
duites du  grec  ou  du  latin. 

Jean  Doublet  a  traduit  en  françois  quelques  ou- 
vrages de  Xénophon. 


SUR   LES   RUINES    DE    ROME. 

Étranger,  qui  viens,  bon  homme, 
A  Rome  pour  Rome  voir, 
Et  ne  peux,  même  dans  Rome, 
Rien  de  Rome  appercevoir  ; 

Vois  des  murailles  les  masses, 
Vois  les  marbres  démolis. 
Et  les  grand's  désertes  places 
Des  théâtres  abolis. 


JEAN  DOUBLET.  289 

Voilà  Rome!  considère, 
Quoique  morte  elle  soit  or', 
Que  son  ombre,  brave  et  fîere, 
Semble  menacer  encor. 

Elle  a  vaincu  terre  et  onde , 
Et  puis  s'est  vaincue  aussi  ; 
Afin  qu'à  vaincre ,  du  monde 
Ne  lui  restât  rien  ainsi. 

Or,  sous  cette  Rome  esclave, 
Rome  sa  maîtresse  gît, 
Et  l'asservie  et  la  brave 
Dorment  en  un  même  lit  ! 


ELEGIE. 

A    SA    MAÎTRESSE. 

Voici  un  cœur,  qui  son  ame  dernière, 
Pour  ton  amour,  sans  regret  soufflera  : 

Voici  une  foi  très-entière, 

Qui  jamais  ne  te  manquera. 

Si  tu  n'ois  point  un  long  ordre  de  titres, 
Quand  on  m'appelle ,  et  n'ai  qu'un  petit  nom , 

Si  tu  vois  peintes  en  mes  vitres 

Des  armes  de  peu  de  renom; 

Si  bien  fort  loin  ses  bornes  ne  dilate. 
Mon  petit  fonds  chichement  limité; 

Si  sur  mule,  en  longue  écarlate. 

Au  palais  je  ne  suis  porté  : 
V.  1  c^ 


290  JEAN  DOUBLET. 

Phébus  pourtant ,  et  ses  neuf  doctes  filles , 
De  moi  font  compte,  et  m'aimer  daignent  bien 
J'ai  faveur  des  grâces  gentilles, 
J'en  ai  d'Amour,  qui  me  fait  tien. 

Telle  ma  foi,  telles  mes  mœurs  je  vante, 
Qui  en  bonté  ne  céderont  qu'aux  dieux  : 
Et  ma  richesse  plus  vaillante , 
C'est  ce  cœur  simple  et  amoureux. 

Puissé-je  user  tout  ce  que  plus  me  fde 
La  parque  avare,  auprès  de  toi  toujours; 
Et  dans  tes  bras,  cliere  Camille, 
Finir  le  dernier  de  mes  jours  ! 


L'ÉNIGME   DE   CLÉOBULE. 

Un  père  douze  enfans  porte. 
Qui  en  ont  trente  chacun  , 
Tous  de  différente  sorte  ; 
Si  l'un  est  blanc ,  l'autre  est  brun  ; 
On  les  voit  tous  un  à  un. 
Jamais  deux  ni  trois  ensemble, 
Et  sans  qu'il  en  meure  aucun , 
Tous  les  jours  meurent,  ce  semble. 


JEAN  DOUBLET. 


ELEGIE. 


Autre  que  moi,  pour  les  gras  bénéfices. 
Suive  la  mule  aux  prélats  cramoisis: 
Autre  que  moi  courre  aux  offices 
Tous  mal  donnés  ou  mal  choisis. 

Ce  n'est  pas  moi,  qui  pour  faux  honneur  vende 
Ma  toute  d'or,  ma  chère  liberté, 

Ou  pour  une  oisive  prébende, 

Entre  les  clercs  soie  compté. 

En  paix  je  tiens  mon  juste  patrimoine. 
Non  loin  borné,  un  petit  fonds  normand. 
Qui  sans  rien  faire ,  comme  un  moine , 
Me  nourrit,  si  je  veux,  dormant. 

Là,  pour  tout  soin,  je  plante  à  'droites  lignes 
Maints  grands  jardins  de  frères  arbrisseaux , 
Espérant ,  car  ce  sont  nos  vignes 
Vendanger  leurs  jaunes  monceaux. 

De  la  charrue  aucune  fois,  peut-être. 
Les  moucherons  moi-même  guiderai , 

Et  du  fouet,  que  je  sonne  en  maître. 

Les  jumens  lasses  hâterai. 

Le  riche  été  fera  voir  dans  nos  grandies 
Les  purs  fromens,  jusqu'aux  toits  entassés, 
Et  du  doux  revenu  des  branches 
Nos  celiers  jusqu'à  l'arc  pressés. 


aQs  JEAN  DOUBLET. 

Car  dévot  suis,  cl  la  dîme  sans  faute, 
De  tous  mes  fruits  notre  curé  reçoit  ; 
Et  n'est  fête  basse  ni  haute 
Dont  le  jour  cliommé  ne  me  soit. 

Notre  patron,  avec  maint  feu  de  cire. 
Voit  son  autel  de  mes  bons  fruits  couvert; 
Et  du  prime-épi  je  lui  tire 
Un  chapeau  mi-jaune ,  mi-vert. 

Son  guet  aussi,  croyez  peuple,  me  garde. 
Et  mon  bétail  si  sûrement  maintient, 
Que  nul  larron  ne  s'y  hasarde. 
Et  le  loup  même  s'en  abstient. 

Pour  le  marché  mes  bêtes  je  n'engraisse  ; 

Je  ne  bats  point,  pour  la  halle,  mes  blés. 
Ni  n'attends  des  chartes  la  presse. 
Epargnant  mes  greniers  comblés. 

Quant  abondance  aurait  à  corne  pleine 
Versé  chez  moi  ses  trésors  par  monceaux, 
Par  les  derniers  fruits  à  grand  peine , 
Je  suis  conduit  jusqu'aux  nouveaux. 

Les  dieux  aussi  plus  outre  je  n'invoque; 
Car,  assuré  de  mon  annuel  pain, 

Des  grands  richesses  je  me  moque; 

Je  me  moque  aussi  de  la  faim. 


JEAN  DOUBLET.  29: 


ELEGIE. 


Comme  ses  yeux  et  comme  son  cœur  même , 
Comme  sa  vie ,  et  plus  que  tout  son  or, 

S} bille  jure  qu'elle  m'aime, 

Et  le  jurant  en  doute  encor. 

Tantôt  me  nuit  de  notre  Dieu  la  crainte , 
Dieu  tout  voyant  :  tantôt  de  mon  bonheur 
Las  !  je  vois  l'espérance  éteinte 
Par  l'austère  loi  de  l'honneur. 

Va,  les  plaisirs,  ma  Sybille,  conviennent 
A  nos  ans  verds ,  ans  trop  bref  limités  ; 

Le  ciel,  des  amours  qui  nous  viennent 

Ne  punit  les  témérités. 

Va,  Radamant',  Cerbère,  Tisiphone, 
Styx,  Acheron,  songes  d'hommes  craintifs, 
Dès  long-temps  n'alarment  personne , 
Que  quelques  enfans  bien  petits. 

Nommes-tu  foi  ce  que  ton  âge  tendre. 
Sous  le  latin  d'un  vicaire  étolé , 

Te  fit  promettre,  sans  l'entendre, 

A  qui  déjà  l'a  violé  ? 

Avant  les  ans ,  ni  garçon  ni  pucelle , 
Leur  propre  bien  ne  peuvent  étranger  : 
Pouvois-tu  en  chaîne  éternelle 


Ta  jeune  franchise  engager 


tj"5^" 


294  JEAN  DOUBLET. 

Qu'est  sans  amour  une  foi  contractée  ? 
Quelle  promesse,  à  ton  avis,  te  tient? 
Amour  pour  toi  l'a  rétractée; 
A  tort  cet  homme  te  détient. 

Peux-tu  baiser  ce  rechigné  visage , 
Qui  de  sa  vie  un  souris  ne  songea  ? 

Peux-tu  embrasser  ce  vieil  âge, 

Sépulture  et  terre  déjà? 

Et  moi,  ton  cœur,  si  fausses  tu  ne  jures, 
Je  compte  encor  moins  de  trois  fois  neuf  ans, 
Moi  coeffé  des  saintes  verdures, 
Qui  couronnent  les  fronts  savans. 

Tel  croit,  honneur,  te  chercher,  qui  t'évite; 

Car,  sans  nos  vers,  tu  ne  tiens  que  trois  jours. 
Et  l'honneur,  qui  les  ans  dépite, 
Par  nos  mains  doit  passer  toujours. 

Tant  que  douceurs,  tant  que  durer  au  monde, 
Grâces,  Amour  et  neuf  Muses  pourront 

Toujours ,  par  une  main  féconde , 

Délie  et  Kémeze  vivront. 

I\Iais  l'accident  de  Vénus,  qui  fut  prise 

Au  dur  fdet  de  son  cocu  boiteux, 
Détruit  cette  brave  entreprise 
Dans  ton  cœur  trop  peu  courageux. 

Eh  quoi!  Vénus,  s'il  faut  croire  ce  conte, 
Par  ce  malheur  trop  jilus  fine  devint. 

Et  voulut  ([u'une  telle  honte 

Plus  onc  h  ses  amis  n'advînt. 


JEAN  DOUBLET.  296 

Dès-lors  donna  ces  ruses  mille  et  mille , 
Ces  tours  subtils  aux  serviteurs  vaillans, 

Pour  tromper  la  garde  inutile 

Des  jaloux  sans  cesse  veillans. 

Elle  enseigna  devant  les  maris  dire 
Tout  ce  qu'on  veut  avec  signes  discrets, 

Montra  chiffres  obscurs  écrire , 

Et  deviser  jargons  secrets. 

De  fausses  clefs,  de  légères  échelles, 
De  pain  aux  chiens  les  amans  avisa , 

De  feutre  mol  fit  des  semelles 

Et  tout  huis  bruyant  appaisa. 

Bref  jusqu'au  lit,  elle-même  nous  mené 
Dans  la  ruelle,  et  marchant  avec  nous, 

Tient  le  soupir  de  notre  haleine , 

Tant  que  s'endorme  le  jaloux. 


ig6  PIERRE  DU  RRACH. 


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PIERRE   DU   BRACH. 


Pierre  du  Brach  ,  ami  intime  de  Dul)aitas,  étoit 
natif  de  Bordeaux;  on  ne  connoît  point  de  particula- 
rités sur  sa  vie.  11  nous  apprend  seulement  que  la 
jurisprudence  l'occupoit  tous  les  matins  : 

Sans  m'hahiller  soudain  je  nie  retire 
Dans  mon  étude ,  où  je  commence  à  lire  , 
Sur  une  loi ,  quelqu'accord  discordant 

Le  recueil  de  ses  poésies,  imprimé  en  iSjô,  est 
divisé  en  trois  Livres.  Le  premier  contient  quantité  de 
sonnets,  d'élégies,  de  chansons  adressés  à  son  Aymée, 
et  qui  ne  sont ,  de  son  propre  aveu,  que  la  même  note 
cVwic  Chanson  trop  souvent  rechantée.  Le  second  se 
compose  de  \ Hymne  sur  Bordeaux ,  ou  de  l'éloge  his- 
torique de  cette  ville ,  adressé  à  Ronsard  ;  d'un  long 
poème  sur  le  comhat  de  David  contre  Goliath;  d'une 
ode  sur  la  paix ,  et  de  quelques  sonnets.  Les  Meslanges 
forment  le  troisième  Livre;  ce  sont  des  sonnets,  des 
odes,  des  stances,  une  pastorale  sur  les  troubles  de  la 
France  ;  le  Voyage  de  Gascogne  ,  ou  le  récit  des  coiuses 
que  notre  poète  et  Dubartas  firent  ensemble  dans 
cette  province;  des  Mascarades,  un  C/ia/it  de  paix , 
un  sonnet  sur  la  mort  de  Charles  ix,  et  un  long  poème 
intitulé  \ Amour  des  veuves. 

Il  existe  encore  de  Pierr<*  du  Brach  un(>  traduction 
de  \j4minte  du  Tasse,  <'t  une  autre  des  quatre  pre- 
miers chants  de  la  Jérusalem  délivrée. 


PIERRE  DU  BRACH.  297 


SONNET. 


Tu  te  fis  un  grand  tort  de  jouer  contre  moi; 
Car,  gagnant  un  sonnet,  tu  gagnas  peu  de  chose, 
D'autant  que  tous  les  vers  que  ma  Muse  compose. 
Pour  faire  un  paiement,  sont  de  mauvais  aloi. 

Si  veux-je,  cependant,  m'acquitter  enver  toi; 
Mais  te  voulant  payer,  ma  Muse  s'y  oppose, 
Et  pour  toute  raison,  trop  chiche,  elle  propose 
Que  pour  nous  endeter  le  jeu  n'a  point  de  loi. 

Or  doncques  tu  devois ,  étant  au  jeu  plus  sage. 
Ou  me  faire  payer  ou  bien  déposer  gage. 
Afin  qu'après  ton  gain  ne  fût  désavoué. 

Mais  je  suis  un  grand  fol  de  faire  mon  excuse; 
Car  avec  ce  sonnet ,  maugré  qu'en  ait  ma  Muse , 
Je  paie  ce  sonnet  que  nous  avons  joué. 


L'AMOUR   DES    VEUVES. 

A  G.  PIQUON  ,  SON  COUSIN,  AVOCAT  EN  LA  COUR. 

Je  te  dirai,  Piquon,  j'ai  toujours  ma  jeunesse 
Esbatue  en  servant  quelque  belle  maîtresse; 
Mais  onc  je  n'ai  d'effet,  ni  de  vouloir  tenté 
S'il  fait  bon  être  aux  lacs  d'une  veuve  arrêté. 
Ains  des  veuves  l'amour  j'ai  toujours  méprisée, 
Jusqu'à  ce  que  j'ai  vu  ta  jeunesse  embrasée 


298  PIERRE  DU  BRACH. 

De  l'amour  d'une  veuve.  Alors  en  mon  esprit 

J'ai  songé  ce  qu'on  a  dessus  l'amour  écrit  ; 

J'ai  la  fille  en  amour  égalée  à  la  rose, 

En  ses  replis  vermeils  nouvellement  éclose; 

Mais  lorsque  balançant,  j'ai  de  l'autre  coté 

Mis  l'amour  de  la  veuve  avec  sa  liberté. 

Avec  toi  j'ai  l'amour  de  la  veuve  estimée. 

Et  jugé  qu'elle  étoit  plus  digne  d'être  aimée. 

Si  quelqu'un  a  par  terre  un  voyage  arrêté. 
Son  principal  souci  c'est  d'être  bien  monté; 
De  prendre  un  cbeval  fait  qui  ne  craigne  la  peine, 
Qui  soit  prompt,  qui  soit  vif,  qui  soit  de  longue  haleine, 
Voltant  à  toutes  mains,  qui,  sous  le  frein  rangé. 
Se  soit  vu  tous  les  jours  de  sa  selle  chargé. 
Non  d'un  jeune  poulain  qui ,  fougueux  et  farouche  , 
Refuse,  non  dompté,  le  frein  dedans  sa  bouche, 
Difficile  au  monter,  qui  çà,  qui  là  s'enfuit. 
Se  mocquant,  en  ruant,  de  celui  qui  le  suit; 
Qui,  lorsqu'il  est  piqué,  ne  veut  prendre  carrière. 
Au  lieu  d'aller  avant,  reculant  en  arrière; 
Car  qui  se  monte  ainsi,  lorsqu'il  veut  voyager. 
De  devenir  piéton  se  met  en  grand  danger.! 

Celui  qui  sur  la  mer  veut  faire  son  voyage. 
Afin  de  s'assurer  en  son  long  navigage. 
Doit  choisir  un  vaisseau ,  duquel  les  lianes  voûtés 
Ayent  été  battus  par  les  flots  irrités, 
Dont  justement  la  charge  ait  été  mesurée  : 
Voguant,  il  doit  tenir  une  route  assurée. 
Mouiller  son  ancre  au  port  qu'un  autre  aura  sondé. 
Aborder  où  quelqu'autre  a  plutôt  abordé  ; 


PIERRE  DU  BRACH.  299 

Lorsque  de  deux  chemins  la  voie  est  traversée , 
On  doit  prendre  au  hasard  la  route  plus  tracée. 

Les  pucelles,  Piquon,  sont  semblables  aux  champs, 
Qui  par  le  laboureur  n'ont  des  contres  tranchans 
Senti  le  fer  denté,  dont  la  terre  pressée 
Ne  peut  être  en  sillons  qu'à  force  renversée, 
Qui  ne  produisent  rien,  en  friche  délaissés. 
Qu'épines ,  que  buissons ,  que  chardons  hérissés. 

Mais  alors  que  la  veuve  a  senti  quelque  année, 
Relabourer  son  champ  sous  le  soc  d'hymenée , 
C'est  d'un  bon  laboureur  un  champ ,  qui  relevé 
Par  un  premier  labeur,  d'une  pluie  est  lavé , 
Qu'en  deux  ou  trois  façons,  qu'après  il  lui  redonne 
Par  ses  bœufs  accouplés ,  plus  profond  il  sillonne , 
Qui  pour  être  semé  n'attend  que  la  saison. 
Pour  rendre  après  fertile  une  heureuse  moisson. 

O  filles,  pardonnez  une  ardeur  amoureuse 
A  toujours  près  de  vous  la  victoire  douteuse  ; 
Car  en  vous  courtisant  on  est  contraint  par  fois 
De  courtiser  encor  avec  vous  deux  ou  trois; 
Car  il  faut,  vous  aimant,  courtiser  un  vieux  père, 
Etre  sujet  aux  loix  d'une  fâcheuse  mère, 
D'un  frère,  d'une  sœur,  de  qui  l'œil  tout  voyant 
Vous  suit  toujours  de  près,  vos  façons  épiant; 
C'est  alors  qu'un  désir  vers  vous  votre  amant  porte 
Se  voir  être  interdit,  et  voir  fermer  la  porte. 

A  la  veuve  au  contraire ,  on  fait  libre  l'amour, 
Ouverte  y  est  l'entrée,  et  la  nuit  et  le  jour. 
C'est  suivre  après  une  autre  une  route  assurée  : 
On  dit  communément  que  les  fous  font  l'entrée. 


3oo  PIERRE  DU  BRACH. 


QUATRAIN. 


Aimée,  j'aurai  donc  ton  cœur  d'amour  épris, 
Et  pour  autre  j'aurai  la  dépouille  conquise! 
De  battre  les  buissons  j'aurai  la  peine  prise , 
Et  par  autre  que  moi  le  lièvre  sera  pris! 


SONNET. 

Lorsque  je  vois  la  France,  6  inhumanité! 
Tourner  son  propre  fer  dans  ses  propres  entrailles, 
Soi-même  se  pinsant  de  mordantes  tenailles, 
Pour  aigrir  contre  soi  sa  même  cruauté  : 

Je  vois  devant  mes  yeux  cette  grande  cité. 
Qu'un  pasteur  entoura  du  clos  de  ses  murailles, 
Qui  se  perdant  au  gain  des  civiles  batailles, 
Sappa  le  fondement  de  sa  principauté. 

Car  comme  Rome  seule  a  Rome  surmontée. 
Ainsi  la  France  seule  a  la  France  domptée, 
Montrant  qu'elle  peut  plus  que  n'a  pu  le  Germain, 

L'Espagne,  le  Piémont,  l'Itale  et  l'Angleterre; 
Car  ce  qu'ils  n'ont  pu  faire  en  lui  faisant  la  guerre, 
Elle  seule  l'a  fait,  se  domptant  de  sa  main. 


PIERRE  DU  BRACH.  3oi 


ELEGIE. 

A    SON    LIVRE, 

Mon  livre,  mon  enfant,  hé!  pourquoi,  trop  volage, 
Veux-tu  suivre  l'ardeur  de  ton  jeune  courage  ?  - 
Et  te  montrant,  aveugle  et  sans  discrétion. 
Donner  la  voile  au  vent  de  ton  ambition  ? 
Pourquoi  dessous  les  pieds  de  ma  nombreuse  rime, 
Oubliant  le  devoir  d'un  enfant  légitime, 
Veux-tu  prendre  la  fuite  en  enfreignant  ma  loi, 
Qui  t'avoit  commandé  ne  partir  de  chez  moi  ? 

Tu  ressembles  l'enfant  dont  la  jeunesse  folle , 
En  secouant  le  frein  du  maître  de  l'école. 
Se  dérobe  à  son  père  afin  de  voyager, 
Errant  et  vagabond ,  en  pays  étranger  ; 
Qui ,  selon  que  fortune  inconstante  le  porte , 
Bien  souvent  est  contraint  aller  de  porte  en  porte 
Baissant  le  chef  de  honte  et  alongeant  sa  main. 
Mendie,  infortuné,  son  misérable  pain. 

Toi  de  même,  mon  fils,  estimant  trop  severe 
Le  censurant  courroux  de  ton  bienveillant  père. 
Te  dérobes  de  lui,  pauvret,  qui  ne  sais  pas 
Que  pour  vivre  tu  cours  au  chemin  du  trépas; 
Sujet  au  jugement  d'un  commun  populaire. 
Ce  grand  monstre  têtu  à  qui  rien  ne  peut  plaire. 
Qui  soit  mal,  qui  soit  bien,  juge  à  tort,  à  travers, 
Aussi  diversement  que  son  nombre  est  divers, 
Duquel  ton  droit  ne  peut  d'une  juste  balance 
Etre  contre-pesé ,  fors  qu'au  poids  d'ignorance. 


302  PIERRE  DU  BRACH. 

En  louant  ce  qu'on  doit  en  toi  le  plus  blâmer, 

Ou  blâmant  ce  qu'en  toi  Ton  doit  plus  estimer. 

Mais  si,  bridant  le  cours  de  ton  impatience. 
Tu  eusses  demeuré  sous  mon  obéissance, 
D'un  amour  paternel  étant  époinconné, 
Qui  nous  force  d'aimer  ce  qui  de  nous  est  né, 
T'aimant  comme  celui  qui  de  moi  prends  ton  être, 
Je  t'eusse  pour  t'instruire  été  père ,  été  maître. 

Et  comme  on  voit  la  mère,  ayant  pour  premier  fruit 
De  son  lit  conjugal  une  fdle  produit. 
Assembler  avec  soin  mille  jeux  autour  d'elle  ; 
Puis,  quand  l'Age  est  venu,  pour  la  rendre  plus  belle, 
Par  un  art  curieux,  d'une  maîtresse  main. 
Or,  d'un  riche  carcan  elle  embellit  son  sein, 
Façonne  sa  façon,  compose  son  allure, 
Refrise  en  crépillons  sa  blonde  chevelure, 
La  rend  aimable  à  tous  pour  en  pouvoir  choisir 
De  ceux  qui  l'aimeront  un  selon  son  désir. 
Avec  lequel  un  jour  elle  soit  amenée 
Dessous  les  chastes  loix  du  nocier  Hymenée. 

De  même,  mon  enfant,  la  Muse  qui  toujours 
D'un  désir  de  savoir  en  moi  verse  l'amour, 
T'aimant  comme  ta  mère,  en  te  gardant  près  d'elle, 
Non  encore  sevré  pendant  à  sa  mamelle, 
Elle  t'eût  ébattu  en  diverse  façon, 
Tantôt  aux  vers  coulans  d'une  basse  chanson , 
Tantôt  d'une  élégie  en  allégeant  la  peine. 
Que  j'endure  en  aimant  une  belle  inhumaine. 
Donnant  l'ame  à  ta  voix  avec  un  son  plus  haut. 
Tu  eusses  animé  le  francois  échaffaut, 


PIERRE  DU  BRACH.  3o3 

Et  sous  un  vers  sanglant,  horrible  de  furie, 
Montré  comme  des  rois  la  fortune  varie; 
Ou  sous  ta  mâle  voix  bruyante  dans  l'airain , 
Bellone  au  sang  francois  auroit  trempé  sa  main; 
Ou  bien  en  te  rendant  le  courrier  des  louanges 
Des  princes  et  des  rois ,  jusqu'aux  terres  étranges , 
Ton  nom  avec  le  mien  elle  t'eût  fait  porter; 
Les  vers  ont  ce  pouvoir  quand  on  sait  les  chanter. 

Ainsi  qu'un  trait,  lancé  d'une  main  incertaine, 
Se  va  perdre  en  tombant  dans  une  mer  prochaine , 
Dont  l'eau  suivant  son  cours  la  trace  n'a  laissé 
Pour  remarquer  l'endroit  où  la  flèche  a  passé  ; 
Ainsi  au  creux  profond  de  notre  mer  salée, 
Trouvant  pour  la  passer  trop  foible  ta  volée, 
Tu  t'iras  abimer  sans  laisser  après  toi. 
Ni  marque  de  ton  vol ,  de  ton  coup ,  ni  de  moi. 


3o4  MARIE  STUART. 


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MARIE  STUART. 


Fille  unique  et  héritière  de  Jacques  v,  roi  d'Ecosse, 
Marie  perdit  son  père  huit  jours  après  sa  naissance,  le 
n  décembre  i542.  Sa  mère,  Marie  de  Guise,  duchesse 
douairière  de  Longueville  et  fille  de  Claude  de  Guise, 
l'envoya,  en  i54H,  à  la  cour  de  France,  où  ses  deux 
frères ,  le  duc  de  Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine , 
jouissaient  d'un  grand  crédit.  Elle  épousa,  en  i55j, 
François,  dauphin  de  France,  fils  et  successeur  de 
Henri  ii.  Quelle  destinée  sembloit  alors  devoir  être 
plus  heureuse  que  celle  de  Marie  Stuart  !  Comblée 
des  faveurs  de  la  nature  et  de  la  fortune,  portant, 
à  dix-sept  ans ,  la  double  couronne  de  France  et 
d'Ecosse ,  et  pouvant  disputer  à  Elisabeth  celle  d'An- 
gleterre et  d'Irlande,  elle  unissoit  aux  charmes  d'une 
beauté  parfaite  ceux  d'un  esprit  cultivé,  d'une  âme 
noble  et  généreuse.  Objet  des  hommages  d'une  cour 
qui  avait  conservé,  avec  le  goût  des  lettres,  la  poli- 
tesse des  mœurs  et  le  ton  de  galanterie  que  François  i*'"' 
y  avoit  introduits,  elle  étoit  aimée  et  admirée  des 
François.  Ronsard,  Du  Bellay  et  tous  les  poètes  de 
ce  temps  célébrèrent  à  l'envi  les  grâces  enchante- 
resses, les  douces  vertus,  l'esprit  et  les  talents  de  la 
jeune  reine,  et  ne  virent  pour  elle  dans  l'avenir  qu'un 
long  enchaînement  de  prospérités.  Vaines  illusions  ! 
Après  dix-huit  mois  de  mariage,  François  ii  termine 
sa  carrière;  Charles  ix  lui  succède,  et  Catherine  de 
Médicis  reprend  toute  l'autorité.  Marie  Stuart  s'aperçut 


MARIE  STUART.  3o5 

I)ientôt  qu'elle  n'étoit  plus  reine  qu'en  Ecosse,  et  fut 
forcée  d'y  retourner.  C'est  en  quittant  la  France  qu'elle 
exprime  ses  regrets  et  ses  pressentiments  par  ces  vers 

si  connus  : 

Adieu,  plaisant  pays  de  France, 
O  ma  patrie,  etc. 

Dès  lors  sa  vie  n'est  plus  qu'un  long  enchaînement 
de  malheurs.  Elle  se  marie  à  Henri  Stuart  Darnley  son 
cousin  ,  qui,  peu  de  temps  après,  fait  massacrer  sous 
les  yeux  de  la  reine,  David  Rizzio,  musicien  italien, 
qu'elle  avoit  pour  confident  et  qui  portoit  ombrage 
au  prince.  Le  comte  de  Bothwel,  homme  ardent  et 
immoral,  remplaça  Rizzio.  Darnley  périt  à  Edimbourg 
dans  une  maison  isolée  ,  que  ses  assassins  firent  sauter 
par  une  mine.  Marie  épouse  alors  son  amant ,  re- 
gardé universellement  comme  l'auteur  de  la  mort  de 
son  époux.  Cette  union  funeste  soulève  l'Ecosse  contre 
la  reine.  Abandonnée  de  son  armée,  elle  est  forcée  de 
se  rendre  aux  confédérés,  et  de  céder  la  couronne  à  son 
fils.  Elle  nomme  le  comte  de  Murray,  son  frère  naturel, 
régent;  et  à  l'aide  de  quelques  partisans,  elle  parvient 
à  lever  six  mille  hommes ,  qui  bientôt  sont  vaincus  et 
dispersés.  Obligée  de  chercher  un  asile  en  Angleterre , 
elle  n'y  trouve  qu'une  prison  ,  et  enfin  la  mort  après 
dix-huit  ans  de  captivité.  Elle  est  jugée  par  ordre 
d'Elisabeth,  et  tombe  sous  la  hache  du  bourreau,  le 
i8  février  iSSj,  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans. 

Marie  Stuart  cultiva  les  arts  et  les  lettres  dès  sa 
plus  tendre  enfance.  A  peine  âgée  de  quatorze  ans, 
elle  prononça,  en  présence  de  la  cour  de  France, 
qu'elle  regretta  jusqu'à  sa  mort,  un  discours  en  latin, 
où  elle  combaltoit  le  préjugé  qui  interdit  aux  femmes 
l'étude  des  belles-lettres.  A  la  mort  de  François  ii, 
V.  20 


3o6  MARTE  STUART. 

Marie  exprima  sa  douleur  dans   une  romance  dont 

elle  fit  les  vers  et  la  musique. 

Les  talents  de  cette  princesse  infortunée,  la  pro- 
tection dont  elle  honora  les  lettres,  son  courage  au 
milieu  de  ses  longues  souffrances ,  sa  fermeté  hé- 
roïque dans  ses  derniers  instants ,  ont  affoil)li  le  sou- 
venir de  ses  fautes,  mais  non  celui  de  ses  malheurs. 

SUR  LA  MORT  DE  FRANÇOIS  II  (en  i56o). 

En  mon  triste  et  doux  chant, 
D'un  ton  fort  lamentable, 
Je  jette  un  œil  touchant 
De  perte  irréparable, 
Et  en  soupirs  cuisants 
Je  passe  mes  beaux  ans. 

Fut  il  un  tel  malheur 
De  dure  destinée, 
Ni  si  triste  douleur 
De  dame  infortunée, 
Qui  mon  cœur  et  mon  œil 
Yoi  en  bière  et  cercueil  ? 

Qui  on  mon  doux  printems 
Et  fleur  de  ma  jeunesse, 
Toutes  les  peines  sens 
D'une  extrême  tristesse; 
Et  en  rien  n'ai  plaisir 
Qu'en  regret  et  désir. 

Si,  en  quelque  séjour. 
Soit  en  bois  ou  en  prés , 


MARIE  STUART.  807 

Soit  à  l'aube  du  jour, 
Ou  soit  sur  la  vesprée , 
Sans  cesse  mon  cœur  sent 
Le  regret  d'un  absent. 

Si  je  suis  en  repos, 
Someillant  sur  ma  couche, 
J'oy  qu'il  me  tient  propos, 
Je  le  sens  qui  me  touche. 
En  labeur,  en  recoy 
Toujours  est  près  de  moi. 

Mets ,  chanson ,  ici  fin 
A  si  triste  complainte 
Dont  sera  le  refrain  : 
Amour  vraye  et  sans  feinte. 


CHANSON  I 

i 

FAITE    LORS    DU     DEPART    DE     MARIE     STUART  POUR    I,  ECOSSE  ,  i 

ÉTANT    E^CORE    A    LA   VUE    DES    COTES   DE    FRANCE. 


Adieu,  plaisant  pays  de  France, 

O  ma  patrie 

La  plus  chérie. 
Qui  as  nourri  ma  jeune  enfance! 
Adieu,  France,  adieu  mes  beaux  jours; 
La  nef  qui  disjoint  nos  amours 
N'a  c'y  de  moi  que  la  moitié: 
Une  part  te  reste ,  elle  est  tienne  ; 
Je  la  fie  à  ton  amitié 
Pour  que  de  l'autre  il  te  souvienne. 


3o8  GUILLAUME  DE  SALLUSTE. 

GUILLAUME   DE  SALLUSTE, 

SIEUR  DU  RARTAS. 


GcTLLAXTME  DE  Salluste,  seigneur  du  Bartas  clans 
l'Armagnac,  et  gentilhomme  ordinaire  de  Henri  iv, 
alors  roi  de  Navarre ,  étoit  fils  d'un  trésorier  de  France. 
Il  naquit  vers  l'an  1544?  à  Montfort ,  à  quelques  lieues 
du  Bai'tas.  A^oué  dès  son  enfance  à  la  profession  des 
armes,  il  obtint  le  commandement  d'une  compagnie 
de  cavalerie,  et  se  fit  également  distinguer  par  son 
courage  et  par  sa  prudence.  Le  roi  de  Navarre  le 
chargea  de  différentes  négociations  auprès  des  cours 
d'Angleterre,  de  Danemarck  et  d'Ecosse,  et  il  s'en 
acquitta  avec  honneur;  il  y  fit  même  paroître  tant  de 
zèle  pour  les  intérêts  de  son  prince,  que  Jacques  vi, 
roi  d'Ecosse ,  essaya  de  se  l'attacher. 

Du  Bartas  employoit  ses  loisirs  au  commerce  des 
muses  ;  il  se  retiroit  alors  à  son  château  du  Bartas , 
où  il  auroit  désiré  rester  oublié  :  puissé-je ,  disoit-il 
à  ce  sujet, 

Puissé-jc,  ô  Tout-Puissant,  inconnu  des  grands  rois, 
Mes  solitaires  ans  achever  par  les  bois 

Le  célèbre  de  Thou,  qui  l'avoit  connu  pendant  ses 
voyages  en  Guienne,  nous  apprend  qu'il  étoit  rempli 
de  candeur  et  d'une  sincérité  à  toute  épreuve;  que, 
malgré  sa  grande  réputation,  il  parloit  toujours  de 
lui  et  de  ses  ouvrages  avec  beaucoup  de  modestie, 
et  qu'il  se  plaignoit  très  souvent  de  ce  que  les  circon- 


GUILLAUME  DE  SALLUSTE.  809 

stances  ne  lui  eussent  pas  permis  de  s'eclairer  des 
conseils  des  gens  d'esprit  et  de  goût.  11  mourut  en  juillet 
i5go,  dans  la  quarante-sixième  année  de  son  âge,  des 
suites  des  fatigues  de  la  guerre  et  de  quelques  bles- 
sures qui  avoient  été  mal  soignées. 

Les  productions  de  la  première  jeunesse  de  du 
Bartas  sont  l'Uranie  ou  la  Muse  céleste,  et  Judith. 
UUranie  est  un  ouvrage  consacré  à  l'éloge  de  la  poésie. 

Judith  est  un  autre  poëme  en  six  chants,  composé 
à  la  sollicitation  de  Jeanne  d'Albret,  reine  de  Navarre. 
Cet  ouvrage,  dans  lequel  il  avoit  taché  ,  dit-il,  d^ imiter 
Homère  en  son  Iliade ,  f^iri^ile  en  son  Enéide ,  et  autres 
poèmes  épiques  ^  faillit  lui  devenir  funeste.  On  l'accusa 
d'avoir  voulu  autoriser,  par  l'exemple  de  Judith ,  la 
révolte  contre  les  souverains ,  et  d'avoir  établi  en  prin- 
cipe que  les  sujets  ont  le  droit  d'attenter  à  la  vie  des 
princes,  etc.  Il  ne  lui  fut  pas  difficile  de  confondre  la 
calomnie  et  de  réduire  ses  ennemis  au  silence. 

Les  autres  ouvrages  de  du  Bartas  sont  un  Hymne 
de  la  Paix;  les  neuf  Muses  Pyrénées  ;  un  poème  dressé 
pour  V accueil  de  la  reine  de  JSavarre ,  faisant  son  en- 
trée a  ISérac ,  dialogue  entre  les  trois  nymphes,  latine, 
françoise  et  gascone,  qui  parlent  chacune  leur  langue; 
un  Cantique  sur  la  'victoire  d^lvrj  y  une  traduction  du 
poëme  de  Jacques  vi,  roi  d'Ecosse,  sur  la  bataille  de 
Lépante;  la  Sepmaine  ou  Création  du  monde  en  sept 
jours,  poëme  dont  le  succès  fut  prodigieux,  et  qui, 
selon  Lacroix  du  Maine,  fut  réimprimé  plus  de  trente 
fois  dans  l'espace  de  six  ans ,  et  traduit  en  latin ,  en  ita- 
lien ,  en  anglois,  en  allemand  et  en  espagnol; —  le 
triomphe  de  la  Foj' ;  Eden  ,  ou  la  chute  d'Adam;  r  Im- 
posture; les  Furies;  les  Artifices ,  ou  l'invention  des  Arts  ; 


3lO  GUILLAUME  DE  SALLUSTE. 

r Arche  de  Noë ,  ou  F  histoire  du  Déhige;  Babj'Ione,  ou 
la  confusion  des  Langues;  les  Colonies,  ou  rétablisse- 
ment des  divers  Peuples  de  la  terre;  les  Colonnes  j  ou 
V invention  des  Sciences  ;  les  Pères ,  ou  le  sacrifice  d'A- 
braham; la  Loj,  ou  r  histoire  de  May  se;  les  Trophées  y 
ou  l'histoire  de  David;  la  Magnificence ,  ou  la  'vie  de 
Salomon ;  J onas  ;  la  vocation  d'Abraham;  les  Capitaines, 
ou  l'histoire  de  Josué ;  le  Schisme,  ou  la  division  des 
Tribus;  la  Décadence,  ou  les  Jléaux  dont  furent  acca- 
blés les  Israélites. 

Quelque  brillante  que  fut  la  réputation  de  du  Bar- 
tas,  il  trouva  cependant  des  critiques  sévères.  Le  car- 
dinal Du  Perron  le  qualifie  de  très  méchant  poète  : 
«  Pour  l'invention  ,  dit-il ,  chacun  sçait  qu'il  ne  l'a  pas , 
«  qu'il  n'a  rien  à  lui  et  qu'il  ne  fait  que  raconter  une 
«  histoire ,  etc.  Pour  la  disposition  ,  il  ne  l'a  pas  non 
«  plus  j  car  il  va  son  grand  chemin ,  et  ne  suit  aucune 
«  des  règles  établies ,  etc.  Son  élocution  est  aussi  très- 
«  mauvaise,  impropre  en  ses  façons  de  parler,  impei'- 
«  tinente  en  ses  métaphores,  etc.  «  D'après  Charles 
Sorel  :  «  La  Sepmaine  n'est  quasi  que  l'histoire  natu- 
«  relie  de  Pline,  mise  en  vers,  avec  quelques  autres 
«  remarques  sur  le  même  sujet,  prises  dans  des  livres 
"  fort  communs,  etc.  » 

Le  père  Rapin  accuse  du  Bartas  d'avoir  lait  con- 
sister l'essence  de  la  poésie  dans  la  grandeur  et  la 
magnificence  des  paroles,  et  d'avoir  créé  des  mots 
composés ,  à  la  manière  des  Grecs. 

On  demandoit  un  jour  à  Ronsard  ce  qu'il  pensoit 
de  la  Sepmaine,  «  M.  du  Bartas,  répondit-il,  a  plus  fait 
'<  en  une  semaine  que  je  n'ay  fait  en  toute  ma  vie.  » 
Cette  réponse  ,  qui  n'avoit  de  lapport  qu'à  la  fécon- 


GUILLAUME  DE  SALLUSTE.  3 1  I 

dite  du  poète,  fut  mal  interprétée  5  on  s'imagina  que 
Ronsard  se  reconnoissoit  inférieur  à  du  Bartas;  on 
fit  même  courir  le  bruit  qu'il  lui  avoit  donné  une 
plume  d'or  en  témoignage  de  son  admiration.  Ronsard 
étoit  trop  intéressé  à  démentir  ce  bruit,  il  le  fit  dans 
un  sonnet  k  Dorât ,  où  il  déclare  en  quelque  sorte  qu'il 
se  croiroit  deshonoré  s'il  avoit  pu  se  rendre  coupable 
de  la  pensée  dont  on  l'accusoit. 


VERS   AU   ROI   DE    NAVARRE. 

Prince,  daigne  approcher;  Pan  habite  en  nos  bois  : 
Ne  méprise  ces  rocs  :  ces  rocs  ont  autrefois 
Nourri  ces  grands  héros  qu'à  vaincre  tu  travailles  ; 
Héros  qui  par  duels,  par  sièges,  par  batailles, 
Ont  poussé  jusqu'au  ciel  l'honneur  du  sang  de  Foix. 
Hercule  ayant  vaincu  le  triple  orgueil  d'Espagne , 
Se  fit  père  du  roi  de  ce  coin  de  montagne , 
Qui  des  fils  de  ses  fils  a  toujours  pris  la  loi. 
Henri,  l'unique  effroi  de  la  terre  hespéride, 
Tu  ne  pourrois  avoir  plus  grand  ayeul  qu'Alcide  : 
Il  ne  pourroit  avoir  plus  grand  neveu  que  toi. 


DESCRIPTION   DU   JARDIN   D'ÉDEN. 

Si  je  dis  que  toujours,  d'une  face  seraine, 
Le  ciel  d'un  seul  coup-d'œil  embrassoit  cette  plaine; 
Que  des  rochers  cambrés  le  doux  miel  distilloit; 
Que  le  lait  nourricier  par  les  champs  ruisseloit  ; 


3i2  GUILLAUME  DE  SALLUSTE. 

Que  les  ronces  avoieiit  même  odeur  que  les  roses; 
Que  tout  terroir  portoit  en  tout  temps  toutes  choses, 
Et  sous  mêmes  rameaux,  cent  et  cent  fruits  divers 
Pendoient  en  même  temps ,  ni  trop  mûrs,  ni  trop  verds  : 
Que  le  plus  aigre  fruit  et  l'herbe  plus  amere 
Egaloit  en  douceur  le  sucre  de  Madère  ; 
Si  je  dis  que  Torage ,  en  son  cours  violent, 
Des  fleuves  ne  souilloit  le  cristal  doux-coulant. 
Fleuves  qui  surmontoient  en  bon  goût  le  breuvage 
Qui  du  Cretois  Cérathe  honore  le  rivage; 
Que  les  sombres  forêts  des  myrtes  amoureux, 
Des  prophètes  lauriers,  des  palmiers  généreux, 
Ne  s'effeuilloient  jamais,  ains  leur  nouveau  feuillage 
Voûtoit  mille  berceaux,  fertiles  en  ombrage. 
Où  cent  sortes  d'oiseaux  nuit  et  jour  s'ébatoient, 
S'entrefaisoient  l'amour,  sauteloient,  voletoicnt. 
Et  mariant  leurs  tons  aux  doux  accens  des  anges, 
Chantoient  et  Theur  d'Adam  et  de  Dieu  les  louanges: 
Car  pour  lors  les  corbeaux,  oriots  et  hiboux 
Avoient  des  rossignols  le  cliant  doctement  doux, 
Et  les  doux  rossignols  avoient  la  voix  divine 
D'Orphée  et  d'Amphion ,  d'Arion  et  de  Line. 
Echo,  voix  forestière.  Echo,  fille  de  l'Air, 
Qui  ne  veut  ni  ne  peut,  langarde,  rien  celer. 
Qui  ne  sait  s'enquérir,  ains  seulement  répondre, 
Et  qui  jamais  en  vain  ne  se  laisse  semondre , 
Y  tenoit  sa  partie,  et  commençoit  à  temps 
Chanter  lorsqu'ils  cessoient,  et  cessoit,  eux  chantans. 
Là  régnoit  la  musique ,  et  toujours  sur  la  rive , 
Un  doux  bruit  secondoit  la  voix  et  morte  et  vive. 


GUILLAUME  DE  SALLUSTE.  3l3 

Si  je  dis  que  Phœbus  n'y  faisoit  arriver  ^ 

L'été  par  son  retour,  par  sa  fuite  Thiver, 
Ains  l'amoureux  printemps  tenoit  toujours  fleuries 
Des  doux  fleurans  vallons  les  riantes  prairies; 
Que  le  robuste  Adam  ne  sentoit  point  son  corps 
Aggravé  des  autans,  ni  roidi  par  les  nors, 
Ains  d'un  doux  ventelet  l'haleine  musquetée , 
Coulant  dans  la  foret  par  l'Eternel  plantée, 
Donnoit  vigueur  au  corps,  à  la  terre  verdeur, 
A  la  verdure  fleurs,  aux  fleurs  une  aime  odeur; 
Qu'au  jour  la  nuit  prétoit  son  humeur  nourricière, 
Et  le  jour  à  la  nuit  moitié  de  sa  lumière; 
Que  la  grêle  jamais  n'atterroit  les  moissons  ; 
Que  les  frimats,  la  neige,  et  les  luisans  glaçons 
N'envieillissoient  les  champs  ;  qu'un  éclatant  orage 
N'écarteloit  les  monts;  qu'un  pluvieux  ravage 
N'amaigrissoit  la  terre ,  ains  les  champs  produisoient 
Les  fécondes  vapeurs ,  qui  leur  face  arrosoient , 
Je  ne  pense  mentir  :  plutôt,  honteux,  j'accuse 
D'indocte  pauvreté  ma  bégayante  muse. 

Si  tu  veux  en  deux  mots  la  louer  comme  il  faut, 
Dis  que  c'est  le  portrait  du  paradis  d'en  haut. 
Où  notre  aveul  avoit,  ô  merveilles  étranges! 
Dieu  pour  entre-parleur,  pour  ministres  les  anges. 


3j4  GUILLAUME  DE  SALLUSTE. 


MORALITÉ. 

Tous  ces  doctes  esprits,  dont  la  voix  flateresse 
Change  Hécul)e  en  Hélène  ,  et  Faustine  en  Lucresse, 
Qui  d'un  nain,  d'un  bâtard,  d'un  archerot  sans  yeux 
Font,  non  un  dieutelet,  ains  le  maître  des  dieux, 
Sur  les  ingrats  sillons  d'une  infertile  arène, 
Perdent  mal-avisés  leur  travail  et  leur  graine, 
Et  tendant  un  fdet,  pour  y  prendre  le  vent. 
D'un  los,  je  ne  sai  quel,  qui  les  va  décevant, 
Se  font  imitateurs  de  l'araigne  qui  file 
D'un  art  laborieux  une  toile  inutile. 


LE  DELUGE. 

L'amas  des  eaux  du  ciel,  joint  h  nos  basses  eaux. 
Des  monts  plus  sourcilleux  dérobant  les  coupeaux, 
Auroit  noyé  ce  tout,  si,  triomphant  de  l'onde, 
Noé  n'eût  comme  enclos  dans  peu  d'arbres  le  monde, 
Bâtissant  une  nef,  et  par  mille  travaux. 
Conservant  là  dedans  tout  genre  d'animaux. 
Ils  n'y  furent  entrés,  que,  dans  l'obscure  grotte 
Du  mutin  roi  des  vents,  le  Tout  Puissant  garotte 
L'aquilon  chasse-nue,  et  met  pour  quelque  temps 
La  bride  sur  le  col  aux  forcenés  autans. 
D'une  aile  toute  moite,  ils  commencent  leur  course; 
Chaque  poil  de  leur  barbe  est  une  humide  source  ; 


GUILLAUME  DE  SALLUSTE.  3l5 

De  nues  une  nuit  enveloppe  leur  front; 
Leur  crin  froid  et  neigeux,  tout  en  pluie  se  fond, 
Et  pressant  de  leur  main  l'épaisseur  des  nuages. 
Les  font  crever  en  pluie,  en  éclairs,  en  orages. 
Les  torrens  écumeux,  les  fleuves,  les  ruisseaux, 
S'enflent  en  un  moment  :  jà  les  confuses  eaux 
Perdent  lein  s  premiers  bords ,  et  dans  la  mer  salée 
Ravageant  les  moissons ,  courent  bride  avalée. 
La  terre  tremble  toute,  et  tressaillant  de  peur, 
Dans  ses  veines  ne  laisse  une  goûte  d'humeur. 
Et  toi,  toi  même,  ô  ciel  !  les  écluses  débondes 
De  tes  larges  marets ,  pour  dégorger  les  ondes 
Sur  ta  sœur,  qui  vivant,  et  sans  honte  et  sans  loi , 
Se  plaisoit  seulement  à  déplaire  à  ton  roi. 

Jà  la  terre  se  perd,  jà  Nérée  est  sans  marge; 
Les  fleuves  ne  vont  plus  se  perdre  en  la  mer  large  ; 
Eux-mêmes  sont  la  mer;  tant  d'océans  divers 
Ne  font  qu'un  océan  :  même  cet  univers 
N'est  rien  qu'un  grand  étang ,  qui  veut  joindre  son  onde 
Au  demeurant  des  eaux  répandu  sur  le  monde. 
L'estourgeon  côtoyant  les  cimes  des  châteaux, 
S'émerveille  de  voir  tant  de  toîts  sous  les  eaux. 
Le  manat,  le  mular,  s'allongent  sur  les  croupes 
Oîi  n'aguere  broutoient  les  sautelantes  troupes 
Des  chèvres  porte-barbe ,  et  les  dauphins  camus 
Des  arbres  montagnards  rasent  les  chefs  ramus. 
Pden  ne  sert  au  lévrier,  au  cerf,  à  la  tigresse , 
Au  lièvre,  au  cavalor,  sa  plus  prompte  vitesse: 
Plus  il  cherche  la  terre,  et  plus  et  plus,  hélas  ! 
Il  la  sent,  effrayé,  se  perdre  sous  ses  pas. 


3i6  GUILLAUME  DE  SALLUSTE. 

Le  bievre,  la  tortue,  et  le  fier  crocodile, 
Qui  jadis  iouissoicnt  d'un  double  domicile. 
N'ont  que  leau  pour  maison  ;  les  loups  et  les  agneaux, 
Les  lions  et  les  daims,  voguent  dessus  les  eaux, 
Flanc  à  flanc,  sans  soupçon.  Le  vautour,  l'birondelle, 
Après  avoir  long-temps  combattu  de  leur  aile 
Contre  un  trépas  certain,  enfin  tombent  lassés, 
N'ayant  oii  se  percher,  dans  les  flots  courroucés. 
Quant  aux  pauvres  humains,  pense  que  celui  gagne 
La  pointe  d'une  tour,  l'autre  d'une  montagne. 
L'autre  pressant  un  cèdre,  or' des  pieds,  or' des  mains. 
Gravit  jus([u'au  sommet  des  rameaux  incertains. 
Mais,  las  !  les  flots  montans  à  mesure  qu'ils  montent, 
Dès  que  leur  chef  paroît ,  aussi-tost  le  surmontent; 
L'un  flote  sur  des  ais,  encore  mi-dormant, 
L'autre  de  pieds  et  bras  va  sans  cesse  ramant, 
Ayant  vu  s'abîmer  ses  germaines,  sa  mcre. 
Le  plus  cher  de  ses  fils,  sa  compagne  et  son  père  : 
Mais  enfin  il  se  rend  jà  las  de  trop  ramer, 
A  la  discrétion  de  l'infidelle  mer. 
Tout ,  tout  meurt  à  ce  couj)  :  mais  les  Parques  cruelles, 
Qui  jadis,  pour  trancher  les  choses  les  plus  belles, 
S'armoient  de  cent  harnois ,  n'ont  ore  pour  bourreaux, 
Que  les  efforts  baveux  des  bouillonnantes  eaux. 

Tandis  la  sainte  nef,  sur  réchine  azurée 
Du  superbe  Océan  ,  navigeoit  assurée  , 
Bien  que  sans  mat,  sans  rame,  et  loin  loin  de  tout  port: 
Car  l'Eternel  étoit  son  jiilote  et  son  nord; 
Trois  fois  cinquante  jours,  le  général  naufrage 
Dévasta  l'univers;  enfin  d'un  tel  ravage 


4 
GUILLAUME  DE  SALLUSTE.  817 

L'Immortel  attendri ,  n'eut  pas  sonné  sitôt 
La  retraite  des  eaux ,  que  soudain  flot  sur  flot 
Elles  vont  s'écouler,  tous  les  fleuves  s'abaissent; 
La  mer  rentre  en  prison  ;  les  montagnes  renaissent  ; 
Les  bois  montrent  déjà  leurs  limonneux  rameaux; 
Jà  la  campagne  croît  par  le  décroît  des  eaux  ; 
Et  bref  la  seule  main  du  Dieu  darde-tonnerre 
Montre  la  terre  au  ciel ,  et  le  ciel  à  la  terre. 


3l8       FRANÇOIS  LE  POULCHRE. 


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FRANÇOIS  LE   POULCHRE. 


François  le  Poulchre  ,  seigneur  de  la  Motte-Mes- 
semé,  terre  des  environs  de  Poitiers,  étoit  issu  d'une 
famille  originaire  d'Anjou,  et  il  prétendoit  sérieuse- 
ment descendre  en  ligne  directe  de  Pulcher,  consul 
romain.  11  naquit  vers  l'an  i545,  à  Mont-de-Marsan, 
petite  ville  de  Gascogne ,  où  son  père  se  trouvoit  alors 
en  qualité  de  surintendant  de  Marguerite  de  Navarre. 
Cette  princesse,  et  son  frère  François  i",  le  présen- 
tèrent sur  les  fonts  baptismaux.  11  fut  envoyé  à  l'Uni- 
versité de  Paris  ;  mais  son  goût  pour  les  armes  ne  lui 
permit  pas  de  faire  de  bonnes  études  :  il  étoit  déjà  au 
service  en  iSSp.  Charles  ix,  à  qui  le  duc  de  Roanés 
l'avoit  présenté,  lui  donna  d'abord  la  charge  d'écuyer 
d'écurie  ordinaire,  ensuite  celle  de  gentilhomme  ordi- 
naire de  sa  chambre,  et  enfin  celle  de  chevalier  des 
ordres  du  roi. 

François  le  Poulchre  se  retira,  en  1570,  à  Bruge- 
mont,  près  de  Saint-Nicolas,  en  Lorraine,  où  il  s'étoit 
marié ,  et  ce  fut  là  qu'il  composa  ses  Honnêtes  Loisirs. 
Cet  ouvrage  est  divisé  en  sept  Livres;  on  y  trouve  l'his- 
toire des  règnes  sous  lesquels  le  poète  avoit  vécu , 
celle  de  ses  amours,  de  la  politique,  de  la  philoso- 
phie, etc.  ;  il  fut  imprimé  en  iSSj,  avec  une  épître  dé- 
dicatoire  à  Henri  m. 

A  la  suite  des  Honnêtes  Loisirs  sont  les  Amours 
(XÀdrastie^  en  trente -neuf  sonnets  et  quarante-six 
stances ,  et  un  Livre  de  Meslanges  en  vers. 


FRANÇOIS  LE  POULCHRE.  3 19 

SONNET. 

COMPLAINTE    DE    DIDON. 

Que  je  te  veux  de  mal ,  Rome,  d'avoir  détruit, 
Par  le  fer ,  par  le  feu ,  ma  ville  de  Carthage , 
Faisant  de  tous  les  miens  un  horrible  carnage, 
Et  leur  postérité  en  servage  réduit  ! 

Je  te  hais  beaucoup  plus ,  d'avoir  encor  produit 
Un  écrivain  menteur,  plein  d'orgueil  et  de  rage, 
Qui  souilla  méchamment  l'honneur  de  mon  veuvage, 
Couchant  entre  mes  bras  un  fuyart  dans  mon  lit. 

Car  tu  lui  as  permis,  qu'il  m'ait  abandonnée. 
Par  ses  vers ,  au  vouloir  d'un  vagabond  ^Enée , 
Que  je  ne  vis  jamais;  Rome,  c'est  sans  raison, 

Que  par  lui  tu  m'as  fait  telle  peindre  et  décrire , 
Comme  ne  pouvant  pas  me  faire  rien  de  pire , 
Après  avoir  pillé  et  brûlé  ma  maison. 


320  FRANÇOIS  LE  POULCHRE. 


SONNET. 

AUX    DAMES. 

Ne  se  passer  un  jour  sans  aller  à  régUse; 
Faire  dire  la  messe,  et  Inen  dévotement 
L'ouir  à  deux  genoux  très-attentivement; 
C'est  une  œuvre  bien  bonne,  et  laquelle  je  prise. 

Ses  pécbés  confesser,  de  cœur  et  sans  feintise. 
Jeûner  chaque  vigile ,  et  donner  largement 
Aux  pauvres  de  vos  biens,  pour  leur  nourrissement, 
Sans  blasphémer  aussi ,  c'est  être  bien  apprise. 

Vous  faites  tout  cela  :  mais  ce  seroit  rêver 

De  croire  que  cela  tout  seul  vous  peut  sauver; 

Ne  vous  y  arrêtez,  je  vous  prie,  madame. 

D'aller  en  paradis,  le  plus  certain  moyen. 
C'est  de  rendre  à  chacun  ce  que  l'on  a  du  sien; 
Rendez-moi  donc  mon  cœur,  vous  sauverez  votre  ame. 


CLAUDE  DE  MORENNE.  Sa  1 


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CLAUDE  DE   MORENNE. 


Claude  de  Morenne  naquit  à  Paris.  Sa  famille 
étoit  attachée  à  la  maison  de  Villeroi ,  et  il  eut  pour 
protecteur  Nicolas  de  Nevifville,  seigneur  de  Villeroi, 
secrétaire  et  ministre  d'état ,  qui  se  rendit  si  célèbre 
sous  les  rèsfnes  de  Henri  m  et  de  Henri  iv.  Il  fut  suc- 
cessivement  curé  de  Saint-Méri  et  de  la  paroisse  de 
Saint-Gervais  et  Saint-Protais.  Sa  conduite ,  irrépro- 
chable pendant  les  troubles  de  la  Ligue  ,  le  fit  chasser 
de  Paris.  On  trouve  dans  la  Sat,  re  Mènippce  qu'il  fut 
accusé  de  prêcher  à  ses  paroissiens  la  soumission  au 
roi  Henri  iv.  Ce  prince  lui  accorda  dans  la  suite ,  en 
récompense  de  sa  fidélité ,  l'évêché  de  Séez  en  Nor- 
mandie,  où  il  mourut  le  2  mars  1606.  Nous  voyons, 
dans  les  Mémoires  de  VEstoile ,  que  Claude  de  Morenne 
avoit  beaucoup  contribué  à  la  conversion  de  Henri  iv. 
Cepoète,  dans  son  épîtreà  Villeroi,  qui  est  en  tête  du 
recueil  de  ses  productions,  dit  qu'il  ne  s'occupa  guère 
de  poésie  que  pendant  sa  jeunesse.  Parmi  ses  Tom- 
beaux ou  Epitaphes ,  dont  la  plupart  sont  en  vers  latins  , 
et  qui  forment  la  plus  grande  partie  de  ce  Recueil,  on 
trouve  celles  de  Charles ix,  du  cardinal  de  Lorraine, etc. 
Le  reste  se  compose  de  vingt-huit  Cantiques  spirituels , 
dont  plusieurs  en  latin;  de  cinq  Sonnets  spirituels; 
d'un  grand  nombre  de  quatrains ,  et  enfin  de  quelques 
Poèmes  dii^ers ,  tantfrançois  que  latins,  tels  que  le  Pa- 
negirique  de  Henri  IV ^  fait  à  l'occasion  de  son  sacre  et 
couronnement, 

V.  21 


322  CLAUDE  DE  MORENNE. 

Claude  de  Morenne  fut  de  son  temps  un  orateur 
distingue;  il  a  laissé  quelques  Oraisons  funèbres  très 
bien  écrites  pour  cette  époque. 


EGLOGUE 

SUR    LE    TRÉPAS    DU    CARDINAL    CHARLES    DE    BOURBON. 
PERROT. 

Mop.ET,  trois  jours  y  a,  qu'un  foudroyant  orage 
Bouleverse  les  cieux ,  et  trois  jours  qu'un  nuage 
D'un  voile  ténébreux  enveloppe  ce  Heu. 
Je  ne  sai  pas  que  c'est  :  mais  il  semble  que  Dieu 
Veuille  renverser  tout,  tant  grande  est  la  tempête, 
Qui  depuis  ce  temps-là  menace  notre  tête. 

M  O  R  E  T. 

Mes  cheveux  hérissés  de  crainte  et  de  frayeur 
Montrent  bien,  mon  Perrot ,  cju'encor  en  ai-je  peur: 
Je  ne  saurois  dormir;  toujours  à  mon  oreille 
Sonne  cette  tempête  à  nulle  autre  pareille. 
Entends  comme  aquilon  redoul)le  son  souffler, 
Comme  de  toutes  parts  l'eau  commence  à  s'enfler. 

PEUROT. 

L'espace  de  six  jours  et  voire  davantage , 
J'entends  sur  ma  maison  un  corbeau  qui  ramage 
Aussi  hideusement  que  le  triste  hibou  , 
Qui,  nonce  de  la  mort,  caché  dans  quelque  trou, 
Parmi  des  lieux  déserts,  sur  une  heure  importune, 
Vient  être  avant-coureur  de  la  triste  fortune. 

M  o  R  E  T. 

Théoplïll ,  qui  souloit  aux  champs  et  aux  forêts 


CLAUDE  DE  MORENNE.  SaS 

Chanter  mille  chansons,  pour  les  subtils  attraits, 
Dont  Tavoit  appâté  Sophie  sa  mignone , 
A  présent  est  tout  triste  ,  et  pas  un  mot  ne  sonne. 
Il  me  dit  l'autre  jour  ([u'en  menant  son  troupeau, 
Dans  ses  mains  se  rompit  son  petit  chalumeau  ; 
Depuis  il  ne  s'est  vu  que  malheur  sur  la  terre. 

P  E  R  R  G  T. 

Mais  voi  comme  le  ciel  mille  flammes  desserre, 

Mille  éclairs  flamboyans ,  qui  mourans  à  nos  yeux: , 

Dérobent  tout-à-coup  la  lumière  des  cieux. 

Je  crois  que  le  soleil,  dans  la  plaine  salée, 

Encore  a  du  sommeil  la  paupière  sillée  : 

Cela  témoigne  assez  que  grande  est  sa  douleur, 

Et  qu'il  doit  ici-bas  avenir  du  malheur. 

MO  RE  T. 

Le  rossignol  gentil,  qui,  au  touffu  boccage, 
Dégoisoit  les  fredons  de  son  gentil  ramage , 
Ne  fait  que  plus  se  plaindre,  et  en  ce  joli  mois, 
Remplit  l'air  et  les  champs  de  sa  plaintive  voix. 

PERROT. 

Je  n'entends  plus  ici  que  de  vieilles  sorcières , 
Qui ,  parmi  l'ombre  épais  de  ces  fortes  bruyères , 
Enchantent  de  leurs  voix  les  serpens  émaillés, 
Et  le  troupeau  muet  des  poissons  écaillés  : 
Elles  font  rendre  son  au  marbre  et  aux  images. 
Et  gâtent  par  leur  sort  les  bleds  et  les  herbages. 

MORE  T. 

Le  pécheur  qui  souloit  dans  un  fleuve  écarté 
Attirer  dans  ses  rets  le  poison  appâté, 


3 Si 4  CLAUDE  DE  MORENNE. 

Et  puis,  à  la  fraîcheur  des  grottes  forestières, 

Raconter  ses  plaisirs  aux  bruyantes  rivières, 

Maintenant  est  muet,  ainsi  (jue  le  poisson. 

Qu'il  prenoit  au  filet  de  son  traître  hameçon. 

Mais  je  vois  mon  Janot  sur  cette  haute  roche. 

Qui ,  blême  et  demi-mort ,  de  nos  troupeavix  s'approche. 

Comme  il  baisse  les  yeux  !  comme  lents  sont  ses  pas! 

Il  semble  avoir  quitté  toutes  sortes  d'ébats. 

Même  il  ne  porte  plus  sa  gente  cornemuse; 

Il  a  laissé  son  chien  et  sa  troupe  camuse. 

Allons  parler  à  lui.  Janot,  mon  cher  ami, 

Ou  vas-tu,  cher  Janot,  quand  le  ciel  ennemi. 

Dépité  contre  nous,  vomit  sa  triste  rage? 

Peut-être  que  tu  sais  d'où  vient  un  tel  orage. 

JANOT. 

Demandez- vous ,  bergers,  pourquoi  le  ciel  troublé 
Jà  trois  ou  quatre  fois  ses  coups  a  redoublé  ? 
Pourquoi  dedans  ces  champs  toute  chose  soupire? 
Pourquoi  souffle  aquilon  au  lieu  d'un  doux  zéphire? 
C'est  aujourd'hui  le  jour,  que  la  meurtrière  mort 
Nous  a  ravi  Chariot,  Chariot  notre  support; 
Chariot  le  grand  pasteur,  le  mignon  des  Naïades, 
Des  Faunes,  des  Sylvains,  des  chastes  Oréades; 
Chariot,  qui  tant  prisoit  les  jeunes  pastoureaux. 
Qu'il  avoit  soin  de  nous  et  de  nos  gras  troupeaux. 

MORET. 

Chariot  est  mort  !  hélas  !  6  dure  destinée  ! 

O  ciel  trop  inhumain!  6  maudite  journée  ! 

Mais  Janot,  mon  ami,  dis-nous  la  vérité; 

C'est,  peut-être,  un  faux  bruit,  que  l'on  t'a  rapporté. 


CLAUDE  DE  MOUENNE.  323 

J  A  \  O  T. 

Que  toujours  j'aie  au  cœur  une  amere  détresse , 

Si  en  ce  piteux  cas  ma  langue  est  menteresse  ! 

L'épouvantable  cri  des  enroués  hiboux, 

Du  ciel  et  d'aquilon  l'effroyable  courroux, 

Et  du  grand  Dieu  d'en  haut  le  foudroyant  orage, 

Etoient  de  ce  malheur  un  assuré  présage. 

MORET. 

Ah  !  mon  Dieu  !  quel  malheur  d'avoir  sitôt  perdu 
Celui  qui  nos  troupeaux  du  loup  a  défendu  ! 

JANOT. 

Bergers,  puisque  le  trait  de  la  mort  inhumaine 
INous  a  ravi  Chariot,  que  vos  tuyaux  d'aveine , 
Dès  la  pointe  du  jour  jusqu'au  soleil  couchant. 
N'entonnent  rien ,  sinon  quelque  funèbre  chant. 
Chariot,  les  léopards,  les  tigres  d'Arménie, 
Les  rochers  porte -pins,  les  lions  de  Lybie, 
Les  ombreuses  forets  et  les  antres  moussus, 
La  babillarde  écho,  et  les  fleuves  bossus. 
Pleureront  ton  départ,  ta  mort  et  ton  absence. 

PEKROT. 

Comme  la  tendre  vigne,  au  joli  renouveau. 
Laissant  épandre  en  l'air  son  feuillage  nouveau , 
Se  fait  le  seul  honneur  de  l'ormeau  qu'elle  embrasse. 
Ou  comme  le  taureau  donne  beaucoup  de  grâce 
A  un  troupeau  petit,  et  la  blonde  moisson  , 
Au  champ,  qui  étoit  nud  en  la  froide  saison; 
Ainsi,  Chariot,  ainsi,  tu  étois  notre  gloire; 
De  toi  venoit  notre  heur;  par  ton  moyen,  la  Loire 
A  regorgé  de  biens;  mais,  puisque  le  destin 


326  CLAUDE  DE  MORENNE. 

T'a  de  ce  monde  6lé,  nous  serons  le  butin, 

La  proie  des  lirigands,  qui  rien  n'ont  en  pensée, 

Que  voir  notre  maison  détruite  et  renversée. 

M  OR  ET. 

7\dieu  donc  tous  éliats  !  adieu  tous  les  plaisirs , 
Qu'on  trouvoitdansleschampsl  les  amoureux,  zéphirs 
Ont  (juitlc  la  campagne,  et  la  dame  Liesse 
K'a  laissé  s'en  allant  que  douleur  et  détresse. 

JANOT. 

Las  î  on  ne  verra  plus  sur  un  roc  bien  pointu, 
L'antre  ombrageux  et  frais  de  mousse  revrtu; 
On  n'oira  plus  des  eaux  le  doux  coulant  nuniiiure; 
Plus  on  ne  dormira  sur  la  tendre  verdure; 
Dans  les  bois  cbevelus,  les  volages  oiseaux 
Ne  feront  plus  l'amour  entre  les  arbrisseaux; 
Les  fdlettes  du  ciel ,  dans  leurs  voûtes  cirées, 
Ne  remporteront  plus  les  fleurettes  sucrées  ; 
Puisque  le  bon  Cbarlot,  qui  étoit  notre  appui. 
Mourant  n'a  rien  laissé  qu'un  éternel  ennui. 

J.WOT. 

Plus  ne  verrez  ici  les  brigades  sacrées, 
Ainsi  qu'elles  souloient,  s'égayer  par  les  prées  ; 
Les  airs  s'attristeront,  les  cliamps  seront  déserts, 
Héritages  des  loups,  des  tigres  et  des  cerfs. 
En  mémoire  de  <juoi  d'iuie  poignante  alêne, 
J'engraverai  ces  vers  dans  l'écorce  d'un  cliéne. 
"  Cbarlot  ce  grand  berger,  le  favori  des  cieux, 
Avant  trop  [)eu  vécu  au  grand  regret  de  France , 
Oppressé  de  la  mort,  abandonna  ces  lieux: 
Pastoureaux  .  regrettez  à  jamais  son  absence.  » 


CLA.UDE  DE  MORENNE.  827 

Mais  sus!  retirons-nous,  je  vois  venir  la  nuit, 
Et  les  astres  brillans ,  que  la  lune  conduit  : 
L'ombre  de  ce  château,  qui  devers  nous  s'allonge, 
INous  dit  que  le  soleil  dedans  les  flots  se  plonge. 
Sus  !  délogeons  d'ici  ;  car  Chariot  n'y  est  plus , 
Pour  défendre  du  loup  nos  escadrons  camus. 

J  ANOT. 

Pauvres  petits  agneaux  qui  paissez  sous  ma  garde. 
Votre  soutien  est  mort  ;  désormais  prenez  garde 
Que  le  loup  affamé,  sortant  à  cette  fin. 
De  votre  tendre  chair  n'assouvisse  sa  faim. 


:>28  BARTHELON  DE  RAYIÈRES. 


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PANTALEON  BARTHELON  DE  RAVIERES. 


Du  \  ERDiER  est  le  seul  de  nos  biographes  qui  ait 
parlé  de  ce  poète ,  et  il  en  dit  fort  peu  de  chose.  Tout 
porte  à  croire  qu'il  ne  jouit  pas  d'une  bien  grande  ré- 
putation de  son  vivant,  et  qu'après  sa  mort  ses  ou- 
vrages furent  à  peu  près  oubliés. 

Pantaléon  Barthelon  naquit  à  Ravières,  en  Bour- 
gogne, et  fut  recteur  du  collège  de  cette  ville. 

Ses  productions  consistent  en  près  de  trois  cents 
distiques,  qu'il  composa  d'abord  en  latin,  et  qu'il 
traduisit  ensuite  en  quatrains  françois.  Quelques  uns  de 
ces  quatrains  sont  assez  remarquables,  ou  par  les  traits 
satiriques  qu'ils  renferment ,  ou  par  le  but  moral  que 
le  poète  s'y  est  proposé. 


QUATRAIN. 

Les  plus  haussés  du  bien  du  crucifix , 
Ce  sont  ceux-là  qui  lui  ont  fait  le  pis  ; 
Comme  Actéon  fut  mangé  par  ses  chiens 
L'Eglise  n'a  ennemis  que  les  siens. 


BARTHELON  DE  RAVIÈRES.  Saq 


QUATRAIN. 

A  la  parfin ,  faudra  venir  au  port  ; 
IViais  ce  sera  quand  n'y  penserons  pas: 
Eien  plus  certain  que  le  dard  de  la  mort; 
Rien  moins  certain  que  l'heure  du  trépas. 


QUATRAIN. 

La  conscience  étant  coupable  d'un  forfait , 
A  toujours  devant  soi  l'horreur  de  son  méfait, 
Et  n'ayant  de  repos  une  seule  étincelle , 
Conduit  et  jour  et  nuit  son  enfer  avec  elle. 


QUATRAIN. 

Qui  sert  les  seigneurs  de  la  terre , 
De  haut  ou  médiocre  office, 
Pour  casser  seulement  un  verre , 
Perdra  vingt  ans  de  bon  service. 


QUATRAIN. 

Quand  tu  naquis  au  monde,  vins  tout  nu 
Et  quelque  bien  que  puisses  amasser , 
Au  départir  te  les  faudra  laisser , 
Et  t'en  aller  comme  tu  es  venu. 


33o  BARTHELON  DE  RATIÈRES. 


QUATRAIN. 

Jamais  on  ne  connoît  (|ue  vaut  le  personnage, 
Qu'après  qu'on  est  privé  du  l)icn  de  sa  présence; 
Quand  Toiselet  est  mort  au  sortir  de  la  cage, 
On  regrette  de  lui  les  chansons  de  plaisance. 


QUATRAIN. 

Qui  le  devoir  de  porteur  veuille  faire. 
N'en  trouverez  un  tout  seul  entre  dix; 
Chacun  sert  Dieu  par  commis  ou  vicaire, 
Et  par  vicaire  ira  en  paradis. 


QUATRAIN  MORAL. 

Nul  n'entretient  sa  charge  au  temps  de  maintenant. 
Et  tel  de  son  devoir  la  connnission  donne 
A  son  vice-gérant,  commis  ou  lieutenant, 
Qui  ira  en  enfer  rendre  compte  en  personne. 


JEAN  DESPLANCHES.  33 1 


<«!»^?«fi«9'Ss^e«e-S8«$«s9e«««»«ft«9^9-«$^'»^'€^&^^®'&9^'®s^&^3-dc«&«(f«9«&«o« 


JEAN   DESPLANCHES. 


Nous  plaçons  ici  le  nom  de  Jean  Desplanches,  im- 
primeur à  Dijon  ,  non  parce  qu'il  étoit  poète  lui-même, 
mais  parce  qu'il  a  publie  un  Recueil  intitulé  Sjnatri- 
sie,  '  alias ,  Recueil  conjiiz,  qui  parut  en  1 5 79,  et  qui 
renferme  quelques  pièces  d'auteurs  inconnus;  c'est  ce 
qui  nous  a  engagé  à  faire  de  ces  poésies  un  article  sé- 
paré ,  sous  le  nom  de  l'éditeur. 

Ce  Recueil  se  compose  de  plusieurs  épigrammes, 
quolibets,  épitaphes  badines  ou  burlesques,  etc.,  le 
tout  tiré  de  divers  écrits.  Desplanches  dit  qu'il  l'avoit 
fait  en  s'amumnt ,  dans  son  imprimeiùe.  Ces  différents 
morceaux  sont  liés  les  uns  aux  autres  par  quelques 
lignes  de  prose. 


DIXAIN. 

d'un  prêtre  qui  fit  une  part  de  son  GATEAU  PLUS 

qu'il  ne  devoit. 

Un  prêtre  fut,  qui  la  veille  des  Rois, 

En  quatre  parts  un  gâteau  découpa; 

Trop  d'une  en  fit,  car  ils  n'étoient  que  trois; 

Dieu,  et  sa  mère,  et  lui,  qui  se  trompa. 

Six  ou  sept  fois  ces  quatre  parts  compta. 

Ah  !  ah  !  dit-il ,  j'ai  trop  fait  d'une  part. 

'  Voyez  l'article  Etienne  Tabouret.  De  La  Mounoie  attribue  à  ce 
poète  la  plus  grande  partie  de  ce  recueil. 


332  JEAN  DESPLANCHES. 

Trois  suffisoient  ;  le  grand  diable  y  ait  part 


Et  puis  pour  Dieu,  pour  sa  mère  et  pour  moi. 
Qui  fut  bien  sot  ?  Ce  fut  frère  Frappart  : 
Car  il  écluit  que  le  diable  fut  roi. 


EPITAPHE. 

Ici  gît  mon  frère  Etienne  ; 
S'il  est  bien  aise  qu'il  s'y  tienne 
Et  ma  sœur  Elizabetb  , 
Si  hene  fecit  j  hahet. 


D'UN   RICHE   CHASSEUR. 

Un  riclie  liomme  a  quarante  chiens 
Qui  ont  de  très-bon  pain  pâture , 
Dont  vivroient  bien  vingt  paroissiens. 
Or  il  parvient  à  sépulture, 
Ses  hoirs ,  qui  de  son  ame  ont  cure  , 
Veulent  que  pauvres  pour  lui  prient. 
Qui  répondirent  par  droiture  : 
Faites  que  les  chiens  pour  lui  crient. 


POUR  CHASSER  LES  SERGENS. 

Pour  faire  enfuir  tous  les  rats, 
Fais  à  un  vif  sa  peau  làciier, 
Puis  courir  tu  le  laisseras  ; 
Lors  tous  les  rats  vont  se  cacher. 


JEAN  DESPLANCHES.  333 

Marc  qui  le  sut  prit  un  boucher, 
Et  pour  soulager  maintes  gens , 
Il  fît  un  sergent  écorcher, 
Pour  faire  enfuir  les  sergens. 


DU   MARI  ET    DE    SA    FEMME, 

TOUS    DEUX    MALICIEUX. 

Puisque  vous  vous  semblez  tous  deux, 

Et  êtes  de  vie  pareille  , 

Mari  plus  qu'autre  vicieux  , 

Femme  en  lUidice  nonpareille, 

En  bonne-foi  !  je  m'émerveille 

Que  vous  ne  vous  accordez  mieux. 


D'UN   GROS   MONSIEUR. 

Monsieur,  voilà  tout  plein  de  gens 
Qui  vous  apportent  des  requêtes , 
Aussi  quatre  sergens  tenans 
Je  ne  sais  quels  papiers  d'enquêtes. 
—  Allez ,  grand  lourdaut  que  vous  êtes  î 
Je  vous  donnerai  sur  la  joue  ; 
Voyez-vous  pas  les  cartes  prêtes? 
Allez  leur  dire  que  je  joue. 


334  JEA.N  DESPLANCHES. 


D'UN  PRÊTRE  BRETON,  BRETONNANT. 

Messtre  Etienne  est  bon  garçon, 
S'il  disoit  à  loisir  sa  messe  ; 
Mais  quand  il  en  fait  la  leçon  , 
Le  premier  mot  fait  au  quart  presse  ; 
Repris  de  ce,  il  le  confesse, 
Et  devant  son  éveque  annonce  : 
Par  mon  serment  !  ce  que  je  laisse, 
Vaut  mieux  que  ce  que  je  prononce. 


DES   CLERCS  D'UN   BON   PERSONNAGE. 

J'ai  des  clers  de  bonne  nature. 
Plus  savans  que  moi  quatre  fois; 
Si  je  veux  dormir  d'aventure 
Une  heure,  ils  veulent  dormir  trois; 
S'il  advient  en  quelques  endroits 
Qu'il  soit  question  de  repaître , 
Ils  boivent  comme  au  jour  des  Rois  : 
Savent-ils  pas  plus  que  leur  maître  ? 


JEAN  DESPLA.NCHES.  335 


D'UN  GENDARME  ET  D'UN  CORDELIER. 

Le  gendarme  blàmoit  un  moine 
Qui  pour  rien  avoit  franche  table; 
Le  moine  lui  dit  pour  exoine  : 
Vous  avez  un  bonheur  semblable  ; 
Reste  que  n'êtes  tant  affable 
Que  moi ,  quand  départez  du  lieu  : 
Car  vous  prenez  de  par  le  diable, 
Et  l'on  me  donne  de  par  Dieu. 


336  RENÉ  BRETONNAYAU. 


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RENE  BRETONNAYAU. 


René  Bretonnayau,  né  à  Vernantes,  en  Anjou, 
étoit  un  fort  habile  médecin  ;  il  exerça  sa  profession  à 
Loches,  en  Touraine,  où  il  passa  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie. 

Ce  poète  s'étoit  d'abord  proposé  de  publier  ses  mé- 
ditations ^  sous  le  titre  à' Esciihipe  francois  ;  mais,  soit 
quil  craignît  que  le  recueil  ne  fut  trop  volumineux, 
ou  qu'il  ne  fût  pas  également  satisfait  de  tout  ce  quil 
avoit  composé,  il  n'en  fit  imprimer  qu'une  paitie 
en  i583. 

La  plupart  des  sujets  contenus  dans  ce  recueil  sont 
relatifs  à  sa  profession  ;  c'est  la  génération  de  llioinme  ; 
la  fabrique  de  Vœil  et  de  son  usage;  de  la  nature  du 
cœur  et  de  ses  affections;  du  foje;  il  y  traite  aussi 
de  plusieurs  maladies,  telles  que  la  frénésie,  la  mé- 
lancolie, le  calcul ,  la  goutte,  etc.  Chacun  de  ces  objets 
est  considéré  sous  trois  points  de  vue  différents,  ana- 
tomie,  physique  et  médecine,  etc.  Dans  son  dernier 
traité ,  qui  a  pour  titre  la  Cosnio.ique  et  illustration  de 
la  face  et  des  mains,  il  donne  aux  femmes  des  préceptes 
pour  conserver  leurs  attraits  ou  pour  les  accroître. 


RENÉ  BRETONNAYAU.  3 87 


LE   SINGE. 

N'est-ce  une  ingratitude  grande, 
Digne  que  la  pareille  on  rende , 
A  quiconque  me  fait  ce  tort, 
D'oser  se  rire  de  ma  mort? 
En  lieu  de  me  pleurer  et  plaindre ,  ' 
Laisser  ma  mémoire  s'éteindre? 
Et  pour  cent  mille  gentils  tours 
Que  pour  toi  j'ai  faits  en  mes  jours, 
Pour  mainte  gaie  singerie , 
Faut-il ,  ingrat ,  que  tu  te  rie 
Des  trépassés  ?  Est-ce  le  deuil 
Que  tu  menés  sur  ce  cercueil , 
Pour  t'avoir  ,  à  force  de  rire  , 
Fait  lâcher  ce  qu'on  n'ose  dire? 
O  ingrat ,  mal  reconnoissant , 
De  maître  Jean,  singe  plaisant; 
Que  la  coqueluche  n'aguiere , 
Fit  passer  des  morts  la  rivière , 
Lorsque  ne  pouvant  respirer, 
Force  lui  fut  l'ame  expirer. 

Maudite  sois-tu,  maladie, 
Qui  ravir  m'as  cuidé  la  vie, 
Et  me  faire  le  compagnon 
De  ce  bel  et  gentil  guenon; 
Et  es  cause  que  n'ai  pu  rendre 
Eucores  à  sa  froide  cendre 
V.  a^ 


338  RENÉ  BRETONNAYAU. 

Le  piteux  et  dernier  devoir 
Que  méritoit  tel  singe  avoir! 
Singe  ,  je  dis  ,  quant  à  l'espèce  ; 
Mais  presque  homme  quant  à  l'adresse 
Voire  qu'on  rcut  pris  ])ieu  souvent 
Pour  quelque  docteur  bien  savant, 
Ou  pour  quelque  sage  personne, 
Tant  il  avoit  la  trogne  bonne , 
Avec  un  acoutrement  long. 
Une  cornette  ,  un  bonnet  rond  ! 
De  sa  ])ate  en  l'air  étalée  , 
Ce  qu'on  jettoit  à  la  volée. 
Triant ,  recevoit  et  baussé , 
Comme  jouant  au  pot  cassé, 
Comme  qui  joue  à  la  pelotte , 
Il  grippe,  rompt,  brise,  marmotte: 
Il  épluche ,  prend  le  meilleur  : 
Et  plus  léger  qu'un  bateleur, 
Qui  d'une  liardiesse  folle. 
En  l'air,  dessus  la  corde  voile, 
H  fait  de  sa  chaîne  à  l'entour. 
Souplement  maint  tour  et  retour , 
Et  d'un  maniment  qui  ne  cesse , 
De  mainte  gaillarde  souplesse. 
Si  un  coup  s'étoit  apperçu 
Qu'il  étoit  par  quelqu'un  déçu, 
Ou  bien  avoir  pris  l'un  pour  l'autre, 
Oh  !  Dieu  sait  quelle  patenotre  , 
Grinçant  entre  ses  dents,  disoit. 
Grondant,  quelle  mine  il  faisoit: 


RENÉ  BRETONiSAYAL.  SSq 

Réservant  à  son  avantage 
A  faire  le  moqueur  plus  sage , 
Et  lui  apprendre  une  autre  fois 
]Ve  prendre  plus  singes  aux  noix. 
Maître  Jean  avoit  le  corsage 
Si  dispos  ,  si  vite  ,  et  volage , 
Qu'en  moins  d'un  rien,  tout  d'un  plein  saut, 
Des  arbres  grimpoit  au  plus  haut , 
Etant  dépêtré  de  sa  chaîne  ; 
Ainsi  qu'on  voit  de  chêne  en  chêne , 
Et  de  branche  en  branche  ,  léger, 
L'écureuil  bondir,  voltiger; 
Et  l'arbre  étant  de  fruit  chargée. 
Se  sentoit  soudain  soulagée. 
Quoique  bête,  usant  de  raison, 
Ceux  qui  venoient  à  la  maison, 
Maître  Jean  savoit  bien  connoître 
S'ils  étoient  amis  de  son  maître  : 
De  l'ami  alloit  au-devant, 
Sautant,  l'embrassant,  le  suivant. 
Et  d'une  voix  grêle  et  menue. 
Il  saluoit  sa  bien-venue. 
Mais  ceux  qui  ne  rendoient  l'honneur 
Qu'on  doit  porter  à  son  seigneur, 
On  devinoit  à  sa  grimace. 
Qu'il  les  mettoit  hors  de  sa  grâce. 
Car  grumelant  et  rechignant , 
Son  derrière  il  alloit  tournant. 
Quel  plaisir  c'étoit  voir  ce  singe 
Affublé  et  coëffé  d'un  linse. 


34o  RENÉ  BRETONNAYAU. 

La  chambrière  coiitre-faisant, 
A  qui  l'amour  ou  va  faisant , 
Et  qui  d'une  folâtre  ruse 
Veut  qu'on  le  prenne,  et  le  refuse! 
Maître  Jean  n'étoit  mal  faisant  : 
Vieilles  et  laides  haïssant. 
Ne  caressoit  que  les  plus  belles. 
Maître  Jean  avoit  des  querelles 
Aux  petits  enfans  d'alentour, 
Qui  toujours  quelque  mauvais  tour 
Tâchoient  lui  faire,  et  le  surprendre  : 
Mais  bien  il  le  leur  savoit  rendre , 
Les  égratignant  ou  mordant, 
Ou  de  la  griffe  ou  de  la  dent, 
Ne  pouvant  son  noble  courage 
P'aire,  ni  endurer  outrage. 
Maître  Jean  fdoit  au  rouet, 
Maître  Jean  aux  tables  jouoit, 
Aux  échets ,  aux  dames  ;  de  sorte 
Que  toujours  sa  part  étoit  forte. 
Maître  Jean  dansoit  et  balloit, 
Toujours  à  la  cadence  alloit  : 
Le  singe  maître  Jean ,  en  somme , 
Faisoit  ce  que  peut  faire  un  homme. 
Le  visage  avoit  rondelet , 
Le  sourcil  courbe  en  arcelet, 
Qui  de  l'une  et  l'autre  paupière 
Ombrageoit  des  yeux  la  lumière. 
Ses  yeux ,  comme  à  l'homme  tournés  ; 
Camuset  il  avoit  le  nez , 


RENÉ  BRETONNAYAU.  34 1 

L'oreille  courte  et  rondelette , 

La  dent  d'y  voire  blanche  et  nette, 

Qu'il  montroit,  riant,  rechignant, 

Caressant ,  ou  bien  dédaignant , 

Les  faisant  craquer  dans  sa  bouche. 

Comme  un  clavier  d'orgues  qu'on  touche: 

Et  si  d'un  rasoir  affilé 

A  maître  Jean  on  eut  taillé 

Le  fil  qu'il  avoit  sous  la  langue , 

Il  nous  eût  fait  mainte  harangue  ; 

Car,  faisant  ses  lèvres  trembler, 

Montroit  qu'il  eût  voulu  parler  : 

Mais  on  l'entendoit  à  ses  mines , 

Au  remuement  de  ses  babines. 

Quand  par  aventure  il  trouvoit 

Plume  et  papier,  il  écrivoit  ; 

Se  morguant  pour  sa  lettre  lire , 

Qui  lors  se  fiit  gardé  de  rire  ? 

Ore  est-il  mort  coqueluche , 

Dont  chacun  pleure  tout  fâché. 

Que  par  moi  n'est-elle  chantée 
Ta  louange  qu'as  méritée!  *" 

Je  rendrois  ton  los  immortel , 
Si  les  cieux  m'avoient  formé  tel 
Que  celui  qui  chanta  la  gloire. 
Pour  une  éternelle  mémoire, 
De  Belaut  et  de  Peloton, 
Tous  deux  faits  hôtes  de  Pluton. 
Cependant  es  lieux  bas  et  sombres , 
Va  t'enroler  entre  les  ombres 


)4?.  RENÉ  BRETONNAYAU. 

Des  bétes  ;  copcndaiit  couvert 
Soit  ci  ton  corps  d'un  gazon  vert, 
Un  exemple  à  toute  ta  race , 
Qu'il  n'y  a  moue  ni  grimace , 
Gambade  ,  souplesse  ,  ni  saut , 
Qui  le  sauve,  quand  mourir  faut! 


PHILIPPE  DESPORTES.  3A3 


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PHILIPPE  DESPORTES. 


La  plupart  des  savants  qui  avaient  brillé  à  la  cour 
de  François  i"  n'existaient  déjà  plus  5  la  langue  Fran- 
çoise ,  devenue  plus  polie ,  avoit  gagné  en  douceur  ce 
qu'elle  avoit  perdu  en  naïveté;  le  goût  s'étoit  formé ,  et 
la  réputation  brillante  des  Ronsard ,  des  du  Bar  tas,  etc. , 
commencoit  à  s'éclipser,  lorsque  parut  Philippe  Des- 
portes, qui  fut  surnommé  le  TibuUe françois. 

Ce  poète  naquit  à  Chartres  en  i34*3;  il  vint  à  Paris, 
et  s'attacha  à  un  évéque  à  la  suite  duquel  il  fit  un 
voyage  en  Italie.  Pendant  son  séjour  à  Rome  il  prit 
une  connoissance  parfaite  de  la  langue  italienne.  Ce 
ne  fut  qu'après  son  retour  en  France  qu'il  se  livra  à  la 
poésie  françoise.  Ses  premiers  essais  lui  valurent  un 
grand  nombre  de  puissants  protecteurs  ;  nrais  il  s'atta- 
cha particulièrement  au  duc  d'Anjou ,  qu'il  suivit  en 
Pologne  en  iSyS,  lorsque  ce  prince  y  alla  prendre 
possession  du  trône  où  il  venoit  d'être  appelé.  Desportes 
y  resta  neuf  mois,  comme  il  nous  l'apprend  dans  sa 
pièce  intitulée  Adieu  a  la  Pologne. 

Neuf  mois  entiers  pour  complaire  à  mon  maistre 

Le  grand  Henry 

Pour  ce  désert  j'ay  la  France  laissée,  etc. 

Peu  de  poètes  ont  été  payés  aussi  généreusement 
de  leurs  vers. 

Lorsqu'en  i^yi,  le  duc  d'Anjou  eut  succédé  à 
Charles  ix,  sous  le  nom  de  Henii  m,  il  combla  Des- 


344  PHILIPPE  DESPORTES, 

portes  de  ses  bienfaits,  et  lui  donna,  en  iSSa,  l'ab- 
baye de  Tiron ,  au  diocèse  de  Chartres;  en  i $89 ,  celle 
de  Josaphat,  au  même  diocèse,  et  enfin  celle  de  Bon- 
port  ,  ordre  de  Cîteaux ,  diocèse  d'Evreux.  Desportes 
joignit  à  ces  bénéfices  le  titre  de  lecteur  de  la  chambre 
du  roi,  et  celui  de  conseiller  d'état.  Outre  le  revenu 
de  ses  bénéfices,  qui  selevoit  à  dix  mille  écus,  il  avoit 
reçu  de  Charles  ix  huit  cents  écus  d'or  pour  sa  pièce 
intitulée  la  Mort  de  Rodomont  ;  et  Henri  m  lui  en 
fit  compter  dix  mille  cinq  cents  pour  le  mettre  en  état 
de  publier  ses  ouvrages.  Il  eut  encore  une  grande  part 
aux  libéralités  du  duc  de  Joyeuse,  qui  lui  fit  donner 
une  abbaye  pour  un  sonnet.  Desportes  sut  faire  un 
noble  usage  de  sa  fortune;  il  étoit  le  protecteur  et 
l'ami  des  t{ens   de   lettres.  Non   content  de  secourir 
ceux  qui  se  trouvoient  dans  le  besoin ,  il  forma  une 
riche  bibliothèque  qu'il  laissoit  à  leur  disposition. 

Sa  faveur  et  sa  fortune  lui  suscitèrent  un  grand 
nombre  d'ennemis,  qui,  jaloux  de  son  mérite,  cher- 
chèrent à  le  rabaisser.  Dans  un  livre  \niv\w\è  Rencontre 
des  Muses  de  France  et  d'Italie,  on  lui  reprocha  d'avoir 
pris  des  poètes  italiens  le  tour  délicat  et  fleuri  qu'on 
remarquoit  dans  son  style,  le  brillant  de  ses  figures, 
la  vivacité  de  ses  descriptions  ;  mais ,  loin  de  se  fâcher , 
Desportes,  avec  autant  d'esprit  que  de  modestie,  dit 
de  l'auteur  de  ce  livre  :  "  Que  ne  m'a-t-il  consulté  !  je  lui 
«  aurois  fourni  des  mémoires  plus  amples,  qui  auroient 
«  bien  grossi  la  liste  de  mes  plagiats.  » 

Desporles  se  retira,  après  la  mort  de  Henri  m, 
arrivée  en  iSSp,  à  son  abbaye  de  Bonport,  eu  Nor- 
mandie ;  son  attachement  pour  l'amiral  de  Villars ,  qui 
étoit  alors  gouverneur  de  Rouen ,  lui  fit  embrasser  le 


PHILIPPE  DESPORTES.  345 

parti  de  la  Ligue.  On  n'a  pas  manqué  de  lui  en  faire  un 
crime  dans  la  Satyre  Ménippée;  ses  bénéfices  furent 
saisis;  mais  il  répara  ses  torts  en  travaillant  de  tout 
son  pouvoir  à  faire  rentrer  la  Normandie  sous  l'obéis- 
sance de  Henri  iv,  et  le  prince  lui  accorda  son  amitié. 
Il  passa  les  dernières  années  de  sa  vie  à  composer  des 
poésies  religieuses  ;  il  fit  une  traduction  des  Psaumes. 
Enfin  il  mourut  dans  son  abbaye  de  Bonport,  le  5 
octobre  1606,  âgé  de  soixante-un  ans. 

Ses  Œuvres  furent  imprimées ,  pour  la  première 
fois,  en  iSyS,  à  Paris,  i>z-4°,  par  le  célèbre  Robert 
Etienne.  Ce  recueil  contient,  1°.  les  Amours  de  Diane , 
en  deux  Livres;  2°.  les  Amours  (THippoljte;  3°.  Cléo- 
nice ,  dernières  amours  de  Philippes  Desportes  ;  ^°.  deux 
Livres  d élégies  erotiques  ;  5".  des  imitations  de  VArioste^ 
Roland  Jiirieux ,  au  roi  Charles  ix;  6°.  les  diverses 
Am.ours  et  autres  Œuvres  meslées. 

Philippe  Desportes  contribua  beaucoup ,  par  ses 
ouvrages,  au  progrès  et  à  la  pureté  de  notre  langue. 
Boileau  lui  rend  justice ,  et  dit  qu'il  débarrassa  notre 
poésie  du  pédantisme  dont  Ronsard  l'avoit  surchargée  : 

Ce  poète  orgueilleux ,  trébuché  de  si  haut , 
Rendit  plus  retenus  Desportes  et  Bertaut. 

Voici  le  jugement  de  La  Harpe  sur  notre  poète  : 
«  Desportes  écrivoit  plus  purement  que  Ronsard  et  ses 
«  imitateurs.  11  effaça  la  rouille  imprimée  à  notre  ver- 
«  sification  ,  et  la  tira  du  chaos  où  on  l'avoit  plongée. 
«  n  évita  avec  assez  de  soin  l'enjambement  et  l'hiatus  ; 
«  mais,  foible  d'idées  et  de  style,  il  n'a  pu,  dans  l'âge 
«  suivant ,  garder  de  rang  sur  le  Parnasse.  11  imita  Ma- 
«  rot  dans  ses  poésies  amoureuses,  et  resta  fort  infe- 


346  PHILIPPE  DESPORTES. 

■<  rieur  à  lui.  Il  devança  Malherbe  dans  ses  stances, 
'  qu'on  ne  peut  pas  encore  appeler  des  odes,  quoique 
«  la  tournure  en  soit  assez  douce  et  facile ,  et  Malherbe 
■  le  fit  oublier.  » 


SONNET. 

Amour,  trie  et  choisis  les  plus  beaux  de  ces  vers, 
Et  raye  à  ton  plaisir  ceux  de  moindre  mérite  : 
Qu'à  ce  fâcheux  labeur  ta  louange  t'excite; 
C'est  dessous  ton  beau  nom  qu'ils  vont  par  l'univers. 

Ils  sont  nés  de  ta  flame ,  et  des  tourmens  divers 
Dont  tu  me  fis  présent  quand  je  vins  à  ta  suite  : 
Ma  prise  et  ta  victoire,  au  vrai  s'y  voit  déduite; 
C'est  le  papier  journal  des  maux  cjue  j'ai  soufferts. 

Ceux  qui  ne  t'ont  connu,  sinon  par  ouï  dire, 
Ne  doivent,  ciuieux,  s'arrêter  à  les  lire  : 
Aux  seuls  vrais  amoureux  ce  livre  est  réservé. 

Les  autres  ne  croiroient  tant  d'étranges  alarmes  : 
Las  !  si  n'ai-je  rien  dit  que  je  n'aie  éprouvé , 
Et  chacun  de  ces  vers  me  coûte  mille  larmes. 


PHILIPPE  DESPORTES.  347 


ELEGIE. 

En  la  saison  première,  alors  que,  plus  heureux, 
Les  hommes  nouveaux-nés  n'avoient  pas  même  entr'eux 
Reçu  le  nom  de  vice,  ains  guidés  d'innocence, 
Faisoient  bien  par  nature,  et  non  par  connoissance  : 
Amour,  puissant  démon,  qui  le  premier  des  dieux, 
Avoit  franchi  le  sein  du  chaos  ocieux , 
Ayant  mis  fin  partout  au  trouble  et  à  la  guerre , 
Amoureux  des  humains ,  vint  demeurer  sur  terre. 
Bien  qu'il  fût  immortel,  il  ne  les  dédaignoit. 
Mais  de  jour  et  de  nuit  il  les  accompagnoit  ; 
Il  logeoit  dans  leurs  cœurs ,  il  échauffoit  leurs  âmes; 
Et  sous  le  doux  effort  de  ses  poignantes  flammes, 
Chacun  pour  s'alléger,  sa  moitié  choisissoit. 
Ne  cessant  leur  amour,  quand  ce  désir  cessoit. 
Lors  tous  vivoientcontens;  l'amante  étoit  sans  crainte 
Que  sous  un  beau  semblant  logeât  une  ame  feinte , 
Qu'on  apprît  aux  soupirs  quand  ils  dévoient  sortir. 
Et  que  même  les  pleurs  fussent  duits  à  mentir; 
La  bouche  étoit  du  cœur  assuré  témoignage  ; 
On  ne  s'amusoit  point  à  farder  son  langage , 
Ses  yeux,  sa  contenance,  ains,  sans  dissimuler, 
Qui  plus  avoit  d'amour,  mieux  en  savoit  parler. 
La  beauté ,  la  douceur ,  le  mérite  et  l'adresse 
Etoient  les  seuls  efforts  pour  vaincre  une  maîtresse , 
Simple  et  sans  artifice ,  et  qui  ne  savoit  pas 
User,  selon  le  temps,  de  rigueur  ou  d'appas. 


348  PHILIPPE  DESPORTES. 

Façonner  un  souris ,  composer  ses  œillades , 
Pour  rendre,  en  se  jouant,  les  jeunes  cœurs  malades: 
Mais  qui  plus  est  encor ,  l'or  n'avoit  aucun  prix, 
Rubis ,  perles ,  carcans ,  ne  touchoient  les  esprits 
De  la  moindre  bergère ,  ains  on  prisoit  sans  cesse 
La  naïve  amitié  sur  toute  autre  richesse. 
Mais ,  quand  naquit  le  vice ,  et  qu'on  sçut  finement 
Au  poids  de  la  richesse  estimer  un  amant , 
Qu'on  pût  de  cent  façons  couvrir  sa  fantaisie, 
Et  du  beau  nom  d'honneur  masquer  l'hypocrisie , 
Amour,  surpris  alors  de  voir  si-tôt  changer 
Un  peuple  qu'il  croyoit  aux  vices  étranger , 
Détestant  leur  malice ,  ainsi  se  prit  à  dire  : 
Il  faut,  il  faut,  dit-il,  qu'ailleurs  je  me  retire; 
Ce  peuple  est  misérable,  et  ne  connoît  combien 
Il  a,  par  ma  faveur,  reçu  d'aise  et  de  bien. 

L'effet  fut  aussi  prompt  que  la  voix  prononcée  : 
Car  d'une  aile  à  plein  vol  par  le  vague  élancée, 
Il  se  perd  dans  la  nue,  où,  soutenu  de  l'air. 
Pour  dire  ces  propos  il  cessa  de  voler  : 

Tu  t'en  repentiras,  race  ingrate  et  chétive, 
En  regrettant  trop  tard  le  bien  dont  tu  te  prive  ; 
Car  comme  tous  ensemble  avez  fait  le  péché. 
Sur  tous  de  ma  fureur  le  trait  sera  lâché. 
Vous  hommes  les  premiers,  qui  n'avez  voulu  suivre 
Le  doux  train  des  plaisirs  oii  je  vous  faisois  vivre , 
Qui  vous  êtes  lassés  de  la  simplicité , 
Qui  pensez  par  le  change  acquérir  liberté , 
Pour  les  simples  beautés  qu'avez  tant  méprisées, 
Vous  aurez  désormais  des  maîtresses  rusées , 


PHILIPPE  DESPORTES.  349 

Au  cœur  dissimulé ,  sans  foi ,  sans  amitié , 
A  qui  le  mieux  aimant  fera  moins  de  pitié  , 
Et  dont  tout  Tartifice  et  la  plus  belle  gloire 
Sera  de  vous  surprendre,  et  vous  en  faire  accroire. 
Leurs  regards,  leurs  souris,  leurs  gestes ,  leurs  propos 
Seront  tous  façonnés  contre  votre  repos , 
Ore  vous  retournant ,  si  l'espoir  vous  emporte , 
Ore  vous  donnant  cœur,  si  la  crainte  est  trop  forte  ; 
Puis  de  nouveaux  souris  vos  esprits  martellant , 
Et  toujours  aux  froideurs  la  flamme  entremêlant, 
L'absynthe  avec  le  miel ,  la  joie  à  la  tristesse  , 
Et  parmi  les  attraits  ,  une  grande  rudesse , 
Afin  que  votre  esprit ,  par  la  diversité  , 
Confus  et  chancelant  soit  toujours  agité. 

Combien,  lors  forcenés,  aurez-vous  de  martyre? 
Combien  de  foux  propos  alors  saurez-vous  dire  ? 
Combien  de  juremens  de  ne  les  plus  revoir, 
Qui  n'auront  toutefois  une  heure  de  pouvoir? 
Car  il  ne  faudra  rien  qu'une  larme  contrainte , 
Un  regard  complaisant,  une  parole  feinte, 
Pour  plus  fort  vous  reprendre,  et  croirez  fermement 
Ce  que  vous  aurez  vu  n'être  qu'enchantement  : 
Lors  pour  plus  me  venger,  je  changerai  mes  flèches, 
Mon  carquois  et  mon  arc,  et  ferai  mille  brèches 
Diverses  en  vos  cœurs ,  et  non  comme  autrefois , 
Quand  vous  reconnoissiez  mon  empire  et  mes  loix. 

Cestuy  celle  aimera  qui  ne  sera  point  belle , 
Et  l'autre  celle-là  qui  fera  la  rebelle 
Sous  la  feinte  d'honneur ,  et  qui  ne  craindra  pas 
D'en  tenir  chaque  nuit  un  autre  entre  ses  bras, 


35o  PHILIPPE  DESPORTES. 

Tandis  que  le  cliétif,  dans  son  aine  piquée, 

Adorera  Lamie  en  Lucrèce  masquée. 

L'autre,  à  bon  droit  craintif,  l'inconstance  doutant, 

Bien  que  favorisé ,  ne  sera  pas  content  : 

L'autre  sera  prodigue,  afin  qu'on  le  guerdonne, 

Et  ne  connoîtra  pas  que  celui  cpii  plus  donne 

En  doit  avoir  le  moins,  afin  qu'en  espérant 

De  parvenir  au  but,  on  ait  le  demeurant. 

Et  vous,  dames ,  et  vous  qui  n'avez  tenu  compte 
De  la  force  d'un  dieu  qui  tous  les  dieux  surmonte , 
C'est  à  vous  que  j'en  veux,  pour  vous  faire  sentir 
Si  de  se  prendre  à  moi  l'on  se  doit  repentir; 
C'est  à  vous  que  j'en  veux ,  qui  avez  préférée 
A  la  sainte  amitié  la  richesse  dorée. 
Le  vice  à  la  vertu ,  l'ignorance  au  sçavoir, 
Et  l'orde  convoitise  au  fidelle  devoir. 
Et  n'avez  estimé  être  chose  vilaine 
Du  revenu  du  lit  accroître  son  domaine. 
Vous  ne  jouirez  plus  du  doux  contentement 
Qui  provient  de  l'amour  qu'on  sent  également. 
Vous  aimerez  les  grands  à  cause  des  richesses , 
Et  les  grands  comme  vous  sauront  mille  finesses 
Pour  vous  amadouer  :  car  en  tous  leurs  discours 
De  constance  et  de  foi  vous  parleront  toujours, 
Pour  parvenir  au  but  où  l'amoureux  aspire , 
Puis  lem-  désir  fini,  ne  s'en  feront  que  rire. 

Tout  ainsi  que  l'on  voit  le  chasseur  qui  poursuit, 
Ardent,  impatient,  le  lièvre  qui  s'enfuit, 
Ore  sur  la  montagne ,  ore  à  travers  la  plaine , 
Et  pour  bien  peu  de  chose ,  il  prend  beaucoup  de  peine  ; 


PHILIPPE  DESPORTES.  35 1 

Car  la  chasse  lui  plaît ,  et  le  plaisir  qu'il  prend , 
Mille  et  mille  fois  plus  que  ce  qu'il  en  attend  : 
Ainsi  ferons  les  grands  en  l'amoureuse  chasse, 
Qu'ils  n'épargneront  rien  pour  gagner  votre  grâce, 
Ni  travaux  ni  sermens  ;  puis,  dès  qu'ils  vous  tiendront, 
A  quelqu'autre  beauté  leurs  filets  ils  tendront  ; 
Et  vous,  sans  vraie  amour,  aurez  lame  embrasée, 
Voyant  votre  beauté  si  soudain  méprisée. 

Amsi  crioit  Amour,  qui  son  aîle  étendit. 
Puis  d'un  vol  redoublé  dans  les  cieux  se  perdit; 
Et  pour  notre  malheur  sa  menace  effroyable, 
D'âge  en  âge  depuis  apparut  véritable. 

Vous  le  savez,  madame;  hélas!  vous  le  savez, 
Et  de  sa  prophétie  expérience  avez  : 
Car  vous  avez  été  de  la  grandeur  éprise. 
Et  vous  avez  des  grands  éprouvé  la  feintise  ; 
Mais  vous  devez  cesser  de  vous  en  tourmenter, 
Encor  que  vous  voyez  autre  vous  supplanter; 
Car  le  même  destin  que  le  votre  s'apprête 
Pour  celle  qui  si  haut  fait  sonner  sa  conquête. 


EPITAPHE 

DE    TIMOLÉOX    DE    COSSÉ ,    C03ITE    DE    BRISSAC. 

Brissac  étoit  sans  peur,  jeune  ,  vaillant  et  fort; 
Il  est  mort  toutes  fois  :  passant ,  ne  t'en  étonne , 
Car  Mars,  le  dieu  guerrier,  pour  montrer  son  effort, 
Se  prend  aux  plus  vaillans ,  et  aux  lâches  pardonne. 


352  PHILIPPE  DESPORTES. 


SONNET.  • 

Icare  cliiit  ici,  le  jeune  audacieux, 
Qui  pour  voler  au  ciel  eut  assez  de  courage  ! 
Ici  tomba  son  corps  dégarni  de  plumage , 
Laissant  tous  braves  cœurs  de  sa  chute  envieux. 

O  bienheureux  travail  d'un  esprit  glorieux , 
Qui  tire  un  si  grand  gain  d'un  si  petit  dommage  ! 
O  bienheureux  malheur ,  plein  de  tant  d'avantage , 
Qu'il  rende  le  vaincu  des  ans  victorieux  ! 

Un  chemin  si  nouveau  n'étonna  sa  jeunesse , 
Le  pouvoir  lui  faillit ,  mais  non  la  hardiesse  ; 
Il  eut,  pour  le  brûler,  des  astres  le  plus  beau. 

Il  mourut  poursuivant  une  haute  aventure , 
Le  ciel  fut  son  désir,  la  mer  sa  sépulture. 
Est-il  plus  beau  dessein,  ou  plus  riche  tombeau? 


DISCOURS. 

Si  l'Amour  est  un  dieu,  c'est  un  dieu  d'injustice, 
Reconnoissant  le  moins  ceux  qui  lui  font  service , 
Un  aveugle  en  nos  maux,  un  enfant  inconstant, 
Au  jouet  du  hasard  ses  faveurs  départant. 
Vous  qui  de  ses  rigueurs  n'avez  la  connoissance , 
Ne  vous  esclavez  point,  faites-lui  résistance; 

'  C'est  un  des  ouvrages  de  Desportes  qui  eurent  le  plus  de  suc- 
cès. U  est  imité  du  poète  Sannazar. 


PHILIPPE  DESPORTES.  353 

Les  plus  loyaux  amans  sont  moins  récompensés  ; 
Mon  mal,  peint  en  ces  vers,  le  fait  connoître  assez. 

Cet  enfant  invaincu,  dieu  de  sang  et  de  flame, 
Un  jour,  pour  mon  malheur,  me  fit  voir  une  dame 
Qui  de  ses  chauds  regards  tout  le  ciel  allumoit, 
Et  les  petits  amours  comme  roses  semoit. 
Si-tôt  que  je  la  vis,  mon  ame  fut  émue, 
Et  l'Amour  aussitôt  flamboyant  en  sa  vue, 
Comme  un  éclair  subtil ,  par  un  verre  élancé , 
Passa  dedans  mon  cœur ,  quil  n'a  jamais  laissé. 

Mais  pour  premier  malheur  de  ma  triste  aventure, 
Un  mari  défiant,  de  jalouse  nature  , 
Comme  un  dragon  veillant,  de  la  voir  m'empêchoit , 
Et  son  riche  trésor  avarement  cachoit. 
Tout  ce  qu'on  dit  d'Argus,  de  lui  se  peut  bien  dire  : 
Jamais  le  doux  sommeil,  quand  Phœbus  se  retire, 
Ne  lui  ferme  les  yeux,  il  veille  incessamment, 
Ou  s'il  dort,  il  l'entend  et  la  volt  en  dormant: 
Et  quand  un  papillon  vole  autour  de  la  belle, 
Il  crie ,  et  veut  savoir  s'il  est  maie  ou  femelle. 

De  ce  maudit  jaloux  mon  mal  est  procédé; 
Car,  depuis,  la  trouvant,  cent  fois  j'ai  retardé, 
Trop  discret  pour  mon  bien,  de  lui  faire  ma  plainte, 
Et  tandis  mon  désir  croissoit  par  la  (  ontrainte , 
Ainsi  que  le  brasier  par  la  cendre  caché. 
Ou  comme  un  grand  ruisseau  par  la  digue  empêché. 
Mais  plus  que  mon  malheur,  je  plaignois  le  servage 
De  la  jeune  beauté,  reine  de  mon  courage, 
Qui  sous  un  joug  si  dur  foiblement  languissoil, 
Et  sans  aucun  plaisir  sa  jeunesse  passoit. 

V.  2.3 


354  PHILIPPE  DESPORTES. 

Souvent  de  ce  regret  ayant  l'ame  blessée, 
A  part  contre  le  ciel  j'ai  ma  plainte  dressée, 
De  ce  qu'il  nssembloit  sans  ordre  et  sans  raison 
Avec  un  froid  hy  ver  cette  belle  saison  ; 
Et  bien  souvent  aussi,  plein  d'amoureuse  rage, 
Comme  s'il  fût  présent,  j'usois  de  ce  langage. 

O  mari  trop  cruel ,  pour  si  douce  beauté  ! 
Que  penses-tu  gagner,  gênant  sa  liberté  ? 
Ton  extrême  rigueur,  son  vouloir  ne  retarde. 
Si  tu  gardes  le  corps,  l'ame  est  liors  de  ta  garde; 
Tu  rends  par  tant  de  soins  l'amant  plus  enflammé: 
Un  plaisir  trop  permis  n'est  jamais  bien  aimé. 
Celle  pêche  le  moins,  qui  a  plus  de  licence. 
Et  ce  qui  déplaisoit  est  cher  par  la  défense. 
Argus  avoit  cent  yeux.  Amour  les  enchanta, 
Et  le  palais  d'airain  Jupiter  n'arrêta. 

De  mille  autres  propos  j'accusois  sa  rudesse , 
M'efforçant  quelquefois  de  lui  faire  caresse  ; 
Et  pour  mieux  déguiser  le  mal  qui  me  tenoit. 
Je  détournois  les  yeux  quand  sa  femme  venoit. 
Las!  qu'un  nuage  épais  couvre  l'esprit  de  l'homme! 
Tandis  qu'en  ces  desseins  mon  esprit  se  consomme, 
Et  que  je  perds  le  temps ,  cet  archer  rigoureux 
Voulut  qu'un  jeune  prince  en  devint  amoureux; 
Qui  sans  tant  de  respects  découvrit  sa  pensée, 
Rendant  de  sa  beauté  ma  maîtresse  blessée. 
Elle,  qui  paravant  n'osoit  lever  les  yeux. 
Se  moque  maintenant  du  soin  trop  curieux 
De  son  mari  jnloux:  elle  est  toute  de  flamme. 
Et  rien  plus  que  l'Amour  ne  commande  en  son  ame. 


PHILIPPE  DESPORTES.  355 

Ah  !  prince  bienheureux ,  roi  de  sa  volonté  , 
Que  je  porte  d'envie  à  ta  féhcité! 
]Non  pour  être  sorti  d'un  si  fameux  hgnage , 
Non  pour  tant  de  beaux  traits  qu'on  voit  sur  ton  visage 
Non  pour  être  en  cent  heux  justement  renommé, 
Non  pour  tant  de  lauriers  dont  ton  front  est  semé , 
Non  pour  mille  vertus  honorant  ta  jeunesse, 
Mais  pour  être  adoré  de  ma  seule  déesse  : 
Voilà  ton  plus  grand  heur,  dont  je  suis  envieux  , 
Tu  as  joui  d'un  bien  qui  n'appartient  qu'aux  dieux. 
Or,  durant  cette  flamme  à  mon  bien  si  contraire, 
Oncques  de  mes  liens  je  ne  me  pus  défaire  : 
A  l'envi  du  malheur,  ma  constance  augmenta, 
Et  jamais  le  dépit  si  fort  ne  m'irrita , 
Que  je  pusse  blâmer  l'amour  de  cette  belle. 
Qui ,  si  douce  à  autrui ,  m'étoit  toujours  cruelle. 
De  son  nouveau  désir  j'accusai  mon  malheur, 
Et,  sans  m'en  offenser,  je  lui  laissai  mon  cœur. 
Prêt  à  tout  endurer ,  même  s'il  se  peut  dire , 
Pensant  à  son  plaisir,  j'allégeois  mon  martyre. 
Et  l'œil  devers  le  ciel ,  je  priois  bassement 
Qu'un  couple  si  parfait  s'entr'aimât  longuement, 
Haïssant  de  grand  cœur  ceux  qui,  brûlés  d'envie, 
Troubloient  l'heureux  repos  dune  si  douce  vie. 

Ainsi,  ferme  toujours,  j'aimois  sans  être  aimé, 
Et  comme  si  mon  cœur  au  sien  fût  transformé, 
J'avois  part  à  son  bien,  sa  liesse  étoit  mienne. 
Oubliant  ma  douleur,  pour  soupirer  la  sienne. 

Qui  diroit  le  regret  que  mon  cœur  supporta, 
Quand  ce  prince,  à  la  fin,  de  ses  yeux  s'absenta , 


356  PHILIPPE  DESPORTES. 

Emportant  quand  et  soi  son  anie  et  sa  puissance , 
Et  ne  lui  laissant  rien  que  l'ennui  de  l'absence? 
Il  falloit  que  son  cœur  fût  en  roche  endurci, 
De  pouvoir,  trop  cruel,  Tabandonner  ainsi, 
Voir  pleurer  ses  beaux  yeux  pour  forcer  sa  demeure: 
Pour  moi,  sans, la  laisser,  je  fusse  mort  à  l'heure. 
Hélas!  combien,  depuis  ce  rigoureux  départ. 
Dédaignant  tous  plaisirs,  1  ai-je  vue  à  l'écart, 
Soupirer  tendrement,  pensive  et  solitaire. 
Montrant  que  sans  le  voir  rien  ne  pouvoit  lui  plaire? 

Comme  un  que  le  soleil  dans  un  bois  a  laissé , 
Ne  peut  plus  remarquer  l'endroit  qu'il  a  passé  ; 
Une  effroyable  horreur  couvre  l'herbe  fleurie, 
Et  ce  qui  lui  plaisoit  lui  donne  fâcherie. 
Ainsi ,  se  voyant  loin  du  soleil  de  ses  yeux, 
La  cour  ne  lui  est  plus  qu'un  désert  ennuyeux; 
Tout  objet  lui  déplaît;  sa  parole  forcée, 
Montre  à  qui  l'entretient,  qu'ailleurs  est  sa  pensée. 
O  cœur  rempli  d'amour,  de  constance  et  de  foi. 
Tu  méritois  trouver  un  amant  tel  que  toi! 
Que  de  vraie  amitié  ton  amour  eût  acquise, 
Si  en  autre  qu'un  grand  ta  fortune  l'eût  mise  ! 

Mais,  tandis  qu'en  regrets  tu  te  vas  consumant. 
Maudissant  la  rigueur  d'un  triste  éloignement. 
Celui  qui  tient  la  clef  de  ton  ame  enchaînée, 
Ne  songe  plus  à  toi,  t'ayant  abandonnée  ; 
Un  autre  affection  règne  en  sa  volonté , 
Foible  jouet  du  vent,  de-çà ,  de-là  porté. 
Et  puis  aimez  les  grands  ,  croyez  à  leur  langage  ! 
La  bise  en  arrivant  n'abat  tant  de  feuillage , 


PHILIPPE  DESPORTES.  3j7 

Et  n'émeut  sur  la  mer  tant  de  flots  écumans , 
Comme  ils  font  et  refont  de  divers  chansemens. 

Malheur  affreux  !  Faut-il  que  madame  Tendure  ? 
Je  pleure  maintenant  sa  piteuse  aventure, 
Et  vais  blâmant  le  ciel  d'un  esprit  dépité, 
De  ce  qu'il  ne  punit  tant  de  légèreté. 

Loue  Amour  qui  voudra  !  c'est  une  frénésie 
Que  les  fous  ont  fait  Dieu  selon  leur  fantaisie  ; 
Un  mal,  une  fureur,  un  fort  enchantement, 
Par  ses  charmes  cruels  troublant  l'entendement. 
Las  !  si  mon  foible  esprit  n'étoit  troublé  de  rage. 
Je  me  retirerois  connoissant  mon  dommage, 
Ou  d'un  autre  désir  plus  doucement  époint. 
Je  cesserois  d'aimer  ce  qui  ne  m'aime  point. 
Mais  d'un  si  puissant  trait  ma  raison  est  forcée. 
Que  je  suis,  malgré  moi,  la  trace  encommencée , 
Et  s€rs,  sans  profiter,  une  ingrate  beauté. 
Qui,  pour  aimer  autrui,  n'a  plus  de  liberté. 

Or,  ce  dernier  confort,  pour  remède  j'embrasse. 
Que  si  dans  son  esprit  la  raison  trouve  place , 
Et  qu'un  jour  le  dépit  justement  allumé 
Fasse  mourir  l'amour  d'un  qu'elle  a  trop  aimé. 
Alors  de  mes  douleurs  elle  aura  connoissance , 
Payant  tant  d'amitié  de  quelque  récompense; 
Et  verra  quelle  erreur  follement  l'abusoit, 
Quand  un  prince  inconstant  ses  désirs  maîtrisoit. 
«  L'amour  des  grands  seigneurs  aux  belles  ne  sert  gueres  : 
«  La  grandeur  et  l'amour  sont  deux  choses  contraires.  « 


358  PHILIPPE  DESPORTES. 


CHANSON. 

Oh,  bien  lieiireux  qui  peut  passer  sa  "vie 
Entre  les  siens,  franc  de  haine  et  d'envie, 
Parmi  les  champs,  les  forêts  et  les  bois, 
Loin  du  tunndte  et  du  bruit  populaire. 
Et  qui  ne  vend  sa  liberté  pour  plaire 
Aux  passions  des  princes  et  des  rois  ! 

Il  ne  frémit ,  quand  la  mer  courroucée 
Enfle  ses  flots,  contrairement  poussée 
Des  vents  émus  soufflans  horril)lement, 
Et  quand,  la  nuit,  à  son  aise  il  sommeille, 
Une  trompette  en  sursaut  ne  l'éveille 
Pour  l'envoyer  du  lit  au  monument. 

L'ambition  son  courage  n'attise  ; 

D'un  fard  trompeur  son  ame  il  ne  déguise; 

Il  ne  se  j)laît  à  violer  sa  foi; 

Les  grands  seigneurs  sans  cesse  il  n'importune 

Mais,  en  vivant  content  de  sa  fortune. 

Il  est  sa  cour,  sa  faveur  et  son  roi. 

Je  vous  rends  grâce,  ô  déités  sacrées 

Des  monts,  des  eaux,  des  forêts  et  des  prées. 

Qui  me  privez  de  pensers  soucieux , 

Et  qui  rendez  ma  volonté  contente. 

Chassant  bien  loin  la  misérable  attente. 

Et  les  désirs  des  cœurs  ambitieux. 


PHILIPPE  DESPORTES.  SoQ 

Dedans  mes  champs,  ma  pense'^e  est  enclose; 
Si  mon  corps  dort ,  mon  esprit  se  repose  ; 
Un  soin  cruel  ne  le  va  dévorant  : 
Au  plus  matin,  la  fraîcheur  me  soulage; 
S'il  fait  trop  chaud,  je  me  mets  à  l'ombrage, 
Et  s'il  fait  froid,  je  m'échauffe  en  courant. 

Si  je  ne  loge  en  ces  maisons  dorées, 
Au  front  superbe ,  aux  voûtes  peinturées 
D'azur,  d'émail,  et  de  mille  couleurs, 
Mon  œil  se  paît  des  trésors  de  la  plaine , 
Riches  d'oeillets,  de  lys,  de  marjolaine, 
Et  du  beau  teint  des  printanieres  fleurs. 

Dans  les  palais  enflés  de  vaine  pompe , 
L'ambition,  la  faveur  qui  nous  trompe, 
Et  les  soucis  logent  communément  : 
Dedans  nos  champs  se' retirent  les  fées, 
Reines  des  bois,  à  tresses  décoiffées, 
Les  jeux,  l'amour,  et  le  contentement. 

Ainsi  vivant ,  rien  n'est  qui  ne  m'agrée , 
J'ois  des  oiseaux  la  musique  sacrée , 
Quand  au  matin  ils  bénissent  les  cieux , 
Et  le  doux  son  des  bruyantes  fontaines, 
Qui  vont  coulans  de  ces  roches  hautaines, 
Pour  arroser  nos  prés  délicieux. 

Que  de  plaisir,  de  voir  deux  colombelles. 
Bec  contre  bec ,  en  trémoussant  des  aîles , 
Mille  baisers  se  donner  tour  à  tour  ! 
Puis ,  tout  ravi  de  leur  grâce  naïve , 


36o  PHILIPPE  DESPORTES. 

Dormir  au  frais  d'une  source  d'eau  vive , 
Dont  le  doux  bruit  semble  parler  d'amour  ! 

Que  de  plaisir,  de  voir  sous  la  nuit  brune, 
Quand  le  soleil  a  fait  place  à  la  lune, 
Au  fond  des  bois  les  nympbes  s'assembler, 
Montrer  au  vent  leur  gorge  découverte , 
Danser,  sauter,  se  donner  cotte  verte, 
Et  sous  leurs  pas ,  tout  l'bcrbage  trembler  î 

Le  bal  fini ,  je  dresse  en  baut  la  vue , 
Pour  voir  le  teint  de  la  lune  cornue, 
Claire ,  argentée  ;  et  me  mets  à  penser 
Au  sort  heureux  du  pasteur  de  l'Atmie; 
Lors  je  souhaite  une  aussi  belle  amie  : 
Mais  je  voudrois  en  veillant  l'embrasser. 

Ainsi ,  la  nuit  je  contente  mon  ame  : 

Mais  quand  Pliœ])us,  de  ses  rais  nous  enflame, 

J'essaie  encor  mille  autres  jeux  nouveaux: 

Diversement  mes  plaisirs  j'entrelasse  ; 

Ores  je  pêcbe,  or'  je  vais  à  la  chasse, 

Et  or' je  dresse  embuscade  aux  oiseaux. 

Je  fais  l'amour,  mais  c'est  de  telle  sorte 
Que  seulement  du  plaisir  j'en  rapporte , 
N'engageant  point  ma  chère  liberté  ; 
Et  quelques  lacs  que  ce  dieu  puisse  faire 
Pour  m'attrapcr,  quand  je  m'en  veux  distraire, 
J'ai  le  pouvoir,  comme  la  volonté. 

Douces  brebis,  mes  fidcllcs  compagnes, 
Hayes,  buissons,  forets,  prés  et  montagnes, 


PHILIPPE  DESPORTES.  36 1 

Soyez  témoins  de  mon  contentement  : 
Et  vous,  6  dieux  !  faites,  je  vous  supplie, 
Que  cependant  que  durera  ma  vie, 
Je  ne  connoisse  un  autre  changement. 


CHANSON. 

L\s  !  que  nous  sommes  misérables 
D'être  serves  dessous  les  loix 
Des  hommes  légers  et  muables , 
Plus  que  le  feuillage  des  bois  ! 

Les  pensers  des  hommes  ressemblent 
A  l'air,  aux  vents  et  aux  saisons, 
Et  aux  girouettes  qui  tremblent 
Inconstamment  sur  les  maisons. 

Leur  amour  est  ferme  et  constante 
Comme  la  mer  grosse  des  flots, 
Qui  bruit,  qui  court,  qui  se  tourmente, 
Et  qui  n'a  jamais  de  repos. 

Ce  n'est  que  vent  que  de  leur  tête; 
De  vent  est  leur  entendement  : 
Les  vents  encore  et  la  tempête 
Ne  vont  point  si  légèrement. 

Qui  se  fie  en  chose  si  vaine, 
Il  semé  sans  espoir  de  fruit; 
Il  veut  bâtir  dessus  l'arène 
Ou  sur  la  glace  d'une  nuit. 


362  PHUJPPE  DESPORTES. 

Ceux  qui  peuvent  mieux  faire  accroire 
Et  sont  menteurs  plus  assurés, 
Entr'eux  sont  élevés  en  gloire, 
Et  sont  comme  dieux  adorés. 

Car  ils  prennent  pour  grand'  louange, 
Quand  on  les  estime  inconstans, 
Et  disent  que  le  tems  se  change, 
Et  que  le  sage  suit  le  tems. 

Hélas!  qui  ne  seroit  éprise 
Quand  on  ne  sait  leurs  fictions, 
Lorsqu'avec  si  grande  feinlise 
Ils  soupirent  leurs  passions? 

Mais  cet  ardent  feu  qui  les  tue. 
Et  rend  leur  esprit  consommé. 
C'est  un  feu  de  paille  menue. 
Aussi-tôt  éteint  qu'allumé. 

Ainsi  Toisclcur  au  hocage 
Prend  les  oiseaux  par  ses  chansons, 
Et  le  pécheur  sur  le  rivage 
Tend  ses  filets  pour  les  poissons. 


SONNET. 

Si  je  me  sieds  à  Tomhre,  aussi  soudainement 
Amour,  laissant  son  arc,  s'assied  et  se  repose; 
Si  je  pense  à  des  vers,  je  le  vois  qui  compose; 
Si  je  plains  mes  douleurs,  il  se  plaint  hautement. 


PHILIPPE  DESPORTES.  3G 

Si  je  me  plais  au  mal,  il  accroît  mon  tourment; 
Si  je  répans  des  pleurs,  son  visage  il  arrose; 
Si  je  montre  la  plaie  en  ma  poitrine  enclose, 
Il  défait  son  bandeau,  Tessuyant  doucement. 

Si  je  vais  par  les  bois ,  aux  bois  il  m'accompagne 
Si  je  me  suis  cruel,  dans  mon  sang  il  se  bagne; 
Si  je  vais  à  la  guerre  ,  il  devient  mon  soudart. 

Si  je  passe  la  mer,  il  conduit  ma  nacelle  ; 
Bref,  jamais  Tinbumain  de  moi  ne  se  départ 
Pour  rendre  mon  désir  et  ma  peine  éternelle. 


EPITAPHE. 

Le  Gast ,  qui  sous  Brissac  nourriture  avoit  prise , 
Et  qui  seul  imita  ses  desseins  généreux, 
Eut  le  cœur  grand  et  beau,  l'esprit  aventureux; 
Pour  lui  du  plus  baut  ciel  basse  étoit  l'entreprise. 

En  ce  tems  traître  et  feint,  il  vécut  sans  feintise. 
N'estima  les  plus  grands,  mais  les  plus  valeureux; 
D'argent  il  fit  jonchée ,  et  ne  fut  désireux 
Pour  tout  bien,  que  de  gloire  ouvertement  acquise. 

H  aida  ses  amis,  ses  ennemis  chassa; 

Et  tous  ses  compagnons  en  faveurs  surpassa , 

Fut  fidelle  à  son  maître  et  gagna  son  courage  : 

Enfin  la  nuit,  au  lit,  foible  et  mal  disposé 
Se  vit  meurtri  de  ceux  qui  n'eussent  pas  osé 
En  plein  jour  seulement  regarder  son  visage. 


364  PHILIPPE  DESPORTES. 


SONNET. 

Qd  on  ne  me  prenne  pas  pour  aimer  tièdement , 
Pour  garder  ma  raison ,  pour  avoir  lame  saine  ; 
Si  comme  un  Bacchante ,  Amour  ne  me  promené , 
Je  refuse  le  titre  et  Thonneur  d'un  amant. 

Je  veux  toute  les  nuits  soupirer  en  dormant , 
Je  veux  ne  trouver  rien  si  plaisant  que  ma  peine, 
N'avoir  goutte  de  sang  qui  d'amour  ne  soit  pleine, 
Et  sans  savoir  pourquoi ,  me  plaindre  incessamment. 

Mon  cœur  me  déplairoit  s'il  n'étoit  tout  de  flamme; 
L'aise  et  le  mal  d'amourautrement  n'ont  point  d'ame  ; 
L'Amour  est  un  enfant  sans  prudence  et  sans  yeux; 

Trop  d'avis  et  d'égard  sied  mal  à  sa  jeunesse  ; 

Aux  conseillers  d'état  je  laisse  la  sagesse. 

Pour  m'en  servir  comme  eux  lorsque  je  serai  vieux. 


EPITAPHE  DE  CLAUDE  DE  L'AUBESPINE. 

Autour  de  mon  esprit,  qui  jamais  ne  repose, 
Jour  et  nuit  vont  errant  d'effroyables  tombeaux, 
Convois  ,  habits  de  deuil ,  mortuaires  flambeaux  ; 
La  porte  de  mes  sens  ne  reçoit  autre  chose. 

Hélas!  que  le  Destin  Injustement  dispose 
Des  ouvrages  mortels  plus  parfaits  et  plus  beaux! 
Tuant  les  rossignols,  il  laisse  les  corbeaux; 
Epargnant  les  buissons,  il  moissonne  la  rose. 


PHILIPPE  DESPORTES.  365 

Entre  tant  de  milliers,  son  coup  malicieux 
A  bien  su  remarquer  ce  chef-d'œuvre  des  cieux, 
Et  ravir  tout  l'honneur  de  ce  monde  oii  nous  sommes. 

Ce  qu'est  l'herbe  à  la  terre ,  à  l'herbage  les  fleurs , 
L'or  aux  autres  métaux,  la  blancheur  aux  couleurs, 
Cher  ami,  tu  l'étois  à  la  race  des  hommes. 


PRIERE. 

Las!  que  ferai-je?  oserai-je  hausser 
Les  yeux  au  ciel ,  pour  à  toi  m'adresser 
En  cet  effroi  qui  mon  ame  environne? 
Je  suis  confus,  j'ai  l'esprit  défaillant, 
Mon  œil  se  trouble,  et  mon  cœur  tressaillant 
Veut  me  quitter,  tant  mou  forfait  Tétonne  ! 

Cachons-nous  donc  ;  mais  oii  pourrai-je  aller, 
Au  ciel,  en  l'onde,  en  la  terre  ou  en  l'air, 
O  Seigneur  Dieu ,  pour  éviter  ta  face  ? 
Si  je  me  couvre  en  l'obscur  de  la  nuit. 
Ton  œil  divin  par  les  ombres  reluit, 
Et  tout  soudain  remarquera  ma  trace. 

D'aller  au  ciel  tu  es  le  commandant; 
Il  vaut  donc  mieux  fuir  en  descendant. 
Et  m'abîmer  au  plus  creux  de  la  terre; 
Mais  de  ton  œil  je  ne  serois  absent  ; 
Car  les  enfers  vont  sous  toi  tléchissanl, 
Et  jusques-là  tu  me  feras  la  guerre. 


366  PHILIPPE  DESPORTES. 

Soit  que  je  veille  ou  que  je  sois  couché  , 
Rieu  que  je  fasse,  hélas!  ne  t'est  caché; 
Tu  sondes  tout,  pénétrant  la  pensée  : 
Veux-je  fuir?  tu  me  viens  attraper. 
Et  pour  courir  je  ne  puis  échapper; 
Car  par  ta  main  ta  foudre  est  devancée. 

Tu  peux,  hélas!  tu  peux  me  foudroyer. 

Mais  voudrois-tu  ta  colère  employer. 

Et  hassement  frapper  un  peu  de  poudre? 

Tu  es,  grand  Dieu,  tout  juste  et  tout  puissant, 

Je  ne  suis  rien,  si  qu'en  me  punissant 

Tu  perds ,  Seigneur,  et  ta  peine  et  ton  foudre. 

Me  châtiant,  tu  te  rends  poursuivant 
Contre  un  fétu  foihle  jouet  du  vent. 
Tu  veux  montrer  ta  force  à  un  omhrage, 
A  un  corps  mort,  à  un  hois  desséché; 
A  un  houton  qui  languit  tout  penché, 
Et  au  houillon  enflé  sur  le  rivage. 

Hélas ,  Seigneur,  ayes  pitié  de  moi  ! 
Tu  es  mon  tout,  mon  sauveur  et  mon  roi; 
Seul  je  t'invo(jue  en  ma  plainte  ordinaire. 
Souvienne-toi  que  tu  m'as  façonné; 
D'os  et  de  nerfs  tu  m'as  environné  : 
Voudrois-tu  hien  ton  ouvrage  défaire  ? 

Si  je  ne  suis  qu'ini  bourbier  amassé, 
Tes  mains  pourtant,  tes  mains  m'ont  compassé; 
Tu  m'as  couvert  de  charnure  et  de  veines  : 
Quand  tu  voudras,  tu  me  feras  déchoir 


PHILIPPE  DESPORTES.  867 

Comme  la  fleur  qui  flétrit  sur  le  soir, 
Et  découler  comme  1  eau  des  fontaines. 

Déjà ,  Seigneur,  déjà  j'ai  bien  senti 

Sur  moi  chétif ,  ton  bras  appesanti; 

Je  n'en  puis  plus ,  il  faudra  que  je  meure. 

Un  voile  obscur  me  dérobe  les  cieux , 

Mille  remords  m'agitent  furieux, 

Et  ma  vigueur  s'affoiblit  d'heure  en  heure. 

Mes  tristes  jours  coulent  légèrement , 
Je  n'attends  rien  qu'un  obscur  monument; 
Je  suis  en  proye  à  mes  peines  terribles  : 
Las!  je  n'ai  clos  les  yeux  pour  sommeiller, 
Que  tout  tremblant  il  me  faut  réveiller, 
Epouvanté  de  visions  horribles. 

O  Seigneur  Dieu,  qui  vois  ma  passion, 
Ne  me  délaisse  en  cette  affliction; 
Chasse  ton  ire,  adoucis  ton  courage; 
Veuille  en  douceur  ta  colère  changer  ! 
Tends-moi  la  main,  sauve-moi  du  danger 
Qui  m'est  prochain  par  ce  cruel  orage. 


ADIEU   A   LA   POLOGNE. 

Adieu  Pologne,  adieu  plaines  désertes. 
Toujours  de  neige  ou  de  glaces  couvertes; 
Adieu,  pays,  d'un  éternel  adieu  : 
Ton  air,  tes  mœurs  m'ont  si  fort  su  déplaire , 
Qu'il  faudra  bien  que  tout  me  soit  contraire , 
Si  jamais  plus  je  retourne  en  ce  lieu. 


368  PHILIPPE  DESPORTES. 

Adieu  maisons  d  admirable  slructure, 
Poêles  adieu,  qui,  dans  votre  clciture, 
]Mille  animaux,  pile-meme  entassez. 
Filles,  garçons,  veaux  et  bœufs  tout  ensemble: 
Un  tel  ménage  à  l'âge  d'or  ressemble , 
Tant  regretté  par  les  siècles  passés. 

Quoi  qu'on  me  dît  de  vos  mœurs  inciviles , 
De  vos  liabits ,  de  vos  mécbanles  villes, 
De  vos  esjjrits  pleins  de  légèreté, 
Sarmates  fiers,  je  n'en  voulois  rien  croire, 
]Ni  ne  pensois  que  vous  pussiez  tant  boire: 
L'eusse- je  cru  sans  y  avoir  été  ! 

Barbare  peuple ,  arrogant  et  volage , 
Vanteur,  causeur,  n'ayant  rien  que  langage; 
Qui,  jour  et-  nuit  dans  un  poêle  enfermé, 
Pour  tout  plaisir  se  joue  avec  un  verre , 
Ronfle  à  la  table  ou  s'endort  sur  la  terre, 
Puis  comme  un  Mars  veut  être  renommé. 

Ce  ne  sont  pas  vos  grand's  lances  creusées, 
Vos  peaux  de  loups ,  vos  armes  déguisées , 
Oii  maint  plumage  et  mainte  aile  s'étend, 
Vos  bras  cbarnus  ni  vos  traits  redoutables, 
Lourds  Polonois,  qui  vous  font  indomptables  : 
La  pauvreté  seulement  vous  défend. 

Si  votre  terre  étoit  mieux  cultivée, 
Que  l'air  fût  doux,  qu'elle  fût  abreuvée 
De  clairs  ruisseaux,  ricbe  en  bonnes  cités. 
En  marchandise,  en  profondes  rivières, 


PHILIPPE  DESPORTES.  869 

Qu'elle  eût  des  vins,  des  ports  et  des  minières, 
Vous  ne  seriez  si  long-tems  indomptés. 

Les  Ottomans,  dont  Tame  est  si  hardie. 
Aiment  mieux  Cypre  ou  la  belle  Candie, 
Que  vos  déserts  presque  toujours  glacés; 
Et  l'Allemand  qui  les  guerres  demande, 
Vous  dédaignant,  court  la  terre  flamande, 
Oii  ses  labeurs  sont  mieux  récompensés. 

Neuf  mois  entiers,  pour  complaire  à  mon  maître. 
Le  grand  Henri,  que  le  ciel  a  fait  naître, 
Comme  un  bel  astre  aux  humains  flamboyant , 
Pour  ce  désert  j'ai  la  France  laissée  , 
Y  consumant  ma  pauvre  ame  blessée, 
Sans  nul  confort,  sinon  qu'en  le  vovant. 

Fasse  le  ciel  que  ce  valeureux  prince 

Soit  bientôt  roi  de  quelqu'autre  province , 

Riche  de  gens,  de  cités  et  d'avoir; 

Que  quelque  jour  à  l'empire  il  parvienne; 

Et  que  jamais  ici  il  ne  revienne. 

Bien  que  mon  cœur  soit  brûlant  de  le  voir! 


EPI  GRAMME. 

Tant  de  rapports  flicheux  indignes  de  notre  ire, 
Ne  sortent  que  d'esprits  jaloux  ou  mal  contens  . 
Je  suis  d'avis  de  faire  et  de  les  laisser  dire , 
Ils  en  auront  la  peine,  et  nous  le  passe-tems. 


V.  24 


^yO  PHILIPPE  DESPORTES. 


SONNET. 

Le  jour  chasse  le  jour,  comme  un  flot  l'autre  chasse; 
Le  tems  léger  s'envole  et  nous  va  décevant, 
Misérables  mortels,  qui  tramons  en  vivant. 
Desseins  dessus  desseins,  fallace  sur  fallace. 

Le  cours  de  ce  grand  ciel  qui  les  autres  embrasse, 
Fait  que  l'âge  fuitif  passe  comme  le  vent. 
Et  sans  voir  que  la  mort  de  près  nous  va  suivant, 
En  mille  et  mille  erreurs  notre  esprit  s'entrelasse. 

L'un,  esclave  des  grands,  meurt  sans  avoir  vécu; 
L'autre  de  convoitise  ou  d'amour  est  vaincu: 
L'un  est  ambitieux  ,  l'autre  est  chaud  à  la  guerre. 

Ainsi  diversement  les  désirs  sont  jioussés; 

Mais  que  sert  tant  de  peine,  6  mortels  insensés! 

Il  faut  tous  à  la  fin  retourner  à  la  terre. 


STANCES. 

DU     MARIAGE. 

De  toutes  les  fureurs  dont  nous  sommes  pressés, 
De  tout  ce  que  les  cieux  ardcnnnent  courroucés 
Peuvent  darder  sur  nous  de  tonnerre  et  d'orage, 
D'angoisseuses  langueurs,  de  meurtre  ensanglanté, 
De  soucis,  de  travaux,  de  faim,  de  jiauvreté, 
Rien  n'approche  en  rigueur  la  loi  de  mariage. 


PHILIPPE  DESPORTES.  87  I 

Jupiter  en  courroux,  certain  jour  ici-bas 
Fit  descendre  la  femme  aux  yeux  remplis  d'appas , 
Et  portant  en  la  main  une  boëte  féconde 
Des  semences  du  mal ,  les  procès ,  le  discord , 
Le  souci,  la  douleur,  la  vieillesse  et  la  mort, 
Bref,  pour  douaire,  elle  eut  tout  le  malheur  du  monde. 

Vénus  dessus  son  front  mille  beautés  sema  ; 

Pi  thon  d'autant  d'attraits  sa  parole  anima; 

Vulcain  forgea  son  cœur  ;  Mars  lui  donna  l'audace  : 

Bref,  le  ciel  rigoureux  si  bien  la  déguisa, 

Que  l'homme  épris  de  flamme  aussi-tôt  l'épousa. 

Plongeant  en  son  malheur  toute  Ihumaine  race. 

De-là  le  mariage  eut  son  commencement. 
Tyran  injurieux,  plein  de  commandement. 
Que  la  liberté  fuit  comme  son  adversaire 
Plaisant  à  l'abordée,  à  l'œil  doux  et  riant, 
Qui,  sous  un  beau  dehors,  traître,  nous  va  liant 
D'un  lien  que  la  mort  seulement  peut  défaire. 

Il  tient  dessous  ses  pieds  le  repos  abbatu  ; 
De  cordage  et  de  fers  son  corps  est  revêtu  : 
Le  soin  est  à  côté,  le  travail  le  regarde; 
La  peur,  la  jalousie  et  le  mal  inconnu. 
Mal  par  opinion ,  qui  rend  l'homme  cornu  : 
Puis  vient  le  repentir,  chef  de  l'arriere-garde. 

Le  deuil  et  le  courroux,  après  le  vont  suivant: 
A  sa  vue  Amour  fuit,  léger  comme  le  vent, 
Bien  que  le  nom  d'amour  masque  sa  tyrannie  ; 
Car  ce  puissant  vainqueur,  et  des  dieux  et  des  rois, 


372  PHILIPPE  DESPORTES. 

Magistrat  souverain,  n'est  point  sujet  aux  loix, 
Et  de  toute  sa  cour  la  contrainte  est  bannie. 

Hélas!  grand  Jupiter!  si  l'homme  avoit  erré, 
Tu  le  devois  punir  d'un  mal  plus  modéré. 
Et  plutôt  l'assommer  d'un  éclat  de  tonnerre 
Que  le  faire  languir  durement  enchaîné, 
Hôte  de  mille  ennuis,  au  deuil  abandonné, 
Travaillant  son  esprit  d'une  immortelle  guerre. 

On  parle  des  enfers  oli  les  maux  sont  punis, 
Trop  cruel  magasin  de  tourmens  infinis. 
Du  chien  toujours  béant,  des  sœurs  pleines  de  rage, 
Des  douleurs  de  Titye  et  des  autres  esprits; 
Mais  je  ne  puis  penser  que  ce  soit  rien  au  prix, 
Ni  qu'il  y  ait  enfer  si  grand  que  mariage. 

Languir  toute  sa  vie  en  obscur  prison, 
Passer  mille  travaux,  nourrir  en  sa  maison 
Une  femme  bien  laide,  et  coucher  auprès  d'elle; 
En  avoir  une  belle,  et  en  être  jaloux. 
Craindre  tout,  l'espier,  se  gêner  de  courroux, 
Y  a-t-il  quelque  peine  en  enfer  plus  cruelle  ? 

Je  tais  tant  de  regrets,  de  soucis  et  d'ennuis. 
Tant  de  jours  ennuyeux,  tant  de  fâcheuses  nuits. 
Tant  de  rapports  semés,  tant  de  plaintes  ameres; 
Qui  les  pense  nombrer  aura  plutôt  compté 
Les  fleurettes  de  mai,  les  moissons  de  l'été, 
Et  des  plaines  du  ciel  les  flambeaux  ordinaires. 

Ecoutez  ma  parole  :  6  mortels  égarés, 
Qui  dans  la  servitude  aveuglement  courez , 


PHILIPPE  DESPORTES.  3']^ 

Et  voyez  quelle  femme  au  moins,  vous  devez  prendre  : 
Si  vous  l'épousez  riche ,  il  se  faut  préparer 
A  servir,  à  souffrir,  à  n'oser  murmurer, 
Aveugle  en  tous  ses  faits  et  sourd  pour  ne  l'entendre. 

Si  vous  la  prenez  pauvre,  avec  la  pauvreté 
Vous  épousez  aussi  mainte  incommodité  : 
La  charge  des  enfans,  la  peine  et  l'infortune  ; 
Le  mépris  d'un  chacun  vous  fait  Laisser  les  yeux; 
Le  soin  rend  vos  esprits  chagrins  et  soucieux; 
Avec  la  pauvreté  toute  chose  importune. 

Si  vous  l'épousez  helle,  assurez-vous  aussi 
De  n'être  jamais  franc  de  crainte  et  de  souci  : 
L'œil  de  votre  voisin  ,  comme  vous ,  la  regarde  ; 
Un  chacun  la  désire;  et  vouloir  l'empêcher, 
C'est  égaler  Sisvphe  et  monter  son  rocher  : 
Une  beauté  parfaite  est  de  mauvaise  garde. 

Si  vous  la  prenez  laide ,  adieu  toute  amitié  : 
L'esprit  tenant  du  corps  est  plein  de  mauvaistié  : 
Vous  aurez  la  maison  pour  prison  ténébreuse; 
Le  soleil  désormais  à  vos  yeux  ne  luira: 
Bref,  on  peut  bien  penser  qu'elle  vous  déplaira. 
Puisqu'une  femme  belle  en  trois  jours  est  fâcheuse. 

Celui  n'a  voit  jamais  les  noces  éprouvé. 

Qui  dit  qu'aucun  secours  contre  amour  n'est  trouvé. 

Depuis  qu'en  nos  esprits  il  a  fait  sa  racine; 

Car,  quand  quelque  beauté  vient  nos  cœurs  embraser, 

La  voulons- nous  haïr,  il  la  faut  épouser  : 

Qui  veut  guérir  d'amour,  c'en  est  la  médecine. 


374  PHILIPPE  DESPORTES. 

Mille  fois  Jupiter,  (raniour  tout  égaré, 

Pour  les  yeux  de  sa  sœur  a  plaint  et  soupiré, 

Toutefois  il  la  hait  di's  qui!  l'a  épousée, 

Et  lui  déplaît  si  fort,  que,  pour  s'en  étranger, 

En  bète  et  en  oiseau  ne  craint  de  se  changer, 

Ne  trouvant  rien  fâcheux  pour  la  rendre  abusée. 

La  noce  est  un  fardeau  si  fâcheux  à  porter, 
Qu'elle  fait  à  un  dieu  son  empire  quitter; 
Elle  lui  rend  le  ciel  un  enfer  de  tristesse; 
Il  trouve  en  ses  liens  tant  d'infélicité, 
Qu  il  aime  mieux  servir  en  terre  une  beauté, 
Que  jouir  dans  le  ciel  d'une  épouse  déesse, 

A  rexomple  de  lui  qui  doit  être  suivi. 

Tout  homme  (jui  se  trouve  en  ses  lacs  asservi, 

Doit  par  mille  plaisirs  alléger  son  martyre, 

Aimer  en  tous  endroits  sans  esclaver  son  cœur. 

Et  chasser  loin  de  lui  toute  jalouse  peur  : 

Plus  un  homme  est  jaloux,  plus  sa  femme  on  désire. 

O  supplice  infernal  en  la  terre  transmis 

Pour  gêner  les  humains,  gêne  mes  ennemis: 

Qu'ils  soient  chargés  de  fers,  de  tourmens  et  de  flamme; 

Mais  fuis  de  ma  maison,  n'approche  point  de  moi; 

Je  hais  plus  que  la  mort  ta  rigoureuse  loi, 

Aimant  mieux  épouser  un  tombeau  qu'une  femme. 


PHILIPPE  DESPORTES.  375 


ODE    SACREE. 

Arrière,  6  fureur  insensée, 
Jadis  si  forte  en  ma  pensée 
Quand  d'amour  j'étois  allumé  ! 
Rempli  d'une  flamme  plus  sainte, 
Je  sens  maintenant  toute  éteinte 
L'ardeur  qui  m'a  tant  consumé. 

C'est  trop,  c'est  trop  versé  de  larmes, 
C'est  trop  chanté  d'amours  et  d'armes , 
C'est  trop  semé  ses  cris  au  vent, 
C'est  trop,  plein  de  jeunesse  foie. 
Perdu  tems,  labeurs  et  parole, 
Au  lieu  du  corps,  l'ombre  suivant. 

Seigneur,  change  et  monte  ma  lyre. 
Afin  qu'au  lieu  d'un  vain  martyre, 
Qui  se  paît  des  cœurs  ocieux. 
Elle  ravisse  les  oreilles, 
Resonnant  tes  hautes  merveilles, 
Quand  de  rien  tu  formas  les  cieux, 

C'est  toi,  qui  d'une  main  puissante 
Dardes  la  foudre  punissante. 
Et  qui  d'un  clin  d'œil  seulement 
Fais  tourner  cette  masse  ronde; 
La  flamme,  l'air,  la  terre  et  l'onde. 
Sont  serfs  de  ton  commandement. 


376  PHILIPPE  DESPORTES. 

C'est  toi  qui  n'as  point  de  naissance , 
Siiiij)Ie,  unique  et  divine  essence, 
Tout  saint,  tout  juste,  tout  clément  : 
Ton  doigt  ce  grand  univers  range, 
Et,  bien  que  toute  cliose  change, 
Tu  demeures  sans  changement. 

Ta  parole  est  seule  assurée, 
Et  quand  plus  n'aura  de  durée, 
Du  ciel  l'assidu  mouvement , 
Elle  encor  demeurei a  Ifime , 
Comme  n'ayant  ni  fin  ni  terme, 
Non  plus  que  de  commencement. 

Continue,  ô  Dieu,  continue. 
Afin  que  ta  force  connue 
Soit  toujours  mon  seul  argument; 
Délaissant  les  fausses  louanjzes 
De  mille  et  mille  dieux  étranges 
Que  j'ai  chantés  trop  follement. 

Je  m'en  repens ,  rouge  de  honte. 
Quand  tout  bas  quelquefois  je  compte 
Tant  de  propos  que  j'ai  perdus. 
Tant  de  nuits  vainement  passées. 
Tant  et  tant  d'errantes  pensées 
Et  de  cris  si  mal  entendus. 

Ores ,  troublé  de  jalousie , 
Ores,  dedans  la  fantaisie. 
Roulant  quelque  projet  nouveau. 
Selon  que  les  vagues  soudaines. 


PHILIPPE  DESPORTES.  877 

De  mille  tempêtes  mondaines 
Agitoient  mon  foible  cerveau. 

Mais  quoi!  veux-je  faire  revivre 
Les  morts  dont  ta  main  me  délivre? 
Veux-je  me  plaindre  une  autre  fois  ? 
Et  par  mes  accens  lamentables 
Tâcher  à  rendre  pitoyables 
Les  monts,  les  rochers  et  les  bois? 

Las!  non;  mais  plein  de  repentance, 
J'en  veux  perdre  la  souvenance , 
Et  l'avoir  toujours  en  horreur  : 
O  Seigneur,  à  qui  je  m'adresse , 
Ne  souffre ,  hélas  !  que  ma  jeunesse 
Retombe  dans  la  même  erreur. 

Un  cœur  net  en  moi  renouvelle. 
Afin  que  plus  je  ne  chancelé , 
Suivant  mon  instinct  vicieux; 
Et  quelque  chose  que  je  fasse, 
Donne-moi  pour  guide  ta  grâce , 
Qui  me  mené  au  chemin  des  cieux. 

Fais  que  mon  luth  toujours  te  sonne; 
Fais  que  mon  doigt  rien  ne  fredonne 
Que  tes  œuvres  grands  et  parfaits, 
Et  que  ma  bouche  reste  close. 
Si  je  veux  parler  d'autre  chose 
Que  de  ta  gloire  et  de  tes  faits. 


378  ETIENNE  TABOUROT. 


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ETIENNE  TABOUROT. 


Étiewe  Tabourot  naquit  à  Dijon  en  i547,  '^^ 
Guillaume  Tabourot,  célèbre  avocat  au  Parlement 
de  Bourgogne,  et  maître  des  comptes,  et  de  Didière 
Tbiorry.  Il  fut  procureur  du  roi  au  bailliage  et  à  la 
cbancellerie  de  Dijon. 

Les  armes  de  la  famille  de  Tabourot  étoient  un  tam- 
bour, appelé  autrefois  tabour  ou  tabourain.  11  y  joi- 
gnit ces  mots,  à  tous  accords ,  ce  qui  donna  lieu  au 
surnom  de  seigneur  des  Accords,  sous  lequel  ce  poète 
est  resté  plus  connu. 

Zélé  partisan  de  la  Ligue,  Tabourot  remplit,  au 
rapport  d'un  écrivain  de  son  temps ,  la  cliarge  de  pro^ 
moteur  aux  affaires  du  conseil  d* état  tenu  a  Dijon  pour 
la  sainte  union;  et  l'on  voit  en  effet,  sur  les  registres 
de  la  Grand-Cliambre  (iSSp),  qu'il  agit  en  cette  qua- 
lité. Il  mourut  en  1.^90,  et  fut  inliumé  dans  l'abbaye 
de  Saint-F'énigne ,  de  Dijon. 

La  première  de  ses  productions  a  pour  titre  Bigar- 
rures ;  ce  recueil  est  divisé  en  quatre  Livres ,  partie  en 
vers  et  partie  en  prose  :  il  renferme  une  foule  de 
pièces  diverses  qui  n'ont  entre  elles  aucun  rapport, 
comme  le  titre  l'annonce. 

Les  Touches  du  seigneur  des  Accords,  qu'on  trouve 
à  la  suite  du  recueil  précédent,  sont  des  épigrammes, 
dont  la  plupart  se  terminent  par  un  trait  de  morale 
ou  de  critique  ,  sous  le  titre  de  Contre-Touche. 


ETIENNE  TÂBOIIROT.  879 

Tabourot  nous  apprend  dans  ses  Bigarrures^  c[ii  étant 
écolier  a  Paris  ^  en  j  564  ,  il  fit  la  Coupe  poétique ,  la 
Marihite  et  autres ^  a  riniitation  des  Grecs.  11  célébra, 
en  i58!,  le  baptême  de  Léonard-François  de  Saulx, 
vicomte  de  Tavanes,  par  un  poëme  d'environ  deux 
cent  cinquante  vers,  dans  lequel  l'enfant  est  présenté 
sur  les  fonts  par  Pandore  et  les  Nymphes.  Un  autre 
ouvrage  de  Tabourot,  intitulé  la  Défense  et  louange 
du  Pou ,  ensemble  celle  du  Ciron ,  parut  en  1 397.  Enfin , 
La  Monnoie,  dans  une  lettre  au  président  Bouhier, 
lui  attribue  la  Sj-nathrisie ,  alias  y  Recueil  confus ,  dont 
nous  avons  déjà  parlé  à  l'article  de  Jean  Desplanches 
qui  en  fut  l'imprimeur. 

Tabourot  a  aussi  laissé  quelques  poésies  latines;  il 
fit  une  nouvelle  édition  du  Dictionnaire  des  rimes  de 
Jean  Lefèvre,  avec  des  augmentations. 


MARIAGE   EGAL. 

Comme  on  traitoit  le  mariage 
D'une  maligne  et  d'un  malin , 
Un  des  parens  dit,  c'est  dommage! 
Ils  se  battront  soir  et  matin  : 
Non,  dit  un  d'entr'eux  le  plus  sage. 
Il  les  faut  mettre  ensemble,  afin 
Que  du  moins  ce  couple  mutin 
Ne  puisse  troubler  qu'un  ménage. 


38o  ETIENNE  TABOUROT. 


DU    SERVITEUR. 

Monsieur  ,  vous  plaît-il  satisfaire 
Le  tenis  que  je  vous  ai  servi? 
Mon  ami ,  tu  ne  me  peux  plaire , 
Déloge ,  voilà  ton  solvi  : 
Dont  le  serviteur  tout  ravi, 
Ne  sachant  sur  cela  que  faire  ; 
Adieu,  dit-il,  si  j'ai  servi. 
Je  prends  liberté  pour  salaire. 


SONNET. 

Quoi!  faut-il  demander,  voyant  un  amoureux. 
S'il  a  désir  d'avoir  de  son  mal  allégeance  ? 
Quoi  !  faut-il  demander  quelle  est  son  espérance , 
Et  qu'est  ce  que  prétend  son  travail  ennuyeux? 

Vous  le  connoissez  bien ,  vous  le  savez  trop  mieux , 
Qu'il  ne  le  pourroit  pas  lui-même  faire  entendre. 
Mais  si  vous  desirez  plus  sûrement  l'apprendre, 
Je  vous  l'enseignerols  si  nous  étions  nous  deux. 

Or,  ne  feignez  donc  plus  d'ignorer  mon  tourment , 
Sans  dire  mot  je  prie,  et  vous  fais  seulement 
Par  signes  évidcns  concevoir  mon  martyre. 

Que  voulez-vous  encore  ?  On  connoît  un  amant 
A  ses  seules  façons,  contentez-vous  d'autant; 
Car  il  faut  beaucoup  mieux  le  faire  que  le  dire. 


ETIENNE  TABOUROT.  38 1 


LE  PEU  DEVOTIEUX. 


Un  prothonotaire  est  cité 

Devant  son  juge  qui  le  blâme, 

Pour  ce  que  chacun  le  diffame  i 

De  n'avoir  jamais  récité 

Pater  ni  Bénédicité. 

Lors  monsieur  le  prothonotaire 

Lui  répondit  tout  dépité  : 

Je  les  veux  penser  et  les  taire.  j 

S'il  les  veut  penser  et  les  taire,  1 

Ne  les  lui  fais  pas  prononcer;  * 

Car  il  fera  tout  le  contraire, 

Et  les  dira  sans  y  penser.  j 


A   M.   DE    CHANLECY, 

CAPITAINE  DES  GAEDES  DE  M"-"  LE  DUC  DELBEUF. 

Sa-IS-tu  ,  mon  Chanlecy,  comme  j'aurois  envie 
De  vivre  pour  passer  heureusement  la  vie  ? 
Suffisamment  de  biens,  amassés  sans  labeur. 
Par  libéralité  de  quelque  donateur  : 
Voir  mes  champs  non  ingrats,  fertiles  chaque  année  ; 
Avoir  toujours  bon  feu  dedans  ma  cheminée; 
Haranguer  rarement ,  n'avoir  aucun  procès , 
L'esprit  bien  en  repos;  ne  faire  point  d'excès; 
Etre  en  bonne  santé,  le  corps  net  et  agile; 
Sage  simplicité;  tenir  table  facile, 


382  ETIENNE  TABOLROT. 

Sans  art  de  cuisinier,  et  cncor  je  voiulrois 

Des  amis  ni  plus  grands  ni  j)lus  petits  que  moi; 

Une  joueuse  nuit,  n'étant  toutefois  ivre; 

Un  lit  chaste  et  gaillard,  de  tous  soucis  délivre; 

Le  sommeil  gracieux  rendant  courtes  les  nuits; 

Vouloir  tant  seulement  être  ce  que  je  suis; 

Ne  souhaiter  la  mort,  et  moins  encor  la  craindre; 

Je  ne  te  saurois  mieux  tous  mes  souhaits  dépeindre; 

Que  si  jouir  de  tout  n'est  pas  en  mon  pouvoir. 

J'en  prends  ce  que  je  puis,  ne  pouvant  tout  avoir. 


LE   TEMPS. 

Dis-moi  de  quoi  les  grands  seigneurs 
Font  chez  eux  le  j)lus  de  dépense; 
L'un  dit  que  c'est  en  l'ahondance 
De  chevaux  et  de  serviteurs; 
L'autre  dit,  c'est  en  Taccointance 
Des  femmes  et  morceaux  friants  : 
Pour  en  dire  ce  que  je  pense , 
Leur  plus  grand'  dépense  est  du  tems. 


DU   MAITRE   POLI. 

Si  l)cau  parler  et  hcaux  semhlans 
Valloient  la  pièce  un  pistolet, 
Voire  luu-  pièce  de  six  hlancs. 
Monsieur  paycroit  hion  son  valet. 


ETIENNE  TABOUROT.  383 


MAITRE    SANS   RAISON. 

Jean  servit  très-fidélement 
Son  maître,  qui  e-nfin  le  chasse; 
Encor  de  plus  mauvaise  grâce 
Ne  lui  veut  donner  son  payement  : 
Dont  appelé  en  jugement; 
Comment,  dit  monsieur,  peut-il  être 
Qu'on  souffre  plaider  librement 
Un  serviteur  avec  son  maître  ? 


ÉPIGRAMME. 

Heureuses  seront  les  provinces 
Dedans  lesquelles  régneront 
Des  rois  qui  philosopheront, 
Ou  quand  les  sages  seront  princes! 


DES   PROMETTEURS. 

Celui  est  bien  plein  de  folie 
Qui  trop  au  lendemain  se  fie  ; 
Aujourd'hui  un  œuf  en  la  main 
Vaut  mieux  que  deux  poulets  demain. 


384  ETIENNE  ÏABOUROT. 


DE   BERTOT   ET   JEANNE. 

Bertot  veut  Jeanne  en  mariage, 
Je  trouve  qu'il  fait  sagement  : 
Jeanne  n'en  veut  aucunement. 
Je  trouve  Jeanne  encor  plus  sage. 


EPIGRAMME. 

Un  pauvre  pitaut  de  village 
Tout  ébahi  me  demandoit 
Un  seigneur  quel  homme  c'étoit; 
Car  il  lui  semhloit  au  visage 
Qu'il  étoit  homme  comme  nous  : 
Ami ,  dis-je  ,  il  est  davantage  ; 
Car  s'il  est  fol,  il  nous  perd  tous, 
Et  nous  rend  heureux,  s'il  est  sage. 


TARDIVE   RÉCOMPENSE. 

Hélas!  Jean  se  meurt  à  cette  heure; 

O  le  gentil  entendement! 

Eh  quoi,  mon  Dieu!  faut-il  qu'il  meure 

Sans  recevoir  nul  payement , 

iSi  le  salaire  du  service 

Qu'il  m'a  rendu  fidèlement? 

Allez  lui  dire  promptement 

Que  je  lui  donne  un  bénéfice. 


ETIENNE  TABOUROT.  385 

Ah  !  monsieur,  vous  avez  grand  tort 
D'user  de  telle  diligence , 
Pour  lui  donner  sa  récompense , 
Attendez  qu'il  soit  du  tout  mort. 


DE   JEAN,   PAUVRE. 

Il  fiiut  que  Jean  pauvre  meure, 
Puisqu'il  est  pauvre  à  cette  heure; 
Car  on  ne  donne  plus  rien, 
Fors  à  ceux  qui  ont  du  bien. 


LE   BEAU   BATIMENT. 

L'on  me  montroit  un  bâtiment 
Fait  de  très-belle  architecture , 
Embelli  de  riche  peinture, 
Et  meublé  fort  superbement; 
Le  maître  dit  :  Quel  jugement 
Faites- vous  de  ce  mien  ouvrage? 
Vraiment,  lui  dis-je,  c'est  dommage 
Que  Dieu  n'y  est  aucunement. 

—  Pour  bâtir  donc  à  votre  euise  , 
Il  eût  fallu  faire  une  église  ? 

—  Non;  mais  il  faudroit  seulement 
Y  vivre  plus  chrétiennement. 


ib 


386  ETIENNE  TABOtROT. 


DE  JACQUELIN. 

0_\  (lit  que  Jacquelin  pleure 
Le  trépas  de  ses  deux  sœurs  : 
Non;  mais  il  jette  des  pleurs 
Pour  ce  qu'une  encor  demeure. 


AU   LECTEUR. 

Un  envieux  me  blâme  et  dit 
Que  ce  volume  est  trop  petit; 
Mais  j'aurois  un  plaisir  bien  grand , 
Si  cliacun  en  disoit  autant. 


A  MAUMISERT,   MON   VALET. 

Maumisert,  je  t'ai  entendu 
Pleurer  ta  fortune.  Qu'as- tu 
A  te  fâcher  de  mon  service  ? 
Reçois-tu  pas  autant  d'office, 
De  bienfaits  et  plaisir  de  moi, 
Que  j'en  saurois  tirer  de  toi  ? 
Viens-çà.  Pendant  que  tu  reposes. 
Sans  t'émayer  d'aucunes  choses, 
Ronflant,  libre  toutes  les  nuits, 
N'ai-je  pas  mille  et  mille  ennuis  ? 
Et  ne  faut-il  pas  que  je  pense 
A  notre  ordinaire  dépense; 


ETIENNE  TABOUROT.  887 

Et  comme  il  faut  le  lenclemaia 
Travailler  pour  chasser  la  faim  ? 
Vois-tu  pas  comme  je  courtise 
Un  âne  masqué  de  faintise, 
Pendant  qu'à  grand  peine  en  un  mois 
Tu  me  salueras  une  fois  ? 
Puis  tôt  après,  chargé  d'affaire, 
Allant  selon  mon  ordinaire. 
Ou  par  la  ville ,  ou  au  palais , 
Je  vais  devant,  tu  viens  après; 
Ainsi  sur  l'élément  liquide 
A  ton  tour  tu  me  sers  de  guide  : 
Et  lorsque  je  suis  au  barreau, 
Tu  vas  jouer  sur  le  carreau, 
A  la  darde  mes  aiguillettes , 
Ou  bien  souvent  tu  cabarettes  : 
Et  lorsque  du  travail  je  prens, 
Sans  souci  tu  passes  le  tems. 
Tu  n'as  pas  peut-être  agréable 
De  me  venir  servir  à  table  : 
Mais,  quand  tu  as  bien  déjeuné. 
Ne  peux-tu  attendre  un  dîné? 
Sans  manger  point  tu  ne  demeures , 
Comme  je  fais,  jusqu'à  dix  heures; 
Ainsi,  me  voyant  un  petit 
Manger,  tu  reprens  appétit. 
Et  aiguises  ta  dent  pour  paître 
Ce  qui  reste  devant  ton  maître; 
Ainsi  je  t'ote  le  soupçon 
Que  ta  viande  est  sans  poison. 


388  ETIENNE  TABOUROT. 

Le  jour,  fermé  dans  mon  étude  , 
Avec  grande  sollicitude, 
Et  courbé  sur  mon  estomac, 
Je  feuillette  quelque  gros  sac; 
Et  toi  cependant  tu  te  ris. 
Ou  de  quelque  joyeux  devis 
Tu  t'entretiens,  ou  bien  tu  chantes 
Oisif  auprès  de  mes  servantes. 
Bref  tu  ne  prens  aucun  souci 
Du  présent  ni  futur  aussi; 
Et  tu  n'as  pas  peur  que  la  vigne 
Reçoive  quelque  mal  insigne , 
Moins  encor  que  les  autres  fruits 
Soient  par  un  orage  détruits; 
Car  tu  n'en  veux  laisser  de  faire 
Tes  quatre  repas  d'ordinaire. 
O  heureux ,  trois  et  quatre  fois, 
Si  ton  bonheur  tu  connoissois  ! 
Car  pour  vrai  tu  nous  verrois  être. 
Moi  du  nom,  toi  par  effet  maître, 
Et  que  je  ne  suis  rien,  sinon 
Le  dépensier  de  la  maison; 
Et  encore  au  bout  de  l'année 
Ta  fortune  est  si  fortunée. 
Que,  me  servant  de  peu  ou  rien. 
Il  faut  du  plus  clair  de  mon  bien 
Te  donner  salaire  et  bon  gage  : 
Es-tu  pas  plus  heureux  que  sage? 


ETIENNE  TABOUROT.  389 


STANCES. 

Il  n'est  rien  si  puissant  que  l'Amour  et  la  Mort  : 
La  Mort  détruit  le  corps,  l'Amour  détruit  les  âmes; 
Mais  encore  l'Amour  me  semble  le  plus  fort  : 
Car  la  vie  et  la  mort  dépendent  de  ses  flammes. 

Amour,  comme  il  lui  plaît,  nous  fait  vivre  et  mourir, 
Par  ses  rigueurs  on  meurt ,  ses  douceurs  font  revivre  : 
La  Mort  ayant  blessé,  ne  nous  peut  plus  guérir. 
Et  l'amant ,  pour  mourir,  d'Amour  ne  se  délivre. 

Jusques  dans  les  enfers  Amour  nous  va  suivant, 
La  Mort  tant  seulement  nous  suit  jusqu'à  la  tombe; 
Au  pouvoir  de  l'Amour  Ton  retombe  souvent, 
Au  pouvoir  de  la  Mort  jamais  on  ne  retombe. 

La  Mort  dont  le  pouvoir  s'amortit  dans  les  cieux. 
Contre  des  cœurs  de  terre  exerce  sa  puissance  ; 
L'Amour  va  triomphant  des  hommes  et  des  dieux. 
Et  prend  force  du  ciel ,  dont  il  prend  sa  naissance. 

Le  malheur  de  la  Mort,  fin  de  tous  nos  malheurs, 
Noyé  au  fleuve  d'oubli  nos  pénibles  pensées  : 
L'Amour,  commencement  de  toutes  nos  douleurs, 
Nourrit  le  souvenir  de  nos  peines  passées. 

Si  la  Mort  nous  ayant  au  tombeau  renfermés, 
D'un  bandeau  ténébreux  nous  sille  les  paupières, 
L'Amour,  aveugle  enfant ,  nous  tient  si  bien  charmés. 
Qu'il  prive  la  raison  de  toutes  ses  lumières. 


390  ETIENNE  TABOUROT. 

Amour,  fils  de  Vénus,  Mort,  fille  du  Destin, 

Seules  divinités  que  mon  ame  révère, 

Hélas!  je  vous  invoque  et  réclame  sans  fin; 

Mais  Tune  m'est  trop  douce,  et  l'autre  trop  sévère. 


ÉPITAPHE  FAITE  POUR  UN   ATHEISTE. 

J'ai  vécu  sans  ennui ,  je  suis  mort  sans  regret. 
Je  ne  suis  plaint  d'aucun,  n'ayant  pleuré  personne; 
De  savoir  où  je  vais,  c'est  un  autre  secret: 
J'en  laisse  le  discours  aux  docteurs  de  Sorbonne. 


ÉPITAPHE  D'UN  CHICANNEUR. 

Du  plus  grand  cbicanneur  qu'on  pourra  jamais  voir, 
En  ce  tombeau  glacé  gît  la  dépouille  morte  : 
Pluton,  bote  commun,  ne  le  veut  recevoir. 
De  peur  qu'en  son  pays  la  cbicanne  il  ne  porte. 


ÉPITAPHE. 

Ci  gît  qui  fut  plein  de  diffame; 
C'étoit,  pour  vous  le  faire  court, 
Un  Mars  au  combat  de  l'Amour, 
Au  combat  de  Mars  une  femme. 


ETIENNE  TABOUROT.  3ç)l 


D'UNE  VIEILLE  ET  RICHE  COQUETTE. 

Image  de  la  mort,  vieille  sempiternelle, 
Que  vous  sert-il  d'user  de  tant  de  cruauté  ? 
Ma  foi!  vous  vous  trompez  de  faire  la  cruelle; 
Car  j'aime  vos  écus,  non  pas  votre  beauté. 

Vos  cheveux  jà  grisons,  blondis  par  artifice, 
Vos  yeux  qui  semblent  fiers  d'une  mourante  ardeur, 
N'obligeroient  personne  à  vous  rendre  service. 
Si  vous  n'aviez  de  l'or  autant  que  de  laideur. 

Les  dieux  vous  ont  fait  naître  autant  riche  que  laide , 
Vous  faisant  part  de  l'or,  dont  le  monde  est  jaloux. 
Afin  qu'à  vos  laideurs  l'or  serve  de  remède , 
Et  que  pour  avoir  l'or  on  fasse  cas  de  vous. 

Ceux  de  qui  vous  avez  la  liberté  ravie. 
Sont  remplis  d'avarice ,  et  non  d'autre  désir  ; 
Et  si  par  le  passé  quelqu'un  vous  a  servie. 
C'est  pour  l'espoir  du  gain,  et  non  pour  le  plaisir. 


ÉPITAPHE. 

NuD  du  ciel  je  suis  descendu , 
Et  nud  je  suis  sous  cette  pierre; 
Donc  pour  être  venu  sur  terre, 
Je  n'ai  ni  gagné  ni  perdu. 


392  CLOVIS  HESTEAU. 


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CLOVIS   HESTEAU. 


Clovis  Hesteau  étoit  natit'de  Blois;  il  vivoit  encore 
en  i584>  Il  'lit  secrétaire  de  la  chambre  du  roi  et  de 
Monsieur,  c'est-à-dire  de  Henri  m  et  du  duc  d'Anjou. 

Ses  Œuvres  poétiques,  dédiées  au  duc  d'Anjou, 
turent  publiées  en  iSyS.  Ce  recueil  est  divisé  en  trois 
Livres,  Le  premier  contient  des  Stances  en  faveur  de 
V Académie.  Cette  Académie  n'étoit  encore  qu'une 
société  littéraire,  que  le  duc  d'Anjou  avoit  fondée,  ou 
dont  il  étoit  du  moins  le  protecteur;  les  Gémissements 
de  la  France  au  roi^  Pallas  h  Monsieur,  pièces  rela- 
tives aux  troubles  de  la  France;  luie  Hjinne  a  la 
Fortune;  une  Ode pindariquc  a  Monsieur,  sur  ses  inc- 
^oi'rei;  plusieurs  autres  odes,  quelques  sonnets,  etc. 

Les  Amours  composent  le  second  Livre;  c'est  un 
recueil  de  cent  un  sonnets ,  avec  une  prière ,  des 
stances  ,  un  dialogue  et  une  ode. 

Le  troisième  Livre  renferme ,  sous  le  titre  de  divers 
poèmes ,  un  Sonnet  a  mademoiselle  d^Atry;  un  Chant 
pastoral  à  la  même;  la  Métamorphose  du,  fii^uier ;  les 
Reproches  de  Médée  h  Jason;  les  Enchantements  du  sieur 
de  Beaujojeux  ;  on  trouve  ensuite  la  Jalousie  de  Ca- 
nidie;  les  Plaintes  de  Roger  pour  Bradamntite;  la  Plainte 
de  Telie  a  Echo;  un  Cartel;  une  Satyre  contre  les 
ennemis  de  la  France,  et  l'épitaphe  de  trois  frères, 
traduite  du  latin,  de  Jean  Dorât, 


CLOVIS  HESTEAU.  SgS 


SONNET. 

Lorsque  l'astre  du  jour  ses  grands  coursiers  attelle, 
Pour  nous  darder  ses  rets  plus  que  l'or  reluisans, 
Je  sens  naître  dans  moi  mille  soupirs  cuisans , 
Poussés  d'un  soin  rongeur,  qui  toujours  me  martelle. 

Autant  qu'il  va  haussant  sa  lumière  immortelle. 
Autant  mon  mal  s'avance  et  consomme  mes  ans  : 
Autant  qu'il  aide  à  tout,  mes  maux  me  sont  nuisans, 
Et  comme  il  est  sans  fin ,  ma  peine  est  éternelle. 

S'il  éloigne  de  nous  son  ardente  chaleur. 

De  plus  en  plus  s'accroît  mon  ardente  douleur  : 

Tellement  que  le  tems  se  change,  et  non  ma  peine. 

La  nuit  chasse  le  jour,  le  jour  chasse  la  nuit, 
Et  Phœbus  et  Phœbé  chacun  à  son  tour  luit  : 
Bref  tout  est  incertain,  mais  ma  peine  est  certaine. 


ODE. 

UNE  DAME  QUI  ÉTAIT  FIERE  DE  SES  RICHESSES. 

De  la  vermeille  courriere 
La  roussoyante  lumière 
Se  ranime  chaque  jour; 
Jamais  la  lune  blafarde 
Plus  d'un  quartier  ne  retarde , 
Faisant  son  oblique  tour. 


394  CLOVIS  HESTEAU. 

Jamais  les  ondes  soufflées 
Ne  défaillent  d'être  enflées 
Au  tomps  des  ides  de  mars; 
Toujours  riierbc  ^erdissante 
Est  au  printemps  renaissante 
Dans  la  clôture  des  parcs. 

Du  manoir  rempli  d'encombre 
La  porte  puante  et  sombre 
Est  ouverte  à  l'arriver; 
Mais,  quand  Tame  vagabonde 
A  franchi  la  bourbeuse  onde, 
On  ne  l'en  peut  retirer. 

Atropos,  grosse  d'envie, 
Sait  bien  cacher  notre  vie 
Dessous  le  tombeau  reclus; 
Mais,  quand  par  sa  main  meurtrière 
Elle  est  en  proie  à  la  bière, 
Clotho  ne  la  fde  plus. 

Qui  est  le  roi  (|ue  la  panjue 
Ne  fait  descendre  en  sa  barque 
Pcle-mêle  errant  au  port  ? 
Quelles  couronnes  puissantes. 
Quelles  masses  d'or  luisantes 
Le  rachettent  de  la  mort  ! 

Je  compare  ta  fortune. 
Madame,  ;iu  biuyant  Neptune, 
Quand  les  vents  sont  courroucés , 
Qui  les  mats  pousse  aux  étoiles. 


CLOVIS  HESTEAU.  3c^!j 

Puis  tantôt  cache  les  voiles 
Dessous  les  flots  entassés. 

Au  nuage  elle  ressemble 

Qui  boit,  qui  pompe  et  assemble 

La  terrestre  humidité; 

Puis  crevant  elle  desserre 

Son  lourd  fardeau  sur  la  terre , 

Lourdement  précipité. 

Souvent  Tourse  à  la  renverse 
Entasse  en  mainte  traverse 
Sa  queue  au  tour  du  mouton  ; 
Puis,  l'empoignant  à  la  tête. 
Ne  laisse  rien  de  la  bête 
Que  les  os  et  le  cotton. 

Peux-tu  bien  faire  la  chiche 
Du  bien  dont  tu  te  vois  riche , 
Et  dire  que  ma  valeur 
Mérite  bien  quelque  chose  ; 
Mais  qu'il  ne  faut  pas  que  j'ose 
Attenter  à  ta  grandeur? 

Vois  la  reine  Egyptienne 

Et  la  grand'  Phénicienne, 

Aimoient-elles  pour  le  bien  ? 

Non  ;  mais  deux  pauvres  gens  d'armes , 

Bannis  par  l'horreur  des  armes, 

Dont  le  plus  grand  n'avoit  rien. 

Doncq'  ce  serpent  d'avarice , 
Père  envenimé  du  vice, 


396  CLOVIS  UESTEAU. 

Entasse  bien  tes  esprits; 
Dédaignant  celui,  cruelle, 
Qui  te  peut  rendre  immortelle 
Par  ses  immortels  écrits. 


ÉPIGRAMME   TIREE   DU    GREC. 

Je  voudrois  de  Crœsus  posséder  les  trésors, 
Je  voudrois  être  roi  de  la  puissante  Asie; 
Mais,  quand  je  vois  bâtir  le  sépulcbre  des  morts. 
Je  quitte  ces  grandeurs  pour  une  douce  vie. 


A    LA   FORTUNE. 

O  fdle  de  Junon  et  du  sacré  Neptune, 
Qui  es  reine  d'Antye,  6  puissante  fortune. 
Dont  l'inconstante  main  ,  retramant  notre  sort, 
Elevé  et  fait  vainqueur,  et  le  foible  et  le  fort; 
Qui  sur  les  grands  palais  emmoncelles  les  herbes. 
Et  qui  changes  en  pleurs  les  triomphes  superbes  ; 
Le  plus  puissant  te  suit,  et  les  pauvres  lunnains, 
T'importunant  de  cris,  vers  toi  tendent  leurs  mains. 
Celui  (|iii  d'un  soc  dur  va  sillonnant  sa  terre. 
Celui  qui  ])ar  l'airain  fait  ranimer  la  guerre. 
Celui  qui,  prisonnier  dans  ses  frêles  vaisseaux. 
Possédé  par  le  gain,  tente  l'ire  des  eaux. 
Le  Dace  belliqueux  et  le  peuple  farouche, 
Que  l'ourse  alaite  aux  Ijords  où  le  soleil  se  couche, 


CLOVIS  HESTEAU.  397 

Les  Lybiens  brùlans,  les  Scythes  passagers, 
Les  Parthes  cauteleux  et  les  Gettes  légers , 
Les  fameuses  cités,  les  peuples,  les  provinces, 
Les  tyrans  redoutés,  les  grands  rois  et  les  princes, 
Redoutent  ta  fureur;  et  craignent  qu'à  leurs  yeux, 
Tu  n'oses  les  fouler  d'un  pied  injurieux. 


SONNET. 

Le  vautour  affamé  qui  du  vieil  Promethée 
Becquette  sans  repos  le  poulmon  renaissant; 
Et  le  vase  maudit  où  le  dieu  punissant 
Envoya  nos  malheurs  au  fol  Epimethée  : 

Celui  par  qui  amont  est  la  pierre  portée, 
Celui  qui,  altéré,  vit  dans  l'eau  languissant, 
Celles  qui  vont  en  vain  leurs  cuves  remplissant, 
Ce  n'est  que  fiction  à  plaisir  rapportée. 

Les  amours  d'Hercules,  et  sa  brûlante  mort. 
Le  pipeur  qui  les  sœurs  deshonora  si  fort, 
Te  font  avoir  pitié  d'une  menteuse  fable. 

Mais,  las!  fermant  les  yeux  à  mon  affliction, 
Tu  feins  de  n'en  rien  voir,  et,  sans  compassion, 
Tu  tiens  pour  fabuleux  mon  tourment  véritable. 


398  THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 


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THEODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 


Théodore  Agrii'pa  d'Albigné  ,  gentilhomme  pro- 
testant et  l'un  des  aïeux  de  madame  de  Maintenon, 
étoit  fils  de  Jean  d'Aubignë,  seigneur  de  Bie  en  Sain- 
tonge,  et  de  Catherine  de  Lestang ,  qui  mourut  en  lui 
donnant  le  jour ,  le  8  février  i55o. 

11  s'attacha  de  bonne  heure  au  parti  de  Henri  iv, 
alors  roi  de  jN'avarre;  et,  lorsque  ce  prince  fut  parvenu 
au  trône  de  France,  il  continua  à  le  servir  avec  le 
même  zèle  et  le  même  dévouement,  quoiqu'il  se  soit 
plaint  très  souvent  de  ne  pas  en  avoir  reçu  les  récom- 
penses qu'il  espéroit  Ce  poète  passa  une  grande  partie 
de  sa  vie  au  milieu  des  camps  et  dans  le  tumulte  des 
armes.  On  fit  dans  la  suite  de  vains  efforts  pour  le 
faire  rentrei'  dans  la  religion  catholi(|ue.  Ses  ennemis 
le  perdirent  dans  lespiit  du  roi,  qui  donna  l'ordre  de 
le  faire  arrêter.  11  en  fut  instruit  à  temps,  et  se  retira  à 
Genève.  Les  magistrats  de  cette  ville  le  reçurent  avec 
les  marques  de  distinction  les  plus  honorables.  Ce  fut 
à  Genève  que  d'Aubigné  se  niaiia  pour  la  seconde 
fois.  H  niourni  le  ay  avril  i63o,  âgé  de  quatre-vingts 
ans. 

La  plus  importante  de  ses  productions  poéticjues  a 
pour  titre  les  Tragiques.  On  y  trouve  un  génie  plein 
de  feu  et  de  hardiesse, des  tableaux  fortement  colorés 
et  des  portraits  remplis  de  vivacité.  Les  horreurs  de 
la  guerre  civile  y  sont  attaquées  avec  la  plus  grande 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ.  899 

force.  Cet  ouvrage  est  divisé  en  sept  Livres;  le  premiei- 
a  pour  titre  les  Misères ,  le  second  les  Princes. 

LéŒ  Chambre  dorée  est  le  titre  du  troisième  ;  le  poète 
y  cherche  l'origine  des  maux  qui  affligent  sa  patrie. 
Dans  le  quatrième  et  le  cinquième ,  intitulés  l'un  ,  les 
Feux  y  et  l'autre  les  Fers,  il  fait  le  récit  des  persécutions 
auxquelles  les  calvinistes  étaient  exposés ,  et  celui  de 
la  Saint-Barthélemi ,  etc.  Le  sixième,  les  Vengeances,  a 
pour  sujet  la  théologie  et  l'histoire  ;  enfin  le  septième 
offre  une  apologie  du  calvinisme,  sous  le  titre  de 
Jugement. 

Les  Tragiques  avoient  été  commencés  en  iS^j, 
mais  ils  ne  furent  imprimés  qu'en  i6i6. 

Les  autres  productions  de  d'Aubigné  sont  des  vers 
funèbres  sur  la  mort  de  Jodelle,  composés  en  i5y4- 
Une  tragédie  de  Circé ,  qui  fut  représentée  aux  noces 
du  duc  de  Jçyeuse;  une  Histoire  universelle  contenant 
ce  qui  s^est  passé  depuis  Van  i65o  jusqu  en  1601.  Il 
est  aussi  l'auteur  de  la  fameuse  satire  connue  sous  le 
nom  de  Confession  catholique  du  sieur  de  Sancj,  etc.  ; 
et  enfin  des  Aventures  du  baron  de  Freneste. 

D'Aubigné  est  riche  d'idées;  mais  il  manque  sou- 
vent de  goiit  :  sa  versification  est  en  général  fort  né- 
gligée. La  plupart  de  ses  ouvrages  furent  brûlés  par  la 
main  du  bourreau. 


4 00  THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 


L'AUTEUR   A   SON    LIVRE. 

Va,  livre,  lu  n'es  tjue  troj)  beau 
Pour  être  né  dans  le  tonil)eau 
Du(|uel  mon  exil  te  délivre  : 
Seul  pour  nous  deux  je  veux  périr  : 
Connnence,  mon  enfant,  à  vivre, 
Quand  ton  père  s'en  va  mourir. 

Encore  vivrai-je  par  toi , 
Mon  fds,  comme  lu  vis  par  moi  : 
Puis  il  faut  ,  comme  la  nourrice 
Et  fdle  du  Romain  Grisou  , 
Que  tu  allaicle  et  tu  cliérisse 
Ton  père,  en  exil,  en  prison. 

Aux  uns  tu  donneras  de  quoy 
Gémir  et  chanter  avec  toy; 
Et  les  autres  en  la  leclure, 
Fronçant  le  sourcil  de  travers. 
Trouveront  bien  ta  couverture 
Plus  agréable  ([ue  tes  vers. 

Pauvre  enfiint ,  comment  parois-tu 

Paré  de  la  seule  verlu? 

C^ar,  pour  une  aine  favorable. 

Cent  le  londamneronl  au  feu  : 

INIais  c'est  ton  bul  invariable 

De  plaire  aux  bons,  et  plaire  à  j)eu. 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AURIGNÉ.  4^' 

Bien  que  de  moi  desja  soit  né  ' 
Un  frere  et  plus  heureux  aisné , 
Plus  beau  et  moins' plein  de  sagesse; 
C'est  l'enfant  de  mes  premiers  jours  : 
Tu  peux  instruire  son  ainesse, 
Et  son  partage  est  en  amours. 

J'eus  cent  fois  envie  et  remord 
De  mettre  cet  ouvrage  à  mort  : 
Je  voulois  tuer  ma  folie  ; 
Cet  enfant  bouffon  m'appaisoit; 
Mais,  malgré  sa  gaité  jolie, 
Il  me  déplut,  car  il  plaisoit. 

Suis-je  fâcheux  de  me  jouer 

A  mes  enfans,  de  les  louer? 

Amis  ,  pardonnez-moi  ce  vice , 

S'ils  sont  camus  et  contrefaits  ; 

Ni  la  mère  ni  la  nourrice 

Ne  trouvent  point  leurs  enfans  laids. 

Aujourd'hui  abordé  au  port 
D'une  douce  et  civile  mort , 
Comme  en  une  terre  féconde, 
D'autre  humeur  je  fais  d'autres  vers, 
Marry  d'avoir  laissé  au  monde 
Ce  qui  plait  au  monde  pervers. 

Alors  je  n'adorois  sinon 
L'image  vaine  du  renom, 

L'auteur  avoit  fait  dans  sa  jeunesse  un  recueil  de  vers  amoureux. 


4oîi  THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 

Renom  de  douteuse  espérance  ; 
Ici ,  sans  espoir ,  sans  esinoy , 
Je  ne  veu\  autre  récompense 
Que  dormir  satisfait  de  moi. 

Vallons  d'Augrougne  bienheureux, 
Vous  consolez  les  malheureux , 
Séparant  des  fanges  du  monde 
Votre  chrestienne  liberté, 
Vous  défendez  à  coups  de  fronde 
Le  logis  de  la  vérité. 

Je  cherchois  de  mes  tristes  yeux 
La  vérité  aux  aspres  lieux, 
Quand  dans  cette  obscure  tanniere 
Je  vis  resplendir  sa  clarté  , 
Sans  qu'il  y  eiit  autre  lumière  : 
Sa  lumière  étoit  sa  beauté. 

C'est  toy,  dis-je,  qui  sçus  ravir 
Mon  cœur  ardent  à  te  servir  ; 
A  jamais  tu  seras  servie 
De  lui  tant  qu'il  sera  vivant: 
Peut-on  mieux  conserver  sa  vie , 
Que  de  la  perdre  en  te  servant? 

Le  salaire  est  la  mort  certaine; 
C'est  un  loyer  bien  à  propos  : 
Le  repos  est  fin  de  la  peine, 
Et  la  mort  est  le  vrai  repos 
De  quiconque  avec  fermeté 
Montre  l'austère  vérité. 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ.  4o' 

Quel  château  peut  si  bien  loger? 
Quel  roy  si  heureux  qu'un  berger? 
Quel  sceptre  vaut  une  houlette? 
Tyrans ,  vous  craindrez  mes  propos  : 
J'auray  la  paix  en  ma  logette  , 
"Vos  palais  seront  sans  repos. 

Je  sens  ravir  dedans  les  cieux 
Mon  ame  aussi  bien  que  mes  yeux , 
Quand  en  ces  montagnes  j'advise 
Ces  grands  coups  de  la  vérité, 
Et  les  beaux  combats  de  l'Eslise 
Signalés  dans  la  pauvreté. 

Dieu  fit  là  merveille  :  ce  lieu 
Est  le  sanctuaire  de  Dieu  : 
Là  Satan  n'a  l'ivraye  mise 
Ni  la  semence  de  sa  main  : 
Là  les  agnelets  de  l'Eglise 
Sautent  au  nez  du  loup  romain. 

Quand  Dieu  veut  nous  rendre  vainqueurs , 
Il  ne  choisit  rien  que  les  cœurs, 
Car  toutes  mains  lui  sont  pareilles  : 
Et  mesme  en  cherchant  les  moyens 
D'opérer  ses  grandes  merveilles. 
Il  choisit  parmi  les  payens. 

L'exemple  de  Scévole  est  beau  , 
Qui,  ayant  failli  du  couteau, 
Chassa  d'une  brave  parole 
L'ennemi  du  peuple  romain  ; 


4o4  THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 

Et  le  feu  qu'endura  Scévole 
Fit  plus  que  le  coup  de  sa  main. 

Rends-toy  d'un  soin  continuel, 

Prince  Gédéon  d'Israël  :  ' 

Boi  le  premier  dedans  l'eau  vive, 

En  cette  eau  trempe  aussi  ton  cœur: 

Il  y  a  de  la  peine  oisive , 

Et  du  loisir  qui  est  labeur. 

Bien  que  tu  as  autour  de  toy 

Des  cœurs  et  des  yeux  pleins  de  foy. 

J'ai  peur  qu'une  Dalila  fine, 

Coupant  ta  force  et  tes  cheveux , 

Te  livre  à  la  gent  pliilistine. 

Qui  te  prive  de  tes  bons  yeux. 

Quand  ta  bouche  renoncera 
Ton  Dieu,  ton  Dieu  la  percera, 
Punissant  le  membre  coupable  : 
Quand  ton  cœur,  déloyal  mocqueur, 
Comme  elle  sera  punissable. 
Alors  Dieu  percera  ton  cœur. 

Dans  ces  cabinets  lambrissés , 

D'idoles  de  cour  tapissés, 

La  vérité  n'est  pas  connue: 

La  voix  du  Seigneur  des  seigneurs 

S'escrit  sur  la  roche  cornue  , 

Qui  est  plus  tendre  que  nos  cœurs. 

Echos,  faites  doubler  ma  voix, 
Et  m'entendez  à  cette  fois  : 

■  C'est  Ilfiiri  IV  qui  est  ici  désigné. 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ.  4o5 

O  célestes  roches  cornues  , 
Poussez  mes  plaintes  dedans  l'air , 
Les  faisant  du  milieu  des  nues, 
En  France ,  une  autre  fois  parler. 

Je  sçay  que  les  enfans  bien  nés 
Ne  chantent,  mais  sont  estonnés , 
Et  ferment  les  yeux,  débonnaires, 
Comme  deux  des  fils  de  Noé  , 
Voyant  la  honte  de  leurs  pères , 
Que  le  vin  fumeux  a  noyé. 

Ainsi  un  temps,  de  ces  félons, 
Les  yeux  fermés ,  à  reculons , 
J'avois  caché  l'ignominie  ; 
Mais  nous  les  trouvons  ennemis, 
Et  non  pères  de  la  patrie , 
Qui  ne  pèchent  plus  endormis. 

Si  mon  cœur  résiste  à  tes  loix  , 

Grand  Dieu ,  i-ends  ma  bouche  sans  voix  ; 

Mais  non,  tu  l'élevé  au  contraire; 

C'est  trop  retenir  mon  devoir  : 

Ce  qu'ils  n'ont  pas  horreur  de  faire, 

J'ai  horreur  de  leur  faire  voir. 

Sors  ,  mon  livre  ;  vois  la  clarté  ; 
Tu  sers  à  la  Divinité  ; 
Je  ne  te  donne  qu'à  l'Eglise  : 
Tu  as  pour  support  l'équité  , 
La  vérité  pour  entreprise, 
Pour  loyer  l'immortalité. 


4o6  THÉODORE  AGRIPPA  D'ALBIGNÉ. 

LES  MISÈRES   DU   TEMPS, 

TIRÉ    DES    TRAGIQUES. 

Je  n'escris  plus  les  feux  cVuu  amour  inconnu; 
Je  suis  par  le  malheur  plus  sage  devenu. 
Le  luth  que  j'accordois  avec  mes  chansonnettes, 
Est  ores  étouffé  de  l'éclat  des  trompettes. 

Financiers,  justiciers,  qui  livicz  à  la  faim 
Ceux  qui  pour  vous  font  naître,  ou  conservent  le  pain; 
Sous  qui  le  laboureur  s'abreuve  de  ses  larmes , 
Qui  laissez  mendier  la  main  qui  tient  les  armes; 
Barbares  en  effet,  François  de  nom,  François, 
Vos  fausses  loix  ont  eu  de  faux  et  jeunes  rois, 
Impuissans  sur  leurs  cœurs,  cruels  en  leur  puissance. 
Rebelles ,  ils  ont  vu  la  désobéissance  ; 
Dieu ,  sur  eux  et  par  eux  déploya  son  courroux , 
N'ayant  autres  boinreaux  de  nous-mêmes  que  nous. 
Les  rois  qui  sont  du  peuple  et  les  rois  et  les  pères. 
Du  troupeau  domestiq'  sont  les  loups  sanguinaires; 
Les  vieillards  enrichis  tremblent  le  long  du  jour; 
Les  femmes,  les  maris,  privés  de  leur  amour. 
Dans  l'ombre  de  la  nuit  se  livrent  à  la  fuite; 
Les  meurtriers  souldoiés  courent  à  leur  poursuite; 
Jj'homme  est  en  proie  à  l'homme,  un  loup  à  son  pareil: 
Le  père  étrangle  au  lit  le  fds;  et  le  cercueil 
Préparé  par  le  fds ,  sollicite  le  père  ; 
Le  frerc  avant  le  temps  hérite  de  son  frcre: 
On  trouve,  pour  emplir  les  cités  de  bourreaux. 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ.  /[OJ 

Des  poisons  inconnus,  et  des  crimes  nouveaux; 
Les  places  de  repos  sont  places  étrangères  ; 
Les  villes  du  milieu  sont  les  villes  frontières  : 
Le  village  se  garde ,  et  nos  propres  maisons 
Nous  sont  le  plus  souvent  garnisons  et  prisons; 
L'honorable  bourgeois  ,  l'exemple  de  sa  ville  , 
Voit  violer  ensemble  et  sa  femme  et  sa  fille, 
Et  se  trouve  au  pouvoir  de  l'insolente  main 
Qui  s'étendoit  naguère  à  mendier  du  pain  : 
Le  sage  justicier  est  traîné  au  supplice. 
Le  malfaiteur  lui  fait  son  procès  ;  l'injustice 
Est  principe  de  droit,  comme  au  monde  à  l'envers, 
Le  père  est  châtié  par  son  enfant  pervers: 
Celui  qui  en  la  paix  cachoit  son  brigandage , 
De  peur  d'être  puni,  étalle  son  pillage; 
La  terre  sans  labeur,  honteuse  de  se  voir. 
Cherche  encore  des  mains ,  et  n'en  peut  plus  avoir: 
Les  loups  et  les  renards,  et  les  bêtes  sauvages, 
Tiennent  place  d'humains,  possèdent  les  villages. 
Si  bien  qu'en  même  lieu,  où  en  paix  on  eut  soin 
De  resserrer  le  pain ,  on  y  cueille  le  foin  : 
La  nature  est  sans  force,  et  les  mères  non  mères 
Nous  ont  de  leurs  forfaits  pour  témoins  oculaires. 
C'est  en  ces  sièges  lents,  ces  sièges  sans  pitié, 
Que  des  plus  tendres  cœurs  s'envole  l'amitié. 
La  mère  en  son  berceau  prend  son  fils  dont  la  bouche 
Sourit  encore,  hélas!  à  ce  monstre  farouche; 
La  mère,  ayant  long-temps  combattu  dans  son  cœur 
La  voix  de  la  pitié,  de  la  faim  la  fureur, 
Convoite  dans  sou  sein  la  créature  aimée , 


4o8  THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 

Et  dit  à  son  enfant ,  moins  mère  qu'affamée  : 
Rends,  misérable,  rends  le  corps  que  je  t'ai  fait; 
Ton  sang  retournera  où  tu  as  pris  le  lait  ; 
Au  sein  qui  t'allaictoit  rentre  contre  nature: 
Ce  sein  qui  t'a  nourri  sera  ta  sépulture. 
La  main  tremble  en  tirant  le  funeste  couteau; 
Et  cette  mère  enfin  n'est  qu'un  lâche  bourreau. 

Henry,  qui  tous  les  jours  vas  prodiguant  ta  vie  , 
Pour  du  sein  des  François  bannir  la  tyrannie , 
Ennemi  des  tyrans,  ressource  des  vrais  rois, 
Quand  le  sceptre  des  lis  joindra  le  Navarrois, 
Souviens-toi  de  quel  œil ,  de  quelle  vigilance 
Tu  vois  et  remédie  aux  malheurs  de  la  France  : 
Souviens-toi  quelque  jour  combien  sont  ignorans 
Ceux  qui  pour  être  rois  veulent  être  tyrans. 
Nos  rois  sont  serfs  d'un  prêtre  :  on  voit  sans  qu'on  s'estonne 
I;a  pantouffle  fouler  les  fleurs  de  la  couronne  : 
Dont  ainsi  que  Néron,  ce  JNéron  insensé,' 
Escrit,  en  sang,  ces  mots  que  son  ame  a  pensé  : 
Entre  tous  les  mortels,  de  Dieu  la  prévoyance 
M'a  du  haut  ciel  choisi,  donné  sa  lieutenance  : 
Je  suis  des  nations  juge,  à  vivre  et  mourir; 
Ma  main  fait  ((ui  lui  plaît  et  sauver  et  périr; 
Par  mes  arrêts  j'espars,  je  détruis,  je  conserve 
Tout  pays ,  toute  gent ,  je  la  rends  libre  ou  serve  ; 
J'esclave  les  plus  grands  ;  mon  plaisir,  pou  r  tous  droits, 
Donne  aux  gueux  la  couronne,  et  le  bissac  aux  rois. 
Cet  ancien  loup  romain  n'en  sçut  pas  davantage; 
Mais  le  loup  de  ce  siècle  a  bien  autre  langage. 
'  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'auteur  est  protestant. 


THÉODORE  AGRIPPA  D'ALBIGNÉ.  4^9 

Je  dispense,  dit-il,  du  droit  contre  le  droit: 
Celui  que  j'ai  damné,  quand  le  ciel  le  voudroit, 
Ne  peut  être  sauvé  ;  j'autorise  le  vice  ; 
Je  fais  à  mon  plaisir,  de  justice  injustice; 
Je  sauve  les  damnés  en  un  petit  moment  ; 
J'en  loge  dans  le  ciel  à  coup  un  régmient  : 
Je  fais  de  boue  un  roy,  je  mets  les  roys  aux  fanges; 
Je  fais  les  saints,  sous  moi  obéissent  les  anges  : 
Je  puis ,  cause  première  à  tout  cet  univers , 
Mettre  l'enfer  au  ciel ,  et  le  ciel  aux  enfers. 

Seigneur,  veux-tu  laisser  en  cette  terre  ronde 
Régner  ton  ennemi?  ]N'es-tu  seigneur  du  monde? 
Toi,  Seigneur,  qui  abats,  qui  blesse,  qui  guéris. 
Qui  donnes  vie  et  mort,  qui  tue,  et  qui  nourris. 

Les  temples  du  payen ,  du  Turc ,  de  l'idolâtre  , 
Haussent  dedans  le  ciel  et  le  marbre  et  l'albâtre  ; 
Et  Dieu  seul  au  désert ,  pauvrement  liébergé , 
A  bâti  tout  le  monde ,  et  n'y  est  pas  logé  ! 

Les  moineaux  ont  leurs  nids,  leurs  nids  les  hirondelles; 
On  dresse  quelque  fuye  aux  simples  colombelles: 
Tout  est  mis  à  l'abri  par  les  soins  des  mortels, 
Et  Dieu  seul  immortel,  n'a  logis  ni  autels. 

Nous  faisons  des  rochers  les  lieux  où  l'on  te  presche, 
Un  temple  de  l'estable ,  un  autel  de  la  crèche  : 
Eux  du  temple,  une  estable  aux  ânes  arrogans, 
De  la  sainte  maison ,  la  caverne  aux  brigands. 

IjCs  premiers  des  chrétiens  prioient  aux  cimetières; 
Nous  avons  fait  ouïr  aux  tombeaux  nos  prières , 


4'0  THÉODORE  AGRIPPA  D'AUBIGNÉ. 

Fait  sonner  aux  tombeaux  le  nom  de  Dieu  le  fort. 

Et  annoncé  la  vie  au  logis  de  la  mort. 

En  ces  lieux  caverneux,  tes  chères  assemblées, 
Des  ombres  de  la  mort  incessamment  troublées, 
JVe  feront-elles  plus  résonner  tes  saints  lieux. 
Et  ton  renom  voler  des  terres  dans  les  cieux  ? 

Quoi  !  serons-nous  muets?  serons-nous  sans  oreilles? 
Sans  mouvoir,  sans  chanter,  sans  ouïr  tes  merveUles  ? 
As-tu  esteint  en  nous  ton  sanctuaire?  Non; 
De  nos  temples  vivans  sortira  ton  renom. 

Tel  est  en  cet  état  le  tableau  de  l'Eglise  ; 

Elle  a  les  fers  aux  pieds ,  sur  les  gènes  assise , 

A  sa  gorge  la  corde  et  le  fer  inhumain. 

Un  pseaume  dans  la  bouche,  et  un  luth  en  la  main. 

Que  ceux  qui  ont  fermé  les  yeux  à  nos  misères, 
Que  ceux  qui  n'ont  point  eu  d'oreille  à  nos  prières , 
De  cœur  pour  secourir,  mais  bien  pour  tourmenter. 
De  main  pour  nous  donner,  mais  tout  pour  nousôter. 

Trouvent  tes  yeux  fermés  à  juger  leurs  misères! 
Ton  oreille  soit  sourde  en  oyant  leurs  prières  ! 
Ton  sein  serré  soit  clos  aux  pitiés,  aux  pardons! 
Ta  main  sèche,  stérile  aux  bienfaits  et  aux  dons! 

Ils  blasphèment  le  ciel;  et  les  voûtes  célestes 
N'ont-elles  plus  de  foudre  et  de  feux  et  de  pestes? 
Ne  partiront  jamais  du  tlirosnc  où  tu  te  sieds, 
Et  la  mort  et  l'enfer  qui  donnent  à  tes  pieds  ? 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AIjBIGNÊ.  l\li 


LES   PRINCES. 

TIRÉ    DES    TRAGIQUES. 

Lâche  jusqu'à  ce  jour,  je  n'avois  entrepris 
D'attaquer  les  grandeurs,  craignant  d'être  repris 
Par  la  malignité  d'une  glose  étrangère, 
Ou  de  peur  d'encourir,  pour  cause  trop  légère, 
Le  courroux  très-pesant  des  princes  irrités  ; 
Celui-là  se  repent  qui  dit  leurs  vérités  : 
Mais  qui  en  dit  du  bien  trahit  sa  conscience; 
Et  je  veux  du  vrai  seul  embrasser  la  défense. 

Je  vois  ce  que  je  veux,  et  non  ce  que  je  puis; 
Je  vois  mon  entreprise,  et  non  ce  que  je  suis: 
Les  flatteurs  de  l'amour  ne  chantent  que  leurs  vices, 
Que  des  termes  choisis  pour  goûter  les  délices; 
Que  miel,  que  ris,  que  jeux,  amours  et  passe-temps, 
Une  heureuse  folie  à  consommer  son  temps. 
Quand  j'étois  fol  heureux,  si  cet  heur  est  folie, 
De  rire  ayant  sur  soi  sa  maison  démolie , 
Je  fleurissois  comme  eux  de  ces  mêmes  propos, 
Et  par  l'oi.jiveté  je  perdois  le  repos. 
Ce  siècle ,  autre  en  ses  mœurs ,  demande  un  autre  style  ; 
Cueillons  des  fruits  amers  desquels  il  est  fertile. 
Mais ,  las  !  qui  osera  persuader  aux  grands , 
Combien  ils  sont  petits,  et  foibles  et  sanglans  ? 
Des  ordures  des  grands  le  poëte  se  rend  saie , 
Quand  il  peint  en  César  un  ord  Sardanapale; 


4l2  THÉODORE  AGRIPPA  DArBIGNÉ. 

Quand  un  traître  Sinon  j)our  sage  est  estimé, 

Déguisant  un  Néron  en  Trajan  hien-aimé  ; 

Quanti  d'eux  une  Thaïs,  une  Lucrèee  est  dite; 

Quand  ils  nomment  Aciiillc  un  infâme  Thersite. 
Flatteurs,  je  vous  en  veux;  je  eommence  par  vous 

A  déployer  les  traits  de  mon  juste  courroux. 

Ingrats,  vous  attaquez  celui  qui  vous  appuie  ; 

Vipéraux,  vous  tuez  qui  vous  donne  la  vie. 

Princes,  ne  prêtez  pas  l'oreille  à  vos  flatteurs; 

Ils  entrent  finement,  ils  sont  subtils  questeurs; 

Ils  ne  prennent  aucun  que  celui  qui  se  donne  : 

A  peine  de  leurs  lacqs  vois-je  sauver  personne  ; 

(^ar  même  en  les  fuyant  nous  en  sommes  déçus. 
Et,  bien  que  repoussés,  souvent  ils  sont  reçus. 

Rois ,  par  Dieu  même  élus ,  beaux  piliers  de  son  temple , 
Vous,  de  ce  temple  saint  et  la  gloire  et  l'exemple, 
Quand  vous  le  profanez,  vous  restez  esbabis, 
Que  désobéissans ,  vous  n'êtes  obéis  ; 
Car  Dieu,  rendant  exprès  les  peuples  infidèles. 
Par  leur  rébellion,  punit  les  rois  rebelles. 
Vous  secouez  le  joug  du  puissant  roi  des  rois! 
Vous  mespriscz  son  joug  !  on  mesprise  vos  lois. 
De  vos  affections,  quelle  fureur  despite 
Tyrannise  vos  cœurs,  vous  pousse  et  vous  excite 
A  tremper  dans  le  sang  vos  sceptres  odieux. 
Vicieux  commencer,  achever  vicieux. 
Le  règne  insupportable  et  rempli  de  misères. 
Dont  le  peuple  poursuit  la  fin  par  ses  prières. 
El  la  haine  et  l'amour  sont  les  marques  à  quoi 
On  distingue  toujours  le  tyran  et  le  roi. 


THÉODORE  AGRIPPA  D'AURIGNÉ.  4l3 

L'un  renverse  les  murs  et  les  loix  de  ses  villes, 
Et  l'autre  à  conquérir  met  les  armes  civiles. 
L'un  cruel,  l'autre  doux,  gouvernent  leurs  subjets, 
En  valets  par  la  guerre ,  en  enfans  par  la  paix. 
L'un  veut  être  haï,  pourvu  que  l'on  le  craigne; 
L'autre  sur  l'amour  seul  veut  établir  son  re^ne. 
Le  bon  chasse  les  loups,  l'autre  est  loup  du  troupeau; 
Le  roi  veut  la  toison ,  l'autre  arrache  la  peau  ; 
Le  roi  fait  que  la  voix  du  peuple  le  bénie  : 
Mais  le  peuple  en  ses  vœux  maudit  la  tyrannie. 

Voici  quels  dons  du  ciel,  quels  thrésors ,  quels  moyens 
Exigoient  dans  leurs  rois  les  plus  sages  payens  ; 
Voici  quel  est  le  roi  de  qui  le  règne  dure  : 
C'est  celui  qui  sur  soi  fait  régner  la  nature; 
Qui  craint  Dieu,  qui  toujours  au  pauvre  ouvre  son  cœur, 
Sage  en  entreprenant,  hardi  exécuteur. 
Craintif  en  prospérant,  dans  le  péril  sans  crainte, 
Au  conseil  sans  chaleur,  dans  le  discours  sans  feinte. 
Imprenable  au  flatteur,  gardant  l'ami  ancien. 
Chiche  de  l'or  public ,  très-libéral  du  sien , 
Seigneur  de  ses  sujets,  aux  amis  secourable, 
Terrible  à  ses  haineux,  mais  à  nul  mesprisable, 
Familier,  non  commun,  aux  domestiques  doux. 
Effroyable  aux  médians,  équitable  envers  tous. 
Ami  des  vertueux ,  persécuteur  du  vice , 
Juste  dans  sa  pitié ,  clément  en  sa  justice. 

Prince,  comment  peux-tu  celui  abandonner, 
Qui  pour  toi  perd  le  sang  que  tu  ne  peux  donner? 
Nous  souffrons,  malheureux,  des  peines  immortelles, 
Pour  soutenir  des  grands  les  injustes  querelles, 


4l4  THÉODORE  AGRIPPA  D'AllBIGNÉ. 

Valets  de  tvrniinic,  et  combattons  evjjrès, 
Pour  estahlir  le  joug  qui  nous  aecal)le  aj3rès. 
Nos  pries  estoient  fVanes  :  nous  ((ui  sommes  si  braves. 
Nous  laissons  des  enfans  qui  seront  nés  esclaves  1 


PIERRE  LE  LOYER.  4l5 

PIERRE   LE   LOYER, 

SIEUR  DE  LA  BROSSE. 


Ce  poète  naquit  à  Huillé ,  village  sur  le  Loir,  le  24 
novembre  i55o;  il  fit  ses  études  de  droit  à  Toulouse, 
et  vint  ensuite  à  Paris  «  pour  pratiquer,  dit-il ,  à  la 
«  suite  du  Parlement ,  les  loix  qu'il  avoit  apprises  aux 
«  écoles.  »  Il  se  retira  quelque  temps  api'ès  à  Angers, 
où  il  occupa  la  charge  de  conseiller  au  présidial ,  et 
s'y  maria  avec  Jeanne  Corneillan  ,  dont  il  eut  deux 
fils.  Il  mourut  dans  cette  ville  en  i634,  âgé  de  quatre- 
vingt-quatre  ans. 

Le  Loyer  étoit  fort  versé  dans  les  langues  anciennes. 
Il  avoit  acquis  par  d'immenses  lectures  une  profonde 
érudition.  Son  amour  pour  les  langues  orientales  lui 
fit  imaginer  d'y  chercher  les  étymologies,  non  seule- 
ment des  villes  de  la  France ,  mais  celles  des  villages , 
hameaux,  maisons,  etc.,  de  la  province  d'Anjou.  On 
peut  voir,  du  reste,  jusqu'à  quel  point  il  a  poussé  ces 
bizarres  recherches,  dans  son  ouvrage  des  Colonies 
iduméanes  (  Paris,  1620 ,  //i-8  '  ).  11  se  livra  à  des  visions 
d'un  autre  genre,  mais  non  moins  ridicules,  dans  son 
Traité  des  Spectres,  autre  écrit  en  prose. 

Pendant  son  séjour  à  Paris,  et  en  1578,  Le  Loyer 
fit  imprimer  lui-même  ses  OEuvres  et  Meslanges  poé- 
tiques. Ce  recueil  se  compose  des  Amours  de  Flore 
et  de  poésies  de  divers  genres  ;  du  Boccage  de  VArt 
d^ aimer ^  imitation  du  poëme  d'Ovide  5  des  Meslanges 


4l6  PIERRE  LE  LOYER. 

poétiques  en  soixante-onze  sonnets;  de  plusieurs  épi- 
graninies;  du  Muet  insensé,  comédie  qui  n'a  rien  de 
remarquable;  de  la  JSépkélocncugie ,  ou  la  nuée  des 
Cocus,  autre  comédie  extrêmement  libre,  et  qui  n'est, 
d'un  bout  à  l'autre,  qu'un  long  dialogue  entremêlé 
d'odes  avec  strophes,  anti-stroplies  et  épodes,  sans 
division  d'actes  ni  de  scènes  ;  des  Folatries  et  eshats  de 
jeunesse,  reciu'il  d'odes,  de  chansons,  d'épigrammes; 
de  XErotopai^nie,  nu  passe-temps  d^aniuur,  qui  est  en- 
core un  autre  recueil  de  pièces  galantes. 


PREMIER  BOCAGE  DE  L'ART  D'AIMER. 

STANCES. 

Quiconque  soit  des  François  qui  ignore 
Quel  est  d'aimer  et  1  art  et  le  savoir, 
Lise  mes  vers  et  fasse  son  devoir 
D'effectuer  ce  f|u'il  va  lire  encore. 

Par  art ,  la  nef  parmi  les  (lois  se  glisse, 
Et  d'avirons  la  barque  on  fait  tourner; 
Par  art  on  doit  les  charettes  mener. 
Par  art  il  faut  (|iu-  l'amour  se  régisse. 

Or  ce  bel  art,  bien  qu'il  soit  difficile, 
Aspre  et  fâcheux  en  ses  premiers  progrès, 
S  il  esl   suivi,  l'on  s'aj)per(oit  après 
Qu'il  est  plus  doux,  plus  joyeux  et  facile. 

L  amolli'  commence  au  ilioix  (iii'on  fait  des  belles. 
A|)rès  le  choix  survient  le  deviser, 
Puis  la  |)ricre  et  le  simple  baiser, 
Et  la  mcrcy  que  Ion  désire  d'elles. 


PIERRE  LE  LOYER,  417 

Et  pour  choisir  les  belles  à  ta  guise, 
Il  faut  hanter  la  cour  où  elles  sont , 
Et  les  festins  et  les  bals  qui  se  font, 
Et  les  beaux  lieux,  et  la  plus  grande  église. 

Sois  1)ien  vêtu,  et  surtout  prens-toi  garde 
Detre  bien  net,  bien  propre  et  bien  gentil  : 
Plus  qu'un  esprit  admirable  et  subtil, 
Ce  qui  se  voit,  une  femme  regarde. 

Ce  grand  Socrate,  ornement  de  la  Grèce, 
Fut-il  jamais  des  femmes  estimé  ? 
Et  toutefois  il  tenoit  enfermé 
Dans  son  esprit  le  trésor  de  sagesse. 

Et  si  tu  peux,  apprens  la  poésie 
Et  le  beau  ton  de  mille  chants  divers  : 
Ne  vois-tu  pas  la  musique  et  les  vers 
Gagner  les  sens,  lame  et  la  fantaisie? 

Estre  à  cheval  et  lui  donner  carrière, 
Virevolter  en  maint  estourbillon  , 
Darder  la  barre  et  pousser  le  ballon. 
Cela  sert  bien  d'une  amorce  première. 

Mêle  souvent  du  sel  en  tes  paroles  ; 
N'hésite  point,  parle  sans  trop  parler; 
Ne  sois  point  long,  cela  ne  peut  aller 
Qu'à  ces  pédans  qui  tonnent  aux  écoles. 

Va  entre  deux  et  ne  sois  point  farouche , 
Ni  trop  joyeux ,  si  tu  veux  parler  bien  ; 
Car  la  vertu  consiste  en  son  moyen  : 
Au  trop  et  peu  toujours  le  vice  touche. 
V.  27 


4l8  PIERR!-:  LE  LOYER. 

Vers  les  amours,  quand  le  désir  t'appelle, 
Ne  songe  pas  à  fonder  ton  appui 
Dessus  la  veuve  et  la  femme  d'autrui, 
Ainçois  plustot  sur  la  tendre  pucelle. 

L'œillet  vermeil  est  au  sein  de  la  fille  : 
Quand  il  llélrit  on  le  jette  au  fumier; 
La  rose  est  plus  prisée  en  son  vergier, 
Que  (|u;uid  la  main  et  l'arrache  et  la  pille. 

Dedans  le  bal  va  t'asseoir  auprès  d'elle. 
L'entretenir,  l'appuyer  de  tes  bras  ; 
Et  si  tu  vois  qu'elle  est  sise  bien  bas. 
Fais  lui  servir  tes  genoux  d'escabelle. 

Dessus  sa  robe  ôte-lui  la  poussière, 
Ou  fais  semblant  de  l'ôtcr  pour  le  moins  ; 
Danse  avec  elle  et  lui  serre  les  mains, 
Montrant  l'effort  de  sa  grâce  meurtrière. 

Si  trop  long-temps  la  danse  te  retarde 
Pour  la  conduire  oii  elle  veut  aller, 
Tends-lui  la  main,  et  d "un  humble  parler 
En  t'inclinant  prie  que  Dieu  la  garde. 

Pour  la  servir  sois  prompt,  hardi  et  vite; 
Même  voyant  qu'elle  entre  en  un  couvent. 
N'hésite  point,  songe  à  marcher  devant, 
Et,  l'approchant,  présente  l'eau  bénite. 

Il  faut  souvent  faire  tes  promenades 
Près  du  logis  où  tu  penses  la  voir; 
Et  quelquefois  tu  dois  venir  au  soir 
La  réveiller  de  les  douces  auliades. 


PIERRE  LE  LOYER.  4  [9 

Pour  la  fléchir  pleure  un  peu  par  contrainte  : 
Si  tu  ne  peux,  retiens  bien  mon  conseil, 
Mouille  tes  doigts  et  en  frotte  ton  œil. 
Elle  croira  que  tu  pleures  sans  feinte. 

Que  si  la  belle  accueille  ta  requête. 

D'un  long  parler  trop  doux  ou  trop  hautain, 

Assure  toi  de  lavoir  en  ta  main, 

Et  compte-la  dès-lors  pour  ta  conquête. 

Quand  elle  dit  :  Jamais  entre  vous  ,  hommes , 
]V'oublierez-vous  d'attirer  par  vos  pleurs, 
Et  d'ébranler  par  vos  feintes  douleurs 
Le  simple  cœur  des  femmes  que  nous  sommes? 

Tu  dois  jurer  pour  mieux  te  faire  croire, 
Protestant  Dieu  ,  comme  le  courtisan  , 
Qui  de  mensonge  et  de  fraude  artisan, 
Par  le  jurer  emporte  la  victoire. 

Dis  et  redis  que  ton  cœur  s'évertue 
De  s'affranchir  de  l'amour,  mais  en  vain; 
Que  si  tu  meurs,  tu  veux  bien  que  sa  main 
Soit  celle-là,  non  autre  qui  te  tue. 

Qu'elle  ait  pitié  de  ta  chétive  vie; 
Qu'elle  contemple  et  toi  et  ton  amour; 
Que  tu  ne  peux  vivre  sans  elle  un  jour, 
Et  qu'elle  soit  plus  gracieuse  amie. 

Que  ton  audace  et  ta  langue  elle  excuse, 
Et  que  l'amour  celer  ne  se  pourroit; 
Et  s'il  y  a  du  crhne  en  ton  endroit. 
Que  ses  beautés  plutôt  elle  en  accuse. 


420  PIERRE  LE  LOYER. 

Si  par  hasard  elle  ne  veut  t'escrire, 
Ne  la  contrains  :  aias  fais  tant  seulement 
Qu'elle  te  lise  avec  contentement; 
Elle  voudra  à  la  fin  te  récrire. 

Et  si  Phœbus  t'espoind  de  sa  folie, 
Et  si  tu  as  les  neuf  Sœurs  fréquenté, 
Plains-toi  en  vers  de  sa  grand'  cruauté  : 
Par  vers  gentils  rudesse  est  amolie. 

Lesbie  ainsi  aux  carmes  de  Catulle, 
Ploya  son  cœur  farouche  et  endurci; 
Et  Némesis  eut  l'esprit  adouci 
Par  les  doux  vers  de  son  amant  Tibulle. 

Ainsi  Properce  esbranla  la  poitrine 
De  sa  Cinthye  impitoyable  à  lui  : 
Ainsi  Ovide  appaisa  son  ennui , 
D'un  vers  lascif  attirant  sa  Coryne. 

Si  ni  les  vers  ni  les  lettres  n'ont  force  , 
Dompte  son  cœur  par  quelques  beaux  présens 
Que  tu  verras  qui  lui  seront  plaisans , 
Et  qui  pourront  te  servir  d'une  amorce. 

Par  les  présens  on  rend  l'homme  ployable; 
Par  les  présens  on  appaise  les  dieux; 
Par  les  présens  le  grand  prince  des  cieux 
Retient  en  main  sa  foudre  épouvantable. 

Et  (lu  premier,  pour  entrer  en  sa  grâce, 
Tu  lui  feras  des  fruits  nouveaux  tenir. 
Que  de  ton  cru  tu  diras  provenir. 
Combien  qu'ils  soient  achetés  en  la  place. 


PIERRE  LE  LOYER.  4^1 

Si  tu  connois  qu'elle  est  avare  et  chiche, 
Sache  par  lor  vaincre  son  cœur  malin  : 
Il  n'y  a  rien  si  subtil  et  si  fin 
Pour  rébranler,  comme  ce  métal  riche. 

Certainement  en  l'âge  d'or  nous  sommes; 
Par  l'or,  merveille  !  amour  est  surmonté  : 
L'or  cause  l'heur,  le  nom,  l'autorité. 
Et  la  noblesse  et  les  honneurs  aux  hommes. 

Assez  Acrise  auroit  gardé  sa  fille 
Contre  l'effort  de  mille  et  mille  encor, 
Si  Jupiter  ne  l'eût  prise  par  l'or, 
Lorsqu'il  aima  sa  grâce  si  gentille. 

Et  ne  crains  pas  de  faire  grand'  dépense 
Pour  lui  bailler  ce  qu'elle  aimera  mieux; 
Celui  ne  doit  être  avaricieux 
Que  Cupidon  retient  sous  sa  puissance. 

Vous,  les  mignons  des  filles  de  Parnasse, 
Que  donnez- vous ,  qui  n'avez  aucun  bien 
Pour  présenter,  que  le  luth  Cynthien, 
Et  un  pauvre  art  qui  rien  ne  vous  amasse  ? 

Certes  bien  peu  vos  carmes  on  honore. 
Bien  peu  vous  sert  d'avoir  un  Dieu  au  cœur 
Qui  vous  échauffe  et  vous  mette  en  fureur. 
Si  vous  n'avez  de  quoi  donner  encore. 

Que  vienne  Homère,  ayant  pour  sa  conduite, 
Tant  qu'il  voudra,  les  Muses  et  Phœbus; 
S'il  n'est  garni  de  dons,  c'est  un  alsus, 
Il  est  chassé  lui  et  toute  sa  suite. 


422  PIERRE  LE  LOYER. 

Eh!  croyez-vous  que  votre  amie  estime, 
Au  prix  de  l'or,  vos  carmes  et  vos  chants? 
Non,  non,  les  dons  sont  hien  plus  alhchans 
Que  les  hcaux  mois  compris  en  voire  rime. 

Ne  laissez  pas  toutefois  de  lui  tendre. 
Pour  l'attraper,  vos  fdets  cauteleux: 
Avec  le  temps ,  son  cœur  trop  orgueilleux 
Sera  rendu  humhle,  facile  et  tendre. 

Avec  le  temps ,  le  taureau  difficile 
Vient  sous  le  joug  et  endure  la  main  : 
Avec  le  temps,  le  farouche  poulain 
Dessous  le  frein  pousse  sa  course  agile. 

Qui  est  plus  mol  que  l'eau  de  la  marine? 
Qui  est  plus  dur  que  le  roc  à  touclier  ? 
Et  toutes  fois  l'eau  ({ui  lave  un  rocher. 
Par  laps  du  temps,  le  consonnne  et  le  mine. 

N'employez  l'art  des  sorciers  détestables. 
Et  ne  gâtez  d'un  breuvage  nouveau 
Son  bon  esprit,  son  corps  et  son  cerveau; 
Ains  aimez-la ,  pour  être  aussi  aimables. 

Que  si  c'est  mal  d'empoisonner  sa  dame, 
C'est  mal  aussi  de  l'enyvrer  afin 
De  la  ravir,  quand  la  vapeur  du  vin 
Trouble  ses  sens,  son  cerveau  et  son  ame. 

Amour,  tu  es  difficile  à  contraindre; 
S'il  ne  te  plaît,  tu  as  le  corps  dispos. 
Tu  es  garni  de  deux  ailes  au  dos, 
Et  peux  aller  où  Ton  ne  peut  l'atteindre. 


PIERRE  LE  LOYER.  4 23 

Donc  ne  pensez  contraindre  amour  par  charmes 
Ni  par  prisons,  ni  par  autres  tourmens; 
Vos  hameçons  et  vos  alléchemens , 
Ce  sont  les  dons ,  la  prière  et  les  larmes. 

Or  j'apperçois  que  ma  barque  me  meine, 
Grâces  aux  dieux ,  près  de  la  rive  à  bord  ; 
Il  faut  jetter  mes  ancres  dans  le  port, 
Caller  la  voile  et  abattre  l'anteine. 

En  attendant  une  saison  bénine. 
Lorsque  les  vents  cesseront  leurs  abbois, 
J'équiperai  ma  nef  une  autre  fois, 
Et  reviendrai  voguer  sur  la  marine. 


SECOND  BOCAGE  DE  L'ART  D'AIMER. 
STANCES. 

Quand  je  nasquis,  Amour  et  la  Cyprine 
S'assirent  près  de  mon  berceau,  afin 
De  prononcer  tout  l'heur  de  mon  destin , 
Et  de  m'orner  de  leur  grâce  divine. 

Ma  mère  vit,  estonnée  en  sa  couche. 
Comme  Vénus  d'un  baiser  gracieux 
Pressoit  mon  front,  mes  lèvres  et  mes  yeux, 
Et  me  versoit  du  miel  dedans  la  bouche. 

Puis  elle  ouït  qu'ils  se  disoient  ensemble  : 
Ce  jeune  enfant,  notre  cher  nourriçon , 
Dira  un  jour  aux  François  la  façon 
Comme  l'amour  en  deux  cœurs  on  assemble. 


'|24  PIERRE  LE  LOYER. 

Il  retiendra  d'une  heureuse  mémoire 
Dans  son  cerveau  des  Muses  le  seavoir, 
Et  de  ses  vers  fera  bruire  le  Loir, 
Comme  Bellay  fit  retentir  la  Loire. 

Que  si  Thémis  en  son  palais  l'amuse, 
Ce  néanmoins  il  ne  laissera  pas 
D'aimer  Pliœhus  et  ses  gentils  eshats, 
Et  de  chérir  le  doux  soin  de  la  Muse. 

Ainsi  Vénus  et  son  fds  discoururent; 
Et  comme  un.  songe  errant  dans  le  cerveau, 
Ou  comme  un  vent  ou  une  bulle  d'eau, 
Eux  de  ma  mère  à  Tinstant  disparurent. 

Notre  âge  coule  avec  grande  vitesse  ; 
Je  crus  soudain,  et  voulant  acquérir 
Ce  qui  ne  peut  par  notre  mort  périr. 
Devers  Paris  se  tourna  ma  jeunesse. 

Là  par  cincj  ans  je  goi'itai  la  doctrine 
Qui  se  peut  voir  aux  Romains  et  aux  Grecs, 
Et  m'en  allai  dedans  Tholose  après, 
Où  je  gagnai  la  fleur  de  Téglanline. 

Depuis  ce  temps,  j'ai  toujours  voidu  suivre 
Le  beau  sçavoir  des  loix  et  des  neuf  Sœurs; 
L'un  me  retient  de  ses  gayes  douceurs, 
L'autre  j'exerce  à  celle  fin  d'en  vivre. 

Deux  ancres  font  la  navire  j)lus  sure; 
Ainsi,  au  pis,  je  m'assurerai  bien 
Que  si  Phœbus  ne  me  j)rofite  en  rien. 
J'aurai  la  loi,  en  qui  mieux  je  m'assure. 


PIERRE  LE  LOYER.  4'2  5 

Depuis  ce  temps ,  j'ai  voué  mon  service 
A  Cupidon  et  à  Vénus  aussi. 
Auxquels  j'appends  dévotement  ici 
Leurs  fruits,  leur  art  et  leur  brave  exercice. 

Et  outre,  ayant  de  cordage  et  de  voile 
Garni  ma  nef,  comme  il  faut,  tout  autour, 
Je  ne  craindrai  de  voguer  en  amour, 
Puisque  Vénus  me  veut  servir  d'étoile. 

Jeune  amoureux,  qu'une  beauté  martyre 
Et  qu'un  désir  embrase  sans  repos. 
Sois  attentif  à  ouïr  mes  propos , 
Lesquels  pour  toi  la  Muse  me  veut  dire. 

Ce  n'est  pas  tout  que  de  gagner  ta  dame 
Par  pleurs,  par  plainte  et  par  dons  excessifs; 
Il  faut  sçavoir  de  quels  attraits  lascifs 
Tu  useras  pour  esteindre  ta  flame. 

Sçais-tu  que  c'est  ?  La  belle  idalienne 
Se  rit  de  ceux  qui  de  honte  trop  froids, 
Baisent  ainsi  comme  font  les  François  : 
Va  plus  avant,  baise  à  l'italienne. 

Celui  qui  prend  un  baiser  de  sa  mie, 
Si  par  le  reste  il  n'esteint  son  ardeur, 
Ce  peu  déjà  qu'il  a  pris  de  faveur. 
Il  doit  le  perdre  et  n'aimer  de  sa  vie. 

Du  premier  saut,  d'aventure  ta  dame 
Résistera;  si  veut-elle  pourtant 
Etre  gaignée  et  prise  en  résistant , 
Pour  colorer  le  désir  qui  l'enflamç. 


126  PIERRE  LE  LOYER. 

Et  ne  perds  cœur  si  elle  se  despite 
En  te  disant  :  Allez,  fol  estourdi, 
Allez,  meschani  ;  ({ui  vous  fait  si  hardi? 
Quelle  fureur  roulre  moi  vous  excite? 

Ai-je  donc  pu  vous  donner,  par  ma  vie, 
Occasion  de  mal  penser  de  moi  ? 
Vous  suis-je  folle,  et  plus  que  je  ne  doi? 
Plutôt  mourir  que  m'en  vienne  l'envie! 

Comme  un  rocher  sis  au  milieu  de  l'onde, 
Qui  ne  craint  point,  assuré  de  son  poids, 
Ni  d'Aquilon  les  violens  ahhois, 
Ni  des  hauts  flots  la  rage  furibonde; 

Et  comme  un  chesne  estendant  sa  racine 
Autant  en  bas  comme  sa  feuille  aux.  cieux, 
Ici  le  sud,  ici  l'ouest  furieux 
Le  souffle  en  vain,  et  sur  lui  se  mutine. 

Ainsi,  hardi  et  ferme  envers  ta  dame. 
Poursuis  ta  pointe  et  ne  fais  point  de  cas 
Ou  de  menace,  ou  d'injure,  ou  d'un  tas 
De  vains  propos  <jui  accusent  ta  flame. 

Celle  qui  est  par  ta  crainte  laschée. 
Te  hait  en  soi  et  t'estime  couard  ; 
Et  s'cUe  montre  un  visage  gaillard. 
Dedans  soa  cœur  elle  est  triste  et  faschée. 

Et  celle  aussi  que  tu  auras  forcée. 
T'admire  après  et  t'engage  sa  foi , 
Et  se  sépare  alors  d'avccques  toi. 
Contente  au  cœur  et  au  front  courroucée. 


PIERRE  LE  LOYER.  427 

Par  force  fut  Proserpine  ravie, 
Forcée  fut  du  Cyntlnen  la  sœur; 
Et  l'une  et  l'autre  aima  son  ravisseur, 
Et  demeura  sous  ses  loix  asservie. 

Long-temps  Thétis-,  pour  n'être  violée. 
Changea  sa  forme,  et  ores  en  oiseau, 
Ore  en  baleine,  en  dauphin,  en  taureau. 
Se  défendit  des  assauts  de  Pelée. 

Mais  quand  Pelée  usa  de  violence, 

Elle  obéit,  et  chassant  son  courroux, 

Elle  voulut  l'avoir  pour  son  époux, 

Bien  qu'elle  eiit  pris  des  grands  dieux  sa  naissance. 

Après  l'effet,  la  belle  devient  tendre. 
Et  de  bon  œil  regarde  le  voleur. 
Qui  la  priva  de  sa  plus  chère  fleur, 
Et  lui  ravit  ce  qu'il  ne  peut  lui  rendre. 

L'Amour  est  nud  et  enfant,  comme  il  semble; 
Mais,  quand  son  arc  une  fois  il  a  pris. 
Le  grand  Jupin  en  est  de  crainte  espris , 
Les  dieux  ont  peur,  et  tout  l'Olympe  tremble. 

Ce  qui  sembloit  impossible  à  poursuivre , 

Il  le  fait  voir  facile  quand  il  veut  ; 

Il  est  agile  et  toute  chose  il  peut. 

Et  du  tombeau  seul  il  nous  fait  revivre. 

Or  nous  t'avons  enseigné  la  manière 
Gomme  tu  dois  de  ta  dame  jouir; 
Et  maintenant  il  te  convient  ouïr 
Comme  pour  toi  tu  l'auras  tout  entière. 


4  2  8  PIERRE  LE  LOYER. 

Ce  n'est  pas  moins  de  los  et  de  science 
De  conserver  des  biens  ja  conquêtes, 
Que  d'en  aller  chercher  de  tous  cotés; 
L'un  est  honlieur,  l'autre  devient  prudence. 

Quand  tu  auias  couronné  ta  victoire 
Par  le  trophée  d'amoureuse  merci, 
Tiens-le  couvert  d'un  silence  obscurci. 
Et  nul  que  toi  ne  connoisse  ta  gloire. 

Si  une  fois  ta  dame  tu  décelle, 
Ne  pense  plus  en  recevoir  plaisir; 
Elle  te  fuit,  et  change  son  désir 
En  une  haine  implacable  et  mortelle. 

Aussi,  vraiment  qui  décelle  sa  dame 
Après  avoir  été  d'elle  reçu , 
Il  est  méchant,  et  n'a  jamais  connu 
Que  c'est  qu'amour  et  que  sa  belle  flame. 

Il  n'a  raison,  ni  honneur,  ni  sagesse. 
Indigne  d'être  estimé  et  chéri  ; 
Il  a  esté  dans  les  rochers  nourri, 
Et  alaicté  du  lait  d'une  tigresse. 

Crains  tes  amis  :  Pyrithoùs,  Thésée, 
N'ont  les  amours  l'un  de  l'autre  blessé; 
Pylade  n'a  son  Oreste  offensé 
Eu  ravissant  sa  fidèle  épousée. 

Si  ton  ami  à  tel  point  lu  estimes. 
Tu  pourras  bien  quand  cl  (jiiand  rslimer 
Que  les  oiseaux  habitent  dans  la  mer. 
Et  que  le  ciel  est  au  creux  des  abysmes. 


PIERRE  LE  LOYER.  4^9 

Quant  aux  rivaux,  il  faut  qu'on  les  endure, 
Sans  rechercher  sur  elle  et  sur  sa  foi  : 
Car  tu  sçais  bien  ce  qu'elle  fait  pour  toi 
N'est  par  devoir,  mais  de  volonté  pure. 

Par  fois  aussi  fais  qu  elle  se  défie 
Qu'une  autre  qu'elle  est  de  toi  jouissant; 
Par  ce  moyen  tu  iras  accroissant 
Dedans  son  cœur  son  amoureuse  envie. 

Heureux  l'amant  trois  quatre  fois  j'estime, 
Duquel  la  dame  ayant  ouï  le  bruit 
Qu'une  autre  amour  que  la  sienne  il  poursuit, 
Pâlit  soudain  au  récit  de  ce  crime  ! 

Sur  tes  genoux  lors  prens-la  et  la  baise 
De  longs  baisers  doucement  savoureux. 
Et  réveillant  tes  désirs  amoureux, 
Couche  avec  elle ,  et  ainsi  la  rappaise. 

Il  n'y  a  rien  qui  sitôt  puisse  abattre 

Le  grand  courroux  dont  son  cœur  est  épris, 

Que  le  doux  jeu  de  la  belle  Cypris 

Et  les  ébats  d'un  amoureux  follàtre. 

Sans  ces  ébats,  les  femmes  mariées 
Font  aux  maris  des  cornes  sur  le  front; 
Sans  ces  ébats ,  les  amies  ne  sont 
A  leurs  amis  longuement  alliées. 

La  femme  veut  qu'on  lui  fasse  service. 
Qu'on  tienne  d'elle  et  de  ses  actions, 
Que  l'on  se  plie  à  ses  affections. 
Qu'on  la  révère  et  qu'on  lui  obéisse. 


43o  PIERRE  LE  LOYER. 

Mais  est-ce  chose  indécente  et  infâme  ? 
Est-ce  un  péclié ,  est-ce  un  acte  vilain 
A  ceuv  qui  ont  le  sentiment  lunnain, 
Que  d  être  serfs  du  vouloir  d'une  femme  ? 

Ce  grand  Hereul ,  (jui  de  sa  force  égale 
A  la  Nortu  des  plus  souverains  dieux, 
S'alla  frayer  un  chemin  dans  les  cieux, 
]\e  fut-il  serf  et  esclave  d'Onipliale? 

Lui,  di'j)osant  sa  massue  hordée 
De  nœuds  autour,  et  dévêtant  sa  peau, 
Ne  fut  honteux  de  prendre  le  fuseau 
Et  de  filer  de  la  laine  escardée. 

Près  de  sa  dame  étant  assis  à  terre, 
Et  d'un  habit  de  femme  revêtu. 
Il  reposoit  sa  force  et  sa  vertu, 
Espris  d  amour  qui  lui  faisoit  la  guerre. 

Endure  tout  :  l'amour  est  une  guerre 
Qui  n  admet  point  tie  paresseux  soldars; 
C'est  un  beau  camp,  lequel  de  toutes  parts 
Les  plus  gaillards  et  jdus  hardis  enserre. 

Dedans  ce  camj) ,  les  j)atiens  gens-d'armes 
Sont  à  la  pluie,  à  l'hyver  et  au  vent, 
Mouillés,  gelés  et  soufflés  bien  souvent. 
Pleins  de  soupirs,  de  frissons  et  de  larmes. 

Tout  dur  cliemin  ,  toute  pénible  voie. 
Tous  grands  travaux  leur  semblent  gracieux; 
Et  tout  le  ten)ps  ne  leur  est  enmiyeux. 
Qui  au  vouloir  de  leur  dame  s'emploie. 


PIERRE  LE  LOYER.  4^1 

Ce  qu'elle  estime,  il  faut  que  tu  l'estimes, 
Bien  qu'il  ne  soit  digne  d'être  estimé; 
Ce  qu'elle  veut  être  aussi  déprimé , 
De  ton  pouvoir  faut  que  tu  le  déprimes. 

Dit-elle  oui,  ne  dis  pas  du  contraire; 
Dit-elle  non,  tu  dois  nier  aussi; 
Lui  déplaist-il ,  qu'il  te  déplaise  ainsi  ; 
Ce  qui  lui  plaist  sans  raison  doit  te  plaire. 

Quand  elle  rit,  fusses-tu  en  allarmes, 
Esgaye-toy  et  lui  ris  doucement; 
Quand  elle  est  triste  et  pleure  amèrement. 
Que  de  tes  yeux  coule  un  ruisseau  de  larmes. 

Et  si  tu  joue  aux  dames  avec  elle, 
Laisse-la  prendre  et  damer  dessus  toi  ; 
Si  aux  eschecs,  laisse  matter  ton  roi. 
Et  donne  ainsi  la  victoire  à  la  belle. 

Alors  contente  et  joyeuse  en  la  sorte. 
Elle  rira  de  te  voir  courroucer, 
De  te  pouvoir  en  bonheur  surpasser, 
Et  de  gagner  ton  argent  qu'elle  emporte. 

Que  si  son  teint  est  de  couleur  bien  brune , 
Dis-lui  qu'il  est  d'un  beau  brun  argenté; 
Et  s'il  est  blond ,  dis  qu'il  passe  en  beauté 
Le  teint  plus  clair  et  plus  blanc  que  la  lune. 

Si  jaune  elle  est,  à  l'aurore  elle  semble; 
Pâle ,  à  Junon  ;  et  rougeatre ,  à  Cypris  ; 
Que  sa  rousseur  de  Diane  elle  a  pris , 
Et  en  rousseur  à  ses  Nymphes  ressemble. 


432  PIERRE  LE  LOITR. 

Si  maigre  elle  est,  il  faut  l'appeller  grelle; 

Si  courte,  il  faut  agile  l'estimer: 

Si  grasse  elle  est,  noble  il  faut  la  nommer; 

Si  longue,  il  faut  (|ue  grande  tu  l'appelle, 

Façonne- loi  d'une  humeur  bien  civile, 
Et  sois  farci  de  petits  mots  joyeux.  ; 
Sois  doux,  courtois,  facond  et  gracieux, 
Souple,  dispos  et  d'un  esprit  habile. 

Sois  bien  soigneux  d'apprendre  en  ta  jeunesse 
Le  beau  parler  des  Romains  et  des  Grecs, 
Et  de  scavoir  les  plus  doctes  secrets 
Et  les  beaux  arts  enfantés  dans  la  Grèce. 

Cet  llhaquois  (pii,  poussé  de  l'orage. 

Vit  par  dix  ans  tant  tic  belles  cités. 

Connut  leurs  loix,  leurs  mœurs,  leurs  volontés, 

Seul  leur  coulume  et  leur  divers  langage. 

]N'e  la  va  voir  (ju'une  fois  la  semaine; 
Car  beaucoup  mieux  elle  te  cherchera. 
Et  son  désir  vers  toi  renforcera , 
Et  t'aimera  d'une  amour  |)lus  certaine. 

Mais  par  long-tems  ne  ])erds  pas  sa  présence; 
Elle  s'en  fôche  et  pour  lâche  te  tient, 
Et  s'abandonne  à  un  autre  qui  vient, 
Si  i\uli  la  fui  tu  es  en  oubliance. 

]Ne  scais-tu  |)as  (|u'nél('ne,  courroucée 
De  voir  absenl  si  long-temps  Ménélas, 
Rompit  sa  foi  |i(jur  suivre  les  appas 
D'un  estranger  ([ui  TaNoil  carresséc  ? 


PIERRE  LE  LOYER. 
Si  Ménélas  eust  sçeu  le  grand  esclandre 
Qui  vient  à  ceux  qui,  seule  à  la  maison, 
Laissent  leur  femme  en  sa  jeune  saison, 
Il  n'eut  laissé  sa  dame  encore  tendre. 

J'ai  maintenant  achevé  mon  ouvrage. 
Aime  Vénus,  et  toi,  petit  archer. 
Faites  que  nul  n'y  puisse  décocher 
Les  traits  ailés  d'une  envieuse  rage. 

Je  vous  le  sacre  et  vous  en  donne  gloire 
Sans  vous  jamais  je  ne  l'eusse  achevé  ; 
Donnez-lui  vie ,  et  qu'il  soit  engravé 
Dedans  le  roc  du  temple  de  mémoire. 


28 


434  CHARLES  IX. 


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CHARLES   IX. 


Charles  ix  naquit  au  château  de  Saint-Germain- 
en-Laye  le  2j  juin  i55o;  il  monta  sur  le  tronc  en 
i56o  ,  et  mourut  le  3o  mai  i  574  >  î»u  château  de  Viui- 
cennes,  dans  la  vingt-quatrième  année  de  son  âge.  On 
assure  que  la  passion  de  la  chasse  et  celle  de  l'amour 
abrégèrent  sa  vie ,  ce  qui  donna  lieu  au  distique  sui- 
vant : 

Pour  aimer  trop  Diane  et  Cytliérée  aussi , 

L'une  et  l'autre  m'ont  mis  en  ce  tombeau  ici. 

Ce  prince  étoit  né  avec  des  qualités  fort  estimables; 
il  aimoit  les  lettres  et  les  beaux-arts,  et  nous  avons 
eu  souvent  occasion  de  voir  qu'il  se  faisoit  un  plaisir 
de  protéger  ceux  qui  les  cultivoient.  Il  disoit  des 
poètes,  «qu'il  falloit  les  traiter  comme  les  bons  che- 
«  vaux;  les  bien  nourrir,  non  les  engraisser.  >-  Mais, 
dérogeant  à  ce  principe,  qui  auroit  iait  honneur  à 
son  trésorier  de  l'épargne,  il  les  traita  en  rois,  et  les 
combla  de  ses  bienfaits. 

Charles  ix  ne  se  borna  pas  à  protéger  les  lettres  ; 
il  se  distingua  lui-même  dans  la  poésie.  On  trouve 
dans  les  OEuvres  de  Ronsard  deux  billets  qui  lui 
furent  adressés  par  ce  prince,  âgé  alors  de  moins  de 
quatorze  ans;  les  vers  en  sont  médiocres,  malsils  prou- 
vent que  Charles  étoit  doué  d'un  talent  précoce. 

On  cite  cet  impromptu  qu'il  fit  dans  un  moment 
d'humeur  : 

François  premier  prédit  ce  point , 
Que  ceux  de  la  maison  de  Guise 


CHARLES  IX.  435 

Mettrolent  ses  enfants  en  pourpoint , 
Et  son  pauvre  peuple  en  chemise. 

Un  poète  ayant  présenté  à  Charles  ix  des  vers  sur 
les  victoires  de  Jarnac  et  de  IMoncontour,  dans  les- 
quels il  louoit  sa  valeur  :  «  Ne  faites  rien  pour  moi, 
«  lui  dit-il  ;  toutes  ces  louanges  ne  sont  que  mensonge 
«  et  flatterie,  puisque  je  ne  les  ai  pas  méritées  :  adres- 
«  sez-les  au  duc  d'Anjou,  qui  vous  taille  tous  les  jours 
«  de  la  besogne.  »  Cette  manière  d'apprécier  les  louanges 
ne  peut  appartenir  qu  à  un  esprit  supérieur.  11  existe 
de  ce  prince  un  ouvrage  que  ViUeroi  publia  en  162.6  , 
sous  ce  titre  :  Chasse  royale^  composée  par  Charles  IX y 
in-S  .  Ronsard  et  A.myot  vantent  beaucoup  cet  ouvrage. 


A   RONSARD. 

Ton  esprit  est,  Ronsard,  plus  gaillard  que  le  mien; 
Mais  mon  corps  est  plus  jeune  et  plus  fort  que  le  tien  : 
Par  ainsi  je  conclus  qu'en  savoir  tu  me  passe. 
D'autant  que  mon  printemps  tes  cheveux  gris  efface. 

L'art  de  faire  des  vers,  dût-on  s'en  indigner, 
Doit  être  à  pkis  haut  prix  que  celui  de  régner. 
Tous  deux  également  nous  portons  des  couronnes  : 
Mais  roi,  je  la  reçus;  poète,  tu  la  donnes. 
Ton  esprit  enflammé  d'une  céleste  ardeur, 
Eclate  par  soi-même,  et  moi  par  ma  grandeur. 
Si  du  coté  des  dieux  je  cherche  l'avantage, 
Ronsard  est  leur  mignon,  et  je  suis  leur  image. 
Ta  lyre,  qui  ravit  par  de  si  doux  accords. 
Te  soumet  les  esprits  dont  je  n'ai  que  les  corps; 


436  CHARLES  IX. 

Elle  t'en  rend  le  maître,  et  te  fait  introduire 
Oii  le  plus  fier  tyran  n'a  jamais  eu  d'empire; 
Elle  amollit  les  cœurs,  et  soumet  la  beauté. 
Je  puis  donner  la  mort ,  toi  l'immortalité.  * 


AUTRES  VERS  ADRESSES  A  RONSARD, 

POUR  LE  FAIRE   VENIR  A  AMBOISE. 

Ronsard,  tu  connois  bien  que  si  tu  ne  me  vois, 
Tu  oublies  soudain  de  ton  grand  roi  la  vois; 
Mais  pour  t'en  souvenir,  pense  que  je  n'oublie 
Continuer  toujours  d'apprendre  en  poésie  : 
Et  pour  ce  j'ai  voulu  t'envoyer  cet  escript 
Pour  enthousiasmer  ton  phantastique  esprit. 
Donc  ne  t'amuse  plus  à  faire  ton  ménage. 
Maintenant  n'est  plus  temps  de  faire  jardinage; 

'  Ces  vers,  si  on  en  excepte  le  mot  de  mignon,  qui  tient  au 
temps,  pourroient  être  avoués  par  le  meilleur  poète.  Ils  ont  été 
écrits  par  un  roi,  il  y  a  deux  cent  cniquante  ans  ,  et  je  doute  si  on 
en  trouve  qui  puissent  leur  être  compares  dans  le  volumineux 
recueil  des  vers  de  Frédéric  ii.  Voici  ce  que  j'ai  vu  écrit  de  la 
main  de  l'impératrice  Catherine  ii,  dans  une  lettre  à  M.  de  Meil- 
han,  qui  les  lui  avait  envoyés  : 

«  Vous  voulez  que  je  vous  donne  la  solution  d'un  problème  qui 
«vous  occupe,  dites-vous,  dejjuis  long-temps,  et  ce  problème 
«  est,  d'où  vient  que  Charles  ix  ,  roi  de  France,  éciivoit  plus  élé- 
«  gammeiit  que  le  poète  Ronsard?  Eh  iiien  !  je  vous  le  dirai.  C'est 
«  que  la  cour  épure  la  langue  et  non  les  auteurs.  A  Constantinople 
M  même,  c'est  la  langue  du  sérail  (qui  cependant  n'est  pas  la  cour 
«  la  plus  éclairée  du  monde)  qui  est  la  langue  la  [)lus  élégante,  la 
«  plus  mêlée  d'arabe  et  de  persan;  c'est,  enlin ,  le  langage  le  plus 
"  relevé,  le  plus  poli ,  le  plus  cérémonieux   » 

(^Essais  sur  la  Littcrature  françoise ,  par  Craufind.) 


CHARLES  IX.  4^7 

Il  faut  suivre  ton  roi  qui  t'ayme  par  sus  tous, 
Pour  les  ver>s  qui  de  toy  coulent  braves  et  doux; 
Et  crois,  si  tu  ne  viens  me  trouver  à  Amboise, 
Qu'entre  nous  adviendra  une  bien  grande  noise. 


CHANSON. 

Toucher  ,  aimer  '  c'est  ma  devise  ; 
De  celle-là  que  plus  je  prise. 
Bien  qu'un  regard  d'elle  à  mon  cœur 
Darde  plus  de  traits  et  de  flamme, 
Que  de  tous  l'archerot  vainqueur 
N'en  feroit  oncq  appointer  dans  mon  ame. 

'  Aimer,  toucher,  Marie  Touchet  :  Charles  ix  avoit  choisi  cette 
anagramme  de  son  nom;  mais  la  véritable  étoitye  charme  tout.  Elle 
étoit  née  à  Orléans,  fille  du  lieutenant  particulier  du  bailliage,  et 
avoit  autant  de  douceur  que  de  charmes.  Elle  mourut  le  i8  mars 
i638,  âgée  de  quatre-vingt-neuf  ans,  après  avoir  vu  les  règnes  de 
six  rois,  et  fut  enterrée  aux  Minimes  de  la  Place-Ro\ale.  Elle  eut 
de  Charles  ix  un  fils,  qui  fut  comte  d'Auvergne  et  duc  d'Angou- 
lême. 


438  CLAUDE  DE  TRELLON. 


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CLAUDE   DE  TRELLON. 


L'histoire  ne  fait  pas  mention  de  Claude  de  Trellon; 
mais  les  ouvrages  qu'il  a  laissés  offrent  quelques  traits 
de  sa  vie  et  de  son  caractère.  Labbé  Goiijet  présume 
qu'il  étoit  né  à  Angoulême.  11  quitta  fort  jeune  la 
maison  paternelle. 

J'avois  (ilit-il)  quinze  ou  seize  ans  alors  que  le  malheur 
Me  fît  abandonner  le  lieu  de  ma  naissance. 

Il  vint  à  la  cour,  servit  pendant  les  guerres  civiles 
sous  d'Epernon,  de  Nemours,  de  Guise  et  de  Joyeuse; 
fut  long-temps  prisonnier  à  Turin,  chanta  ses  maî- 
tresses, et  fit  un  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Lorette. 
Courtisan,  militaire  et  poète,  il  ne  fit  fortune  dans, 
aucun  de  ces  états,  parce  qu'il  fut  sans  doute  cour- 
tisan maladroit,  militaire  inhabile,  poète  sans  génie. 
11  se  plaint  souvent  dans  ses  vers  de  la  cour  et  des 
grands,  qu'il  avoit  encensés  sans  profit;dela  guerre,  qu'il 
fit  sans  succès,  et  de  l'amour,  qui  lui  a  inspiré  presque 
tous  ses  vers.  Ses  poésies  présentent  souvent  des  idées 
triviales,  quelques  vers  heurevix,  quelques  pensées 
fortement  exprimées,  des  notions  historiques  et  des  dé- 
tails sur  les  malheurs  du  temps.  On  y  trouve  des  traits 
indécents,  des  expressions  grossières,  et  des  opinions 
qui  déposent  contre  la  moralité  du  poète.  N'espérant 
plus  de  fortune  du  côté  de  la  cour,  se  sentant  inca- 
pable de  servir  l'amour  et  son  prince,  de  Trellon  se 
jeta  dans   la    dévotion;  et,   comme  plusieurs  autres 


CLA.UDE  DE  TRELLON.  489 

poètes  de  son  temps,  il  consacra  sa  muse  à  la  religion. 
A  ses  œuvres  galantes  succèdent  des  Confessions,  des 
Oraisons ,  des  Elégies  et  des  Sonnets  d'une  piété  exem- 
plaire. 

Il  existe  plusieurs  éditions  des  Œuvres  de  Claude 
de  Trellon  ,  mais  nous  ne  ferons  mention  que  de  celle 
qu'il  donna  lui-même  à  Lyon,  iSpj,  in-\i  ^  sous  ce 
titre  ;  Le  Cavalier  parfait  du  sieur  de  Trellon,  ou  sont 
comprises  toutes  ses  OEuvres.  Ce  recueil,  dédié  au  duc 
de  Guise ,  est  divisé  en  quatre  Livres ,  dont  le  dernier  a 
pour  titre  \ Ermitage ,  et  comprend  les  poésies  dé- 
votes de  l'auteur.  Celui-ci,  pour  imposer  silence  aux 
critiques ,  a  recours  à  un  moyen  qu'un  autre  écrivain , 
plus  rapproché  de  notre  temps,  employa  quelquefois 
avec  plus  d'audace  que  de  raison ,  mais  qui  n'est  pas 
encore  généralement  usité  parmi  lespoètes.  De  Trellon 
menace  les  téméraires  qui  oseroient  attaquer  les  pro- 
ductions de  sa  plume,  de  les  punir  avec  son  épée  : 

Qui  que  tu  sois,  lecteur,  avant  que  me  reprendre. 
Pense  bien,  si  je  faux  en  ces  vers  que  j'écris, 
Je  porte  à  mon  côté  ma  réponse  pour  rendre 
Confiis  en  un  moment  les  plus  savants  esprits. 

Claude  de  Trellon  eut  un  frère  nommé  Gabriel, 
qui  cultiva  également  la  poésie,  et  comme  lui  fit  suc- 
céder des  chants  de  dévotion  aux  vers  galants  de  sa 
première  muse. 


44o  CLAUDE  DE  TRELLON. 


SONNET. 

Allez,  mes  vers,  allez  annoncer  la  nouvelle. 
Allez  chanter  par-tout  la  fin  de  ma  langueur; 
Celle  qui  dans  ses  yeux  caclioit  tant  de  rigueur, 
Se  montre  maintenant  aussi  douce  que  belle. 

Amans,  qui  vous  moquez  de  l'amour  éternelle, 
Amans,  qui  en  amour  dédaignez  la  longueur. 
Le  temps  est  quel(|uefois  de  nos  peines  vengeur; 
L'amant  n'est  pas  amant  s'il  n'est  ferme  et  fidelle. 

Je  veux  bâtir  un  temple  à  ma  fidélité, 

Où  dun  côté  sera  peinte  la  cruauté. 

Les  travaux,  la  douleur  qu'un  amoureux  supporte; 

Et  de  l'autre  côté  ces  vers  seront  écrits  : 
Amour  m'a  fait  entrer  dedans  son  paradis; 
Qui  ne  sera  constant,  n'heurte  point  à  la  porte. 

SONNET. 

Tu  connois  bien  la  cour,  mon  Girard  que  j'honore. 
Mais  lu  ne  connois  point  ce  qu'elle  tient  caché; 
Elle  n'a  rien  si  cher  qu'un  vice  cjue  j'abhorre. 
Qui  des  plus  jeunes  gens  se  trouve  recherché. 

Girard,  un  courtisan  est  toujours  empesché  : 
Tantôt  il  est  auprès  de  celle  qu'il  adore; 
Or'  il  est,  comme  moi,  malade  et  bien  fasché 
De  n'avoir  ce  métal  (jui  les  hommes  décore. 


CLAUDE  DE  TRELLON.  44 1 

La  vie  de  la  cour  est  presque  misérable  : 
Or'  on  n'a  qu'une  fesse  ou  demi-fesse  à  table  ; 
Et  lorsqu'on  veut  manger,  on  trouve  le  plat  net. 

Tout  cela  me  déplaît;  mais  ce  qui  me  transporte, 
C'est  qu'on  voit  les  plus  sots  entrer  au  cabinet. 
Et  les  habiles  gens  demeurer  à  la  porte. 


LE   PORTRAIT   DE    LA    COUR. 

La  cour  est  un  théâtre  où  l'on  voit  à  toute  heure 

Tantôt  quelqu'un  qui  rit,  tantôt  quelqu'un  qui  pleure. 

La  cour  est  un  théâtre  où  Ton  voit  tous  les  ans 

Diversement  jouer  les  pauvres  courtisans. 

La  cour  est  un  théâtre  où  Ihomme  peut  connoître 

Que  celui  qui  n'a  rien  n'y  peut  long-temps  paroître. 

La  cour  est  un  théâtre  où  Ton  voit  à  la  fin 

Le  pauvre  venir  riche,  et  le  riche  coquin. 

La  cour  est  un  théâtre  où  l'on  voit  le  plus  sage, 

Pour  vivre  en  courtisan,  jouer  ce  personnage; 

Se  trouver  au  lever  de  ceux  dont  la  faveur 

Bâtit  et  débâtit  des  hommes  la  srandeur; 

Faire  la  mine  à  l'un ,  et  montrer  bon  visage 

A  tel  que  l'on  voudroit  voir  mort  de  grand  courage  ; 

Ne  parler  à  demi,  courtiser  un  vilain, 

A  cause  qu'il  aura  les  finances  en  main; 

Pour  porter  un  clinquant,  engager  une  terre; 

Se  battre  en  estocade  à  celle  fin  d'acquerre 

Entre  ses  compagnons  le  renom  de  vaillant  ; 

Despendre  en  vanité  tout  ce  qu'on  a  vaillant; 


44^  CLAUDE  DE  TRELLON. 

Faire  du  rodomout,  porter  haute  l'espée; 
Penser  être  un  César,  penser  être  un  Pompée, 
Et  n'avoir  jamais  vu  batailles  ni  combats 
Que  ceux-là  qui  se  font  aux  amoureux  esbats; 
Faire  le  desdaigncux,  contre- faire  le  louche; 
Avoir  toujours  ce  mot,  Dieu  te  gard*,  dans  la  bouche; 
Faire  le  compagnon  avecques  les  plus  grands  ; 
Ne  se  mesurer  point,  faire  en  tout  les  sçavans, 
Et  au  partir  de  là  n'avoir  autre  science 
Que  de  sçavoir  un  peu  discourir  dune  danse, 
Et  bien  souvent  encore  on  ignore  comment 
Un  homme  doit  danser  pour  danser  galamment  ; 
Porter  sur  une  épaule  une  rappe  pendante; 
Penser  valoir  tout  seul  plus  que  ne  font  cincjuante; 
Réciter  de  beaux  vers,  en  discourir  toujours; 
Et  ne  sçavoir  que  c'est  ode,  stance,  discours; 
Se  friser,  se  fraiser,  se  farder  le  visage , 
Et  si  c'est  pour  un  grand,  faire  un  maquerelage  : 
Voilà  tout  le  boniieur  de  ceux  qui  lous  les  jours 
S'engagent  follement  à  la  suite  des  cours. 


CHANSON 

a  une  belle,  pour  laquelle  quelqu'un  etoit  mort 
d'amour. 

PoiiRQi  oi  lavez-vous  fait  mourir. 
Celui  (jui  vous  aimoit ,  madame  ? 
A  faute  de  le  secourir 
Vous  l'avez  mis  dessous  la  lame. 


CLAUDE  DE  TRELLON.  443 

Ah  !  que  cette  rigueur  vous  nuit  ! 
Voilà  que  c'est  d'être  cruelle  : 
Votre  jour  me  semble  une  nuit; 
Je  ne  vous  trouve  plus  si  belle. 

Vous  en  mourrez  de  déplaisir, 
Car  vous  voulez  être  servie; 
Et  l'on  n'aura  plus  de  plaisir 
De  crainte  de  perdre  la  vie. 

Pour  moi,  si  j'étois  amoureux. 
J'en  ai  rabattu  de  ma  flame; 
Il  faut  bien  être  langoureux. 
Mais  non  pas  mourir  pour  sa  dame. 

SONNET. 

Je  veux  changer  d'amour  et  veux  changer  de  maître; 
De  l'un  je  suis  haï,  de  l'autre  je  n'ai  rien: 
Je  veux  rompre  à  ce  coup  tout  amoureux  lien; 
Si  je  fus  sot  et  fol,  je  ne  le  veux  plus  être. 

Madame  ne  me  veut  dans  son  paradis  mettre; 
Mon  maître  s'aime  trop  pour  me  donner  du  sien  : 
Par  leur  moyen  jamais  je  n'acquerrai  du  bien; 
Il  faut  que  ma  valeur  se  fasse  ailleurs  connoître. 

Je  veux  changer  de  maître  et  veux  changer  d'amour; 
Mon  maître  et  ma  maîtresse,  un  chacun  à  leur  tour, 
Ont  trompé  tant  de  fois  mon  amour  trop  sincère! 

Ils  se  font  un  grand  tort,  si  dire  je  le  doi  ; 

Car  ils  n'en  trouveront  jamais  un  comme  moi , 

El  de  trouver  mieux  qu'eux,  c'est  le  moins  que  j'espère, 


444  CLAUDE  DE  TRELLON. 


SONNET. 

J'ai  appris  de  naissance  à  être  véritable; 

Je  ne  flatte  personne  et  ne  sçaurois  mentir  : 

Je  trouve  qu'à  mes  yeux  vous  n'êtes  plus  aimable; 

Aussi  de  votre  amour  je  me  veux  départir. 

Quand  je  vous  aimois  fort,  vous  m'étiez  agréable; 
Vos  yeux  à  mon  trespas  m'eussent  fait  consentir; 
Vous  aviez  si  bien  pris  mon  courage  imprenable, 
Que  rien  de  vous  aimer  ne  m'eût  sçu  divertir. 

INTaintenant  je  ne  vois  rien  qui  me  plaise  en  vous; 
C'est  la  raison  pourquoi  je  lasclic  ailleurs  mes  coups  , 
Et  n'adore  rien  tant  que  mon  amour  nouvelle. 

Ne  vous  en  plaignez  point,  mais  faites-en  autant: 
Si  vous  me  reprocbez  (jue  je  suis  inconstant. 
Je  vous  reprocherai  que  vous  n'êtes  plus  belle. 


SONNET. 

Je  ne  puis  supporter  un  sot  présomptueux , 
Qui  discourt  d'un  combat  sans  nulle  expérience  : 
Je  suis  marri  de  voir  un  homme  vertueux 
Consommer  son  printcms  pour  un  jicu  d'espérance. 

Basoche ,  je  me  plais  à  me  mofjuer  de  ceux 
Qui  pensent  tout  sçavoir  et  n'ont  point  de  science; 
Connoissant  leur  défaut  lorsque  je  parle  à  eux. 
Pour  leur  faire  plaisir,  je  vante  fignorance. 


CLAUDE  DE  TRELLON.  445 

On  voit  beaucoup  de  gens  bien  parés,  bien  vêtus; 
Mais  on  en  voit  bien  peu  qui  aiment  les  vertus  ; 
C'est  pourquoi  bien  souvent  les  cheveux  je  m'arrache. 

Les  princes  et  les  rois  n'aiment  que  le  changeant: 
Cela  me  fâche  fort;  mais  ce  qui  plus  me  fâche, 
C'est  que  je  suis  malade  et  je  nai  point  d'argent. 


TESTAMENT. 

Parce  que  je  voi  bien  que  c'est  l'arrêt  des  cieux, 

Qu'il  me  faut  déloger  de  ces  terrestres  lieux, 

Et  qu'il  me  faut  mourir  pour  finir  ma  tristesse, 

Je  veux  avant  ma  mort  dire  ma  volonté, 

Et  supplie  le  ciel  de  punir  la  beauté 

Qui  paya  mon  amour  d  une  telle  rudresse. 

Je  meurs  pour  trop  aimer  sur  l'avril  de  mes  ans  ; 
Je  meurs  de  trop  d'amour  :  hélas  !  je  m'en  repens; 
Je  me  repens  d'avoir  tant  aimé  la  constance; 
Mais  non,  je  m'en  dédis,  je  ne  m'en  repens  pas; 
Je  me  sens  bienheureux  de  courir  au  trépas  ; 
Car  ma  mort  servira  de  modèle  à  la  France. 

Je  laisse  mes  ennuis  à  l'infidèle  cœur 

De  celle  qui  me  fait  mourir  par  sa  rigueur; 

Je  lui  laisse  mes  maux,  mes  douceurs  tout  ensemble  ; 

L'appelant  mille  fois  sotte,  sans  jugement, 

De  n'avoir  pas  voulu  goûter  un  seul  moment 

Le  plaisir  qui  dans  soi  tous  les  plaisirs  assemble. 


44^  CLA.UDE  DE  TRELLON. 

Je  laisse  à  mon  rival  tout  le  contentement 
Que  j'ai  h\cn  mérité  pour  aimer  constamment  : 
Aux  amans  inconstans  ma  trop  terme  constance; 
Aux  filles  mon  amoiu",  et  aux  lemnies  ma  foi; 
Au  tems  un  souvenir  percluraMe  de  moi; 
I\la  joie  à  mes  amis,  au  ciel  mon  espérance. 

Je  \('U\  être  enterre  au  son  du  tand)ourin. 
Afin  (|ue  tout  le  monde  accoure  voir  ma  fin; 
C'est  l'instrument  de  ceux  qui  ont  aimé  la  guerre; 
Quelqu'un  pariant  de  moi  dira  tout  bassement, 
Poussant  quelque  soupir  :  la  mort  cruellement 
Despouille  tous  les  jours  de  ses  vertus  la  terre. 

Mais  afin  (|ue  quelcju'un  ne  die  aprcs  ma  mort 
Qu'en  escrivant  ces  vers  je  me  suis  lait  grand  tort 
De  faire  ces  légats,  je  vous  veux  faire  entendre 
Que  je  suis  d'une  humeur  qui  n'aj)partient  ([u'àmoi, 
El  (pie  l'estime  sot,  et  du  tout  hors  de  soi. 
Le  j)reinier  (jui  xoudia  mon  lestameiil  rej)rendre. 

Je  veux  (|u  au  lieu  de  noir,  ;i  mon  enli'rrement, 

Chacun  de  nies  amis  ait  un  accoulicmcnt 

De  gris,  de  verd,  de  bleu,  |)our  ma  perte  advenue: 

Le  gris  témoignera  mes  cruelles  douleurs; 

Le  verd  l'espoir  (pion  a  parmi  tous  ses  malheurs; 

Le  hieii  ma  lo\aulc,  <pi"on  a  mal  reconnue. 

Je  veux  (pu-  cpuind  mon  corps  sera  prêt  d  ciili-rrer, 
Afin  (ju'après  ma  mort  on  ne  puisse  ignorer 
Que  mon  cœur  en  vivant  n'ait  été  plein  de  joie, 
Qu'on  ait  des  violons,  (pie  Ion  danse  hardiment: 


CLAUDE  DE  TRELLON.  447 

Nous  ne  sommes  pas  nés  pour  vivre  incessamment; 
Il  faut  prendre  à  la  fin  ce  que  Dieu  nous  envoie. 

Je  veux  que  quand  mon  corps  sera  sous  terre  mis^ 
On  fasse  un  grand  festin  à  tous  mes  ennemis, 
Afin  qu'ils  aient  sujet  d'avoir  plus  de  liesse  ; 
Que  personne  ne  pleure,  ains  que  l'on  rie  fort; 
Qu'on  die  des  bons  mots;  car  jamais  pour  un  mort 
Un  homme  de  bon  sens  ne  doit  avoir  tristesse. 

Je  veux  qu'expressément  auprès  de  mon  tombeau 
On  fasse  peindre  un  mort  dedans  un  grand  tableau, 
Où  ces  trois  vers  soient  mis  pour  mémoire  éternelle: 
«  Amans,  que  cbercbez-vous  dans  les  liens  d'amour? 
«Pensez-vous  faire  ici  dune  nuit  un  beau  jour? 
«  Je  ne  suis  mort  sinon  que  pour  être  fidelle.  » 


448  JEAN  DE  LA  JESSÉE. 


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JEAN   DE   LA   JESSÉE. 


JiiAN  DE  La  JrssÉE,  né  en  i55o ,  à  Monvaison  ,  ville 
de  (iascogn»',  clans  1  Ai  inajjnac ,  s'attacha  de  Ijonne 
heure  à  Jeanne  d'Albret,  reine  de  JNavarre.  11  accom- 
pagna cette  princesse  dans  le  voyage  qu  elle  fit  à  Blois, 
et  ensuite  à  Paris,  où  il  eut  la  douleur  de  perdre  sa 
protectrice.  Quelque  temps  après,  le  duc  d'Anjou, 
dernier  fils  de  Henri  ii ,  le  nomma  secrétaire  de  sa 
chambre.  Notre  poète  accompagna  le  prince  dans  plu- 
sieurs voyages  en  Angleterre  ,  cl  il  lui  resta  attaché 
jusquà  sa  mort  (io  juin  i584)-  La  Jessée  vivoit  encore 
en  iSyS. 

Le  recueil  de  ses  OEuvres  lut  imprimé  en  i583,  en 
4  tomes  /«-4° ,  par  le  célèbre  Plantin  ,  d'Anvers. 

Le  tome  premier  a  pour  titre  la  Jeunesse  de  Jean 
de  La  Jessce. 

Le  second  contient  sept  Livres  de  Meslanges. 
Le  troisième  comprend   les  Amours  de  Marguerite, 
en  quatre  Livres;  les  Amours  de  Si.vhre,  en  trois  Livres; 
et  /es  Amours  de  Grasinde ,  en  deux  Livres. 

Enfin  ,  le  quatrième  tome  renferme  des  Discours 
poétiques ,  en  deux  Livres ,  et  en  vers  héroïques. 

Plantin  annonce  à  la  fin  de  cet  immense  recueil, 
que  ce  n  est  là  (pu-  le  premier  volume  des  productions 
de  La  Jessée,  et  (pi'il  se  propose  d  en  imprinu-r  deux 
autres  qui  seront  composés  de  plusieurs  Livres  d  odes  , 
d'élégies ,  de  satires ,  etc. ,  de  tragédies,  de  poèmes ,  etc. ; 


JEAN  DE  LA.  JESSÉE.  449 

mais  l'impression  n'eut  pas  de  suite.  En  iSgS,  La 
Jessée  publia  sa  Philosophie  morale  et  civile ,  en  cent  un 
quatrains  sur  divers  sujets.  Par  l'un  de  ces  quatrains , 
le  poète  nous  apprend  qu'il  avoit  composé  une  Hen~ 
riade  en  latin. 


CHANSON. 

Ce  temps  comblé  d'un  verd  honneur, 
Couvre  la  terre  de  son  heur, 

Les  bois  de  cheveleure  : 
On  voit  rives,  plaines  et  prés. 
De  gaye  couleur  diaprés  : 

Las  !  tout  rit,  et  je  pleure. 

L'artisan  dedans  les  cités, 

Les  pasteurs  aux  champs  habités, 

Chantant,  ses  soins  enchante  : 
Même  on  t>it  jazer  les  oiseaux. 
Bruire  l'air ,  et  courir  les  eaux  : 

Je  me  plains ,  et  tout  chante. 

L'allégence  suit  le  travail  ; 
Le  genre  humain,  et  le  bétail. 

Par  fois  dort  et  sommeille  : 
La  nuit ,  et  le  silence  ami , 
Tient  le  monde  lors  endormi  : 

Tout  repose,  et  je  veille. 

Rien  n'est  perdurable  ici  bas; 
Toujours  le  ciel  ne  gronde  pas, 

29 


45o  JEAN  DE  LA  JESSÉE. 

Ni  la  liquide  plaine; 
Les  jours  viennent  après  les  nuits; 
Moi  ,  sans  fin  malheureux  je  suis  : 
Las  !  tout  change,  hors  ma  peine. 


SONNET. 

J'estime  le  soldat  qui  peut  suivre  la  guerre, 
Sans  se  voir  aux  combats  pris,  ou  mort,  ou  blessé: 
J'aime  l'aventurier  qui  sans  peur  a  laissé , 
Pour  illustrer  son  nom ,  les  bornes  de  sa  terre. 

L'homme  riche  me  plaît  qui  son  trésor  n'enterre, 
Et  qui  de  tous  ses  biens  subvient  à  l'oppressé  : 
J'admire  un  courtisan  qui  jamais  n'a  pensé 
A  faire  aux  gens  de  bien  une  secrette  guerre. 

J'honore  un  magistrat  de  sagesse  pourvu; 

J'écoute  l'étranger  qui  maints  peuples  a  vu  ; 

Je  vante  es  gens  de  lettre  une  gloire  immortelle. 

J'approuve  en  son  désastre  un  grand  cœur  affermi  ; 

Je  loue  es  vrais  parens  une  foi  mutuelle  : 

Mais  plus  (jue  tout  ceux-là,  je  prise  un  bon  ami. 


JEAN  DE  LA  JESSÉE.  45 1 


DES   COURTISANS. 

Leur  vue  est  souvent  éblouie  ; 
Un  son  s'attache  à  leur  ouie  ; 
L'odorer  leur  est  dangereux  : 
Au  gré  d'autrui  leur  vie  passe  ; 
Ils  tiennent  des  autres  la  grâce; 
Même  le  goût  n'est  pas  à  eux. 

Pire  n'est  la  soif  de  Tantale  ; 
D'Ixion  la  peine  fatale 
N'est  si  fâcheuse  tour-à-tour  ; 
Non,  le  travail  du  faux  Sysiphe, 
Ni  la  faim,  le  bec  et  la  griffe 
De  l'insatiable  vautour. 

Dès  la  première  connoissance , 
Ses  biens  sont  en  notre  puissance; 
Même  il  est  notre  partisan  : 
Mignon,  ces  façons  sont  honnêtes  ! 
Mais  on  sçait  qu'au  besoin  vous  êtes, 
Au  lieu  d'ami,  vrai  courtisan. 

Vos  harangues  amadisées , 

Ainçois  vos  bayes  desguisées, 

Sçavent  les  fous  entretenir  : 

Et  dites ,  quoique  Ton  s'en  fâche , 

Que  c'est  tout  un ,  pourvu  qu'on  sçaclie 

Promettre  tout,  et  rien  tenir. 


432  JEAN  DE  LA  JESSÉE. 

Ça  !  qu'on  me  prête  une  balance , 
Pour  mieux  priser  leur  excellence  ! 
Mettons-les  tretous  d'un  côté , 
De  l'autre  un  rien  :  qui  ne  voit  qu'ore 
Ce  rien  pesé  trop  plus  encore , 
Tant  est  vaine  leur  vanité  ! 


QUATRAIN. 

Quand  sous  ta  main  la  fortune  se  trouve, 
N'enfle  ton  cœur;  lorsqu'elle  changera, 
Sa  fuite  aussi  tes  sens  n'estonnera: 
L'heur  nous  déçoit ,  le  mallieur  nous  éprouve. 


QUATRAIN. 

N'use  de  fart,  ni  d'artifice  caut, 
Pour  te  montrer  plus  belle  créature  ; 
L'art  ne  sçauroit  suppléer  à  nature, 
Où  la  nature  à  soi-même  défaut. 


QUATRAIN. 

Quand  les  mortels  vont  la  mort  encourir. 
Tout  est  en  deuil  :  mais  en  jeux  et  louanges 
Passe  leur  vie.  O  fantosmes  étranges  ! 
Vous  ne  savez  ni  vivre  ni  mourir. 


JEAN  DE  LA  .1ESSÉE.  453 


D'UN   LIBRAIRE. 

Je  me  fàchois  contre  un  libraire, 
Qui  toujours  débite  à  Paris 
De  sots  livres,  faits  pour  attraire 
Les  plus  simples  et  fols  esprits; 
Quand  plein  d'audace ,  il  me  va  dire 
Vous  m'en  voulez  conter,  beau  sire  ! 
Tenant  ma  boutique  au  Palais, 
En  moins  de  neuf  ou  dix  journées , 
J'ai  vendu  plus  de  Rabelais 
Que  de  Bibles  en  vingt  années. 


SONNET. 

Lise  se  pare  ainsi  qu'une  déesse , 
Riche ,  pompeuse  ;  et  même  les  vendeurs , 
Passementiers ,  orfèvres  et  brodeurs , 
Sont  empêchés  pour  l'orner  de  richesse. 

Rien  ne  s'espargne,  afin  que  sa  vieillesse 
Soit  moins  notoire  aux  jeunes  demandeurs  : 
Tous  les  parfums,  les  drogues,  les  odeurs, 
Flattent  ses  ans,  et  montrent  sa  mollesse. 

Elle  a  beau  s'oindre ,  elle  a  beau  se  farder, 

Friser  ses  poils,  ses  gestes  mignarder, 
Encor  voit-on  sa  laideur  et  son  âge. 


454  JEAN  DE  LA  JESSÉE. 

Elle  esprendra  quelque  sot  damoiseau  : 
Quant  est  de  moi,  vu  son  brave  pennage, 
J'aimerois  mieux  la  plume  que  Toiseau. 


SONNET. 

A    M.    LE    MARQUIS    DE    COXTY. 

Quel  poëte  nouveau,  quittant  le  gai  lierre. 
Pour  le  mirthe  et  laurier,  se  présente  à  mes  yeux? 
Vous  me  direz  ainsi ,  vous  qui  par  vos  ayeux 
Avez  eu  tant  de  rois  de  la  gauloise  terre. 

Je  suis  vraiment  celui  qui  chante  pour  acquerre, 
Non  de  riches  trésors ,  mais  un  bruit  glorieux  ; 
Afin  qu'en  m'honorant  je  vous  honore  mieux, 
Et  qu'une  laide  mort  votre  beau  los  n'enterre. 

Je  m'offre  donc  à  vous,  et  ne  suis  trop  hardi  : 
Je  ne  m'abuse  point  quand  je  vous  nonune  et  dl 
Enfant  du  père  aux  rois,  moi  du  père  aux  poètes. 

Les  princes  et  Phœbus  viennent  du  grand  Jupin  ; 
Doncques  frères  ils  sont  :  et  par  même  destin , 
Votre  neveu  je  suis,  et  mon  oncle  vous  êtes. 


MARSEILLE  D'ALTOLVITIS.  455 


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MARSEILLE    D' ALTOU VITIS. 


Cette  femme  célèbre,  qui s'appeloit  Blarseille , parce 
qu'elle  avoit  été  présentée  sur  les  fonts  baptismaux 
au  nom  de  la  ville  de  Marseille,  naquit  en  i55o,  de 
Pliilippe  d'Altouvitis ,  d'une  illustre  maison  de  Flo- 
rence, premier  consvd  d'Aix,  et  de  Renée  de  Rieux, 
baronne  de  Castellane  et  de  Châteauneuf,  qui  avoit 
été  maîtresse  de  Henri  m.  Elle  eut  le  malheur  de  perdre 
son  père  peu  de  temps  après  sa  naissance.  La  même 
année  i55o,  Philippe  ayant  eu  quelque  différend 
avec  Henri  d'Angoulême ,  grand-prieur  de  France  et 
gouverneur  de  Provence ,  ils  s'attaquèrent  mutuelle- 
ment ,  et  se  poignardèrent. 

Marseille  d'Altouvitis  se  distingua  de  bonne  heure 
dans  la  poésie ,  par  plusieurs  ouvrages  qui  lui  valurent 
l'estime  et  l'admiration  des  poètes  de  son  temps,  mais, 
de  tous  ces  ouvrages ,  il  ne  nous  reste  qu'une  ode  com 
posée  à  la  louange  de  Louis  Bellaud  de  La  Ballaudière, 
de  Grasse,  et  de  Pierre  Paul,  de  Marseille,  qu'on  regarde 
comme  les  deux  restaurateurs  de  la  poésie  provençale. 
D'Altouvitis  mourut  à  Marseille  en  1606,  âs^ée  de  cin- 
quante-six  ans ,  et  fut  ensevelie  dans  l'église  des  Grands- 
Carmes  de  cette  ville.  Parmi  les  nombreuses  pièces 
qui  furent  consacrées  à  sa  mémoiie,  l'épitaphe  sui- 
vante mérite  d'être  distinguée  ;  elle  est  de  Jean  Brémond 
ou  Bermond ,  marseillois  ; 

Le  jour  étoit  couché  sous  l'ombre, 
Quand  la  parque,  d'un  esprit  sombre 


456  MARSEILLE  DALTOUVITIS. 

Couvrant  les  plus  vives  clartés 
Qu'Amour  écrit  entre  ses  flammes, 
Sépara  des  parfaites  âmes 
L'ame  de  toutes  les  beautés. 
Ce  fut  des  Grâces  la  quatrième, 
Ce  fut  des  Muses  la  dixième , 
Marseille ,  qu'elle  nous  ravit  : 
Mais  tout  le  triomphe  et  la  gloire 
Qui  nacquit  de  cette  victoire, 
De  rien  ou  de  peu  lui  servit  ; 
Car'l'esprit  quittant  la  nature 
D'un  corps  subjet  à  pourriture  , 
Ne  fléchit  à  même  destin  ; 
Mais  doué  d'un  astre  plus  ferme, 
La  fit ,  sans  limiter  son  terme  , 
Paroître  au  point  de  sou  malin. 


ODE 

A   LA    LOUANGE    DF    LOUIS    BELLAIJD    PK    H    BALLAUDIKRE,   ET 
DE    PIERRE    PAUL    DE   MARSEILLE. 

Nul  n'aura  dans  le  ciel  partage, 
S'il  n'a  chanté  par  l'univers 
Le  rare  phénix  de  notre  âge  , 
Paul  et  Bellaud  unis  en  vers. 

Mercuriens ,  diserts  poètes, 
Enfans  des  neuf  Muses  chéris , 
Je  sacre  aux  lauriers  de  vos  testes 
Deux  fleurons  de  myrthe  choisis. 

Atropos  a  voulu  dissoudre 
Un  couple  d'amis  si  très  heau  , 


BIA.RSEILLE  D'ALTOUVITIS.  lySj 

Ayant  mis  Louis  Bellaud  en  poudre 
Sous  le  froid  marbre  du  tombeau. 

Mais  de  quoy  lui  sert  son  envie  ? 
L'amour  a  dompté  son  effort  ; 
Car  Paul  lui  redonne  la  vie , 
Maugré  le  destin  et  le  sort. 


458  JEAN  DE  LA  CEPPÈDE. 


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JEAN   DE   LA  CEPPEDE. 


Jean  de  La  Ceppède,  né  à  Marseille,  en  iSdo,  de 
Jean-Baptiste  de  La  Ceppède  et  de  Claude  de  Bompar, 
fut  successivement  revêtu  de  la  charge  de  conseiller 
au  parlement  d  Aix,  le  28  octobre  iSyS;  de  celle  de 
président  aux  Comptes  de  Provence,  en  i586;  et  enfin 
de  celle  de  premier  président  de  cette  chambre ,  le 
i4  juillet  1608.  11  épousa  Madeleine  de  Brancas,  fille 
du  baron  de  Cereste,  et  mourut  à  Avignon  en  162'i. 
Son  corps  fut  transporté  à  Aigalades ,  près  de  Marseille, 
dont  il  étoit  seigneur. 

La  Ceppède  fut  intimement  lié  avec  la  plupart  des 
poètes  de  son  temps.  Voici  les  vers  que  le  célèbre 
Malherbe  fit  à  sa  louange  : 

Muses ,  vous  promettez  en  vain 
Au  front  de  ce  grand  écrivain , 
Et  du  laurier  et  du  lierre  : 
Ses  ouvrages  ,  trop  précieux 
Pour  les  couronnes  de  la  terre , 
L'assurent  de  celle  des  cieux. 

Personne  ne  sera  la  dupe  d'un  pareil  éloge.  L'amitié 
pouvoit  aveugler  Malherbe,  et  certes  nous  sommes 
bien  éloignés  de  lui  en  faire  un  crime  ;  mais  il  n'est 
pas  moins  vrai  que  les  productions  de  La  Ceppède  ne 
sont  rien  moins  que  des  ouvrages  précieux.  Elles  se 
composent  d'une  Imitation  des  Pscawnes  de  la  Péni- 
tence de  David,  de  quelques  pièces  pieuses,  et  des 
Théorèmes  spirituels  sur  la  vie  et  la  mort  de  Jesus-Christ, 


JEAN  DE  LA  CEPPÈDE.  459 


SONNET 

SUR    LA    CONDAMNATION    DE    J  ÉSUS- CHR  IST. 

Comme  ces  assassins  feignent  d'avoir  grand  soin 
De  traiter  cette  cause  en  termes  de  justice, 
Voici  de  toutes  parts  maint  et  maint  faux  témoin 
Qui  tâche  de  livrer  l'innocent  au  supplice. 

Mais,  quoique  ces  menteurs  colorent  leur  malice, 
Tant  qu'il  leur  est  possible,  ils  s'égarent  si  loin. 
Que  leur  bouche  en  un  mot  ne  dit  rien  qui  fournisse 
Une  apparente  preuve  à  l'injuste  besoin. 

Un  témoin  contredit  ce  que  l'autre  dépose  : 
Au  mensonge  imposteur,  la  vérité  s'oppose; 
Plus  on  la  veut  noircir,  plus  sa  blancheur  reluit. 

Ainsi  Suzanne  éprouve  en  son  angoisse  extrême. 
Que  de  deux  faux  témoins  l'un  par  l'autre  est  détruit, 
Et  que  l'iniquité  se  dément  elle-même. 


46o  JEA.N  DE  LA  CEPPÈDE. 


SONNET 

SUR  LA  DÉSERTION  DES  APOTRES. 

Surgeons  du  sang  royal ,  fuyez-vous  bien  les  amies, 
Que  la  simple  noblesse  aime  si  chèrement? 
Parens  du  Christ  qu'on  traite  ores  si  durement, 
Hé  !  le  quittez-vous  seul  parmi  ces  durs  vacarmes  ? 

Vous ,  qui  deviez  le  suivre  aux  plus  chaudes  alarmes. 
Manquez-vous  de  promesse  ainsi  légèrement  ? 
Et  vous ,  Jean ,  qu'il  aimoit  si  paternellement , 
Lâchez-vous  ce  bon  maître  à  ces  cruels  gens  d'annes? 

Péagiers ,  et  pescheurs  faits  princes  de  sa  main , 
Vous  l'abandonnez  donc  à  ce  peuple  inhumain  ? 
Tant  la  peur  de  la  mort  a  votre  ame  asservie  ! 

Si  l'amour  de  la  vie  est  le  soin  qui  vous  mord , 
Arrêtez  :  car  par-tout  vous  trouverez  la  mort, 
Et  cil  que  vous  fuyez  est  l'auteur  de  la  vie. 


FRANÇOIS  D'AMBOISE.  4^1 


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FRANÇOIS  D'AMBOISE. 


François  d'Amboise  ,  fils  de  Jean  d'Amboise ,  qui  fut, 
chirurgien  des  rois  François  i*"',  Henri  ii,  François  ii, 
Charles  ix  et  Henri  m,  naquit  à  Paris  en  i55o. 
Charles  ix  fit  élever  à  ses  frais  le  jeune  d'Amboise, 
qui,  après  avoir  terminé  l'étude  des  belles-lettres, 
et  les  avoir  même  professées,  les  abandonna  pour 
se  livrer  au  barreau ,  où  il  se  fit ,  comme  avocat ,  une 
grande  réputation.  Henri  m  ,  appelé  au  trône  de  Po- 
logne, le  choisit  pour  l'accompagner  dans  ses  nou- 
veaux états;  et,  à  la  demande  de  ce  prince,  d'Amboise 
en  fit  la  description.  De  retour  en  France,  il  occupa 
successivement  différentes  places  dans  la  haute  magis- 
trature :  il  fut  nommé  conseiller  d'état  en  i6o4,  et 
mourut  en  1620.  Les  lettres  ne  furent  qu'un  délasse- 
ment pour  d'Amboise ,  et  il  y  renonça  de  bonne  heure 
pour  s'occuper  de  sa  fortune.  Ses  ouvrages ,  mal  indi- 
qués par  Lacroix  du  Maine  et  par  Duverdier,  le 
sont  plus  exactement  par  Nicéron.  Nous  ne  devons 
mentionner  ici  que  ceux  qui  sont  en  vers ,  et  qui  se 
composent  des  Néapolitaines ,  comédie  françoise  Jbrt 
facétieuse ,  sur  le  sujet  de  P histoire  d'un  Espagnol  et  un 
François  (Paris,  i584î  i«-i6);  des  Désesperades ,  ou 
Eglogues  amoureuses ,  es  quelles  sont  au  vif  despeintes 
les  passions  et  le  désespoir  d'amour  (  Paris ,  1072,  /«-8  °  \ 


462  FRANÇOIS  D'AMBOISE. 


ÉLÉGIE 

SUR  LE  TRÉPAS  d'aNNF.  DUC  DE  MONTMORANCY,  PAIR  ET 
CONXtSTABLE  DE  FRANCE. 

Celut  qui  surmonta,  vertueus  en  sa  vie, 
Vertueus  en  sa  mort,  le  destin  et  l'envie, 
Celiiy  qui  surpassa,  rare  et  prodigieus, 
Le  les  et  la  vertu  des  premiers  demy-dieus , 
Foisonnant  en  renom,  et  comblé  d'excellence. 
Ce  grand  Montmorancy,  connestable  de  France , 
Hclas  !  est  decedé.  Plorés,  peuples,  plorés. 
Et  de  vos  pleurs  tesmoins  son  trépas  décorés, 
Puisque  les  tristes  sœurs  de  l'enfer  citoyennes, 
Conceuës  par  la  nuict  es  maisons  stygiennes. 
De  sa  vie  ont  tranché  le  fd  fatalement  : 
Plorés,  François,  plorés;  car  tout  vostre  ornement 
Est  mort  avecques  luy.  Et  vous  sœurs  oreades, 
Vous  nymphes  des  forets,  vous  gentilles  naïades. 
Exercés  à  jamais  ung  dueil  continuel. 
Arrachant  vos  cheveux,  pour  le  trépas  cruel 
De  ce  grand  duc ,  duquel  la  force  et  vertu  rare 
A  tant  et  tant  de  fois  surmonté  le  barbare. 

Augmentés  jiar  vos  pleurs,  vous  déesses  des  eaus, 
Le  cours  argentelet  des  dous  coulans  ruisseaus. 
Et  faictes  que  vos  flocs,  près  de  l'herbeuse  rive. 
Déplorent  son  destin,  comme  si  l'onde  vive 
De  son  murmure  dous  voudroit  plaindre  la  mort 
Do  ce  vaillant  guerrier,  lequel  par  son  effort 


FRANÇOIS  D'AMBOISE.  463 

Invincible  a  vaincu  tous  ses  haineurs  en  guerre, 
Ainsi  que  Scipion  des  armes  le  tonnerre , 
Et  des  armes  l'honneur.  Et  combien  que  les  cieus 
Oii  il  faict  sa  demeure,  ayent  esté  joyeus, 
Lors  que  par  mort  ils  ont  jouy  de  sa  présence , 
Si  est-ce  que  tousjours  la  désolée  France 
Veuve  regrettera  son  guerrier  tant  aimé , 
Son  guerrier  valeureus ,  son  guerrier  renommé , 
Lequel  pour  mieus  graver  en  terre  sa  mémoire. 
Et  avoir  le  guerdon  que  meritoit  sa  gloire, 
S'est  emparé  des  cieus  :  mais  quoy!  l'air  courroucé, 
Avec  les  elemens  se  sentant  offencé , 
Murmure  et  plaint  sa  mort,  et  les  blondes  avettes , 
Emues  de  douleur,  bruyent  près  les  fleurettes. 

Puisque  donc  ainsin  est,  sus  versés  larmes  d'yeus , 
Satires,  chevrepiés,  faunes  et  demi-dieus, 
Plorés  villes  ,  chateaus  ,  plorés  herbeuses  plaines , 
Plorés  ,  et  augmentés  le  cristal  des  fontaines  , 
Plorés  bois  et  taillis,  et  vous  coustaus  bossus, 
Plorés  jardins  et  monts ,  plorés  antres  moussus , 
Qu'on  oye  retenir  l'air  aus  sons  de  vos  plaintes. 

Et  toy,  déesse  Echo,  respons  à  mes  complaintes. 
Complaintes  que  roulans  ces  larmes  de  mes  yeus 
Je  voue  à  son  trépas ,  ne  pouvant  faire  mieus , 
Sinon  de  déplorer  le  malheur  de  la  France 
Veuve,  helas!  maintenant  de  sa  douce  présence. 

Or  donques  il  a  pieu  à  celuy  là  qui  meut 
Toute  ame,  et  qui  repos  luy  donne  quand  il  veut. 
Il  a  pieu  à  celuy  qui  conduit  et  qui  guide 
Ce  qui  vit  sur  la  terre ,  et  dedans  l'air  liquide  , 


464  FRANÇOIS  D'AMBOISE. 

Et  au  mylieu  des  eaus,  de  permettre  à  la  mort 
Eprouver  sa  puissance ,  et  faire  son  effort 
Contre  Montmorancy,  l'appuy  et  l'asseurance, 
Le  secours,  le  bon  heur,  le  rampart  de  la  France. 

«  Nous  sçavons  que  rien  n'est  ayant  œternité 
«En  tout  cest  univers,  fors  la  divinité. 
«  Nous  sçavons  qu'on  ne  voit  rien  qui  ne  soit  passable, 
«  Et  qui  n'ait  la  nature  inconstante  et  muable, 
«  Et  que  ce  qui  est  faict  des  quatre  cors  divers 
«  Au  centre  s'encernants  de  ce  grand  univers, 
«En  fin  est  ruiné.  Et  tout  ce  qui  s'engendre, 
«  Et  se  compose  d'eus,  tourne  en  poudre  et  en  cendre. 

«Nous  sçavons  que  la  mort,  et  Saturne  inhumain 
«  Fauchent  également  tout  ce  qui  est  mondain  : 
«  Mais  lors  que  nous  voyons  que  ce  chronien  dévore, 
«  Et  ravit  ses  enfans,  puis  en  produit  encore, 
«  Puis  les  dévore  après ,  nostre  fragilité 
«  Désireuse  souhaite  avoir  œternité.  » 

De  là,  vient  le  désir  de  sçavoir  les  présages. 
Avant-coureurs  des  maux,  et  des  humains  orages. 
Et  le  désir  de  voir  le  poulmon  des  aigneaus , 
Et  le  vol  gauche,  ou  droit,  des  prophètes  oiseaus, 
De  là,  vient  le  désir  de  sçavoir  les  augures. 
Et  la  prédiction  des  ruines  futures , 
Comme  est  du  sang  pourpré  un  découlant  ruisseau, 
Ou  le  foudre  frappant  d'un  chesne  le  couppeau  : 
«  Toutcsfois  il  est  vain  ,  pour  ce  ({ue  nostre  vie 
«  Est  de  la  main  de  Dieu,  ou  conduite,  ou  ravie; 
«  Car  c'est  luy  (jui  commande  au  sort  et  au  destin , 
«  Praevoyant  de  long-temps  le  jour  de  nostre  fin , 


FRANÇOIS  D'AMBOISE.  465 

«  Laquelle  quelquefois  se  mesle  en  nostre  suitte , 
«  Lors  que  nous  la  fuyons  ;  et  puis  se  met  en  fuitte, 
«  Lors  que  nous  la  cherchons  ;  et  en  toute  saison 
«  Pend  dessus  nostre  chef,  produitte  d'Aclieron,» 
Et  de  l'obscur  manoir  du  dieu  épouvantable. 

Qui  jamais  eust  pensé  que  nostre  connestable 
Ayant  en  tant  d'assauts  passé  tous  les  dangers , 
Que  le  feu  et  le  fer  nourrissent  familiers, 
Ayant  tant  travaillé  à  maintenir  les  armes, 
Et  tant  acquis  d'honneur  en  donnant  les  alarmes , 
En  martial  arroy,  ou  courant  au  défaut 
D'un  bataillon  forcé,  ou  donnant  un  assaut, 
Fust  ainsi  decedé ,  alors  que  son  vieil  aage 
Meritoit  un  repos,  et  non  un  tel  carnage, 
Autheur  de  son  decés!  Mais  son  cœur  genereus. 
Sur  la  fin  de  ses  ans  ne  s'est  monstre  paoureus  : 
Ains  voulant  faire  à  Dieu  et  à  son  roy  service, 
N'a  douté  de  son  sang  leur  faire  sacrifice  , 
Comme  le  roy  d'Athene,  et  comme  le  Thebain, 
Comme  celuy  de  Sparte,  ou  comme  le  Romain, 
Qui  combattans  sont  morts  secourans  leur  patrie  : 
Aussy  pour  toy  il  n'a,  France,  épargné  sa  vie, 
S'employant  pour  tes  roys  et  pour  les  peuples  tiens. 

Donc  que  Grèce  se  taise,  et  ne  vante  les  siens, 
Donc  que  Rome  se  taise,  et  que  plus  ell'  ne  prise 
Ceux  par  lesquels  elle  eut  liberté  et  franchise  : 
Car  France  maintenant  peut  en  son  nourrisson 
Contempler  les  vertus  de  l'antique  Jason, 
D'Hercule,  d'Achillés,  d'Ulysse  et  de  Patrocle, 
De  Nestor  et  d'Ajax,  et  de  ce  Themistocle, 
V.  3û 


4G6  FRANÇOIS  D'AMBOISE. 

Lequel  depiiys  douta  les  cffors  perslens, 
Prenant  le  fer  en  main  pour  les  Athéniens. 

France  peut  maintenant  admirer  revcellence, 
Et  jusqu'au  dernier  ciel  élever  la  vaillance 
«  De  son  ÎMontmorancy.  Et  puys  que  le  vray  los 
«  Doit  estre  concédé,  lors  que  l'obscur  chaos 
«  Couvre  et  presse  au  giron  de  sa  masse  brutale, 
«  Ceux  lesquels  de  la  mort  la  sagette  fatale 
«  A  attaints  et  réduits  sous  l'inhumain  pouvoir 
«  Du  gendre  de  Ceres,  recteur  de  l'Orque  noir,  » 
Qui  seroit  le  François  tant  cruel  et  barbare, 
Tant  semblable  au  Gelon,  ou  au  Scitic  tartare, 
Oui  ne  resretteroit  nostre  Nestor  francois? 
Surpassant  en  conseil  l'autre  Nestor  grégeois, 
Nestor,  dis-je,  prudent  dans  les  murs  de  la  ville, 
Au  dehors  surpassant  le  valeureus  Achille. 

Car  comme  un  feu  lancé  du  ciel  resplandissant, 
Sacage  la  moisson ,  et  l'épy  jaunissant , 
Conune  A(juilon  alant  d'une  marche  doublée, 
Gallope  sur  les  flocs  entre  la  troupe  élée; 
Ainsi  ce  connestable  en  tous  combats  vainqueur, 
Rompoit  les  rancs  murés,  et,  poussé  de  l'honneur, 
S'acqueroit  es  combats  une  innnortelle  gloire. 

Tesmoins  m'en  soyent  ceus-là  sur  lesquels  eut  victoire 

Ce  grand  Montmorancy.  Tcsmoin  soit  l'empereur, 

Duquel  il  repoussa  l'effort  et  la  fureur. 

Tu  le  seais,  Avignon,  lors  qu'il  reprima  l'ire 

Par  force  et  par  conseil  du  recteur  de  l'empire. 
Tu  le  sçais,  Dam-ViUicrs,  et  toy,  Mets,  tu  le  sçais, 

Lors  que  par  ses  effors  les  tiens  furent  forcés; 


FRANÇOIS  D'AMROISE.  467 

Boulolgne ,  tu  le  sçais ,  quand  par  force  forcée , 
En  tes  quatre  chateaus  vaillant  il  eut  entrée: 
Meuse,  vous  le  sçavés,  et  le  Pihosne,  et  le  Rliin, 
La  Moselle,  et  la  Seine,  et  l'Alpe,  et  l'Apennin, 
Vous  le  sçavés,  et  si  vous  pouvés  à  nostre  aage 
Porter  de  sa  vertu  un  ample  tesmoignage. 

Tairay-je  le  destroit  de  Suse  et  de  Hedin, 
La  prise,  et  le  combat  donné  près  le  Ticin 
Contre  le  Mantouan,  lors  qu'ans  chaudes  alarmes, 
Courageus  à  bastir  un  tombeau  dans  ses  armes. 
Ce  guerrier  surmonta ,  et  domta  de  sa  main 
L'itale,  l'Espaignol,  l'Anglois  et  le  Germain? 
Tairay-je  la  bataille  auprès  de  Han  donnée, 
Ou  bien  de  Marignan?  Tairay-je  la  journée 
En  laquelle  depuis  ce  vaillant  belliqueur 
Pour  Charles  nostre  roy  combatant  fut  vainqueur 
De  l'ennemy  à  Dreus?  Passeray-je  en  silence, 
Comme  il  a  constamment  servy  cinq  rois  de  France  : 
Et  comme  il  s'est  trouvé,  et  tant,  et  tant  de  fois 
En  bataille  rengée  ?  A  bon  droit  roy  françois. 
Tu  l'esleus  entre  tous  pour  estre  connestable, 
Esmeu  de  sa  vertu  et  sa  force  indontable  ; 
Car  le  clair  œil  du  ciel,  le  rayonnant  soleil, 
Au  monde  n'a  jamais  regardé  son  pareil. 

Toutesfois,  quoy  qu'il  fust  tant  vertueus  et  rare. 
Et  chery  de  la  France,  un  étranger  barbare 
A  osé  employer,  et  la  flamme  et  le  fer 
Pour  de  sept  coups  meurtriers  l'occire ,  et  le  priver 
De  la  veiïe  du  ciel  et  de  sa  douce  vie. 

Et  semble  que  Mavors  eut  conceu  quelque  envie 


468  FRANÇOIS  D'AMBOISE. 

Et  haine  contre  liiv,  se  voyant  seconder 

En  ses  faicts  belli([ueus ,  ou  plustost  surmonter: 

Tant  que  jalous  d'envie  ,  et  éineu  de  cholere , 

Il  eut  permis  celuv,  qui  en  art  militaire 

Le  surpassoit,  sentir  d'un  ennemy  1  effort, 

Et  pour  France  encourir  par  sept  playes  la  mort  : 

Mort  telle  toutesfois  qu'elle  augmente  sa  gloire, 

Et  d'avantage  engrave  aus  hauts  cieus  la  mémoire 

De  ses  illustres  faicts,  pour  faire  mieux  florir 

Cohiv  ({ui  pour  son  roy  n'a  doute  de. mourir. 

«  Et  combien  qu'on  ne  puisse  ou  par  pleurs,  ou  par  plainte, 
«  Rallumer  le  (lambeau  de  ceste  vie  etainte, 
«  Apres  que  Saturne  a  fauché  d'egalle  main , 
«  Ou  soit  tost,  on  soit  tard,  tout  ce  qui  est  humain, 
«  Et  combien  qu'un  corps  mort  le  pleur  ne  ressuscite,)^ 
Comme  Diane  sçait  pour  son  chaste  Hyppolite, 
Si  est-ce  que  tu  dois,  France,  abonder  en  pleurs, 
Et  prolonger  de  siècle  en  siècle  tes  douleurs, 
Puis  ([u'ainsin  Atropos,  dure  et  inexorable, 
A  retranché  la  vie  à  ce  tien  connestable, 
Tu  luy  dois  un  trophée,  et  un  riche  tombeau, 
Luy  dressant  à  sa  mort  un  triomphe  nouveau. 

Car  par  le  jugement  de  ce  dieu  qui  desserre 
Les  bondes  de  l'olvmpe,  et  lançant  son  tonnerre, 
Qui  faict  trembler  le  ciel  et  la  terre  d'borreur, 
Et  tout  cest  univers,  duquel  il  est  recteur. 
Estant  père  des  dieus,  l'élément  de  la  teri'e 
Pour  sa  part  a  le  corps  de  ce  duc,  et  l'enserre, 
Mère  commune  à  tous,  dedans  l'obscur  cercueil, 
Et  quitte  sa  verdure  eu  signe  de  sou  dueil. 


FRANÇOIS  D'AMBOISE.  469 

D'autre  costé  au  monde  a  esté  adjugée, 
Par  le  grand  Juppiter ,  la  gloire  et  renommée 
De  ce  grand  chevalier.  Et  les  cieus  azurés 
Ont  prins  pour  eux  l'esprit,  dont  ils  sont  décorés. 


470  NICOLAS  PAVILLON. 

NICOLAS  PAVILLON. 


Nicolas  Pavillon  ,  avocat  distingué  au  Parlement 
de  Paris,  aïeul  de  Nicolas  Pavillon  ,évêque  d'Aletz,  et 
d'Etienne  Pavillon  ,  de  l'Académie  Françoise  ,  mort  en 
lyoS,  étoit  né  à  Paris,  d'une  famille  originaire  de 
Tours;  il  vivoil  encore  en  i584.  Nous  avons  de  lui  une 
traduction  en  vers  François  des  Sentences  de  Théo^nis, 
poète  grec  de  JWégare,  dans  TAttique,  qui  llorissoit 
vers  la  soixante-huitième  olympiade.  Cette  traduction 
parut  en  iSjS  (Paris,  /«-S^,  Guillaume  Julien);  elle 
est  dédiée  à  Pierre  Girard,  fds  d'un  conseiller  au  siège 
présidial  de  Moulins  en  Bourbonnois,à  qui  notre  poète 
en  avoit  fait  plusieurs  fois  la  lecture  pendant  soit  sé- 
jour dans  cette  ville.  On  n'y  trouve  pas  toute  la  grâce 
de  l'original,  elle  n'est  même  pas  littérale;  mais  Pa- 
villon, qui  d'ailleurs  connoissoit  très  bien  la  langue 
grecque,  nous  dit  qu'il  s'étoit  plus  attaché  à  exposer 
clairement  les  maximes  du  poète  grec  qu'à  les  rendre 
mot  à  mot.  11  parle,  dans  son  épître  dédicatoire,  de 
deux  autres  traductions  plus  considérables  qu'il  avoit 
entreprises,  mais  qui  n'ont  pas  été  imprimées  :  celle  du 
géographe  Denis  d'Alexandrie  ,  et  celle  des  Commen- 
taires d'Eustalhc  sur  Homère. 

Pavillon  nous  a  encore  laissé  une  épitaphe  de  Jules 
Scaliger,  qu'on  trouve  à  la  page  i56  des  Epitapkes 
Jrançoises ,  et  un  ouvrage  qui  a  pour  titre  Discours  sur 
r histoire  des  Polonais  et  r élection  du  duc  d* Anjou  ^ 
avec  une  èpitre  au  roi  de  Pologne  y  sur  sa  biciL~venue 
a  Paris  (  Paris ,  //i-8  ,  i  SjS  ). 


NICOLAS  PAVILLON.  4?  ' 


SENTENCES   DE   THEOGNIDE. 

Sois  sage,  et  sottement  ou  bien  injustement 
JVe  sois  ny  honoré,  ni  riche,  ni  puissant. 
Ne  hante  les  méchans ,  ains  les  bons  à  toute  heure. 
Bois ,  manges  et  te  siés  près  ceux  dont  tu  t'asseure , 
Et  t'essaie  sur  tout  de  plaire  aux  grans  seigneurs. 
Si  tu  hantes  les  bons,  tu  prendras  bonnes  meurs: 
Si  li^s  méchans ,  méchant  tu  seras  à  leur  guise. 
Si  tu  retiens  ceci,  quelquefois,  sans  feintise. 
Tu  me  sauras  bon  gré  de  te  l'avoir  apprins. 

Cyrné ,  cette  ville  a  un  ventre  dont  je  crains 
Qu'un  homme  en  soit  issu  à  sa  maie  partie  : 
Encor'  les  citoiens  ont  quelque  modestie  ; 
Mais  ces  messieurs  nous  font  mille  méchancetés. 
Cyrné ,  les  bons  primats  ne  perdent  leurs  cités  ; 
Mais  si  tost  qu'il  leur  plaist  mener  mauvaise  vie, 
Entendre  au  populaire ,  et  pour  gain  ou  envie 
Favoriser  l'injuste,  il  se  faut  asseurer 
Que  la  cité  ne  peut  en  long  repos  durer, 
Bien  que  pour  quelque  temps  le  peuple  se  repose; 
Car  le  gain  qui  provient  de  la  publique  chose 
Est  leur  plus  grand  souci  :  de  là  mille  débats 
S'élèvent,  et  de  là  s'engendrent  les  combats, 
Pource  qu'un  roi  tiran  à  la  cité  n'agrée. 

Voici  une  cité ,  Cyrné ,  qui  est  peuplée 
D'un  peuple  qui  n'avoit  ni  roi  ni  loix  à  l'œil. 
Ains  se  couvrant  les  flancs  d'une  peau  de  chevreuil , 


472  1VIC0LA.S  PAVILLON. 

Comme  cerfs  se  paissoit  de  quelque  rude  ortie, 
Qui  fut  cil  maintenant  la  nuu'aille  est  bastie. 
Il  fut  doux  quelque  temps,  Polypedc;  mais  cil 
Qui  fut  le  plus  humain  a  le  plus  fier  sourcil. 
Je  ne  me  puis  garder  d'en  parler  (|uand  j  i  pense, 
L'un  l'autre  se  déçoit,  l'un  l'autre  aussi  s'offense, 
Sans  savoir  discerner  le  bien  d'aveq'  le  mal. 
JVe  sois  point,  Polypede,  ami  de  cœur  loial 
Aveq'  tels  citoiens  pour  quelque  gain  en  prendre. 
Fai-loy  leur  grand  ami ,  d'une  langue  assez  tendre , 
Sans  toutesfois  les  mettre  au  neud  de  tes  secrets. 
Ainsi  tu  connoitras  que  tels  amis  sont  prests 
Au  parler  non  au  fait,  si  lu  veuK  tu  deceuvres 
Leur  feintise  à  leur  foi,  et  à  toutes  leurs  œuvres, 
Leur  dol,  leur  tromperie  et  leurs  sombres  desseins 
Empeschcnt  qu'on  les  die  bomiues  de  force  j)leins. 
Ne  prcns  jamais  conseil,  Cyrné,  d'un  mauvais  homme. 
Si  tu  veuv  <[u  un  affaire  à  ton  bien  se  consonnne  ; 
Mais  à  riiomine  de  bien  tu  dois  tout  reveller, 
Voire  et  pour  le  trouver  dusses-tu  loin  aller. 
Un  seul  cas  toutesfois  à  plusieurs  ne  revelle; 
Car  peu  entre  beaucoup  ont  la  langue  fidelle. 
Découvre  en  seureté  grand  cas  à  peu  de  gens, 
Pour  garder  de  douleur  non-sainable  les  sens. 
L'homme  fidelle  est  digne,  alors  (ju'on  est  en  trouble, 
D'estre  acheté  pour  l'or  et  pour  l'argent  au  double; 
Car  on  en  trouve  peu,  Polypede,  entre  cent. 
Voire  mille  ausquels  soit  un  cœur  ferme  et  constant  ; 
Le  nombre  est  bien  petit  de  ceux  (|ui  tousjours  fermes 
ridelles  soient  presens  aux  plus  dangereux  termes, 


NICOLAS  PAVILLON.  4? 3 

Et  qui  aians  tousjours  le  courage  loial , 
S'offrent  également  à  porter  bien  et  mal , 
Tu  n'en  trouveras  guère'  au  milieu  de  nous  hommes  ; 
Car  tous  d'un  mesme  nef  agités  nous  ne  sommes, 
Nous  semblons  bien  à  lœil  et  au  parler  honteux, 
Et  nous  ne  craignons  pas  de  meffaire  en  tous  lieux. 

Ne  t'accoste  jamais  du  malin  pour  l'aimer, 
Fuïs-le  tout  ainsi  qu'un  mauvais  port  de  mer  ; 
Car  plusieurs  sont  amis  pour  bien  manger  et  boire  ; 
Mais  bien  peu  quand  on  vient  à  quelque  urgent  affaire. 
Il  n'est  rien  plus  scabreux  qu'est  un  homme  fourchu , 
Cyrné ,  pour  le  connoitre  ains  qu'à  terre  il  soit  chu. 

Le  mal  nous  est  très  grand  que  l'or  et  l'argent  cause, 
Cyrné ,  et  d'en  voir  pris  est  trop  commune  chose. 
Que  si  l'esprit  se  ccle  au  dedans  des  amis 
Qui  feins  ont  le  cœur  faux  à  malice  sous-mis , 
Dieu  l'a  ainsi  voulu,  lui  qui  est  notre  maitre , 
Affin  qu'en  Thomme  il  fut  difficile  à  connoitre. 
Non,  tu  ne  sauras  point  ce  qu'un  homme  a  dedans. 
Si  ainsi  qu'au  cheval  tu  ne  lui  vois  les  dens. 
Tu  n'en  sauras  non  plus  que  du  nef  qui  s'apreste 
A  voguer  en  dépit  de  Tireuse  tempeste  ; 
Car  l'idée  souvent  déçoit  un  simple  esprit. 
N'enfle  point  ta  grandeur  si  le  bon  vent  te  rit 
Pour  tes  biens,  ains  tousjours  supplie  la  Fortune. 
Il  n'est  rien  de  plus  beau  que  la  vie  commune 
D'un  père  et  d'une  mère  aians  soin  d'équité. 
Tu  n'es  cause  du  bien  que  tu  as  aqueté 
Ou  perdu;  mais  les  dieux  et  leur  bonté  divine. 


474  NICOLAS  PAVILLON. 

Aucun  n'avise  à  soi  comme  il  faut  que  tout  fine, 
Ou  soit  bien  ou  soit  mal  :  celui  qui  pense  en  mal 
Le  plus  souvent  fait  bien,  et  celui  qui  loial 
S'efforce  à  faire  bien,  fait  souvent  le  contraire. 
Tout  u'avient  aux  bumains  ainsi  qu'on  délibère; 
Car  larrest  du  destin  empt-cbe  nos  j)rojws. 
Tout  ce  que  nous  pensons,  soigneux,  et  sans  repos. 
Est  frivole  et  sans  fruit;  car  les  dieux  en  disposent. 
Ainsi  que  dans  les  cieux  eux  mêmes  le  composent. 
Qui  son  boste  déçoit,  ou  quelque  pèlerin, 
Polvpede,  ne  peut  fuir  les  dieux  sans  frein. 
Vis  plustost  justement  aveq'  peu  de  ricbesse. 
Que  ricbe  injustement  ;  car  la  vertu  s'adresse 
A  celui  qui  est  juste,  et  ceux  vivent  beureux 
Et  ricbes  et  contcns  qui  vivent  vertueux. 
Le  dœmon  permettra  à  l'injuste  (pi'il  gaigne  ; 
Mais,  Cyrné,  la  vertu  peu  de  gens  accompagne. 
Dieu  donne  l'arrogance  h  l'bomme  pour  malbeur, 
Connne  à  celui  qu'il  veut  abvmer  de  terreur. 
Quand  un  bomme  ou  mécbant  ou  sot  est  en  la  cbance 
De  gaigner,  le  par  trop  lui  cause  une  arrogance. 
Ne  te  moque  jamais  d'une  bumble  pauvreté. 
Cyrné,  n'aie  à  mépris  l'apre  nécessité; 
Car  vraiment  Jupiter  de  sa  juste  balance, 
A  l'un  donne  des  biens,  et  met  l'autre  en  souffrance. 
JN'enorgueillis  ton  front;  car  aucun  n'est  certain 
De  ce  qui  lui  viendra  ceste  nuit  ou  demain. 
Le  malin  (jui  se  veut  1res  bon  faire  apparoistre, 
A  le  vouloir  malin  et  le  dessein  adextre  ; 
Et  celui  qui  tousjours  use  de  meur  conseil , 


NICOLAS  PAVILLON.  47 5 

Faisant  un  œuvre  inique  a  le  destin  pareil  ; 
Car  aucun  sans  les  dieux  n'est  ni  pauvre  ni  riche, 
Méchant  ni  bon  aussi.  Le  vice  n'est  point  chiche 
Aux  hommes,  et  de  ceux  que  le  clair  soleil  voit, 
Un  seul  n'asseurera  estre  homme  tel  qu'il  doit, 
S'il  n'est  aimé  des  dieux  et  loué  de  l'envie. 
Mais  à  ce  vainement  un  homme  s'estudie. 
S'il  ne  prie  les  dieux  tout-pouvans  ;  car  sans  eux 
Les  hommes  ne  sont  point  heureux  ni  malheureux. 
La  dure  pauvreté  dessus  les  bons  se  pose. 
Et  sur  les  vieux  plustost  la  fièvre  qu'autre  chose. 
Cyrné ,  chacun  la  doit  comme  il  peut  éviter, 
11  la  doit  contre  un  roc  dans  la  mer  écarter: 
Car  celuy  qu'elle  prend  ne  peut  dire  ne  faire 
Rien,  non  plus  qu'un  qui  est  sans  langue  et  sans  artère; 
Et  n'a  autre  recours  pour  la  chasser  au  loin 
Que  prendre  sur  la  terre  et  sur  la  mer  grand  soin. 
Aussi ,  ami  Cyrné  ,  la  mort  est  plus  joyeuse 
A  l'homme  que  la  vie  et  pauvre  et  souffreteuse. 
L'on  élit  au  tropeau  des  ânes  et  chevaux 
Pour  augmenter  son  bien  des  meilleurs  et  plus  beaux; 
Mais  un  homme  d'honneur  trouve  la  fille  acorte 
De  quelque  fat,  pourveu  que  du  bien  elle  apporte. 
Aussi  ne  voit-on  point  la  femme  refuser 
L'homme  riche  et  vilain  s'il  la  veult  épouser. 
Les  biens  sont  tant  prisés ,  qu'un  noble  personnage 
Prend  la  fille  d'un  sot,  et  qu'un  sot  a  lignage 
D'une  fille  d'honneur  pour  son  très  ample  avoir. 
Ne  t'ébahis  donq'  pas ,  Polypede ,  pour  voir 
Ces  citoyens  périr  puisque  le  beau  se  mêle 


47^  NICOL\S  PAVILLON. 

Brouillé  parmi  le  laid  :  puis  qu'on  court  après  celle 

Incité  de  ses  biens,  qui  est  de  vils  parcns, 

Encore  qu'on  le  sache,  et  puisque  de  tout  temps 

La  dure  pauvreté  contraint  une  personne, 

Si  bien  que  malgré  luy  son  esprit  l'abandonne. 

Trop  boire  de  vin  nuit;  mais  le  boire  en  raison, 
Il  ne  peut  qu'il  ne  soit  bon  en  toute  saison. 
Si  qnelcjuefois  liauter  de  tes  amis  tu  ose, 
Regaitlc  qu'à  leurs  meurs  ton  esprit  se  compose. 
Imite,  étant  entre  eux,  le  poulpe  (|ui  paroit 
Tout  pareil  au  caillou  près  duquel  on  le  voit. 
Il  est,  il  est  permis  qu'un  bomme  se  varie, 
D'autant  que  c'est  sagesse  hors  toute  tromperie, 
D'aller  le  dioit  cbemin  que  vont  beaucoup  de  gens. 
Celui  est  un  grand  sot  et  a  bien  peu  de  sens, 
Qui  lait  le  sage  entre  eux  et  (|ui  tout  savoir  pense, 
Estimant  son  voisin  voilé  d'une  ignorance; 
Car  cbacun  de  nous  fait  j)lusieurs  choses  à  part. 
Aucuns. auront  remord  d'enrichir  en  renard. 
Les  autres  aiment  mieux  dévider  leur  finesse 
Et  prendre  à  toutes  mains  |)our  croistre  leur  richesse. 
Bien  qu'un  ihresor  soit  grand  doublement  on  l'acroit, 
Qui  nous  soûlera  donq'  vraiment  celui  qu'on  voit 
Avoir  des  biens  n'a  rien  sinon  une  folie; 
Car  Juj)iter  envoie  une  Até  qui  déplie 
A  l'un  tous  les  thresors  qu'à  l'autre  elle  a  otés. 
Les  nobles  bien  souvent  or'  qu'ils  aient  étés 
Le  rampart  et  la  tour,  Cyrné ,  dun  peuple  ignare, 
N'ont  sinon  pour  guerdon  un  bruit  qui  vole  rare. 


NICOLAS  PAVILLON.  4? 7 

Aussi  ne  reste-t-il  les  hommes  saufs  et  seurs, 
Que  de  nostre  cité  abattre  les  beaux  murs , 
Au  moins  t'ai-je  donné  des  ailes  qui  grand  erre 
Hautain  te  porteront  sur  la  mer  et  la  terre, 
Tu  seras  assistant  tous] ours  aux  grans  banquets 
Ou  de  toi  seYeront  mille  et  mille  caquets, 
Les  jeunes  jouvenceaux  au  monde  tant  aimables 
Te  chanteront  au  luth  mille  vers  délectables. 

Révère  tes  amis ,  et  fais  que  tu  endures 
D'eux,pour  l'honneur  des  dieux  :  et  sottement  ne  jures. 
Ne  fais  rien  à  la  hâte  :  en  tout  ce  que  Ton  fait, 
Mêmes  en  la  vertu,  le  temps  est  à  souhait. 


4?^  JEAN  LE  BLANC. 


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JEAN   LE   BLANC. 


Jean  Le  Blanc  naquit  à  Paris  d'une  famille  riche; 
il  eut  beaucoup  à  souffrir  des  guerres  civiles,  et  des 
procès  lui  enlevèrent  une  partie  de  sa  fortune.  11  fit 
un  voyage  en  Italie,  et  y  servit  dans  les  armées  de  la 
république  de  Venise. 

Il  publia  en  i6o4  ses  Odes  pindariqucs ,  au  nombre 
de  vingt.  La  quatorzième  est  adressée  à  Philippe  Des- 
portes, dont  il  étoit  l'un  des  plus  zélés  panégyristes. 

Ayant  fait  imprimer,  en  1610,  les  mêmes  odes  avec 
quelques  corrections  ;  il  y  joignit  plusieurs  autres 
pièces  de  ce  genre  qui  navoient  pas  encore  paru  :  un 
poème  sur  la  Vicissitude  des  choses  humaines  ;  une 
Hymne  a  F  Espérance;  un  Paradoxe  ;  trois  satires;  un 
autre  poème  sur  la  Convalescence  ;  un  Discours  de 
Vexcellence  des  Poètes;  quelques  poésies  galantes, 
parmi  lesquelles  se  trouvent  ses  Baisers;  et  enfin  plu- 
sieurs autres  pièces  sur  divers  sujets. 

La  versification  de  Jean  Le  Blanc  est  généralement 
incorrecte;  mais  il  avoit  de  la  verve,  et  l'on  trouve 
souvent ,  à  travers  ses  incorrections,  des  vers  fort  heu- 
reusement tournés. 


JEAN  LE  BLANC.  479 

AUX   ENFANS  DE  FRANCE. 

ODE. 
STROPHE    PREMIÈRE. 

Comme  les  gémeaux  de  Latone, 
Et  du  père  aux  traits  foudroyans , 
Par  la  puissance  qu'il  leur  donne , 
Rendent  les  pôles  flamboyans  : 
Ainsi  les  fils  que  ma  princesse 
Eut  du  meilleur  de  tous  les  rois , 
Décorent  l'horizon  françois 
Du  bon  espoir  de  leur  jeunesse  : 
Venez  donc,  peuples  reculés 
Dans  les  extrémités  barbares, 
Scythes  froids ,  Numides  brûlés  ; 
Et  vous  infidèles  Tartares, 
Venez  aux  pieds  de  leur  grandeur 
Confesser  leur  gloire  immortelle  ; 
Bref,  que  la  terre  en  sa  rondeur 
Courbe  ses  genoux  devant  elle. 

ANTISTROPHE. 

Aussitôt  qu'ils  vinrent  au  monde, 
Tu  vins  mon  courage  saisir, 
O  Phébus  à  la  tresse  blonde, 
Pour  le  ranger  à  ton  plaisir  : 
Je  sentis  grossir  ma  poitrine; 
Ma  face  changea  de  couleur, 
Recevant  l'ardente  chaleur 
D'une  fureur  toute  divine. 


48o  JEAN  LE  BLANC. 

Adonc  mon  esprit  agité 
De  mille  flammes  inconnues, 
Fut  comme  un  aigle  transporté 
Pardessus  les  voûtes  des  nues. 
Où,  franc  de  tout  mortel  souci, 
Plein  de  nectar  et  d'ambroisie, 
Tu  me  fis  augurer  ceci 
Par  le  son  de  ma  poésie. 

É  p  o  D  E. 
Désormais  la  belle  Astrée 
Luira  dans  notre  contrée  ; 
L'esbat,  la  joie  et  l'amour 
Feront  ici  leur  séjour; 
Plus  Erynne  la  bourelle 
N'y  sèmera  de  querelle , 
Plus  ses  rouges  étendarts 
Ne  conduiront  nos  soldarts. 

STROPHE    II. 

On  verra  la  foi  dans  nos  villes 
Reprendre  son  premier  lionneur; 
Les  cbamps  ,  auparavant  stériles, 
Enrichiront  le  moissonneur  : 
Cérès  aux  fécondes  mamelles 
Nous  allaitera  doucement. 
En  faisant  jaunir  le  froment 
Dans  ses  blondoyantes  javelles. 
Et  loi,  père  JNictelien, 
Qui  par  une  double  origine 
Entras  du  (lanc  Sémélien 
Dedans  une  cuisse  divine, 


JEAN  LE  BLANC.  481 

Tu  viendras,  6  roi  des  Indois! 
Pour  réveiller  nos  fantaisies. 
Replanter  sur  ton  petit  bois 
Tes  belles  grapes  cramoisies. 

AINTISTROPHE. 

La  vénérable  Dindymène 

Germera  par-tout  à  foison 

Pour  le  bien  de  la  race  humaine, 

Son  doux  fruitage  de  saison  ; 

Et  Flore,  enceinte  du  Zéphire , 

Émaillera  les  prés  fleuris, 

Tandis  que  la  belle  Cloris 

Y  fera  sa  tresse  reluire. 

On  aura  souci  des  bons  dieux  ; 

Les  justes  lois  seront  gardées, 

Thémis  éclairera  des  cieux 

Les  républi(jues  mieux  guidées; 

Les  rossignols  et  les  tarins 

Dégoiseront  leur  douce  plainte, 

Et  sur  les  chariots  marins 

Les  marchands  vogueront  sans  crainte. 

ÉPODE. 

Ici  le  Dieu  qui  m'affole 
Borna  soudain  ma  parole. 
Et  recalma  la  fureur 
Qui  m  espoinçonnoit  le  cœur: 
Tel  que  la  mer  abaissée, 
Quand  la  bourrasque  est  passée 
Et  que  les  frères  gémeaux 
Eclairent  dessus  les  eaux. 
V.  3i 


482  JEAN  LE  BLANC. 


SUR   LE   BLANC.  ' 

Detes-moi,  bergère  cruelle, 
Pourquoi  vous  n'aimez  point  le  blanc, 
Puisque  blanche  est  votre  mamelle. 
Blanc  votre  teint  et  votre  flanc? 

Blanc  est  le  dez,  blanche  est  l'aiguille, 
Blanc  est  le  fil  dont  vous  cousez; 
Blanc  ce  lin  que  votre  main  file , 
Et  l'eau  de  quoi  vous  l'arrousez. 

Blanches  sont  les  perles  des  larmes 
Qui  roulent  sur  votre  tetin  , 
Quand  Amour  avec  ses  allarmes 
Vous  réveille  avant  le  matin. 

Blanche  est  la  crcme,  la  jonchée, 
Le  sucre  et  la  manne  du  ciel; 
Et  la  cire-vierge  nichée 
Dedans  les  ruchettes  à  miel. 

Blanche  est  la  couche  de  l'Aurore  ; 
De  Thiton,  blancs  sont  les  cheveux; 
Le  jour  est  blanc,  Phébus  encore, 
Diane  et  tous  les  autres  fcu.v. 

'  Quoique  le  sujet  de  cette  pièce  soit  un  jeu  de  mots  sur  le  nom 
du  poêle,  qui  s'appeloit  Lt  Blanc,  nous  n'avons  pas  cru  devoir  la 
rejeter. 


JEAN  LE  BLANC.  483 

Nos  lys  sont  blancs,  blanche  est  la  rose, 
La  camomille  et  le  muguet; 
Blanche  la  fleur  de  vigne  esclose 
Et  blanc  des  vierges  le  bouquet. 

Blanche  est  la  p^n^le  que  l'Aurore 
Enfante  au  lit  oriental; 
Les  diamans  sont  blancs  encore 
Le  nacre  blanc  et  le  cristal. 

Aux  festins  et  les  jours  de  fête 
Nos  pères  de  blanc  se  paroient  : 
Blanc  fut  l'accoutrement  de  tête 
Dont  les  Flamines  s'honoroient. 

Blanc  est  lœuf  qui  ça  bas  desserre 
Sa  largesse  en  mille  façons  : 
Il  peuple  d'animaux  la  terre 
L'air  d'oiseaux ,  la  mer  de  poissons. 
L'air  est  blanc  et  l'onde  agitée; 
Blanches  les  voiles  des  vaisseaux- 
Leucothé  blanche  et  Galathée  • 
Les  cygnes  blancs  et  les  ruisseaux. 
De  blanc  les  heureuses  journées 
Furent  peintes  antiquement; 
Les  vierges  de  blanc  sont  ornées 
Au  jour  de  leur  enterrement. 
Les  Gaulois  ont  pris  l'orioine 
De  leur  nom,  du  blanc  seulement; 
Blanche  est  la  voûte  cristalline; 
Blanche  une  voie  au  firmament. 


4^'^'i  JEAN  LE  BLANC. 

Le  blanc  je  porte  en  ma  livrée  : 
Le  prince  Ta  clans  son  armet  ; 
Quand  une  place  est  délivrée 
On  plante  le  blanc  au  sommet. 

Vive  donc  le  blanc,  ma  cruelle, 
Et  meure  votre  cruauté  ! 
Aimez  son  cœur  jjlanc  et  fidelle , 
Comme  il  aime  votre  beauté. 


POEME 

SUR    LA    VICISSITUDE    DES    CHOSES    MONDAINES. 
A    LOUIS    LAYER. 

Rien  n'est  stable  ici  bas,  tout  s'altère  et  dissipe; 
Ce  qui  reçut  un  corps  retourne  à  son  principe; 
Comme  un  fleuve  orgueilleux  précipite  son  cours, 
Ainsi  les  heures  vont  et  s'enfuyent  toujours. 
De  même  qu'une  vague  est  d'une  autre  poussée. 
Comme  une  autre  survient  également  pressée 
D'une  qui  lui  succède,  et  qu'une  autre  arrivant, 
Pousse  encor  derechef  celles  qui  vont  devant  : 
Le  tems  d'un  pied  semblable  cmpoudre  sa  carrière; 
Le  présent  lugilif  met  le  passé  derrière; 
Et,  suivi  du  futur  qui  talonne  ses  pas, 
Un  autre  court  après  qui  jadis  n'estoit  pas. 
Comme  un  rien,  ce  qui  fut  se  tourne  en  décadence, 
Et  ce  qui  ne  fut  pas  se  met  en  évidence. 
Yoit-on  pas  que  la  nuit  précipite  son  train 
Pour  faire  place  aux.  rais  d'un  jour  pur  et  serein , 


JEAN  LE  BLANC.  485 

Et  qu'Apollon  retourne  en  sa  blonde  charette , 
Quand  sous  le  pôle  arctique  elle  fait  sa  retraite  ? 
Le  ciel  même  est  sujet  aux  lois  du  changement  : 
Soit,  quand  sur  la  minuit,  en  ce  bas  élément, 
Tout  animal  repose ,  ou  quand  Taube  fourrière 
Du  palais  olympique  entr'ouvre  la  barrière; 
Le  clair  flambeau  qui  luit  par  le  nuitteux  effroi, 
N'est-il  pas  inconstant  et  dissemblable  à  soi  ? 
Tantôt  c'est  un  croissant,  tantôt  c'est  une  lune; 
Ore  il  brille  en  plein  jour,  ores  par  la  nuit  brune. 
L'an,  dont  quatre  saisons  parfont  le  juste  cours. 
N'est-il  pas  un  miroir  de  celui  de  nos  jours  ? 
Le  printems  oli  croît  l'herbe  encore  tendrelette , 
Sont  les  mois  enfantins  qu'au  berceau  Ton  allaite, 
L'été,  bouillant  et  chaud,  est  l'âge  adolescent  : 
L'automne,  oii  l'ardeur  manque  et  va  s'attiédissant, 
Est  la  virilité  qui  se  tempère  et  semble 
N'estre  vieille  ni  jeune,  ains  tous  les  deux  ensemble  : 
Et  l'hiver  paresseux  dont  le  genouil  fleschit, 
La  caduque  vieillesse  où  notre  crin  blanchit. 

Rien  ne  vit  ici  bas  que  les  siècles  ne  mangent; 
Tout  penche  vers  sa  fin ,  nos  corps  même  se  changent. 
Lorsqu'au  monde  appelés,  au  jour  nous  paroissons, 
Et  des  flancs  maternels  l'enceinte  nous  laissons. 
Plutôt  comme  animaux  qu'à  la  façon  des  hommes , 
En  cheminant  sur  terre  à  quatre  pieds  nous  sommes  ; 
Nos  armes  sont  nos  cris  ;  nous  bronchons  à  tous  coups. 
Si  quelqu'un  ne  soutient  nos  débiles  genoux. 
A  peine  avons-nous  fait  les  ans  de  notre  enfance, 
Que  nous  entrons  en  ceux  de  notre  adolescence 


486  JEAN  LE  BLANC. 

L'âge  mûr  vient  après,  qui  modère  nos  feux, 

Et  la  saison  mauvaise  aux  talons  paresseux. 

C'est  à  l'extrême  point  d'une  telle  vieillesse. 

Que  le  chenu  Millon  regrette  sa  jeunesse; 

Et  lorsqu'il  voit  son  bras  tellement  descharné, 

Qu'il  ne  le  peut  mouvoir,  il  demeure  estonné  : 

Qu'est  devenu,  dit-il,  cette  force  d'Alcide, 

Qui  des  plus  fiers  lions  fut  jadis  homicide  ? 

C'est  alors  qu'on  entend  Hélène  se  douloir. 

Quand  elle  voit  pâlir,  au  travers  d'un  miroir. 

Ses  cheveux  pleins  de  neige  et  son  front  plein  de  rides. 

Les  tems,  les  ans  jaloux  et  les  siècles  rapides, 
Ne  laissent  rien  d'entier  dessous  le  firmament  ; 
Tout  galoppe  à  sa  fin ,  s'il  eut  commencement. 
J'en  appelle  à  témoins  les  principes  du  monde , 
Les  élémens,  le  feu,  l'air  et  la  terre  et  l'onde. 
Pùen  qui  soit  né  demeure  en  son  premier  état  : 
L'Être  fit  la  Nature,  afin  qu'elle  apportât 
Du  changement  partout,  et  que  les  formes  veuves 
De  leur  figure  antique,  en  reprissent  de  neuves. 
Ce  qui  s'appelle  naître ,  enfin ,  n'est  seulement 
D'un  être  tout  nouveau  que  le  commencement. 
Ce  qui  s'appelle  mort ,  n'est  que  sortir  d'un  être , 
Afin  que  par  un  autre  on  se  voye  renaître. 
Combien  que  ce  mélange  erre  de-çà,  de-là , 
Jamais  il  ne  se  perd  ou  se  meurt  pour  cela. 
Ce  qui  fiit  terre  est  mer;  ce  qui, mer,  une  terre. 
Quand  l'héritage  d'Ops  par  le  contre  s'enferre,    • 
On  y  voit  luire  encore  en  diverses  façons. 
En  change  de  cailloux,  des  conques  de  poissons. 


JEAN  LE  BLANC.  487 

Combien  d'ancres  sans  eaux  se  trouvent  aux  montagnes  ! 
Combien  de  fiers  torrens  ont  creusé  de  campagnes  ! 
Et  combien  le  déluge  a-t-il  mis  de  rocbers 
Où  se  tournoient  jadis  les  rames  des  nochers  ! 
Les  marais  ondoyans  sont  devenus  arides; 
Et  ceux  qui  furent  secs,  maintenant  sont  humides. 
Quand  le  fleuve  du  Lyce  en  terre  s'escoula, 
Sa  carrière  depuis  s'estendit  loin  de-là  : 
Quelquefois  l'Amazene  a  superbe  la  course, 
Et  se  meurt  quelquefois  dans  son  aride  source. 
Les  champs  leucadiens,  où  Glauque  estend  ses  bras, 
Qui  sont  or'  séparés,  jadis  ne  l'estoient  pas  : 
Et,  n'eût  été  le  cours  des  eaux  de  la  marine, 
Mycene  ores  grégeoise  ,  encor  seroit  latine  : 
Les  murs  d'Hélice,  et  Bure,  achaïques  cités. 
Dans  le  sein  de  Neptun'  sont  or'  précipités; 
Et  parmi  les  replis  des  vagues  renversées. 
Le  nocher  montre  encor  leurs  tours  bouleversées. 
Un  tems  étoit  qu'Ortige  erroit  par  l'Océan, 
Maintenant  elle  est  stable  au  pays  Egéan  : 
Et  quand  Targenocher  et  ses  jeunes  brigades , 
Ramoit  devers  Colchos,  il  vit  les  Symplegades 
Se  choquer  l'une  l'autre  ;  et  fermes  désormais , 
Ni  les  vents  ni  les  flots  ne  les  meuvent  jamais. 
Un  papillon  renaît  de  la  mort  des  chenilles  : 
Ainsi  du  gras  limon  les  grenouilles  sont  filles, 
Non  que  leur  petit  corps  se  forme  en  un  moment; 
Car  sans  pieds  et  sans  force  il  est  premièrement; 
Leur  cuisse  vient  après ,  et  l'on  voit  la  dernière , 
Afin  de  sauter  mieux,  surmonter  la  première. 


488  JEAN  LE  BLAiVC. 

Plutôt  on  compteroit  les  célestes  flambeaux, 

Qu'on  ne  pourroit  compter  ces  cliangemens  nouveaux. 

Les  peuples  des  cités  et  les  cités  Ilorissent 

Aucune  fois  encore,  et  quelquefois  périssent: 

Ainsi  Troye,  qui  fut  l'honneur  des  champs  phrygeois, 

Et  qui  dix  ans  fit  tête  aux  gendarmes  grégeois. 

N'est  maintenant  qu'une  ombre  au  prix  de  son  vieux  lustre. 

Sparte  fut  en  vigueur,  Mycene  fut  illustre; 

Et  le  mur  de  Mopsope  et  l'Amphionien 

Qui  furent  quelque  chose,  aujourd'hui  ne  sont  rien. 


ANTOINE  MAGE.  4^9 

ANTOINE  MAGE, 

SIEUR  DE   FIEFMELIN. 


x'Vntoine  Mage  ,  seigneur  de  Fiefinelin ,  terre  située 
près  de  l'île  d'Oléron ,  nous  apprend  lui-même  qu'il  se 
livra  fort  jeune  au  commerce  des  muses;  mais  que  dans 
la  suite  leur  ayant  préféré  létude  du  droit ,  il  exerça  une 
charge  dans  la  magistrature. 

Ce  fut  à  la  sollicitation  d'Anne  de  Pons ,  comtesse 
de  Marennes  ,  qu'il  consentit  à  faire  imprimer ,  en 
1601,  le  recueil  de  ses  poésies,  qui  a  pour  titre  la 
Polymnie  ou  diverse  poésie ,  etc.  ,  divisée  en  Jeux  et 
Meslanges. 

Les  Jeux  forment  la  première  partie  ;  ce  sont  des 
églogues ,  le  Triomphe  d'Amour,  ji laide  ;  Aymée,  espèce 
de  tragi-comédie ,  en  cinq  actes  et  en  vers  de  diverses 
mesures  ;  une  tragédie  de  Jephté,  imitée  du  latin  de 
Buchanan. 

La  seconde  partie ,  ou  les  Meslanges ,  renferme  des 
odes,  des  sonnets,  une  satire  contre  les  vices  du  temps, 
le  Saulnier,  ou  de  la  Façon  des  Marois  salans ,  etc. , 
poème;  des  épigrammes  et  des  épitaphes. 

Il  fit  encore  paroître  en  1601  une  autre  collection, 
sous  le  titre  de  V Image  dhm  Mage,  ou  le  Spirituel 
d^ Antoine  Mage,  etc.  Ce  que  l'on  y  trouve  de  plus 
remarquable,  c'est  que  le  poète  y  fait  servir  à  des  su- 
jets très  religieux  les  vers  galants  qu'il  avoit  autrefois 
composés  pour  ses  maîtresses  ;  et  voici  comment  il  le 


490  ANTOINE  MAGE, 

confesse  :  «  Je  ne  te  veux  celer,  ains  franchement  avouer, 
«lecteur,  que  j'ai  en  ce  mien  dernier  essay  changé 
"  quelques  chants  de  mes  amours,  jadis  prophanes, 
"  en  ces  airs  spirituels,  afin  que  les  mesmes  vers  qui 
«  cy-devant  tournés  à  lenveis,  eussent  pu  scandalizer 
«  mon  prochain  ,  l'edilient  maintenant  étant  contour- 
«  nés  à  leur  endroit ,  etc.  » 


SONNET.  ' 

Ci:  inonde,  comme  on  dit,  est  une  cage  à  fous, 
Oii  la  guerre,  la  paix,  ramour,  la  haine,  Tire, 
La  liesse,  l'ennui,  le  plaisir,  le  martyre, 
Se  suivent  toiu-à-tour  et  se  jouent  de  nous. 

Ce  monde  est  un  théâtre  où  nous  nous  jouons  tous, 
Sous  hahits  déguisés,  à  mal  faire  et  médire. 
L'un  commande  en  tvran,  l'autre  humhle  au  joug  soupire 
L'un  est  has ,  l'autre  liant  ;  lun  juge,  l'autre  absous. 

Qui  s'esplore  ,  qui  rit,  qui  joue,  (|ui  se  peine; 
Qui  surveille,  qui  dort  ,  ([ui  danse,  (|ui  se  geine. 
Voyant  le  riche  saoul  cl  le  pauvre  jeûnant. 

Bref,  ce  n'est  qu'une  farce  ou  simple  comédie, 
Dont  la  fin  des  joueurs  la  Parque  couronnant, 
Change  la  catastrophe  en  triste  tragédie. 

■  Ce  sonnet  rappelle  l't'pigramine  de  J.  B.  Rousse.iu,  qui  com- 
mence ainsi  : 

O  monde-ci  n'est  qu'une  œuvri-  comique 
Où  cliacuu  fait  ses  rôle»  difftrcuts. 


ANTOINE  MAGE.  49» 


QUATRAIN. 

Souvent,  malgré  Minerve,  aux  Muses  je  m'amuse  ; 
Car  peu  je  sens ,  rassis,  la  poétique  fureur. 
Mon  vers  ainsi  traînant  s'excuse  en  son  erreur  : 
L'art  ne  rend  bons  les  vers  que  nature  refuse. 


EPIGRAMME. 

SçACHE,  ami,  que  je  ne  sçai  rien 
Des  raretés  de  l'Allemagne: 
Bacchus  t'en  dira  le  moyen , 
Si  sous  Cérès  il  t'accompagne. 
De  boire  ici  nul  ne  s'abstient, 
M'y  disoit-on  :  sors  ou  viens  boire: 
Je  liai  le  buveur  qui  retient 
Rien  ,  fors  du  vin ,  en  sa  mémoire  : 
Si  qu'avec  tous  buvant  d'autant, 
J'oubliai  comme  eux  le  restant. 


SONNET.  ! 

■  '■i 
Mal  n'atteint  nul  animal,  ^ 

Qu'il  n'y  trouve  son  remède  : 

Quand  la  langueur  le  possède,  ' 

Il  s'en  sert  contre  son  mal  ; 

La  terre,  à  mont  et  à  val, 
De  ses  simples  puissans  l'aide. 


J92  ANTOINE  MAGE. 

Le  trait,  l)lessanl  le  daim,  cède 
Au  sain  dictame  idéal. 

Nature,  aux  coqs  salutaire, 
Montre  la  pariétaire; 
La  sidérite  au  canard, 

Le  jonc  marin  à  la  grue, 

A  la  belette  la  rue  : 

L'homme  ne  scait  rien  sans  art. 


EPIGRAMME. 

LE    SAGE    DOIT    FUIR    LIVRESSE. 

PouRQL'oi,  seps  vineux,  et  toi  treille  aussi. 
Venez-vous  charger  mes  branches  ainsi? 
Je  suis  de  Pallas  la  plante  sacrée; 
Otez-moi  d'ici  votre  ente  pamprée, 
Esloignez  de  moi  sa  grappe  enyvrant; 
La  pucelle  au  vin  son  plaisir  ne  prend; 
L'olive  aussi  bien  sans  vin  se  conserve; 
Et  bien  ne  s'accouple  à  Bacchus  Minerve. 


LE   DESIREUX  D'ALLER   A   L'EGLISE. 

Le  grand  désir  de  voir  mon  Dieu, 
Me  prive  de  force  en  ce  lieu, 
Si  crains  là  d'y  mourir  de  joie  ; 
Terrible  est  son  visage  à  tous , 
Et  son  parler  tonnant,  mais  doux  : 
Il  tonne  plus  qu'il  ne  foudroie. 


'^ 


ANTOINE  MAGE.  49^ 


EPIGRAMME   EMBLEMATIQUE. 

Quand  deux  s'accordent  bien,  ils  peuvent  toute  chose. 
Et  rien  ne  peut  contr'eux,  quoique  tout  s'y  oppose  : 
La  main  jointe  à  l'esprit  nous  donne  ainsi  tout  bien. 
C'est  pourquoi  Diomede  est  compagnon  d'Ulisse, 
A  parfaire  un  chef-d'œuvre  où  un  seul  ne  peut  rien  ; 
Car  il  faut  que  la  force  à  l'adresse  s'unisse. 


EPIGRAMME. 

Un  boiteux  des  deux  pieds  sur  un  aveugle  mis, 
Marche  droit  où  il  veut;  l'aveugle  voit  sa  voye. 
L'un  prenant  ce  qu'a  Fautre,  et  s'entr'aidant,  amis. 
Le  boiteux  ses  yeux  prête  à  l'autre,  et  le  convoyé: 
L'aveugle  prête  après  ses  deux  pieds  aux  boiteux; 
L'un  change  eu  yeux  ses  pieds,  et  l'autre  en  pieds  ses  yeux. 


/|94  BA.LTHASAR  BAILLY. 


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BALTHASAR   BAILLY. 


Balthasar  Bailt.y  ,  échevin  ,  conseiller  du  i-oi  à 
Troyes  en  Champagne,  a  laissé  un  poënie  intitulé 
Importunité  et  Malheur  de  noz  ans  ,  qui  fut  imprimé 
en  15-6  (le  24jnill«^tj  Troyes,  i//-8°,  Claude  (laniier). 

Le  but  principal  de  ce  poëme  est  de  prouver  que  les 
maux  dont  la  société  est  afUigée,  ont  une  origine  com- 
mune dans  les  vices  des  grands  et  du  peuple  ,  et  qu'ils 
en  sont  le  châtiment.  Pour  démontrer  cette  vérité  de 
lait,  Hailly  passe  successivenuMit  en  revue  les  magis- 
trats ,  les  ecclésiastiques  ,  etc.  Quoique  sévère  ,  cet 
examen  est  assez  généralement  exact.  Notre  poète  ne 
se  borne  pas  à  puiser  ses  exemples  dans  l'histoire  de  son 
temps;  il  parcourt  l'histoire  ancienne,  et  y  trouve  que , 
à  toutes  les  époques,  la  ruine  des  nations  fut  une  con- 
séquence nécessaire  de  leur  corruption.  Le  crime  seul 
a  pu,  selon  lui,  renverser  ces  vastes  et  puissants  em- 
pires d'Orient,  qui  n'ont  laissé  aucun  vestige  de  leur 
existence.  Il  revient  ensuite  à  des  objets  d'un  intérêt 
plus  particulier;  il  s  étend  beaucoup  sur  les  désordres 
que  les  Reistres  avoient  occasionnés  en  France,  et  dont 
il  avoit  été  témoin. 

Balthasar  Bailly  dédia  son  poëme  à  lîeauffremont , 
évêque  de  Troyes. 


BALTHASAR  BAILLY.  49^ 


PORTRAIT   DU   PEUPLE. 

C'est  le  plus  envieux ,  ingrat  et  mal  disant , 

C'est  le  plus  fort  mutin,  le  plus  contredisant, 

Le  plus  hault  à  la  main ,  plus  désireux  d'avoir  : 

Bref,  qui  faict  tout  au  moins ,  et  rien  de  son  debvoir. 

Il  veult  estre  veu  tout,  et  veult  tout  gouverner, 

Et  sil  parle  deux  mots,  ne  fait  que  badiner. 

Il  parle  de  touts  faits ,  et  ne  sçait  rien  de  tout. 

Il  donne  ordre  à  tout  point,  sans  qu'il  en  vienne  à  bout. 

Il  a  veu  les  auteurs,  et  ne  leut  jamais  rien, 

Et  ne  sçait  décider  ni  de  mal  ni  de  bien. 

Il  corrige  les  grands,  et  de  son  seul  babil 

Il  sçait  tous  les  moyens  d'éviter  tout  péril. 

Quelquefois  il  s'esgaye,  et  puis  il  se  refâche, 

Et  se  fait  comme  il  veut ,  ou  fort,  ou  brave ,  ou  lâche. 


49^  DE  LA  ROQUE. 


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DE   LA  ROQUE. 


La  Roque  étoit  un  gentillionime  de  Clermont  en 
Beauvoisis,  ou,  suivant  l»aillet,  du  village  d'yVynez , 
qui  n'en  est  qu'à  quelque  distance. 

L'époque  de  sa  naissance  peut  être  placée  vers 
i55i.  11  embrassa  la  profession  des  armes,  et  voyagea 
dans  divers  pays,  comme  il  le  dit  dans  l'un  de  ses 
sonnets  : 

J'ay  quarante  ans  passés  ,  je  sçay  que  c'est  du  monde  ; 
J'ay  suivi  le  dieu  Mars  et  celui  des  amours  : 
J'ay  veu  de  maints  pays  les  cités  et  les  tours , 
Et  long-temps  voyagé  sur  la  terre  et  sur  l'onde. 

Ce  poète  étoit  attaché  à  la  reine  Marguerite ,  à  qui 
est  adressée  l'épître  dédicatoire  de  ses  OKuvres.  Dans 
la  J^ie  de  Malherbe,  attribuée  à  Racan ,  on  dit  ({ue  Li 
Roque  mourut  à  la  suite  de  cette  princesse  ;  par  con- 
séquent avant  i6i5. 

La  plus  grande  partie  des  productions  de  La  Roque 
avoient  déjà  vu  le  jour,  les  unes  en  1 597 ,  et  les  autres 
en  1^98  ,  lorsqu  il  les  réunit,  en  1608,  dans  un  même 
recueil,  qui  contient  les  Amours,  en  trois  Livres;  des 
Meslaiigcs;  la  Chaste  Berbère,  pastorale  en  cinq  actes  ; 
et  les  OEuvres  chrétiennes,  en  soixante-dix  sonnets, 
suivis  d'élégies ,  de  stances,  et  d'une  paraphrase  des 
Pseaumcs pénitentiaux,  de  lamentations,  etc. 

La  Roque  a  fait  encore  quelques  imitations  de 
l'Arioste  et  d'Ovide,  comme  XEpitre  de  Didon  a  Enec, 


DE  LA  ROQUE.  497 

celle  de  Léandre  a  Héro,  h  s  Amours  de  Pjrame  et 
Thisbé,  le  Jugement  de  Paris,  etc. 

La  Roque  ne  manquoit  pas  de  goût.  On  trouve  dans 
la  plupart  de  ses  ouvrages  autant  d'esprit  que  de  senti- 
ment ;  son  style  est  simple ,  mais  agréable  ;  sa  versifi- 
cation a  de  l'aisance  et  de  la  douceur. 


CHANSON. 

Mon  esprit  n'a  point  de  cesse  ; 
Je  sens  une  grand'  tristesse , 
Qui  m'assaut  en  mille  endroits, 
Reconnoissant  en  mon  ame 
Que  l'amitié  d'une  femme 
Ne  se  garde  pas  six  mois. 

Car  si  l'enfant  de  Cyprine , 
Une  fois  dans  sa  poitrine 
Débande  son  arc  turquois , 
Pour  un  seul  jour  la  constance 
Y  fera  bien  résistance  : 
Mais  c'est  beaucoup  de  six  mois. 

Le  sexe  est  assez  volage , 
Sans  lui  donner  davantage 
De  liberté  et  de  choix  ; 
Enfin ,  si  la  plus  constante 
En  un  moment  est  changeante , 
Que  fera  l'autre  en  six  mois  ? 

D'un  autre  côté  ,  je  pense 
Que  bien  souvent  une  absence 

V.  32 


49^  DE  LA  ROQUE. 

Force  nature  et  ses  loix 
Do  faire  quelque  amourette  : 
Car  de  demeurer  seulette, 
Ah  !  Dieu  ,  c'est  trop  de  six  mois. 

Elle  peut  dire  en  soi-même  : 
Non,  je  ne  crois  plus  ([u'il  m'aime, 
A  ceci  je  le  connois  ; 
Ailleurs  son  ame  est  esprise  : 
Il  me  dédaigne  et  mcsprise  ; 
Car  c'est  beaucoup  de  six  mois. 

Alors  elle  peut  eslire, 
Pour  alléger  son  martyre , 
Quelque  mignon  bien  courtois, 
Qui  souvent,  étant  près  d'elle, 
Dira  que  chose  si  belle 
Ne  se  doit  laisser  six  mois. 

Après  viendra  la  servante  , 
Qui ,  la  voyant  mal  contente  , 
Lui  dira  cent  mille  lois  : 
Monsieur  a  grant  tort,  je  meure; 
On  peut  bien  faire  demeure, 
Mais  c'est  par  trop  de  six  mois. 


DE  LA  ROQUE.  499 


CONTRE   ORPHEE. 

Je  sacrifie  au  temps  qui  m'ôta  du  martyre 
Et  des  prisons  d'Hymen  où  j'étois  arresté  ; 
Hier  tant  seulement  Ton  entendoit  ma  lyre 
Chanter  la  servitude ,  ore  la  liberté. 

O  toi  qui  porte  au  chef  la  couronne  de  flamme, 
Qui  préside  à  l'en  tour  des  esprits  de  l.'i-bas, 
Je  ne  viens  pas  ici  pour  retirer  ma  femme, 
Mais  bien  pour  te  prier  de  ne  la  rendre  pas. 

Retiens-la  pour  jamais  en  cet  obscur  repaire, 
Pour  augmenter  le  mal  des  esprits  ténébreux; 
Car  il  n'est  rien  plus  vrai  qu'une  femme  peut  faire 
D'un  luisant  paradis  un  enfer  langoureux. 

Si  je  blâme,  Pluton,  la  race  féminine, 
C'est  aussi  le  fléau  de  la  terre  et  des  cieux  ; 
Et  je  crois  que  tu  n'as  épousé  Proserpine, 
Que  pour  rendre  l'enfer  encor  plus  odieux. 

On  dit  qu'en  ton  palais,  sous  la  nuit  triste  et  brune, 
Sept  têtes  a  le  chien  qui  vit  dessous  tes  loix: 
Tu  le  croiras,  Pluton;  ma  femme  n'en  a  qu'une, 
Biais  elle  est  plus  mauvaise  et  plus  fiere  cent  fois. 

Fais  donc  sortir,  ma  lyre ,  un  doux  chant  d'allégresse  ; 

Echo,  réjouis-toi  de  cet  advénement; 

Ce  qui  fut  autrefois  cause  de  ma  tristesse, 

Soit  ore  le  sujet  de  mon  contentement. 


5oo  DE  LA.  ROQUE. 

Malhoiireux  est  rà-l)as  celui  qui  se  marie , 
Parmi  1  iiorreur,  l'ennui,  la  peine  et  le  courroux! 
Et  (juand  le  triste  enfer  n'aura  plus  de  furie, 
On  en  pourra  trouver  eliez  uji  mari  jaloux. 

Or  depuis  tant  de  mois,  de  momens  et  d'années, 
Las!  j'ai  eu,  marié,  deux  bons  jours  seulement  ; 
Et  pour  vous  expliquer  ces  deux  bonnes  journées, 
C'est  celle  de  la  noce ,  et  de  l'enterrement. 

Car  la  première  nuit  que  j'amortis  la  braise 
De  ce  doux  feu  d'amour,  clair  et  plaisant  flambeau, 
Je  l'avoue,  il  est  vrai,  je  n'eus  jamais  tant  d'aise 
De  la  voir  dans  un  lit,  que  dedans  le  tombeau. 

Vous,  flambeau ,  dans  ce  temple  élancez  votre  flamme; 
Et  vous,  funèbres  voix,  animez  vos  accords; 
J'aime  mieux  dépenser  à  prier  pour  son  ame. 
Que  de  jouir  des  biens  que  m'apportoit  le  corps. 

Esprit,  si  vous  aviez  une  compagne  telle, 
Je  vous  tiendrois  rempli  d'un  plus  cruel  tourment; 
Car,  conmicnt  pourriez-voussans  fin  durer  près  d'elle, 
Puisque  l'iionmie  s'en  lasse  en  un  jour  seulement? 

Fuyez,  pâles  couleurs,  fuyez  de  mon  visage, 
Cbagrin,  soucis,  ennuis  d'un  cœur  triste  et  jaloux  ; 
Mes  yeux,  prenez  ici  des  pleureurs  à  louage; 
Quand  vous  rirez  ])our  elle,  ils  pleureront  pour  vous. 

Hé  donc!  puiscjuc  le  ciel  tant  de  rejîos  m'envoie, 
M'ayant  mtme  d'esclave  en  francbise  rendu , 
Mes  yeux,  ne  pleurez  plus,  mais  bien  pleurez  de  joie, 
Car  je  reçois  du  gain  de  ce  que  j'ai  perdu. 


DE  LA  ROQUE.  5o  I 


CHANSON. 


Entre  ma  dame  et  moi  la  discorde  est  semée  ; 
Nous  ne  pouvons  jamais  être  en  paix  tout  un  jour 
Sans  fin,  elle  se  plaint  qu'elle  n'est  point  aimée; 
Et  moi ,  d'autre  côté ,  qu'elle  n'a  point  d'amour. 

Elle  se  vantoit  fort  de  son  amour  extrême, 
Et  puis  en  retenoit  deux  ou  trois  sous  sa  loi  : 
Si  tel  est  son  amour  auprès  de  ce  que  j'aime, 
Vraiment,  je  le  confesse,  elle  aime  plus  que  moi. 

Puisque  je  me  contente  en  ma  seule  fortune , 
Retirant  en  mon  cœur  votre  objet  seulement, 
Que  ne  chassez-vous  donc  cette  tourbe  importune  ? 
Celle  qui  n'a  qu'un  cœur,  ne  retient  qu'un  amant. 

Si  vous  avez  plaisir  de  vivre  ainsi  volage. 
Faites-en  tout  au  moins  comme  fait  l'arbrisseau, 
Qui  despouille  l'Iiiver  son  antique  feuillage. 
Et  ne  garde  jamais  le  vieil  et  le  nouveau. 


CHANSON. 

Que  j'estime  votre  beauté. 

D'avoir  rangé  ma  liberté. 

Qui  jamais  ne  fut  tributaire  ! 

Sus  donc  !  vantez-vous  en  tous  lieux 

D'avoir  fait  d'un  trait  de  vos  yeux 

Ce  que  cent  mille  n'ont  sçu  faire. 


5oa  DE  LA  ROQUE. 

Les  Amours  sçavans  et  rusés , 
Les  souspirs  des  cœurs  déguisés  , 
Ne  pouvoient  rien  sur  ma  jeunesse  : 
Tout  en  vous  séduit  ma  fierté , 
Jusqu'à  votre  naïveté 
Qui  vous  sert  d'extrême  finesse. 

Mais  s'il  vous  plaît  en  la  prison 
Retenir  long-temps  ma  raison, 
Faites  que  l'espoir  y  demeure  : 
Autrement,  rebuté  d'amour, 
Comme  je  suis  pris  en  un  jour, 
Vous  me  reperdrez  en  une  heure. 

STANCES   CHRÉTIENNES. 

Tout  tremble  sous  le  sceptre  où  reluit  toji  empire; 
Grand  Dieu  !  lud  ne  résiste  aux  assauts  de  ton  ire  ; 
Pour  empêcher  ta  force,  il  n'est  rien  d'assez  fort  : 
Et  ceux  qui  sont  privés  du  soleil  de  ta  grâce, 
Sont  ainsi  que  les  fleurs  que  l'orage  terrasse. 
Montrant  eu  un  matin  leur  naissance  et  leur  mort. 

C'est  ton  divin  soleil ,  objet  de  ma  pensée. 
Duquel  soudainement  la  terre  est  traversée , 
Qui  voit  tout  en  ce  monde,  et  ne  bouge  des  cieux: 
On  a  beau  se  couvrir  des  ailes  de  lonibrage  ; 
Les  roches  que  je  vois  dans  ce  désert  sauvage. 
N'ont  rien  d'assez  caché  qui  nous  cache  à  tes  yeux. 

O  Seigneur!  devant  toi  p;issc  un  siècle  d'années. 
Comme  font  devant  nous  les  plus  courtes  journées  ; 


DE  LA  ROQUE.  5o3 

Nos  secrets  à  tes  yeux  ne  sont  jamais  cachés: 
Tu  vas  comptant  les  pas  du  soir  et  de  l'aurore; 
Les  heures,  les  momens,  les  minutes  encore, 
Tour-à-tour  devant  toi  rapportent  nos  péchés. 

Les  roses  de  nos  ans,  de  l'orage  battues, 

Nous  semant  dans  le  cœur  leurs  épines  pointues, 

Y  laissent  l'aiguillon  d'un  triste  souvenir  : 

Ceux  qui  sont  enchantés  de  ces  erreurs  mondaines. 

Changent  leurs  veux  honteux  en  ameres  fontaines  , 

Et,  plaignant  le  passé,  redoutent  l'avenir. 

Seigneur!  remplis  nos  yeux  de  ta  vive  lumière. 
Et  nos  âmes  de  foi,  nos  bouches  de  prière; 
Veuille  dedans  nos  cœurs  ton  service  ordonner  : 
Ne  nous  fais  point  ouïr  cette  voix  criminelle 
Que  tu  prens  quand  tu  sors  pour  juger  l'infidelle , 
Mais  celle  que  tu  prens  quand  tu  veux  pardonner. 

Convertis  cette  tourbe  errante  et  fugitive, 
Qui,  s'égarant  de  toi,  de  soi-même  se  prive; 
Change  en  paix  notre  guerre ,  en  plaisirs  nos  douleurs. 
Si  l'homme  naît  en  pleurs,  augurant  sa  tristesse, 
Seigueur  !  fais-le  mourir  tout  comblé  de  liesse, 
Et  détruis  les  péchés,  et  non  point  les  pécheurs. 


5o4  DE  LA  ROQUE. 


STANCES. 

Je  sais  bien  qu'un  grand  roi  peut  avoir  la  puissance 

De  retenir  un  peuple  en  son  obéissance, 

De  s'en  faire  servir,  de  lui  donner  la  loi; 

D'être  seul  qui  commande  à  son  puissant  empire; 

Mais  nul,  tant  soit-il  grand ,  jamais  ne  pourra  dire  : 

Je  possède  une  femme ,  et  la  tiens  toute  à  moi. 

Tenez  votre  maîtresse  en  secret  embrassée; 
Elle  retient  un  autre  au  fond  de  sa  pensée, 
Qu'elle  veut,  comme  vous,  caresser  à  son  tour  : 
Et  lorsque  vous  avez  sa  traliison  connue , 
Aussitôt  dans  son  cœur  votre  place  est  perdue  : 
En  baine  tout  soudain  se  cbangc  son  amour. 

Il  faut,  pour  se  cbanger  en  ce  qu'elle  désire, 
Etre  aveugle  et  muet,  avoir  le  cœur  de  cire, 
Ou  de  fer,  pour  souffrir  un  martel  furieux  : 
Il  faut,  le  plus  souvent  malgré  la  raison,  croire 
Que  la  glace  est  de  flàme,  et  l'ébene  d'ivoire; 
Et  pour  songe  avouer  ce  qu'on  voit  de  ses  yeux. 

Donc,  sortez  de  mon  cœur,  race  du  vieil  Protbée, 
Démons  qui  décevez,  dessous  forme  empruntée. 
Les  esprits  des  bumains  pour  les  faire  abismer  ; 
Heureux  (jui  n'a  jamais  eu  votre  connoissance  ! 
Heureux  (jui  ne  met  point,  avec  peu  d'assurance, 
Son  cœur  à  une  femme ,  et  son  bien  sur  la  mer  ! 


JEAN  BERTALT.  5o: 


—  ?a—»»»a9»»a«*?a»»J«g*«S'^>*c*sg«aos«»c»»a;at«s«»«ta»ac^»^;^«^»» 


JEAN  BERTAUT. 


Jean  Bertaut,  néàCaen  en  1 55 2,  se  livra  de  bonne 
heure  à  l'étude  de  la  poésie  Françoise.  Ses  premiers 
essais  lui  méritèrent  le  suffrage  de  Ronsard.  Il  vint  à 
la  cour,  où  il  fut  très  bien  accueilli,  et  obtint,  en 
1377,  la  charge  de  secrétaire  du  cabinet  du  roi ,  qu'il 
conservajusqu'àlamortde  Henri  m,  en  iSSg.  Témoin 
oculaire  de  l'assassinat  de  ce  prince ,  Bertaut  composa 
une  très  longue  pièce  de  vers  sur  cet  événement.  Il  fut 
peu  de  temps  après  premier  aumônier  de  Marie  de 
Médicis  5  et  Henri  iv ,  à  la  conversion  duquel  il  avoit 
contribué,  lui  donna,  en  1 394',  l'abbaye  d'Aulnay  au 
diocèse  de  Bayeux,  et,  en  1606,  l'évêché  de  Séez  en 
Normandie.  Jean  Bertaut  mourut  dans  son  évêché  ,  le 
6  ou  le  8  juin  161 1  ,  âgé  de  cinquante-neuf  ans. 

Le  premier  recueil  des  OEuvres  de  Jean  Bertaut  fut 
publié  en  1602  (Paris,  /«-8'),par  Pierre  Bertaut, 
son  frère.  Ce  recueil  se  compose  d'un  assez  grand 
nombre  de  stances,  de  deux  complaintes  ,  de  quelques 
chansons,  élégies,  sonnets,  mascarades,  etc.  Toutes 
ces  pièces  ont  l'amour  pour  objet.  Il  n'étoit  pas  rare , 
à  cette  époque,  de  voir  des  ecclésiastiques  s'exercer 
sur  un  sujet  si  opposé  à  leur  profession  ;  mais  peu 
d'entre  eux  l'ont  fait  avec  autant  de  retenue  et  de  dé 
cence  que  Jean  Bertaut.  Aussi  mademoiselle  de  Scudéry 
disoit-elle  que  ce  poète  donnoit  «  une  grande  et  belle 
a  idée  des  dames  qu'il  avoit  aimées.  » 


5o6  JEAN  BErxTAUT. 

Les  autres  OEuvres  poétiques  de  Bertaiit  parureni 
en  i6o5,  en  1620  et  16 -'3.  L'édition  de  i6o5  contient 
une  traduction  en  vers  liéroïques  du  second  Livre  de 
Y  Enéide  de  Virgile,  quelques  canti([ues,  dont  un  sur 
la  Conversion  de  Henri  /r,  la  paraphrase  de  plusieurs 
pseaumes,  etc. ,  une  Invitation  à  Henri  IF  de  venir  a 
Paris ,  diverses  pièces  relatives  aux  événements  de 
cette  époque,  un  long  poème  consacré  à  l'éloge  histo- 
rique de  Saint-Louis,  etc. ,  un  discours  funèbre  sur  la 
mort  de  Ronsard  ,  des  épitaphes,  des  sonnets,  etc. 

Dans  les  éditions  de  1620  et  1623,  on  a  ajouté  un 
Recueil  de  quelques  vers  amoureux ,  un  Discours  funèbre 
sur  la  mort  de  Ljsis,  et  un  poème  intitulé  Panarette , 
ou  bien  Fantasie  sur  les  événcmens  du  Baptcsme  de  M.  le 
Dauphin,  depuis  Louis  XI II. 

Jean  Bertaut  fut  célébré  par  la  plupart  des  poètes 
de  son  tenqis  :  des  poésies  grecques  et  latines  furent 
composées  en  son  honneur. 

Voici  le  jugement  qu'en  portoit  mademoiselle  de  Scu- 
déry  :  «  Desportes  a  une  douceur  charmante,  Duper- 
«  ron  luie  élévation  plus  naturelle ,  et  Certaut  a  tout 
'<  ce  que  les  autres  peuvent  avoir  d'excellent;  mais  il 
«  la  avec  plus  d'esprit,  plus  de  force  et  plus  de  har- 
«  diesse  sans  comparaison....  Il  s'est  fait  un  chemin 
"  particulier  entre  Honsard  et  Desportes.  Il  a  plus  de 
"  clarté  que  le  premier,  plus  de  force  que  le  second, 
'"  et  plus  d'esprit  et  de  politesse  ([ue  les  deux,  autres 
«  ensemble  ,  etc.  » 


JEAN  BERTAUT.  Soj 


STANCES. 

Si  faut-il  rompre  enfin  ce  cordage  amoureux, 
Bien  qu'il  puisse  arrêter  l'ame  la  plus  sauvage, 
Et  penser  désormais  qu'il  est  bien  malheureux 
Qui  peut  vivre  en  franchise  et  languit  en  servage. 

Il  faut,  il  faut  briser,  en  fuyant  ces  beaux  yeux, 
Le  joug  qui  tient  mon  ame  à  leurs  loix  asservie  : 
Rien  que  la  liberté  ne  nous  rend  demi-dieux; 
Malheureux  qui  la  perd  sans  perdre  aussi  la  vie! 

Ainsi  dis-je  parfois,  menaçant  mes  prisons, 
Lorsqu'un  sage  conseil  mon  ame  persuade  ; 
Mais ,  las  !  celui  qui  croit  que  ces  foibles  raisons 
Peuvent  guérir  d'amour,  n'en  fut  jamais  malade. 

Non,  non,  ne  tuons  point  un  si  plaisant  souci; 
Rien  n'est  doux  sans  amour  en  cette  vie  humaine  : 
Ceux  qui  cessent  d'aimer,  cessent  de  vivre  aussi , 
Ou  vivent  sans  plaisir,  comme  ils  vivent  sans  peine. 

Tous  les  soucis  humains  sont  pure  vanité  ; 
D'ignorance  et  d'erreur  toute  la  terre  abonde; 
Et  constamment  aimer  une  rare  beauté. 
C'est  la  plus  douce  erreur  des  vanités  du  monde. 


5o8  JEAN  BERTAUT. 


SIXAIN. 

SUR     tJN     DÉPA  RT. 

Je  meurs,  me  souvenant  que  sa  bouche  de  basme , 

D'un  baiser  redoublé  qui  me  déroba  lame, 

En  me  disant  adieu,  me  pria  du  retour; 

Car,  si  je  ne  me  trompe  en  l'ardeur  qui  m'allume, 

Si  le  premier  baiser  fut  donné  par  coutume, 

Le  second,  pour  le  moins,  fut  donné  par  amour. 


CHANSON. 

Quand  j'idolâtrois  vos  beaux  yeux, 
Je  vous  jugeois  égale  aux  dieux; 
Vos  propos  métoient  des  oracles  : 
Les  moindres  de  vos  actions 
Me  sembloienl  des  perfections. 
Vos  perfections  des  miracles. 

Voyant  donc  en  vous  chacun  jour 
Ou  naître  ou  mourir  quelque  amour, 
Et  le  change  êlre  vos  délices. 
J'allai  soudainement  juger 
Que  Ihumeur  de  souvent  changer 
Est  mise  à  tort  entre  les  vices. 

Lors,  résolu  d'en  faire  autant. 
Et  de  me  rendre  moins  constant 


JEAN  BERTAUT.  Sog 

Que  la  girouette  cFun  temple, 
Je  rompis  soudain  ma  prison, 
Estimant  faire  par  raison 
Ce  que  je  faisois  par  exemple. 

Ainsi  votre  légèreté 

Débaucha  ma  fidélité, 

Ce  qu'elle  est,  m'apprenant  à  ITtre; 

Tant  qu'enfin  je  vous  ai  fait  voir 

Qu'en  pratiquant  ce  doux  sçavoir. 

L'écolier  a  passé  le  maître. 

Vous  m'en  avez  en  cent  façons 
Donné  tant  et  tant  de  leçons, 
Et  par  exemple  et  de  parole. 
Qu'il  ne  pouvoit  qu'en  vous  suivant 
Je  ne  devinsse  bien  sçavant 
Sous  un  si  bon  maître  d'école. 

Maintenant,  d'un  si  doux  plaisir 
Je  ne  puis  plus  me  dessaisir; 
Mon  ame  en  reçoit  nourriture  : 
Je  l'ai  si  long-temps  exercé. 
Qu'il  m'est  en  coutume  passé, 
Et  puis  de  coutume  en  nature. 

L'honneur  de  ma  première  foi 
Se  verra  refleurir  en  moi , 
Quand  vous  ne  serez  plus  légère  : 
Faisant  du  même  lieu  sortir 
L'exemple  de  me  repentir, 
D'où  me  vint  celui  de  mal  faire. 


5lO  JEAN  BERTAUT. 

S'il  plaît  donc  à  votre  beauté 
Ressusciter  ma  loyauté, 
Quittez  cette  inconstance  extrême; 
Ne  changez  plus  à  tous  les  coups  : 
Quand  vous  pourrez  cela  sur  vous, 
Je  le  pourrai  bien  sur  nioi-mCinc. 


AU   ROI, 

POUR  LE  CONVIER  DE  REVENIR  A  PARIS. 

Venez  revoir  Paris,  cet  antique  navire 
Qu'un  orage  excité  par  la  fureur  du  sort, 
Alloit  ensevelir  dans  les  flots  de  son  ire , 
Sans  votre  heureux  secours,  son  vrai  phare  et  son  port. 
Voyez  comme  le  ciel  l'en  ayant  préservée, 
Elle  brave  l'orgueil  des  vents  plus  inhumains. 
Et  trouve  nîoins  de  joie  au  bien  d'être  sauvée. 
Que  de  gloire  en  riionneur  de  1  être  par  vos  mains. 

Non:  celte  ville  auguste,  invincible  monarque. 
Ne  sçauroit  désormais  fleurir  qu'à  votre  honneur. 
Sa  grandeur  n'étant  plus  qu'une  éternelle  marque 
Et  de  votre  clémence,  et  de  votre  bonheur. 
Qu'un  autre  Tait  fondée  et  ceinte  de  murailles, 
Qu'un  autre  ait  fait  l'empire  en  ses  murs  résider, 
Vous,  vous  l'avez  sauvée  au  milieu  des  batailles; 
Et  sauver  une  ville,  est  plus  (jue  la  fonder. 

Aussi,  m'est-il  avis  que  je  vois  son  génie 

Tout  couronné  de  tours  et  tout  ceint  de  rempars. 


JEAN  BERTAUT.  5l  I 

Détestant  à  vos  pieds  Tinj Liste  tyrannie 
Qui  la  donnoit  en  proie  à  la  rage  de  Mars, 
Vous  dire  incessamment  :  O  grand  roi  qui  pardonnes, 
Dès  que  le  ciel  a  mis  la  vengeance  en  tes  mains, 
Il  n'appartient  qu'à  toi  de  porter  les  couronnes 
Qu'on  donnoit  aux  sauveurs  des  citoyens  romains. 

Le  ciel  veuille  assister  la  valeur  de  tes  armes, 
Roi  qui ,  joignant  toujours  la  force  au  jugement, 
Sçais  si  vaillamment  vaincre  au  milieu  des  allarmes, 
Et  puis  de  la  victoire  user  si  doucement. 
Bien  montrent  tes  effets,  prince  né  pour  éteindre 
Les  flammes  qui  souloient  la  France  consumer. 
Que  ni  ton  ennemi  ne  peut  assez  te  craindre , 
Ni  ton  sujet  loyal  ne  peut  assez  t'aimer. 

Ainsi  dit  tous  les  jours ,  soupirant  votre  absence , 
Le  démon  gardien  des  grands  murs  de  Paris  : 
Ainsi  dit  mainte  ville  en  qui  votre  clémence 
Du  cours  de  ses  malheurs  les  surgeons  a  taris  : 
Ainsi  maints  boute-feux  de  la  flamme  civile. 
Traités  dans  leur  défaite  avec  tant  de  bontés , 
Qu'être  dompté  par  vous  leur  est  autant  utile, 
Comme  à  vous  glorieux  de  les  avoir  domptés. 

Croissez  en  cette  gloire  :  6  l'honneur  des  bons  princes, 
Vainquez  et  pardonnez,  le  ciel  le  veut  ainsi  : 
Puis,  si  toujours  ce  mal  travaille  vos  provinces. 
Vainquez  et  punissez ,  le  ciel  le  veut  aussi. 
Ne  faites  point  qu'encor  nous  voyons  en  vous-même, 
Pour  être  de  César  trop  grand  imitateur, 


5  12  JEA.?f  BERTAUT. 

Ces  effets  de  clémence  et  de  douceur  extrême 

Conserver  tout  le  monde  et  perdre  leur  auteur. 

La  clémence  est  pour  ceux  ipie  l'aveugle  ignorance 
Ou  la  juste  douleur  dans  leur  faute  a  poussés; 
Non  jiour  ceux  qui,  conduits  d'une  impie  espérance, 
Arment  d'ingrats  desseins  leurs  dosirs  insensés  : 
Ayez  écrit  au  cœur,  d'un  trait  ineffaçable, 
Que  tout  vice  fleurit  sous  un  prince  trop  doux, 
Et  qu'enfin  on  se  rend  également  blâmable 
Ne  pardonnant  à  nul ,  et  pardonnant  à  tous. 


SUR  LES  COEURS  DE  TROIS  GENTILHOMMES 

INHUMÉS    ENSEMBLE. 

Passant,  ce  j)eu  de  marbre  avarement  enserre 
Les  cœurs  ensevelis  de  trois  procbes  parens, 
Tous  trois  morts  en  trois  ans,  en  trois  actes  de  guerre, 
Tous  trois  pareils  en  sort,  et  tous  trois  différens  : 
Car  l'un  perdit  la  vie  au  fort  d'une  bataille , 
Noyé  dedans  son  sang  coulant  de  toutes  parts; 
L'autre,  au  front  d'une  ville,  assaillant  sa  muraille; 
L  autre  en  défendant  une  et  gardant  ses  remparts. 
Ils  brûlèrent  tous  trois  d'une  commune  flamme, 
Dont  la  sainte  vertu  fut  l'unique  flambeau; 
Leurs  trois  corps  en  vivant  n'eurent  qu'une  même  ame; 
Leurs  trois  cœurs  étant  morts  n'ont  qu'un  même  tombeau. 


JEA.N  BERTAUT.  5l3 


CHANSON. 


Les  cieiix  inexorables 
Me  sont  si  rigoureux , 
Que  les  plus  misérables, 
Se  comparant  à  moi ,  se  trouveroient  heureux. 

Mon  lit  est  de  mes  larmes 
Trempé  toutes  les  nuits , 
Et  ne  peuvent  ses  charmes , 
Lors  même  que  je  dors,  endormir  mes  ennuis. 

Si  je  fais  quelque  songe. 
J'en  suis  épouvanté; 
Car,  même  son  mensonge. 
Exprime  de  mes  maux  la  triste  vérité. 

Toute  paix,  toute  joie 
A  pris  de  moi  congé , 
Laissant  mon  ame  en  proie 
A  cent  mille  soucis  dont  mon  cœur  est  rongé. 

L'ingratitude  paye 
Ma  fidelle  amitié  : 
La  calomnie  essaye 
A  rendre  mes  tourmens  indignes  de  pitié. 

En  un  cruel  orage 
On  me  laisse  périr; 
Et  courant  au  naufrage, 
Je  vois  chacun  me  plaindre ,  et  nul  me  secourir, 
V.  3H 


5l4  JEAN  BERTAUT. 

Et  ce  qui  rend  plus  dure 
La  misère  oii  je  vi , 
C'est  es  maux,  (jue  j'endure, 

La  mémoire  de  Tlicur  que  le  ciel  m'a  ra\i. 

Félicité  passée, 
Qui  ne  peux  revenir, 
Tourment  de  ma  pensée. 
Que  n'ai-je  en  te  perdant  perdu  le  souvenir! 

Hélas!  il  ne  me  reste 
De  mes  contentemens 
Qu'un  souvenir  funeste, 
Qui  me  les  convertit  à  toute  heure  en  tourmens. 

Le  sort,  plein  d'injustice, 
M'ayant  enfin  rendu 
Ce  reste  un  pur  supplice , 
Je  serois  plus  heureux  si  j'avois  tout  perdu. 


AU   ROI, 

SUR   LA  RÉDUCTION   DE   PARIS  E\  SON  OBEISSANCE. 

Voir  Alexandre  assis  dans  le  trône  de  Cyre, 
Ne  fut  oncques  si  doux  à  la  grecque  valeur. 
Qu'il  nous  est  de  vous  voir,  après  tant  de  douleur, 
Assis  dedans  le  vôtre,  au  cœur  de  cet  empire. 

On  crovoil,  et  le  ciel  nous  le  semhloit  prédire. 
Que  vous  y  monteriez  triomphant  du  malheur, 
Par  des  degrés  sanglans  et  peints  de  la  couleur 
Dont  un  prince  offensé  teint  les  traits  de  son  ire. 


JEAN  BERTAUT.  5(5 

Mais  Dieu  vous  a  fait  prendre  un  chemin  plus  heureux, 
Montrant  par  votre  exemple ,  aux  princes  généreux, 
Qu'un  roi  de  qui  sa  main  soutient  le  diatlême, 

Détruit  par  sa  valeur  ses  plus  fiers  ennemis  ; 
Et  puis,  quand  il  les  voit  à  son  pouvoir  soumis, 
Détruit  par  sa  douceur  leur  inimitié  mcme. 


PARAPHRASE  DU  PSEAUME  CXLVIT. 

Heureux  hôtes  du  ciel,  saintes  légions  d'anges, 
Guerriers  qui  triomphez  du  vice  surmonté , 
Célébrez  à  jamais  du  Seigneur  les  louanges, 
Et  d'un  hyuine  éternel  honorez  sa  bonté. 

Soleil,  dont  la  chaleur  rend  la  terre  féconde; 
Lune,  qui  de  ses  rais  empruntes  ta  splendeur; 
Lumière,  l'ornement  et  la  beauté  du  monde, 
Louez,  bien  que  muets,  sa  gloire  et  sa  grandeur. 

Témoigne  sa  puissance,  6  toi,  voûte  azurée. 
Qui  de  mille  yeux  ardens  as  le  front  éclairci  ; 
Et  vous,  grands  arrosoirs  de  la  terre  altérée, 
Vapeurs,  dont  le  corps  rare  est  en  pluie  épaissi. 

Chantez-la  donc  aussi,  vous  enfans  de  la  terre. 
Qui,  composés  de  cendre,  en  cendre  retournez. 
Soit  vous  que  l'océan  dans  ses  vagues  enserre. 
Soit  vous  qui  librement  par  l'air  vous  promenez. 

Dites  son  los  aux  ])ois  dont  vos  fronts  se  couronnent. 
Grands  monts,  qui,  comme  rois,  les  plaines  maîtrisez: 


5i6  JEAN  b?:rtaut. 

Et  vous, humbles  coteaux, oîi  les  pampres  foisonnent; 
Et  vous,  ombreux  vallons,  de  sources  arrosés. 

Féconds  arbres  fruitiers,  l'ornement  des  collines, 
Cèdres ,  qu'on  peut  nonmier  géans  entre  les  bois  ; 
Sapins,  dont  le  sommet  fuit  loin  de  ses  racines, 
Cbantez-le  sur  les  vents  qui  vous  servent  de  voix. 

Animaux,  qui  paissez  la  plaine  verdoyante, 
Et  vous  que  l'air  supporte,  et  vous(jui,  serpentans. 
Vous  traînez  après  vous  d'une  échine  ondoyante, 
Naissez,  vivez,  mourez,  sa  louange  exaltans. 

Peuples  nés  entre  nous,  peuples  de  terre  étrange, 
Faites  ouïr  son  nom  aux  rochers  les  plus  sourds  : 
Hommes,  femmes,  enfans,  donnez  à  sa  louange 
Le  matin,  le  midi,  le  soir  de  vos  beaux  jours. 

Vous  que  la  fleur  de  l'Age  aux  voluptés  convie, 
Vous  qui,  chassés  du  monde,  et  jà  prêts  d'en  sortir, 
Touchez  d'un  pied  tremblant  les  bornes  de  la  vie, 
Faites  son  nom  sans  cesse  en  vos  chants  retentir. 


CANTIQUE 

DONT    l'argument    EST    PRIS    DU     PREMIER     PSEAUME    DE 
DAVID. 

Bienheureux  est  celui  qui,  parmi  les  délices 
Dont  le  monde  a  sucré  le  poison  de  ses  vices, 
Et  parmi  tant  d'appâts  à  mal  faire  alléchans , 
Régit  si  prudemment  les  désirs  de  son  ame, 


JEAN  BERTAUT.  5  [7 

Que  nul  secret  remords  son  courage  n'entame , 
Pour  avoir  augmenté  le  nombre  des  médians  ! 

Qui  n'admire  en  son  cœur  rien  qui  soit  sous  la  lune; 
Qui  ne  fait  point  hommage  au  sceptre  de  fortune  ; 
Qui  ne  lui  laisse  avoir  nul  empire  sur  soi; 
Qui  vraiment  et  d'effet  est  ce  qu'il  veut  paroître  ; 
Qui  de  nul  maîtrisé ,  de  soi-même  est  le  maître , 
Régnant  sur  ses  désirs ,  et  leur  donnant  la  loi  ! 

Qui  lisant  jour  et  nuit,  des  yeux  de  la  pensée, 
La  loi  du  Tout-Puissant  en  son  ame  tracée , 
Conçoit  de  beaux  désirs,  produit  de  beaux  effets. 
Et  de  qui  le  courage  abhorrant  la  vengeance, 
D'un  volontaire  oubli  noyé  en  sa  souvenance 
Les  torts  qu'il  a  reçus,  et  les  biens  qu'il  a  faits! 

Cet  homme-là  ressemble  à  ces  belles  olives 

Qui  du  fameux  Jourdain  bordent  les  vertes  rives, 

Et  de  qui  nul  liyver  la  beauté  ne  détruit  : 

Les  ruisselets  d'eau  vive  autour  d'elles  gazouillent  : 

Jamais  leurs  rameaux  verts  leur  printemps  ne  dépouillent, 

Et  toujours  il  s'y  trouve  ou  des  fleurs  ou  du  fruit. 

Nul  effroi,  nulle  peur  en  sursaut  ne  l'éveille: 
Endormi ,  Dieu  le  garde  ;  éveillé  ,  le  conseille  ; 
Conduit  tous  ses  desseins  au  port  de  son  désir  : 
Puis  fait  qu'en  terminant  sou  heureuse  vieillesse, 
Ce  qu'il  semoit  en  terre  avec  peine  et  tristesse , 
Il  le  recueille  au  ciel  en  repos  et  plaisir. 

Il  n'en  va  pas  ainsi  de  celui  qui  méprise 

Et  la  loi  du.  Seigneur,  et  la  voix  de  l'Eglise, 


5l8  JEAN  RKRTAIT. 

Soi-intmc  étant  son  Dieu,  son  Eglise  et  sa  loi  : 
Sa  plus  parfaite  joie  en  douleurs  est  féconde  ; 
Et,  bien  qu'il  semble  avoir  son  paradis  au  monde. 
Il  porte,  malliourouv,  son  enfer  quant  et  soi. 

Ni  pompe,  ni  grandeur,  ni  gloire,  ni  puissance, 
Ne  seauroient  détourner  le  glaive  de  vengeance , 
Pendant  dessus  son  chef  des  mains  de  rÉlernel , 
De  qui  l'inévitable  et  sévère  justice 
Fait  qu'il  est  à  toute  heure ,  en  un  même  supplice. 
Témoin  ,  juge  et  bourreau,  non  moins  que  criminel. 

Non,  les  fiers  aquilons,  de  leur  venteuse  haleine, 
Ne  promènent  pas  mieux  sur  le  dos  d'une  plaine 
La  paille  rencontrée  au  champ  du  laboureur. 
Que  Dieu  le  poursuivra  sur  le  front  de  la  terre, 
Si  jamais  son  pouvoir,  lui  déclarant  la  guerre, 
Change  sa  patience  en  ardente  fureur. 

Puis,  quand  viendra  le  jour,  le  jour  épouvantable 
Où  les  peuples  jugés  pnr  sa  bouche  équitable. 
Seront  de  leurs  lorfaits  eux-mêmes  décclcurs  ; 
Alors  le  misérable,  envoyé  pour  pâture 
Au  feu  (jui  sert  là-bas  aux  âmes  de  torture, 
Paîra  ses  courts  plaisirs  d'éternelles  douleurs. 


JEAN  BERTAUT.  ^19 


SUR   LE   COEUR 

DE  MADAME  LA  DUCHESSE  DE  MONRAZON. 

Les  plus  rares  vertus  dont  on  prise  l'exemple, 
Logeoient  dedans  ce  cœur  en  un  corps  jeune  et  beau  : 
Mais,  ainsi  que  vivant  il  leur  servoit  de  temple, 
Maintenant  qu'il  est  mort  il  leur  sert  de  tombeau. 

Son  époux  toujours  pleure,  et  rien  ne  le  contente, 
Sinon  le  souvenir  de  leurs  aimables  feux  ; 
On  voit  que  dans  ce  vase,  oii,  trompant  son  attente, 
La  mort  n'a  mis  qu'un  cœur,  l'amour  en  loge  deux. 


520  MARGUERITE  DE  FRANCE. 


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MARGUERITE   DE   FRANCE. 


Marguerite  de  France,  reine  de  Navarre,  sœur  de 
Charles  IX  et  de  Henri  m,  naquit  le  i4  niai  ir)5a.  File 
survécut  à  tous  les  enfants  de  Henri  ii  et  de  C^atherinede 
Médicis ,  et  mourut  sans  postérité  le  27  mai-s  1 6 1  ;"j ,  âgée 
de  soixante-trois  ans.  Marjjuerite  de  France  alfeetion- 
noit  beaucoup  les  gens  de  lettres;  elle  se  lit  toujours  un 
devoir  de  les  protéger.  Cette  femme  justement  célèbre 
nous  a  laissé  quelques  poésies  assez  bonnes ,  et  des  Mé- 
moires fort  curieux,  dont  Auger  de  Moléon  ,  sieur  de 
Granler,  fut  l'éditeur.  Ces  Mémoires,  imprimés  pour 
la  première  fois  en  1628,  sont  adressés  à  Pierre  de 
Bourdeille  ,  seigneur  de  Brantôme  ,  qui  a  consacré 
à  la  reine  de  JNavarre  im  article  dans  ses  Femmes 
célèbres. 


VERS  COMPOSÉS  PAR  MARGUERITE  DE  FRANCE, 

PENDANT  SA  DETENTION  KV  CHATEAU  d'iISSON  EN  AUVERGNE, 
SUR  LA  MORT  d'aUBIAC,  SON  AMANT,  PENDU  A  AICUE- 
PER8E. 

RiGOURiiUx  souvenir  d'une  joie  passée. 
Qui  logez  les  ennuys  du  cœur  en  la  pensée, 
Vous  sçavez  que  le  ciel ,  me  privant  du  plaisir , 
M'a  privé  de  désir. 

Si  queUjue  curieux,  informé  de  ma  plainte, 
S'ctonm^  (le  nie  voir  si  vivement  atteinte. 


MARGIERITE  DE  FRANCE.  5sè  I 

Respondez  seulement ,  pour  prouver  qu'il  a  tort , 
Le  bel  Atys  est  mort. 

Atys,  de  qui  la  perte  attriste  mes  années; 
Atys,  digne  des  vœux  de  tant  d'ames  bien  nées, 
Que  j'avois  eslevé  pour  monstrer  aux  humains 
Une  œuvre  de  mes  mains. 

Quand  le  temps  (mais  pourtant  cette  crainte  soit  vaine), 
Permettant  qu'un  oubly  fist  adoucir  ma  peine, 
Je  persiste  aux  serments  diverses  fois  conclus 
De  n'aymer  jamais  plus. 

Si  je  cesse  d'aymer,  qu'on  cesse  de  prétendre; 
Je  ne  veux  désormais  estre  prise  ne  prendre, 
Et  consens  que  le  ciel  puisse  esteindre  mes  feux. 
Car  rien  n'est  diyne  d'eux. 

Cet  amant  de  mon  cœur,  qu'une  éternelle  absence 
Esloigne  de  mes  yeux,  non  de  ma  souvenance, 
A  tiré  quant  et  soy,  sans  espoir  de  retour. 
Ce  que  j'avois  d'amour. 


QUATRAIN  SUR  POMENÉ, 

FILS  d'dN  chaudronnier  d'auVERCNE  ,  ET  ENFANT  DE 
CHOEUR  DE  LA  CATHEDRALE  DE  CLERMONT  ,  QUI  SUT 
PLAIRE    A     MARGUERITE. 

A  ces  bois,  ces  prés  et  cet  antre, 
Offrons  les  vœux,  les  pleurs,  les  sons, 
La  plume,  les  yeux,  les  chansons 
D'un  poète,  d'un  amant,  d'un  chantre. 


02  2  MARGUERITE  DE  FRANCE. 


VERS  SUR  LA  MORT  DE  DATTE, 

TUï  PAR  I,E  JEUNE  VERMOND  ,  A  LA  PORTE  DE  SON  CAHROSSE, 
DU  COMMANDEMENT  DU  ROY. 

Atys  ,  Tobjet  de  cette  cour, 
Bel  Atys,  mon  dernier  amour, 
De  qui  le  souvenir  me  tue , 
Dois-je  point  espérer  de  te  revoir  un  jour, 
Afin  que  cette  attente  encore  m'évertue  ? 

Ces  beaux  yeux  de  moy  tant  cbantez , 
Me  seront-ils  tousjours  cachez? 
Faut-il  pour  jamais  m'y  résoudre  ? 
Nos  cœurs  et  nos  désirs  par  le  ciel  attachés. 
Peuvent-ils  par  le  temps  estre  réduits  en  poudre? 
Les  pleurs  sur  la  tombe  espandus, 
Et  les  cris  de  tous  entendus  , 
Témoignent  si  ma  plainte  est  feinte; 
Et  les  plaisirs  qui  sont  si  chèrement  vendus, 
Font  que  tous  mes  plaisirs  me  donnent  de  la  crainte. 
Aux  tristes  accents  de  ma  voix, 
Tes  amys  pleurent  quelquefois , 
Mais  c'est  quand  j'attire  leurs  larmes, 
Je  suis  seule  qui  rends  l'amour  en  mesme  poids. 
Et  (}ui ,  pour  bien  aymer,  me  fais  quitter  les  armes. 
Pour  me  donner  alléeement , 
Mes  yeux  vont  chcrciiant  vainement 
Quelque  chose  qui  te  ressemble, 
Us  en  trouvent  les  traits  ;  mais  c'est  figurément; 
Car  le  ciel  ne  joint  plus  tant  de  beautez  ensemble. 


CATHERINE  DE  PARTHENAY.  523 


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CATHERINE  DE   PARTHENAY. 


Les  maisons  de  Parthenay  et  de  Rohan  ont  produit 
des  femmes  en  qui  le  goût  des  lettres ,  et  particulière- 
ment de  la  poésie  ,  fut  développé  par  l'étude.  Anne  de 
Parthenay,  fille  de  Jean  de  Parthenay-l'Archevêque , 
et  femme  d'Antoine  de  Pont,  comte  de  Marenne,  avoit 
étudié  les  langues  grecque  et  latine ,  et  même  la  théo- 
logie. Marot  assure  qu'elle  avoit  du  talent  pour  la 
poésie ,  et  qu'elle  excelloit  dans  la  musique.  (Catherine 
de  Parthenay,  sa  nièce ,  née  vers  1 53^ ,  se  fit  un  grand 
nom  dans  les  lettres ,  et  fut  une  des  plus  fermes  co- 
lonnes du  parti  protestant.  Elle  épousa  en  premières 
noces  le  baron  de  Pont-Kellevé ,  en  1 568.  La  mère  de 
Catherine  s'étant  brouillée  avec  son  gendre  ,  l'attaqua 
pour  cause  d'impuissance.  Le  procès  duroit  depuis  six 
ans,  lorsque  le  baron  fut  enveloppé  dans  le  massacre 
de  la  Saint-Barthélemi.  «  Sa  résistance,  dit  Varlllas, 
«  fut  si  longue ,  que  ceux  qui  ne  le  virent  succomber 
•<  qu'après  avoir  été  percé  comme  un  crible,  lui  ren- 
'<  dirent  le  témoignage  qu'il  étoit  plus  qu'homme  dans 
«  le  combat,  s'il  ne  l'étoit  point  assez  dans  le  lit  nuptial. 
'(  Son  corps  fut  traîné  jusque  devant  la  porte  du  Louvre, 
«  où  plusieurs  dames  de  la  cour  regardèrent  curieu- 
«  sèment  s'il  ne  paroîtroit  aucune  marque  du  défaut 
«  qu'on  lui  reprochoit.  »  Catherine  eut  pour  second 
mari  René  de  Rohan  ,  deuxième  du  nom ,  qu'elle  per- 
dit après  dix  ans  de  mariage.  Le  temps  qu'elle  donnoit 


524  CATHERINE  DE  PARTIIEWY. 

aux  intrigues  de  cour,  à  la  défense  du  parti  protes- 
tant et  à  la  culture  des  lettres,  ne  l'enipècha  pas  de 
prendre  le  plus  grand  soin  de  l'éducation  de  ses  en- 
fants. L'aîné  de  ses  fils  tut  le  duc  de  Rohan ,  le  second 
fut  le  duc  de  Soubise;  elle  eut  trois  filles:  Henriette, 
qui  mourut  en  1 6.-47  •''•'^"*»  avoir  été  mariée j  Cathe- 
rine, qui  épousa  un  duc  de  Deux-Ponts,  et  qui  fit  à 
Henri  iv  cette  réponse  si  connue  :  «  Je  suis  trop  pauvre 
«  pour  être  votre  femme,  et  de  trop  bonne  maison 
«  pour  être  votre  maîtresse  ;  »  et  la  célèbre  Anne  de 
Rohan,  qui,  comme  sa  mère,  cultiva  la  poésie  avec 
succès.  Catherine,  dit  Lacroix  du  Maine,  a  composé 
plusieurs  tragédies  et  comédies  françoises ,  et  entre 
autres  la  tragédie  ôî Holojerne ,  laquelle  fut  représentée 
en  public  à  La  Rochelle,  l'an  i5j4  ou  environ.  Elle 
a  composé  aussi  plusieurs  élégies  ou  complaintes  sur 
la  mort  de  M.  le  baron  de  Pont,  son  premier  mari, 
et  encore  de  M.  L'Amiral ,  et  autres  grands  et  illustres 
personnages.  Lacroix  du  Maine,  qui  écrivoit  en  1584, 
ajoute  qu'elle  florissoit  encore  cette  année.  Elle  mou- 
rut âgée  de  quatre-vingt-quatorze  ans,  trois  ans  après 
le  fiameux  siège  de  La  Rochelle,  où  elle  donna  des 
preuves  du  plus  grand  courage.  Anne ,  sa  fille ,  étoit 
enfermée  avec  elle  dans  cette  ville;  elles  y  furent  ré- 
duites pendant  trois  mois  à  quatre  onces  de  pain  par 
jour  j  et,  dans  ce  même  temps,  elles  écrivirent  au  (hic 
de  Rohan  de  ne  rien  faire  au  préjudice  de  son  parti, 
quoi  qu'on  pût  leur  faire  souffrir.  Elles  aimèrent 
mieux  rester  prisonnières  de  guerre  que  d  être  com- 
prises dans  la  capitulation.  On  attribue  à  Catherine 
une  apologie  satirique  de  Henri  iv,  imprimée  dans  le 
Journal  de  Henri  m.  Sa  fille  moiirut  à  Paris  le  20  sep- 


CATHERIjN^E  de  PARTHENAY.  D2J 

tembre  1646,  âgée  de  soixante-deux  ans.  Elle  auroit 
pu  être  un  des  plus  grands  poètes  de  son  siècle  ;  mais 
sa  piété  la  détourna  trop  souvent  de  son  talent  pour  la 
poésie.  Elle  possédoit  parfaitement  l'hébreu,  et  ne 
lisoit  l'Ecriture  que  dans  cette  langue. 


STANCES  SUR  LA  MORT  DE  HENRI  IV. 

Regrettons,  soupirons  cette  sage  prudence, 
Cette  extrême  bonté ,  cette  rare  vaillance , 
Ce  cœur  qui  se  pouvoit  fléchir  et  non  dompter. 
Vertus,  de  qui  la  perte  est  pour  nous  tant  amère , 
Et  que  je  puis  plutôt  admirer  que  chanter, 
Puisqu'à  ce  grand  Achille  il  faudroit  un  Homère. 

Jadis  pour  ses  haults  faits  nous  eslevions  nos  testes: 
L'ombre  de  ses  lauriers  nous  gardoit  des  tempestes. 
Qui  combattoit  sous  luy  mesconnoissoit  Teffroy  ; 
Alors  nous  nous  prisions,  nous  mesprisions  lesaultres. 
Estant  plus  glorieux  d'estre  subjects  du  roy , 
Que  si  les  aultres  roys  eussent  esté  les  nostres. 

Maintenant  nostre  gloire  est  pour  jamais  ternie  : 
Maintenant  nostre  joie  est  pour  jamais  finie. 
Près  du  tombeau  sacré  de  ce  roy  valeureux, 
Les  lys  sont  abattus,  et  nos  fronts  avec  eux. 

Mais  parmy  nos  douleurs ,  parmy  tant  de  misères , 
Reine,  au  moins  gardez-nous  ces  reliques  si  chères. 
Gages  de  vostre  amour,  espoir  en  nos  malheurs. 
Estouffez  vos  soupirs ,  seichez  votre  œil  humide  ; 


5i6  CATHERINE  DE  PARTHENAY. 

Et  pour  calmer  un  jour  l'orage  de  noz  pleurs, 

Soyez  de  cet  estât  le  secours  et  le  guide. 

O  Muses,  dans  l'enniiv  qui  nous  accahle  tous, 
Ainsy  que  nos  malheurs  vos  regrets  sont  extrêmes  : 
Vous  pleurez  de  pitié  quand  vous  songez  à  nous. 
Vous  pleurez  de  douleur  en  pensant  à  vous-mesmes. 

Hélas!  puisqu'il  est  vrai  qu'il  a  cessé  de  vivre. 
Ce  prince  glorieux,  l'amour  de  ses  suhjects. 
Que  rien  n'arreste  au  moins  le  cours  de  noz  regrets. 
Ou  vivons  pour  le  plaindre,  ou  mourons  pour  le  suivre. 


AUGIER  GAILLARD.  527 


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AUGIER   GAILLARD. 


AuGiER  Gaillard,  maître  charron  à  Rabasteins  en 
Albigeois  ,  poète  facétieux ,  naturellement  gai  et  bur- 
lesque ,  a  plus  écrit  dans  la  langue  de  son  pays  qu'en 
françois.  Le  recueil  de  ses  poésies  renferme  néanmoins 
un  assez  grand  nombre  de  vers  françois.  Il  en  existe 
plusieurs  éditions  :  nous  ne  parlerons  ici  que  de  celle 
de  i584  (Paris,  //z-i2,  François  Audebertjj  c'est  la 
plus  complète  :  elle  a  pour  titre  Loii  0anqnet  d'Jugié 
Gaillard ,  roudié  de  Rabastens  en  Àlbigez ,  al  cal  Ban- 
quet a  belcop  de  sortos  de  meises ,  per  so  que  tout  lou 
mouii  n  est  pas  d'un  goust.  Lou  tout  dédiât  a  monsur  de 
Seré,  seignhour  de  Courronssac  '.  Le  portrait  de  notre 
poète,  qui  est  en  tête  de  cette  édition,  désigne  un 
homme  déjà  avancé  en  âge.  Quant  au  motif  qui  porta 
Augier  Gaillard  à  versifier,  voici  ce  qu'il  nous  apprend  : 

Pour  me  glorifie!-  je  n'ay  point  fait  ce  livre , 
Ni  pour  penser  aussi  mon  nom  éterniser  ; 
Je  l'ay  fait  seulement  pour  voir  et  adviser 
Si  Testât  de  rimeur  me  donneroit  à  vivre. 

J'ay  un  autre  mestier  lequel  je  voudrois  suivre, 
Qu'est  Testât  de  rodier  qu'il  ne  faut  mespriser; 
Mais  il  me  cousteroit  de  faire  authoriser, 
Et  tout  le  bien  que  j'ay  ne  vaut  pas  une  livre. 

'  Le  Festin  d'Augicr  Gaillard,  maître  charron  de  Rabasteins  en 
Albigeois,  auquel  Festin  il  y  a  plusieurs  sortes  de  mets ,  parce  que  tout 
le  monde  n'est  pas  du  même  goût.  Le  tout  dédié  à  monsieur  de  Sere , 
seigneur  de  Courronssac. 


025  AUGIER  GAILLARD. 

J'ay  garnie  boutique  ii  mon  pays  deux  fois, 
Que  toujours  m'ont  jiillc-  mes  horis  et  mon  bois; 
Et  me  voyant  pillé,  il  faut  que  je  vous  die 

Que  me  suis  mis  à  lire  et  à  rimer  aussi  ; 
]\ïais  pour  autre  raison  je  n'ay  point  fait  ceci, 
Sinon  tant  seulement  que  pour  gagner  ma  vie. 

Ailleurs  iiotie  poète  s'excuse  ainsi  de  n'avoir  pas 
mieux  lait  son  livre  : 

Je  suis  Augier  Gaillard,  auteur  de  cet  ouvrage, 
Lequel  j'a\  faict  icy  pour  mander  en  tous  lieux; 
Il  est  fait  en  françois,  et  en  mon  sot  langage, 
Pour  faire  gazouiller  les  jeunes  et  les  vieux. 
Je  l'ai  faict  un  peu  mal,  le  pouvant  faire  mieux, 
A  celle  fin  qu'on  die  :  Ah  !  c'est  Augier  Gaillard. 
Si  je  l'eusse  mieux  fait ,  quelques  sots  envieux 
Eussent  peut-être  dit  :  Cecy  a  fait  Ronsard. 

Le  recueil  cl'Aiigier  Gaillard  contient  des  ëpi- 
fframmes,  des  quatrains,  une  Réponse  a  un  Rinieur 
qui  lui  avoitfaii  tenir  une  rime,  etc.  \  des  vers  au  roi , 
sur  les  mauvais  traitements  que  quelques  gentils- 
homnios  av<^ient  fait  éprouver  à  un  chat;  d'autres  vei'S 
a  tous  ceux  qui  se  jàckent  de  quelques  mots  de  son  pre- 
îiùer  li^re ,  etc.  Il  lui  avoit  été  défendu  de  vendre  ce 
premier  livre;  mais,  loin  de  se  formaliser  de  cette  dé- 
fense ,  il  n'y  voit  qu'un  motif  de  plaisanterie  : 

A  vous  qui  avez  fait  aux  libraires  défense 

De  ne  vendre  au  public  mon  premier  livre  en  France  , 

J'en  ay  fait  icy  un  il  n'y  a  pas  long-tenis. 

Pour  ce  (jue  je  voudrois  vous  rendre  tous  contents. 

Je  ne  suis  pas  marry  qu'on  me  veuille;  reprendre  ; 

Mais  puisqu'il  étoit  fait,  le  deviez  laisser  vendre. 

Du  reste ,  poursuit -il,  on  ne  devoit  pas  s'étonner 
des  incorrections  qu'on  y  avoit  remarquées, 
Veu  que  c'est  chose  seuie 


AUGIER  GAILLARD.  629 

Qu'un  poëte  apprenti  ne  peut  faire  autrement, 
Ni  artisan  qui  soit  à  son  commencement. 

Parmi  les  autres  pièces  d'Augier  Gaillard ,  on  dis- 
tingue sa  réponse  à  un  de  ses  amis,  qui,  sur  le  bruit 
que  notre  poète  alloit  se  marier,  s'étcit  avisé  de  lui 
écrire  à  ce  sujet.  Cette  réponse  est  remplie  de  traits 
comiques  et  satiriques. 

On  trouve  dans  le  même  recueil  un  second  livre 
qui  a  pour  titre  le  Livre  gras.  Augier  l'avoit  ainsi  inti- 
tulé ,  parce  qu'il  se  proposoit,  au  moyen  de  ce  livre, 
de  vendre  les  deux  cents  exemplaires  qui  lui  restoienC 
du  premier,  en  obligeant  ceux  qui  achèteroient  l'un 
de  se  charger  de  l'autre. 

Gaillard  se  joua  constamment  de  sa  fortune:  bonne 
ou  mauvaise,  il  trouvoit  toujours  moyen  d'en  plai- 
santer. 11  n'est  pas  jusqu'à  sa  propre  épitaphe  qui  ne 
lui  ait  fourni  le  sujet  d'une  plaisanterie  : 

Ci  gist  Augei'  qu'on  regrette  bien  fort , 
Car  il  rinioit  mieux  que  nul  de  sa  race  ; 
Et  sa  maîtresse  est  cause  de  sa  mort  ; 
Que  maintenant  elle  fût  en  sa  place  ! 


SONNET. 

A    MADAME    LA    COMTESSE    DE    SAINTERAîV. 

Pour  vous  monstrer  quelle  est  sur  moy  vostre  puissance . 
Je  vous  offre  les  vers  que  vous  me  demandez, 
Du  moins  s'ils  ne  sont  tels  que  vous  les  attendez, 
Sont-ils  d'humbles  effets  de  mon  obeyssance. 

Si  des  dons  d'Apollon  l'agréable  abondance 
Piegnoit  dedans  mes  sens,  comme  vous  prétendez, 
V.  34 


53o  AUGIER  GAILLARD. 

Les  esprits  et  les  cœurs  à  (jui  vous  commandez 
Ven'oient  vostre  louange  en  ma  recognoissance. 

Pour  chanter  clignement  vos  divines  vertus, 

Je  ferois  un  effort  à  mes  sens  abhafus, 

Pour  vous  le  feu  (jue  j'ay  se  rendroit  manifeste, 

Je  dirois  qu  il  n'est  rien  d'égal  à  vos  bon-heurs, 
Que  Castille  en  la  France  a  les  plus  grands  honneurs, 
Ma  fluste  après  cela  vous  chantera  le  reste. 


ADVIS    CHARITABLE 

nONKÉ  AU  SIEUR  GAILLARD  PAR  LE  SIEUR  BR  VQUEnrvRT ,  SUR  LE 
SUBJET  DES  LETTRES  AMOUREUSES  ESCRIXES  A  QUELQUES  DAMES 
PAR  LEDIT   SIEUR    GAILLARD. 

O  rand  démon  de  nos  jours,      ^ 

>  dmirahle  poëte, 

I—  'apprends  ([u'en  tes  amours 

Ir^   on  menace  ta  teste; 

t-"    on  a  desja  des  gaules 

>-  rompre  tes  espaules  : 

ps  étire  donc  tes  feux 

O  'un  lieu  si  dangereux. 


AUGIER  GAILLARD.  53] 


RESPONSE   DU   SIEUR   GAILLARD, 

PHILOSOPHE      NATUREL  ,      CtC.  ,      AUX      lîiVECTITES      DE      MF.SSIRK 
BRAQUEMART,    CH  VPEIAIN  DES    MUSES,  FOXTAISE   d'hELICOÎT, 
PORTIER   DE    PARNASSE,    ESTRII.LEUR    DE    PEGASE,    SOY  DISANT 
^-SEIGNEUR  DE  iA.  EOCUEMaNTE  COSFITESDIERE  ,   DE   PRESENT 

Port  payé.  A  Paris. 

Braquemart,  ton  colère  escrit 
A  si  fort  touché  mon  esprit, 
Que  j'en  suis  dans  le  canicule;. 
L'entousiasme  m'en  saisit  : 
Je  me  tiens  plus  vaillant  qu'Hercule 
Et  plus  sçavant  que  l'Antéchrist. 

Je  te  responds  comme  un  prophète, 
Et  non  pas  en  mauvais  poëte; 
J'ai  le  doux^  chant  du  rossignol, 
Ainsi  tu  verras  des  miracles 
Qui  te  feront  quitter  ce  vol 
Oîj  tu  tendois  par  tes  oracles. 

Tu  m'accuses  que  je  furette, 
Ainsi  qu'un  freslon  sur  l'avette, 
Le  miel  de  nos  prédécesseurs; 
Comme  s'il  n'estoit  pas  loisihle , 
Lisant,  tirer  des  bons  autheurs 
Ce  qui  nous  peut  estre  duisible. 

Je  parle  de  vin ,  je  Tadvoue, 
Le  soleil  luit  bien  sur  la  boue, 


53»  AUGIER  GAILLARD. 

Ainsi  j'escils  pour  les  laquais  ; 
Mais  qu'un  autre  prenne  ta  place, 
Et  tu  verras  ce  que  je  fais 
Quanti  je  monte  sur  le  Parnasse. 

Les  injures  sont  pour  les  femmes 
Et  non  pas  pour  les  nobles  amcs, 
Qui  n'entretiennent  qu'Apollon; 
Elles  sont  doctes  et  modestes, 
Et  jamais  le  mont  d'Hellcon 
Ne  produisit  de  chants  funestes. 

Si  tu  veux  donc  que  nostre  Muse 
Nos  maistres  quelquefois  amuse , 
Escrivons  sans  nous  mal  traicter  : 
J'aime  la  prose,  elle  est  facile. 
Sur  tout  je  veux  me  contenter; 
Reprenons  donc  nostre  vieux  stile. 

Ce  n'est  pas  que  si  je  m'anime, 
Je  ne  réduise  bien  en  rime 
Tous  mes  pensers  facilement; 
Mais  c'est  qu'on  ne  peut  sans  folie 
Exceller  en  cet  élément. 
Contraire  à  ma  philosophie. 

Pour  discourir  à  ma  manière 
De  ([uelque  sublime  matière, 
Comme  je  fais  subtilement, 
11  faut  des  mots  faire  un  triage, 
Ce  qui  ne  se  peut  aysément 
Dedans  un  poétique  langage. 


AUGIER  GAILLARD.  533 

Un  mot  contraint  ne  me  peut  plaire, 
Et  j'aime  beaucoup  mieux  me  taire 
Qu'user  de  propos  indecens, 
Veu  qu'aux  choses  mesmes  frivoles, 
Je  m'arreste  bien  plus  au  sens 
Que  je  ne  fais  pas  aux  paroles. 

Si  tu  veux  donc,  hors  de  malice, 
Continuans  nos  exercices , 
Que  nous  esgayons  nos  esprits, 
Pratiquons  par  naïfves  proses  , 
Qu'il  n'y  ait  rien  dans  nos  escrits 
Que  de  bons  mots  et  bonnes  choses. 

Quittans  ces  boutades  poétiques, 

Qui  font  les  âmes  fanatiques , 

Discourons  en  termes  plus  doux. 

Et  faisons  au  moins  que  les  hommes 

Ne  nous  estiment  pas  si  foux 

Qu'il  semble  à  ses  yeux  que  nous  sommes. 

Ce  faisant,  je  continuëray  tousjours  à  me  tesmoigner  de  mesme 
zèle  et  affection, 

Messire  Beaquemart, 

Vostre  bon  camarade  et  serviteur  Gaillard ,  la 
philosophe  naturel,  le  docteur  de  ce  temps, 
h  fidelle  et  le  plaisant. 


534  AUGIER  GAILLARD. 


INDIGNATION    DE    BRAQUEMART 

l'OUR    L\    DEFENSE    DE   TOUS    LES    POETES    ET    BEAUX   ESPRITS  DE    Cli 
TEMl'S,    ACCUSEZ  d'iGNORAKCE  PAR  GAILLARD. 

Il  n'est  pas  besoin  que  ma  veine 
S'enfle  de  Tonde  d'Hipocrene, 
Ny  que  j'implore  vos  leçons; 
Je  veux  sans  vous  parer  l'offense 
Dont  cet  avorton  d'ignorance 
Ose  outrager  vos  nourrissons. 

Sainctes  filles  de  la  mémoire, 
Permettez- vous  que  vostre  gloire, 
Que  Ton  va  par  tout  adorant, 
Puisse  recevoir  un  outrage 
En  permettant  cet  avantage 
A  ce  téméraire  ignorant. 

Ce  pauvre  et  gros  lourdaut  de  rustre 
Voudroit  bien  ternir  vostre  lustre 
Par  ses  misérables  escrits; 
Mais  qu'il  trotte  parmy  les  rues 
Crier  pour  gagner  ses  repues, 
La  mort  aux  rats  et  aux  souris. 

Qu'un  autre  à  ses  sornettes  croye  ; 
Mais,  sauf  Tlionneur  du  bas  de  soye , 
Je  crois  qu  il  maudit  bien  l'amour 
Pour  le  sujet  d'une  femelle. 
Qui  luy  fit  gagner  la  venelle 
Lors  qu'il  fut  postillon  de  cour. 


AUGIER  GAILLARD.  535 

Une  excessive  frenaisie 

Rend  tellement  sa  fantasie 

Esclave  de  la  vanité  , 

Qu'il  croit  qu'à  juger  de  sa  rime 

Nos  esprits  commettroient  un  crime 

S'ils  usoient  de  leur  liberté. 

Il  veut  tout  à  plat  qu'on  le  vante 
Autheur  des  vers  qu'il  met  en  vente; 
Mais  je  soutiens  qu'il  n'en  est  rien, 
Car  je  suis  seur  que  Théophile 
Ne  mesconnoist  pas  tant  son  stile , 
Qu'il  ne  conneust  ce  qui  est  sien. 

Ce  perroquet  ne  scait  redire 

Que  ce  qu'il  oyt  aux  autres  dire, 

Pour  nous  estourdir  de  caquet; 

S'il  ne  nous  fait  plus  grande  monstre, 

Excusez-en  une  rencontre 

Qui  luy  fît  perdre  son  pacquet. 

Mais  qui  seroit  la  grosse  beste 
Qui  plustost  que  pour  un  poëte, 
Ne  le  prendroit  à  sa  façon 
Pour  un  brasseur  de  Picardie, 
Un  ramoneur  de  Lombardie, 
Ou  pour  un  valet  de  maçon. 

Toutesfois  trop  riche  est  sa  muse 
A  ce  qu'Apollon  luy  refuse 
Le  salaire  de  ses  travaux  ; 
C'est  la  raison  qui  le  guerdonne , 


536  ALGIER  GAILLARD. 

Et  qui  luy  fasse  une  couronne 

De  riicrbe  qu'on  donne  aux  chevaux. 

En  quel  pais  nous  croit-il  estre, 
Ce  vagabond  qui  fat  le  maislre, 
Pour  nous  dire  que  son  crédit, 
Quoy  qu'ignorant  qu'il  fust  en  vie. 
Toute  l'Europe  lient  ravie; 
Mais  il  est  vrai  puis  qu'il  le  dit. 

D'une  façon  insupportable 
Il  se  veut  rendre  redoutable 
A  ceux  qu'il  appelle  des  nains; 
Mais  que  dès  à  présent  il  sçache 
Qu'ils  n'ont  point  le  courage  lasclie 
Lors  qu'il  en  faut  venir  aux  mains. 

Bref,  son  discours  imaginaire 
Tesinoigne  une  humeur  mercenaire; 
Et  je  croy  (ju'en  fin  les  raisons 
Que  dans  ses  beaux  vers  il  entasse, 
Luy  procureront  une  place 
Dedans  les  petites  maisons. 

Esprits  que  la  gloire  chatouille, 

Chassons  comme  un  larron  d'andouille 

Ce  misérable  rimasseur; 

Qu'il  prenne  son  sac  et  ses  quilles 

Pour  aller  vendre  ses  coquilles 

Où  il  fcia  pour  luy  plus  seur. 

FIN    DU    TOME    CI.NQUlijlI. 


TABLE 

DES  NOMS  DES  POÈTES  ET  DES  PIÈCES 

CONTENUS  DANS  LE  TOME  CINQUIÈME. 


Jaobf.rt  Garnier.  —  Complainte  de  Rome Page       2 

Fragment  de  la  tragédie  de  Cornélie 4 

Chœur 5 

Scène  de  la  tragédie  de  la  Troade,  où  Hécube  et 

Andromaque  apprennent  la  mort  d'Aslyanax. ...        6 

Chœurs \o  et  suiv. 

Chœur  des  soldats  de  Pompée,  vaincus  par  César.  .  i5 
Fragment  de  scène  de  la  tragédie  de  Marc-Antoine.      17 

Chœur  des  soldats  césariens 18 

Scène  de  la  tragédie  d'Antigone 19 

Elégie  sur  la  mort  de  Ronsard.  A  Desportes 26 

Jacques   de   Bill  y.  —  Sonnet   18*^  du  I<^''  Livre   des 

sonnets  spirituels.  Que  celui  qui  tient  le  chemin 

de  salut  ne  doit  tourner  sa  vue  en  arrière 3i 

Sonnet  aS*^,  tiré  du  même  Livre.  A  quoi  se  recon- 

noissent  les  vrais  enfans  de  Dieu Ibid. 

Quatrains  traduits  de  saint  Grégoire  de  Nazianze. 

Mieux  vaut  bien  vivre  que  bien  parler 32 

La  vraie  noblesse  gît  en  vertu Ibid. 

Qu'en  toutes  choses  est  requis  de  prendre  conseil 

d'autrui 33 

Nicolas  Rapin.  —  Sixième  satire  du  premier  Livre 

d'Horace,  Hoc  erat  in  vous.  A  M.  le  président  de 

Thou 36 

A  M.  de  Harlay,  premier  président  au  Parlement  de 

Paris /ia 


538  TABLE  DES  NOMS  DES  POÈTES 

Ode  d'Horace,  du.  -premier  Li\re ,  Mœcenas  ata\is. 

Adressée  à  M.  le  duc  de  Sully,  pair  de  Franf-e.  P.  /^Z 
A  M.  de  Rosuy,  conseiller  d'état,  et  surintendant 

des  finances  du  roi 44 

Jean-Baptiste  Chassicnet.  —  Le  mépris  de  la  vie,  et 

consolalion  contre  la  mort 52 

Paraphrase  du  pseaume  lxxix,  Qui  reg^is Israël ,  in- 
tende   55 

Sonnet $7 

Du  pseaume  vi ,  Domine ,  ne  infurore ,  etc 58 

Sonnet 60 

Sonnet.  —  Pseaume  ix,  Confilebor  tibi ,  Domine ,  in 

toto  corde  meo 6 1 

Pseaume  lxxxi  ,  De  us  stetit  in  synagoga  deorum  ....  63 

Pseaume  xci ,  Bonum  est  confiteri  Domino  et psallere .  64 

Sonnet    66 

Livre  11.  Pseaume  xlviii 67 

Antoine  de  Cotel,  —  Sonnet 70 

Epigrainme 71 

Sonnet  sur  la  mort  de  Louis  Le  Roi,  célèbre  savant 

du  seizième  siècle 72 

Sonnet.  De  demoiselle  J.  L.  D.  —  Épigrammc 78 

Chanson 74 

Sonnet 75 

ScÉvoLE  DE  Sainte-Marthe.  —  L'avant  mariage  du 

roi  Charles  ix 78 

Sonnet.  —  Epitaphe  d'un  guerrier 85 

Epitaphe  du  même 86 

Comparaison  du  poète  et  du  financier Ihid. 

Epigramnics.  —  .Sonnets 88  rf  suiv. 

La  statue  de  Pigmalion.  A  M.  de  Villeroy,  secrétaire 

d'état 91 

Epigramme 94 

Jean  V'auquelin  de  La  Fresnaye.  — Satire.  A  J.  A.  de 

Baïf. 97 


ET  DES  PIÈCES.  SSg 

Épigramme.  De  l'or Page   io4 

Satire.  A  Jeau  de  Morel,  chevalier,  etc. ,  vicomte  de 

Falaise ,  •  . i  o5 

Satire.  A  M.  de  Repichon,  trésorier  général  de  France 

à  Caen 112 

La  Belette.  Fable 117 

Epitaphe  de  l'Arétin.  —  Epitaplie  de  Jac.  Tahureau , 

écuyer,  sieur  de  la  Chevalerie 118 

Epilaphe  de  P.  de  Ronsard. . 119 

Ej)igramme.  De  la  variété  de  Fortune Ibid. 

Satire.  A  Jérôme  Vauquelin ,   sieur  de  Méheudin , 
lors  conseiller  du  roi  au  Parlement  de  Rouen  ,  et 

depuis  avocat-général Ihid. 

Epigramme.  De  Cujas i  ^3 

Epitaplie  sur  un  cas  pitoyable Ibid. 

Satire.  A  M.  Le  Biais,  conseiller  du  roi  au  Parlement 

de  Rouen 124 

Epigramme  sur  un  buveur , 128 

Amadis  Jamin.  — De  la  Libéralité.  Au  roi l'îo 

Ode.  De  l'Inconstance 1 33 

Ode.  Pour  justifier  l'Inconstance i35 

Sonnet 1  Sy 

Sur  la  diversité  de  religion.  A  M.  de  Pimpoint 1 38 

Dialogue.  Le  Passant  et  le  Génie  de  Montcontour ...    141 

Au  roi  Charles  ix 14^ 

Elégie.  A  M.  de  Pibrac 1 43 

Sonnet.  A  M.  Brulart,  secrétaire  du  roi,  à  qui  Ron- 
sard venoit  de  dédier  un  de  ses  ouvrages 144 

Claude  Mermet.  —  Chanson.  L'Avis  de  mariage.  .  .  .    147 
Epigramme.  Sur  le  Riche.  —  Epigramme.  Un  Geôlier  • 

parlant  au  mari  d'une  prisonnière i/i9 

Epigramme.  A  un  Ecolier  ingrat.  —  Epigramme.  Des 

Amis. — Epigramme. D'unEnfantdebonne maison.    i5o 
Epigramme.  A  un  gentil  compagnon,  qui  sent  tou- 
jours son  paysan.  —  Chanson  pour  les  Hommes.   i5l 


54 O  TABLE  DES  NOMS  DES  POÈTES 

Epigranime.  D'un  Sot  qui  ^ouloil  blesser  l'honneur 
des  Femmes.  —  Éi)Itaplie.  Sur  un  qui  pleuroit  la 
mort  dubanquier. —  Épitaphe  d'un  riche  décédé.  P.    1 53 

Marc  CLàunK  ue  Buttf.t,  —  Au  roi.  Ode i55 

A  madame  de  SaiuJ-Vallier.  Ode i58 

A  Apollon.  Vers  sai^hiques.  Ode 162 

Sur  la  mort  d'une  dainoisellc.  Ode i63 

Sonnets 1 06 ,    167 

GuiiLAUMK  DU  Sable.  —  Sonnet 170 

Sonnet.  Sur  les  dévotions  prétendues  de  Henri  m. .  .    171 
Florfnt  Chrestien.  —  Fragment  de  la  tragédie  de 

Jephté 174 

Songe  de  George  Buchanan 187 

André  Ducros.  —  Sonnet,  A  Catherine  de  la  Selle, 

dame  de  Chassincourt 191 

Sonnet 192 

Gabriel  Le  Breton.  —  Fragment  du  iii<"  acte  d'Adonis.    194 

Fragment  du  v«  acte  de  la  même  tragédie ig5 

Jacques  Grevin,  —  Tragédie  de  César.  Acte  v igc^ 

La  Trésorière ,  comédie  en  cinq  actes -lol 

Sonnets.     277,   278 

Jean  de  La  Taille.  —  Le  Blason  de  la  Marguerite. 

Chanson 280 

Le  Blason  de  la  Rose.  A  demoiselle  Rose  de  La  Taille , 

sa  cousine 281 

Sonnet 282 

ï'.pitaphe 283 

Jacques  de  La  Taille.  —  Epigramme.  D'un  Lyon  et 

d'un  Renard 285 

Epigramme.  D'une  Courtisane  devant  un  miroir.  .  .  Ibid. 

Iiiscription  pour  la  reine  d'Ecosse,  Marie 286 

Epigramme.  D'un  Devin Ihid. 

Inscription  pour  la  reine  Claude Ibid. 

É])igramine,  A  madame  Anne  de  Herte,  duchesse  de 
Guise 287 


ET  DES  PIÈCES.  54 1 

Inscription  pour  le  roi  François,  ])remler  du  nom.  P.    287 

Jean  Doublet.  —  Sur  les  ruines  de  Rome a88 

Élég'e.  A  sa  Maîtresse 289 

L'Enigme  de  Clcobule 290 

Élégies. 291,   2g3 

Pierre  nu  Brach.  —  Sonnet 297 

L'Amour  des  Veuves.  A   G.   Piquon ,   son  cousin , 

avocat  en  la  cour Ihid. 

Quatrain.  —  Sonnet. '3oo 

Élégie.  A  son  Livre 3o  1 

Marie  Stuart.  —  Sur  la  mort  de  François  11  (en  1 56o).   3o6 
Chanson  faite  lors  du  départ  de  Marie  Stuart  pour 
l'Ecosse,  étant  encore  à  !a  vue  des  côtes  de  France.  807 

Guillaume  de  Salluste  ,  sieur  du  Bartas.  —  Vers  au 

roi  de  Navarre 3n 

Description  du  jardin  d'Eden Ibid. 

Moralité.  —  Le  Déluge 3 1 4 

François  le  Poulchre. — Sonnet. Complainte deDidon.   319 
Sonnet.  Aux  Dames 320 

Claude  de  îMorenne.  —  Églogiie  sur  le  trépas  du  car- 
dinal Charles  de  Bourbon 3x2 

Pantaléon  Barthelon  dePiavières. -Quatrains.  Z'i.^ctsuiv. 

Jean  Desplanches.  —  Dixain.  D'un  prêtre  qui  fit  une 

part  de  son  gâteau  plus  qu'il  ne  devoit 33 1 

Épitaphe.  —  D'un  riche  chasseur.  —  Pour  chasser 

les  sergens 33^ 

Du  Mari  et  de  sa  Femme ,  tous  deux  malicieux 333 

D'un  gros  Monsieur Ibid. 

D'un  Prêtre  breton,  bretonnaiit 334 

Des  Clercs  d'un  bon  personnage Ihid, 

D'un  Gendarme  et  d'un  Cordelier 335 

René  Bretonnayau.  —  Le  Singe 337 

Philippe  Desportes.  —  Sonnet 3/|6 

Élégie 347 

Epitaphe  de  Timoléon  de  Cosse,  comte  de  Brissac. .    35 1 


5^2     TABLE  DES  NOMS  DES  POÈTES 

Sonnet.  —  Distours P(if;e  352 

Chansons 358  ,  H6  i 

Sonnet 362 

Epitaphe 363 

Sonnet.  —  Epitaphe  de  Claude  de  l'Aubespine 364 

Prière 365 

Adieu  à  la  Pologne 367 

Epigrarame 36g 

Sonnet.  —  Stances.  Du  mariage 370 

Ode  sacrée 375 

Étiïnne  Tabourot.  — ^  Mariage  égal 379 

Du  Serviteur.  —  Sonnet 38o 

Le  peu  Dévotieux.  —  A  M.  de  Chanlecy,  capitaine 

des  gardes  de  monseigneur  le  duc  d'Elbeuf. 38 1 

Le  Temps.  —  Du  Maître  poli 38?. 

Maître  sans  raison.  — Épigramme.  —  Des  Promet- 
teurs     383 

De  Bertot  et  Jeanne.  —  Epigramme.  —  Tardive  Ré- 
compense      384 

Do  Jean ,  pauvre.  —  Le  beau  Bâtiment 385 

De  Jacquelin. — Au  Lecteur.  —  A  Maumisert,  mon 

valet 386 

Stances 389 

Epitaphe  faite  pour  un  Athéiste.  —  Epitaphe  d'un 

Chicanneur.  —  Epitaphe Syo 

D'une  vieille  et  riche  Coquette. —  Epitaphe 3yi 

Clovis  Hesteau.  —  Sonnet.  —  Ode.  Une  Dame  qui 

éioit  fière  de  ses  richesses 393 

Epigramme  tirée  du  grec.  —  A  la  Fortune 3y6 

Sonnet 097 

Thlouore Agrippa d'Aubigné.  —  L'Auteuràson Livre.  400 

Les  Misères  du  temps.  Tiré  des  Tragiques /jo6 

Les  Princes.  Tiré  des  Tragiques /i  1 1 

Pierre  Le  Loyer,  sieur  de  La  Brosse.  —  Pi-emicr  Bo- 
cage de  l'Art  d'aimer.  Stances ^\(j 


ET  DES  PIÈCES.  543 

Second  Bocage  de  I'a  rt  i'aimer.  Stances Page  4'3 

Charles  ix.  —  A  Ronsard /,35 

Autres  vers  adressés  à  Ronsard ,  pour  le  faire  venir 

à  Aniboise 4^6 

Chanson 4^7 

Claude  de  Trf.llok.  —  Sonnets 44o 

Le  Portrait  de  la  cour 44 1 

Chanson  à  une  belle,  pour  laquelle  quelqu'un  étoit 

mort  d'amour l^[^% 

Sonnets.  —  Testament 44^  ^^  suif. 

Jean  de  La  Jessée.  —  Chanson.  —  Sonnet 449»   4^^ 

Des  Courtisans , 45i 

Quatrains 45^ 

D'un  Libraire.  —  Sonnet 453 

Sonnet.  A  M.  le  marquis  de  Conty 454 

Marseille  d'Altouvitis.  —  Ode  à  la  louange  de  Louis 
Bellaud  de  la  Ballaudière,  et  de  Pierre  Paul  de 

Marseille 4^6 

Jean  de  La  Ceppède.  —  Sonnet  sur  la  condamnation 

de  Jésus-Christ 4^9 

Sonnet  sur  la  désertion  des  Apôtres 460 

François  d'Amboise.  — Elégie  sur  le  trépas  d'Anne  duc 

de  Montmorancy,  pair  et  connestable  de  France . .    4^1 

Nicolas  Pavillon.  —  Sentences  de  Theognide 471 

Jean  Le  Blanc.  —  Aux  Enfans  de  France.  Ode 479 

Sur  le  Blanc 4^2 

Poème  sur  la  vicissitude  des  choses  mondaines.  A 

Louis  Layer 4^4 

Antoine  Mage,  sieur  de  Fiefraelin.  —  Sonnet 490 

Quatrain.  —  Epigranime.  —  Sonnet 491 

Epigramme.  Le  Sage  doit  fuir  l'ivresse 49^ 

Le  Désireux  d'aller  à  l'égiise Ibid. 

Epigramme  emblématique.  —  Epigramme 493 

Balthasap^  Bailly.  —  Portrait  du  peuple 49^> 

De  La  Roque.  —  Chanson 497 


544      TABLE  DES  IVOMS  DF<Î  POÈTES,  etc. 

Contre  Orpliéc i Page  499 

Cliaiisoiis.  —  Slances ^o\  et  sitiv. 

Jean  Bi  rtaut.  —  Stances 5o7 

Sixain.  Sur  un  départ.  —  Chanson 5o8 

Au  Roi ,  pour  lo  convier  de  revenir  à  Paris 5 1  o 

Sur  les  cœurs  de  trois  gcntillionimes  inlmniés  en- 
semble       5 1  2 

Clianson .    5 1  3 

Au  Roi ,  sur  la  réduclion  de  Paris  en  son  obéissance.   5  i  !^ 

Paraphrase  du  pseaunie  cxLvii 5i5 

Cantique    dont    l'argiiraent    est    pris    du    premier 

pspaume  de  David 5 1 6 

Sur  le  cœur  de  madame  la  duchesse  de  Monbazon.  .    5 19 
3Iarcukrite  de  France.  — Vers  composés  par  ÎVlar- 
gucrite  de  France,  pendant  sa  détention  au  châ- 
teau d'Usron  en  Auvergne  ,  sur  la  mort  d'Aubiac  , 

son  amant ,  ])cndn  à  Aigue-Perse Sïo 

Quatrain  sur  Pomené,  fils  d'un  chatidronnier  d'Au- 
vergne, et  enfant  de  chœur  de  la  calliédialc  de 

Clermont,  qui  sut  plaire  à  îMarguerite 52i 

Vers  sur  la  mort  de  Datte,  tué  par  le  jeune  Vcrinond, 
à  la  porte  de  son  carrosse,  du  commandement  du 

roi 522 

Catufrink  i)k  Parthenay. — Stances  sur  la  mort   de 

Henri  iv 52 5 

AuGiER  (lAii.i.ARD.  —  Sonucl  à  madame  la  comtesse  do 

Sainleran 529 

Ailvis  chariiabie  donné  au  sieur  Gaillard,  etc 63o 

Réponse  du  sieur  Gaillard,  etc 53 1 

Indignation  île  Braquemart  pour  la  défense  de  tous 
les  poètes  et  beaux  esprits  de  ce  temps,  accusez 
d'ignorance  par  Gaillard 534 

FIX    DE    LA   TAllLE    U\:    TOME   CIKJ^UIt.AIt. 


^ 


rt 


cyouï/  p 


OEUVRES 

CHOISIES 


IDE  QUIN\\ULTj 


AVEC  LES  REMARQU}/ 
DE   LAH/  t^ 

2  1)0/.  irt-8°,  oriiés'd'uîf  h- 


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i 


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^  ew  France ,  et  le  meilleur  modèle  dans  ce  genre  de    % 

I  poésie  ;  personne  ne  lui  avoit  ^cfl^i  de  guide ,  personne   | 

I  ne  Va  égale  depuis.  Il  n\x';tevpoint  d^ édition  in-S^.    | 

f  de  ses  OEuçres  dans  les  bibli-'ivéques;  nous  espérons   a 

I  que  les  Amateurs  accuei liera /J  avec  plaisir  cette  édi-    ^ 

%  tio?i,  dégagée  des  premières  productions  de  P  auteur  j 


%\ 


^\ 


^ 


I  qui ,  seules ,  lui  avoient  attire  le 

%  comme  il  en  convient  lui~^ijetne 

%  de  ses  pré/aces.  «^  y  ajouJt'i}. 

r  "■  le  temps  où  j'écrivis  aontlrc 

I  «deux  fort  jeunes,  et  bi    *  . 

t  «beaucoup  d'ouvrages/ q tu 

*  «  acquis  une  juste  répiitati   n.  » 


"ensure  de  Boueau , 
ce  passage  cCune 
'iikult,  que  dans 
tous  étions  tous 


it  pas  fait  alors    ? 
It  dans  la  suite    $ 


On  souscrit  A  PARIS, 


CFFZ   CRAPELET,    IMPRI^T 

rUki«*|-*A.UGIRARD,  K"  u,    V 

'1. 


UR-EDITEUB, 

£  l'odéos. 


»-'V»(»-*C»^>»^,>»<»<»-# 


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